ANALYSE

Djibouti : comment expliquer le désintérêt de la population pour la présidentielle ?


Alwihda Info | Par Kadar Abdi Ibrahim - 30 Mars 2021


La campagne électorale pour la présidentielle du 9 avril 2021 a commencé en République de Djibouti, le vendredi 26 mars 2021. Elle durera durant deux semaine. Le journaliste Indépendant et défenseur des droits humains, Kadar Abdi Ibrahim, par ailleurs, SG du mouvement Le MoDeL, nous livre de cet article une analyse qui explique les raisons pour lesquelles la population n'est pas du tout mobilisée pour cette présidentielle pour laquelle, le président sortant, Ismaël Omar Guelleh va se représenter pour la 5ème fois de suite.


Ça y est, c’est parti ! Après 21 années au pouvoir, sans une seule élection véritable, la comédie a repris de plus belle ce vendredi 26 mars 2021. La campagne officielle a débuté aux sons des trompettes et des cymbales, à Tadjourah, après près de deux semaines de soirées de soutien dansantes au Kempinski Hôtel.

À deux semaines du scrutin, avouons-le, sans enjeu, puisque l’auto-réélection du candidat du RPP et ce, depuis 1999, est de facto quasi-acquise, la population Djiboutienne, dans sa grande majorité, ne semble pas du tout concernée par ce processus. Quelque chose de nouveau, de bizarre se passe : tout le monde semble être aspiré par les shows organisés en cette occasion, mais en réalité personne ne croit plus en ce scrutin. Cette contradiction altère l’équilibre psychologique de l’individu et en filigrane celle de la Nation. Toute la difficulté est donc de bien repérer les leviers qui expliquent ce phénomène.

Cette dynamique est, tout d’abord, révélatrice d’une réalité sociale dont il faut prendre la mesure : nous sommes à la croisée des comportements collectifs et individuels, cette séparation absolue posée par Descartes entre le corps et l’esprit dans son traité « Discours de la méthode ».

En effet, pour ne pas subir les foudres de la dictature et préserver ses maigres avantages, l’individu décide de se mouler dans le collectif protecteur et illusoire afin de paraître comme tout le monde. Ne pas s’éloigner de la masse pour ne pas être le singulier et être pointé du doigt. Pense-t-il, ainsi, éviter le marteau sur la tête de tout Djiboutien. Le « paraître » étant ici la quintessence du corps.

La réalité de l’esprit est tout autre. L’engouement populaire n’y est plus et un degré hallucinant de rejet lézarde le mur de la campagne. Rarement, une élection aura été plus moquée puis finalement ignorée et balayée d’un revers de la main. Les Djiboutiens se sont détachés de cette élection et se sont mis volontairement au banc. La preuve en est le refus de retirer la carte d’électeur. Naguère, nos parents ou grands-parents s’y précipitaient dès son lancement. La voilà, maintenant, boudée. La voilà devenue un objet de défiance. Et à même d’être brulée, comme en témoigne ce mouvement inédit lancé par quelques jeunes sur les réseaux sociaux Facebook.

Il suffit de voir la panique du régime face au désintérêt du retrait de la carte d’électeur. Il en a peur. Terriblement peur que les grands moyens étatiques sont mis en place : une armada de jeunes a été recrutée pour effectuer du porte-à-porte et inciter la population à aller la retirer. Nombreuses sont les voitures de fonction réquisitionnées sur lesquelles sont jonchés des jeunes portant un mégaphone et hélant les habitants à partir chercher les cartes. Des bus sont mobilisés dans tous les quartiers afin de transporter gratuitement les quelques personnes disposées à la récupérer dans les différents arrondissements. Pourtant, personne n’y prête attention. L’indifférence est tout simplement spectaculaire ! Le désaveu total ! Le constat est au demeurant amer du côté du régime.

Si l’on analyse plus profondément, cet état de fait s’explique par l’attitude vulgarisée par l’historien et écrivain belge David Van Reybrouck qui a, pour la première fois, parlé « du syndrome de fatigue démocratique » dont la déclinaison serait ici « le syndrome de fatigue électorale ».

En effet, ce « syndrome de fatigue électorale » se manifeste par l’absentéisme électoral, en passe de devenir une motion de censure, faute d’autres alternatives, de la population placée sous étouffoir policier. Ce syndrome prend ses origines de l’impuissance du citoyen face au débris social et économique dans lequel il baigne. Mais là n’est pas la seule explication. En effet, depuis maintenant 21 années, les Djiboutiens sont habitués à retrouver le même candidat du RPP. La même tête. Les mêmes gestuelles. Les mêmes cérémonies. Le même discours, enfin et toujours le même vainqueur. Ainsi, voit-on en ce scrutin qu’un éternel recommencement sans fin. Absolument rien de nouveau et un sentiment de déjà-vu, de déjà entendu. Ce manque de compétition et de nouveauté aurait laminé la capacité d’implication du citoyen au point de transformer en tiédeur sa ferveur pour ce scrutin. C’est pourquoi, l’on constate cette profonde lassitude ou apathie qui s’est emparée de la majorité des Djiboutiens par rapport à la présidentielle du 9 avril 2021.

De cette attitude nouvelle, découle quasi spontanément un autre mode d’être et de faire de la psyché – de plus en plus répandu – des Djiboutiens : celui du « Plus rien à faire » développé par l’analyste politique français Brice Teinturier, qui, poussé à l’extrême devient « Plus rien à foutre ! ». L’ingrédient de ce mode est le phénomène de perte de confiance, qui lui est chronique. Il s’agit du sentiment de n’avoir plus en face des responsables politiques crédibles qui portent l’intérêt public, mais parlent au nom de leur intérêt privé. D’ailleurs, entre ce que dit le candidat du RPP et ce qu’il fait, l’écart se creuse, comme si coexistaient deux mondes parallèles, qui ne se rejoindront jamais : le verbal et le réel. L’état des infrastructures n’est pas le fruit de la fatalité mais l’absence de réponse politique à hauteur des enjeux, et la désillusion n’en est que plus rude. C’est ce qui pousse à bout la population.

En résumé, tout concourt à faire de cette élection l’escarcelle de l’absentéisme. La seule interrogation qui persiste encore et sur laquelle l’on discute dans tout le pays se porte sur le score que le régime voudra bien s’accorder. Un score au soviet ? Ou sera-t-il, pour une fois, plus mesuré dans cette auto-réélection ?

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