Les rébellions ne sont pas toutes légitimes !
La réaction de Brahim Abakar Kamane à l’opinion que j’ai émise dans ma dernière chronique est d’une remarquable profondeur. Je l’ai lue et relue avec un plaisir sans cesse renouvelé. Je ne l’ai pas relue avec l’intention d’en débusquer quelques contradictions ou faiblesses qui auraient pu l’exposer à une « aimable » critique de ma part. La finesse de l’écriture, la pensée bien aiguisée et l’incontestable intime conviction de l’auteur quant à la légitimité des luttes meurtrières dans notre pays ont suffit à susciter en moi l’appétit de la relecture. Je pense que, comme moi, ceux qui ont lu attentivement cette « réaction » ont pu ressentir une « bibliophilie » passagère. Loin d’être un simple pamphlet comme l’affirme ironiquement Kamane, un écrit de cette facture sur la justification des rébellions au Tchad est assez rare dans la presse sur Internet pour ne pas inciter à prendre le temps de le relire, l’imprimer et le conserver. L’envie de répondre est apparue après quelques hésitations tant les propos de l’auteur semblent exempts de critique. La modeste réponse ici formulée se limite donc à apporter des nuances aux propos de Kamane que j’avoue partager partiellement sans toutefois me déjuger.
En donnant un avis sur les « condottieri », je ne formulais pas vraiment une opinion nouvelle et personnelle sur les rébellions tchadiennes. D’autres avant moi ont méchamment traité tous les chefs rebelles tchadiens de condottieri avec tout ce que cette qualification induit. J’avais d’ailleurs évoqué dans ma chronique une certaine indignation que j’ai personnellement éprouvée après lecture de l’article de François Soudan sur « le cancer tchadien » traitant explicitement les rebelles de « condottieri » qui susciteraient l’antipathie « au sud du 13e parallèle ». Dans un livre intitulé « Tchad Niger » consultable sur internet, l’auteur utilise également l’appellation « condottieri tchadiens » à plusieurs reprises pour qualifier les rébellions. Cette qualification est sans doute injurieuse surtout quand on sait qu’elle ne peut raisonnablement s’appliquer à tous les rebelles tchadiens sans une certaine dose de mauvaise foi dans l’interprétation. Les condottieri étaient, au Moyen Age, des « chefs d’armées de mercenaires » qui se mettaient aux services d’Etats contre rémunérations. La plupart des rebelles tchadiens ne peuvent, a priori, être considérés comme des condottieri. En effet, ils ne sont ni « mercenaires » et moins encore « au service d’Etats » contre le Tchad, même s’il est indéniable qu’ils sont financièrement soutenus par certains Etats pour déstabiliser le régime tchadien au pouvoir. Et s’agissant de soutien d’Etats aux rebelles, la pratique n’est bien évidemment pas nouvelle, faut-il le reconnaître.
Cela dit, en cette époque de dissolutions des entraves à la communication avec l’avènement des multimédias, est-il besoin d’être présent à Moudaïna, à Adré ou à Khartoum pour être informé des faits et gestes des rebelles et de ceux qui les soutiennent ? Le Soudan soutient les rebelles tchadiens et leur dicte ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire en contrepartie de son soutien. Ça c’est un fait qu’il serait ridicule de contester. Au lendemain de l’échec de la tentative de coup d’état de février, tous les observateurs ont affirmé que le Soudan avait décidé de désigner unilatéralement le général Mahamat Nouri à la tête des mouvements rebelles. Timane Erdimi serait pourtant le mieux placé pour renverser Idriss Déby, sachant que les éléments de la garde présidentielle ne verraient pas d’un mauvais œil la conservation du pouvoir entre les mains de Zaghawa avec l’arrivée de Timane au pouvoir. L’on répète sans cesse que l’important dans la contestation, c’est que Déby quitte le pouvoir peu important la personnalité de celui qui viendra le remplacer. Le général Mahamat Nouri avait affirmé qu’il n’était pas réellement intéressé par la magistrature suprême. Même si l’on se doit de garder la tête froide face cette déclaration visiblement démagogique, il faut admettre que c’est incontestablement le Soudan qui s’oppose à la désignation de Timane Erdimi à la tête des mouvements rebelles qu’El-Béchir finance à coup de pétrodollars. Il s’y oppose de « bonne guerre » pour s’assurer la neutralisation du MJE après renversement des « Zaghawa » du pouvoir. Or, Timane Erdimi étant Zaghawa, la neutralisation du MJE serait hypothétique après renversement d’Idriss Déby puisque le MJE est un mouvement rebelle composé essentiellement de Zaghawa du Soudan. Kamane reconnaît d’ailleurs les méfaits de ce soutien financier aux rebelles lorsqu’il affirme se résigner à « subir d’une manière ou d’une autre les caprices des parrains ».
Mais les méfaits du soutien des parrains aux rebelles c’est aussi la difficulté de distinguer entre ceux qui ont réellement l’ambition de faire la révolution de ceux qui combattent pour des motifs liés aux convenances personnelles. Dans le paysage politico-armé du Tchad, certaines personnes ont trouvé une occasion de développer une mafia. Ceci est incontestable. Combien étaient partis en rébellion en affirmant être définitivement contre le régime en place et qui sont revenus sitôt le régime leur ait fait des propositions en espèces sonnantes et trébuchantes ? Ne me demandez pas de citer des noms. Faut-il leur reconnaître indéfiniment « le droit de se tromper » et de rattraper leurs erreurs ? Tant qu’ils sont dans le cercle du pouvoir, ils ne voient rien, n’entendent rien, ne disent rien. Aussitôt temporairement écartés du cercle, ils découvrent subitement que les Tchadiens vivent dans la misère, que la démocratie au Tchad n’existe que sur les papiers, que la Justice au Tchad ne sanctionne jamais les proches du régime en politique, que la corruption est devenue un phénomène normal encouragé par les hauts responsables censés gérer les deniers publics et les redistribuer équitablement, etc. Ils partent dans les grottes, menacent le régime avec l’appui du Soudan, se font approcher par le régime, signent des accords et reviennent au bercail soutenir plus que jamais le régime sans lever le petit doigt pour dénoncer quelque injustice. Je n’ai jamais vu un rebelle rentrer à N’Djamena et adhérer à un parti politique de l’opposition. Ils reviennent tous soutenir Idriss Déby. Il est vrai que les partis politiques ne sont pas aussi riches qu’Idriss Déby, qui nage dans l’opulence depuis qu’il a réussi à faire exporter le pétrole tchadien.
Kamane considère que « tout homme a des défauts et des qualités » et qu’il faudrait savoir pardonner aux « pécheurs ». Considération de bon sens sans doute. Néanmoins, on ne peut pas demander aux hommes de faire ce que Dieu lui-même se défend de faire : pardonner indéfiniment ! Dans sa volonté à tendre la main à ses « ennemis » Idriss Déby est peut-être capable de pardon indéfini, mais de là à le placer au-dessus de Dieu, il n’y a qu’un pas que je ne saurais franchir.
Voilà les nuances que j’ai voulu apporter aux propos de Kamane. Au titre de ces nuances, j’aimerais souligner pour terminer que s’il paraît naïf de croire que les partis politiques, les associations des droits de l’homme, la presse indépendante, les sites Internet, les manifestations des Tchadiens de France notamment, suffiraient à faire changer le cours des choses au Tchad, il est tout aussi naïf de soutenir qu’une guerre même rapide et radicale suffirait à faire changer le cours des choses. Le changement implique une transformation en profondeur des comportements et de la mentalité des Tchadiens. Il n’y aura pas de changement tant qu’on continuera à soutenir, comme le fait malheureusement Kamane, que certaines personnalités « ont servi dans le public et le privé, au Tchad et à l’étranger, et peuvent prouver l’appartenance du minimum qu’ils possèdent en attendant qu’on ne nous révèle le contraire ». Je ne suis pas sûr que le travail salarié à lui seul peut rendre multimillionnaire. Le soutenir, c’est ajouter du mépris au ridicule. Hissein Habré n’a jamais détourné le moindre franc cfa, prétendent encore bien de nos compatriotes. La preuve ? Il n’a aucune propriété (maison, villa) au Tchad. Vraiment aucune ! Mais comme quelqu’un l’a dit de façon si sympathique « c’est bien assez de mourir ignorants, n’y ajoutons pas d’être dupes ».
Lyadish Ahmed
La réaction de Brahim Abakar Kamane à l’opinion que j’ai émise dans ma dernière chronique est d’une remarquable profondeur. Je l’ai lue et relue avec un plaisir sans cesse renouvelé. Je ne l’ai pas relue avec l’intention d’en débusquer quelques contradictions ou faiblesses qui auraient pu l’exposer à une « aimable » critique de ma part. La finesse de l’écriture, la pensée bien aiguisée et l’incontestable intime conviction de l’auteur quant à la légitimité des luttes meurtrières dans notre pays ont suffit à susciter en moi l’appétit de la relecture. Je pense que, comme moi, ceux qui ont lu attentivement cette « réaction » ont pu ressentir une « bibliophilie » passagère. Loin d’être un simple pamphlet comme l’affirme ironiquement Kamane, un écrit de cette facture sur la justification des rébellions au Tchad est assez rare dans la presse sur Internet pour ne pas inciter à prendre le temps de le relire, l’imprimer et le conserver. L’envie de répondre est apparue après quelques hésitations tant les propos de l’auteur semblent exempts de critique. La modeste réponse ici formulée se limite donc à apporter des nuances aux propos de Kamane que j’avoue partager partiellement sans toutefois me déjuger.
En donnant un avis sur les « condottieri », je ne formulais pas vraiment une opinion nouvelle et personnelle sur les rébellions tchadiennes. D’autres avant moi ont méchamment traité tous les chefs rebelles tchadiens de condottieri avec tout ce que cette qualification induit. J’avais d’ailleurs évoqué dans ma chronique une certaine indignation que j’ai personnellement éprouvée après lecture de l’article de François Soudan sur « le cancer tchadien » traitant explicitement les rebelles de « condottieri » qui susciteraient l’antipathie « au sud du 13e parallèle ». Dans un livre intitulé « Tchad Niger » consultable sur internet, l’auteur utilise également l’appellation « condottieri tchadiens » à plusieurs reprises pour qualifier les rébellions. Cette qualification est sans doute injurieuse surtout quand on sait qu’elle ne peut raisonnablement s’appliquer à tous les rebelles tchadiens sans une certaine dose de mauvaise foi dans l’interprétation. Les condottieri étaient, au Moyen Age, des « chefs d’armées de mercenaires » qui se mettaient aux services d’Etats contre rémunérations. La plupart des rebelles tchadiens ne peuvent, a priori, être considérés comme des condottieri. En effet, ils ne sont ni « mercenaires » et moins encore « au service d’Etats » contre le Tchad, même s’il est indéniable qu’ils sont financièrement soutenus par certains Etats pour déstabiliser le régime tchadien au pouvoir. Et s’agissant de soutien d’Etats aux rebelles, la pratique n’est bien évidemment pas nouvelle, faut-il le reconnaître.
Cela dit, en cette époque de dissolutions des entraves à la communication avec l’avènement des multimédias, est-il besoin d’être présent à Moudaïna, à Adré ou à Khartoum pour être informé des faits et gestes des rebelles et de ceux qui les soutiennent ? Le Soudan soutient les rebelles tchadiens et leur dicte ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire en contrepartie de son soutien. Ça c’est un fait qu’il serait ridicule de contester. Au lendemain de l’échec de la tentative de coup d’état de février, tous les observateurs ont affirmé que le Soudan avait décidé de désigner unilatéralement le général Mahamat Nouri à la tête des mouvements rebelles. Timane Erdimi serait pourtant le mieux placé pour renverser Idriss Déby, sachant que les éléments de la garde présidentielle ne verraient pas d’un mauvais œil la conservation du pouvoir entre les mains de Zaghawa avec l’arrivée de Timane au pouvoir. L’on répète sans cesse que l’important dans la contestation, c’est que Déby quitte le pouvoir peu important la personnalité de celui qui viendra le remplacer. Le général Mahamat Nouri avait affirmé qu’il n’était pas réellement intéressé par la magistrature suprême. Même si l’on se doit de garder la tête froide face cette déclaration visiblement démagogique, il faut admettre que c’est incontestablement le Soudan qui s’oppose à la désignation de Timane Erdimi à la tête des mouvements rebelles qu’El-Béchir finance à coup de pétrodollars. Il s’y oppose de « bonne guerre » pour s’assurer la neutralisation du MJE après renversement des « Zaghawa » du pouvoir. Or, Timane Erdimi étant Zaghawa, la neutralisation du MJE serait hypothétique après renversement d’Idriss Déby puisque le MJE est un mouvement rebelle composé essentiellement de Zaghawa du Soudan. Kamane reconnaît d’ailleurs les méfaits de ce soutien financier aux rebelles lorsqu’il affirme se résigner à « subir d’une manière ou d’une autre les caprices des parrains ».
Mais les méfaits du soutien des parrains aux rebelles c’est aussi la difficulté de distinguer entre ceux qui ont réellement l’ambition de faire la révolution de ceux qui combattent pour des motifs liés aux convenances personnelles. Dans le paysage politico-armé du Tchad, certaines personnes ont trouvé une occasion de développer une mafia. Ceci est incontestable. Combien étaient partis en rébellion en affirmant être définitivement contre le régime en place et qui sont revenus sitôt le régime leur ait fait des propositions en espèces sonnantes et trébuchantes ? Ne me demandez pas de citer des noms. Faut-il leur reconnaître indéfiniment « le droit de se tromper » et de rattraper leurs erreurs ? Tant qu’ils sont dans le cercle du pouvoir, ils ne voient rien, n’entendent rien, ne disent rien. Aussitôt temporairement écartés du cercle, ils découvrent subitement que les Tchadiens vivent dans la misère, que la démocratie au Tchad n’existe que sur les papiers, que la Justice au Tchad ne sanctionne jamais les proches du régime en politique, que la corruption est devenue un phénomène normal encouragé par les hauts responsables censés gérer les deniers publics et les redistribuer équitablement, etc. Ils partent dans les grottes, menacent le régime avec l’appui du Soudan, se font approcher par le régime, signent des accords et reviennent au bercail soutenir plus que jamais le régime sans lever le petit doigt pour dénoncer quelque injustice. Je n’ai jamais vu un rebelle rentrer à N’Djamena et adhérer à un parti politique de l’opposition. Ils reviennent tous soutenir Idriss Déby. Il est vrai que les partis politiques ne sont pas aussi riches qu’Idriss Déby, qui nage dans l’opulence depuis qu’il a réussi à faire exporter le pétrole tchadien.
Kamane considère que « tout homme a des défauts et des qualités » et qu’il faudrait savoir pardonner aux « pécheurs ». Considération de bon sens sans doute. Néanmoins, on ne peut pas demander aux hommes de faire ce que Dieu lui-même se défend de faire : pardonner indéfiniment ! Dans sa volonté à tendre la main à ses « ennemis » Idriss Déby est peut-être capable de pardon indéfini, mais de là à le placer au-dessus de Dieu, il n’y a qu’un pas que je ne saurais franchir.
Voilà les nuances que j’ai voulu apporter aux propos de Kamane. Au titre de ces nuances, j’aimerais souligner pour terminer que s’il paraît naïf de croire que les partis politiques, les associations des droits de l’homme, la presse indépendante, les sites Internet, les manifestations des Tchadiens de France notamment, suffiraient à faire changer le cours des choses au Tchad, il est tout aussi naïf de soutenir qu’une guerre même rapide et radicale suffirait à faire changer le cours des choses. Le changement implique une transformation en profondeur des comportements et de la mentalité des Tchadiens. Il n’y aura pas de changement tant qu’on continuera à soutenir, comme le fait malheureusement Kamane, que certaines personnalités « ont servi dans le public et le privé, au Tchad et à l’étranger, et peuvent prouver l’appartenance du minimum qu’ils possèdent en attendant qu’on ne nous révèle le contraire ». Je ne suis pas sûr que le travail salarié à lui seul peut rendre multimillionnaire. Le soutenir, c’est ajouter du mépris au ridicule. Hissein Habré n’a jamais détourné le moindre franc cfa, prétendent encore bien de nos compatriotes. La preuve ? Il n’a aucune propriété (maison, villa) au Tchad. Vraiment aucune ! Mais comme quelqu’un l’a dit de façon si sympathique « c’est bien assez de mourir ignorants, n’y ajoutons pas d’être dupes ».
Lyadish Ahmed