Par Zachée Betché, écrivain
Les nouvelles des attentat-suicides au Nord du Cameroun ou plus exactement – pour respecter les délimitations administratives – dans l’Extrême-Nord du pays se répandent comme une traînée de poudre depuis que Maroua en a été la cible. Les réactions aussi se multiplient à la hauteur de cette horreur aux qualificatifs introuvables. Les images sont insoutenables. Dans les réseaux sociaux fonctionnant à plein régime, retenue et voyeurisme sont au coude à coude. Sur place le journal septentrional L’œil du Sahel assure l’instantanéité de la publication des informations liées à ces événements tragiques.
La question centrale à l’heure actuelle est la suivante : le Cameroun est-il suffisamment outillé pour faire barrage à ces attaques terroristes de Boko Haram ? Maintes fois relayée par des médias étrangers, elle coïncide avec la répétition des événements tragiques. Depuis le début des offensives perpétrées par la fougue islamiste, l’armée camerounaise s’est montrée déterminée. La bravoure des soldats, appuyée par les forces tchadiennes venues à la rescousse, témoigne d’une volonté évidente. Seulement, avec les événements de Maroua, le caractère asymétrique de ces affrontements s’explicite davantage : les attentats-suicides et la terreur militante des islamistes s’exporte furieusement à l’intérieur du territoire national. Finalement, aux yeux des Camerounais, l’Extrême-Nord n’est pas si « extrême » que ça. Aujourd’hui, la peur gagne même les localités qu’on considérait jadis comme des citadelles imprenables naguère terrées dans la certitude que cette inhumaine vague terroriste n’était que l’affaire des autres.
Il y a des progrès à faire au niveau de la technologie sécuritaire pour s’adapter aux mutations des stratégies ennemies. Cela ne fait aucun doute. Mais il existe des failles dans le système « Cameroun » qu’il faut repérer. L’autocritique est une vertu essentielle dans toute entreprise qui veut s’approprier le progrès.
L’armée est irréprochable sur le front et Dieu sait qu’elle a besoin d’un soutien accru parce qu’elle défend et protège des vies et le territoire. Elle y prend toutes ses responsabilités. Cependant, l’image que véhiculent les forces de l’ordre au Cameroun mérite un changement profond plutôt qu’un réglage circonstanciel ou de façade. L’inconscient collectif associe cette institution à un pouvoir exclusivement répressif, à l’injustice, à la corruption. Ce qui traduit méfiance et peur. Or dans la situation actuelle, il n’est besoin d’insister sur l’importance capitale de la collaboration - dans le sens positif du terme - pour assurer une communication de vérité. La police et la gendarmerie doivent être les alliées du peuple qui n’en demande pas plus.
C’est un changement de paradigme qui doit s’opérer aussi dans la relation souvent sournoisement tumultueuse entre le politico-administratif et les populations. A tort ou à raison, l’autorité dans son ensemble, y compris traditionnelle ou religieuse, cristallise une certaine force abusive pour de nombreux citoyens. Face aux assauts répétés de Boko Haram, il faut militer de façon résolue et impérative pour la consolidation de l’acquis commun aux hommes : la vie. En tirant ainsi à la même corde et sans sourciller, ces différents segments de notre société démentiront la supposée incapacité du Cameroun à juguler ce chaos. Le véritable pouvoir c’est incontestablement celui qui est rompu au service. La proximité, dans le contexte actuel, comme au-delà, assure à la fois la circulation de l’information et la construction d’une nation.
La longévité du régime n’est pas un facteur de facilitation dans la lutte contre la nébuleuse intégriste. Outre le fait qu’il n’attire la sympathie des militants du progrès démocratique par carence d’alternance notamment, le Cameroun – le gouvernement qui est à sa tête - a mal à son image. Après le passage du président Barack Obama au Kenya et son discours historique du 28 juillet 2015 au siège de l’Union Africaine à Addis-Abeba, mettant à nue la pratique de certains chefs d’Etats qui ont tendance à se fossiliser au pouvoir, le malaise doit être perceptible à Yaoundé. Par moments, la lutte contre Boko Haram s’est télescopée avec le soutien au régime. La faute aux nombreux sbires qui assouvissent leurs fantasmes dans le délire de toujours ramener l’essentiel à une seule personne. Cet état d’esprit ne contribue qu’à refroidir la hargne sécuritaire de ceux qui se considèrent comme opposants à la politique du régime en place.
La pauvreté du débat politique et un certain désintérêt lié au fatalisme qui a trouvé refuge dans l’esprit de nombreux Camerounais ont eu raison d’une conscientisation précoce de la population. Celle-ci a été sollicitée pour soutenir l’armée au front. Une quête de moyens financiers s’en est suivie même si son organisation a été diversement appréciée. Au final, il reste un mystère à élucider : qu’en est-il de la gestion des fonds collectés tambour battant pour soutenir l’armée au front ? Lors du Mondial de football 1994 aux USA, une telle collecte a viré au cauchemar. Les Camerounais et même des dignitaires locaux s’en souviennent et critiquent sous cape. Il est évident qu’un tel climat de suspicion adossé sur le sentiment d’inertie générale ne facilite pas l’audace d’empoigner sérieusement la guerre multidimensionnelle contre Boko Haram.
Si sur le plan de la gouvernance, beaucoup reste à faire au Cameroun. Cependant une volonté d’en découdre avec le système pernicieux de monopoles économiques est évidente. En optant résolument pour une certaine ouverture économique, le pays de Paul Biya ne fait pas mine de signer des accords importants avec la Chine. « Nous coopérons avec la Chine comme avec la France, mais la Chine n'enlève rien à personne », disait-il. Le président camerounais a certainement compris les enjeux concrets d’une telle relation que l’Occident lui-même n’oserait se priver malgré une critique abondante qu’il ressasse.
Serait-il seulement possible de faire sans la Chine aujourd’hui ? Il n’est un secret pour personne que « l’Afrique évolue simultanément dans plusieurs directions ». Comme le souligne Achille Mbembe dans un entretien accordé au journal Le Monde du 26 janvier 2015 : « Le regard africain bascule vers l’Asie ». Pour expliciter cette ouverture au monde, Le mensuel Jeune Afrique dans sa livraison du 28 juillet 2011 annonçait une nouvelle retentissante : « Un gisement d’hydrocarbures découvert dans le nord du Cameroun ». Cette découverte s’est soldée par un accord gagnant-gagnant avec la société chinoise Yan Chang Logone Development Holding Company Limited.
Ainsi, les assauts répétés de Boko Haram dans la partie Nord du Cameroun sont-ils un fruit du hasard ou résultent-ils d’une manoeuvre des pourfendeurs obstinés mais très intéressés de la chinafrique ? Pour l’instant, seule la thèse de l’instauration d’un Etat Islamique est relayée par les journaux et officiels occidentaux. La chaîne de télévision militante Afrique Médias, elle, ne passe pas par quatre chemins pour stigmatiser les querelles géostratégiques. Aussi, une opinion grandissante au sein de la population semble avoir débusqué la face nocturne des élucubrations de Boko Haram à l’armement sophistiqué défiant celui des Etats de la sous-région. Certains pays occidentaux sont fortement soupçonnés de tirer les ficelles en armant l’organisation terroriste. Les soupçons deviennent récurrents. La population est aux abois et bat les pavés des villes
pour protester. Fanny Pigeaud1 en fait un écho explicite : « Fin février 2015, l’ambassadrice de France au Cameroun, Christine Robichon, a été très mal accueillie lorsqu’elle s’est jointe à une marche organisée à Yaoundé pour dénoncer les exactions de Boko Haram dans le nord du pays. »
Mais il existe une autre faille et pas des moindres : l’éducation. Certes l’islam pratiqué au Nord-Cameroun ne permet pas cet extrémisme enseigné dans les écoles salafistes. Il n’existe pas au Nord-Cameroun une tradition d’enseignements islamiques aussi dévoyés susceptibles de conduire les Puukara2 vers des délires extrémistes. Il est vrai aussi que depuis quelques années, des rumeurs persistantes sur l’existence de certains réseaux islamistes au Cameroun ont fait leur chemin de crête. Mais d’où vient le problème ? On ne peut ignorer qu’il y a un terreau propice à l’extrémisme religieux quel qu’il soit dans un milieu peu scolarisé. L’abandon des enfants aux mains d’imams, souvent sans épaisseur théologique ou fortement idéologisés et dominés par la haine de l’autre, ne peut que favoriser des dérives d’une telle ampleur. L’enseignement islamique exclusif, celui qui ignore délibérément l’école citoyenne, est un support idéal de la culture de l’obscurantisme. La manipulation d’une population peu ou mal éduquée n’est-elle pas moins coûteuse ? Objectivement, la donne peut changer du fait de la proximité d’avec l’Etat de Borno qui connaît depuis des années de telles dérives pédagogiques et théologiques.
Les leçons de la conjoncture actuelle doivent être impérativement tirées. La prospection a le mérite d’être plus efficace que la réaction. Comment expliquer qu’à la barbe de l’élite locale et de l’Etat, certains enfants et adolescents ne connaissent pas la joie de l’école républicaine. Sans s’en prendre à l’école coranique traditionnelle, il est impératif que les parents associent sa pratique à celle l’école d’Etat. Autrement dit, il faudra veiller à ne pas priver ces jeunes d’avenir ; plutôt les former pour être des citoyens capables de jouer pleinement leur rôle. Les dignitaires qui développent encore un esprit de cour devraient comprendre que l’émancipation indistincte des hommes comme des femmes est la clé de notre mieux-être. La Côte d’Ivoire serait-elle en train de prévenir cette « bombe » en rendant l’école obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans ? A méditer.
La faille de la communication dans ce contexte de lutte contre Boko Haram est manifeste. Si les médias privés ont la volonté de donner la pleine mesure de la réalité, ils n’ont pas toujours les moyens de fournir l’information souhaitée. Pendant longtemps, l’affaire Boko Haram n’a pas connu un retentissement uniforme au sein de la population. Car suspicions et ignorances se sont moult fois exprimées au point de désigner en secret les « Nordistes » de préparer un « coup ». Cette stigmatisation voilée est aujourd’hui en nette perte de vitesse. L’intérêt national a surgi même s’il paraît tardif.
Une sorte de mutisme des médias officiels handicape la communication tant recherchée par de nombreux citoyens camerounais. Ce silence est clivant. Les uns mettent en avant la volonté délibérée des pouvoirs publics d’éviter une publicité à moindres frais au réseau terroriste. Les autres s’indignent de l’inefficacité de la CRTV et de Cameroon Tribune, deux médias qui essuient fréquemment la critique de nombreux Camerounais les jugeant assez ringards. Le souvenir négativement impérissable du journal de 17 h à la CRTV, deux heures environ après l’attentat suicide du 22 juillet à Maroua reste gravé dans les mémoires. L’événement est passé inaperçu alors que la
visite de président des Comores à Douala faisait la une du journal parlé. Que doivent faire les autorités ? L’on déplore le silence du président de la république et surtout le fait qu’il n’ait jamais effectué un déplacement sur le théâtre du drame pour manifester de l’empathie aux populations.
L’autre pan de la communication qui mérite un réel recadrage est celui inhérent au port de vêtements. Tout le monde devrait comprendre qu’il est facile de dissimuler une bombe sous un Niqab, une Burqa ou un Kaba. La sécurité des populations n’est-elle pas plus importante ? Forcément, la gravité des événements mérite que l’on se penche sur le sens profond des habitudes qui se sont consolidées le long des années. Les réalités sociétales, culturelles et religieuses devraient se laisser habiter par une mentalité singulièrement aiguë et pressante. Les religieux, on dirait, paraissent plus silencieux qu’on ne le souhaite. Ne faudra-t-il pas donner de la voix ? Se démarquer ? Oser ? Aussi, et cela d’une manière générale - au-delà des seuls médias camerounais ou africains -, faudra-t-il repenser la communication sur l’Islam. Il existe aujourd’hui une réelle marginalisation de la frange la plus importante de l’Islam pour cette minorité qu’on qualifierait d’ « islam abstrait »3.
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1 L’auteure de l’ouvrage Au Cameroun de Paul Biya, Karthala, Paris, 2011 publie sur le site de mediapart.fr un article intitulé « Les relations entre la France et le Cameroun se sont sérieusement détériorées » le 25 avril 2015.
2 Disciples en Fulfuldé. Equivalent des Talibé du Sénégal.
3 Georges Corm, « Des conflits géopolitiques sous couvert de religion », Le Monde des religions du 22 juillet 2015.
La question centrale à l’heure actuelle est la suivante : le Cameroun est-il suffisamment outillé pour faire barrage à ces attaques terroristes de Boko Haram ? Maintes fois relayée par des médias étrangers, elle coïncide avec la répétition des événements tragiques. Depuis le début des offensives perpétrées par la fougue islamiste, l’armée camerounaise s’est montrée déterminée. La bravoure des soldats, appuyée par les forces tchadiennes venues à la rescousse, témoigne d’une volonté évidente. Seulement, avec les événements de Maroua, le caractère asymétrique de ces affrontements s’explicite davantage : les attentats-suicides et la terreur militante des islamistes s’exporte furieusement à l’intérieur du territoire national. Finalement, aux yeux des Camerounais, l’Extrême-Nord n’est pas si « extrême » que ça. Aujourd’hui, la peur gagne même les localités qu’on considérait jadis comme des citadelles imprenables naguère terrées dans la certitude que cette inhumaine vague terroriste n’était que l’affaire des autres.
Il y a des progrès à faire au niveau de la technologie sécuritaire pour s’adapter aux mutations des stratégies ennemies. Cela ne fait aucun doute. Mais il existe des failles dans le système « Cameroun » qu’il faut repérer. L’autocritique est une vertu essentielle dans toute entreprise qui veut s’approprier le progrès.
L’armée est irréprochable sur le front et Dieu sait qu’elle a besoin d’un soutien accru parce qu’elle défend et protège des vies et le territoire. Elle y prend toutes ses responsabilités. Cependant, l’image que véhiculent les forces de l’ordre au Cameroun mérite un changement profond plutôt qu’un réglage circonstanciel ou de façade. L’inconscient collectif associe cette institution à un pouvoir exclusivement répressif, à l’injustice, à la corruption. Ce qui traduit méfiance et peur. Or dans la situation actuelle, il n’est besoin d’insister sur l’importance capitale de la collaboration - dans le sens positif du terme - pour assurer une communication de vérité. La police et la gendarmerie doivent être les alliées du peuple qui n’en demande pas plus.
C’est un changement de paradigme qui doit s’opérer aussi dans la relation souvent sournoisement tumultueuse entre le politico-administratif et les populations. A tort ou à raison, l’autorité dans son ensemble, y compris traditionnelle ou religieuse, cristallise une certaine force abusive pour de nombreux citoyens. Face aux assauts répétés de Boko Haram, il faut militer de façon résolue et impérative pour la consolidation de l’acquis commun aux hommes : la vie. En tirant ainsi à la même corde et sans sourciller, ces différents segments de notre société démentiront la supposée incapacité du Cameroun à juguler ce chaos. Le véritable pouvoir c’est incontestablement celui qui est rompu au service. La proximité, dans le contexte actuel, comme au-delà, assure à la fois la circulation de l’information et la construction d’une nation.
La longévité du régime n’est pas un facteur de facilitation dans la lutte contre la nébuleuse intégriste. Outre le fait qu’il n’attire la sympathie des militants du progrès démocratique par carence d’alternance notamment, le Cameroun – le gouvernement qui est à sa tête - a mal à son image. Après le passage du président Barack Obama au Kenya et son discours historique du 28 juillet 2015 au siège de l’Union Africaine à Addis-Abeba, mettant à nue la pratique de certains chefs d’Etats qui ont tendance à se fossiliser au pouvoir, le malaise doit être perceptible à Yaoundé. Par moments, la lutte contre Boko Haram s’est télescopée avec le soutien au régime. La faute aux nombreux sbires qui assouvissent leurs fantasmes dans le délire de toujours ramener l’essentiel à une seule personne. Cet état d’esprit ne contribue qu’à refroidir la hargne sécuritaire de ceux qui se considèrent comme opposants à la politique du régime en place.
La pauvreté du débat politique et un certain désintérêt lié au fatalisme qui a trouvé refuge dans l’esprit de nombreux Camerounais ont eu raison d’une conscientisation précoce de la population. Celle-ci a été sollicitée pour soutenir l’armée au front. Une quête de moyens financiers s’en est suivie même si son organisation a été diversement appréciée. Au final, il reste un mystère à élucider : qu’en est-il de la gestion des fonds collectés tambour battant pour soutenir l’armée au front ? Lors du Mondial de football 1994 aux USA, une telle collecte a viré au cauchemar. Les Camerounais et même des dignitaires locaux s’en souviennent et critiquent sous cape. Il est évident qu’un tel climat de suspicion adossé sur le sentiment d’inertie générale ne facilite pas l’audace d’empoigner sérieusement la guerre multidimensionnelle contre Boko Haram.
Si sur le plan de la gouvernance, beaucoup reste à faire au Cameroun. Cependant une volonté d’en découdre avec le système pernicieux de monopoles économiques est évidente. En optant résolument pour une certaine ouverture économique, le pays de Paul Biya ne fait pas mine de signer des accords importants avec la Chine. « Nous coopérons avec la Chine comme avec la France, mais la Chine n'enlève rien à personne », disait-il. Le président camerounais a certainement compris les enjeux concrets d’une telle relation que l’Occident lui-même n’oserait se priver malgré une critique abondante qu’il ressasse.
Serait-il seulement possible de faire sans la Chine aujourd’hui ? Il n’est un secret pour personne que « l’Afrique évolue simultanément dans plusieurs directions ». Comme le souligne Achille Mbembe dans un entretien accordé au journal Le Monde du 26 janvier 2015 : « Le regard africain bascule vers l’Asie ». Pour expliciter cette ouverture au monde, Le mensuel Jeune Afrique dans sa livraison du 28 juillet 2011 annonçait une nouvelle retentissante : « Un gisement d’hydrocarbures découvert dans le nord du Cameroun ». Cette découverte s’est soldée par un accord gagnant-gagnant avec la société chinoise Yan Chang Logone Development Holding Company Limited.
Ainsi, les assauts répétés de Boko Haram dans la partie Nord du Cameroun sont-ils un fruit du hasard ou résultent-ils d’une manoeuvre des pourfendeurs obstinés mais très intéressés de la chinafrique ? Pour l’instant, seule la thèse de l’instauration d’un Etat Islamique est relayée par les journaux et officiels occidentaux. La chaîne de télévision militante Afrique Médias, elle, ne passe pas par quatre chemins pour stigmatiser les querelles géostratégiques. Aussi, une opinion grandissante au sein de la population semble avoir débusqué la face nocturne des élucubrations de Boko Haram à l’armement sophistiqué défiant celui des Etats de la sous-région. Certains pays occidentaux sont fortement soupçonnés de tirer les ficelles en armant l’organisation terroriste. Les soupçons deviennent récurrents. La population est aux abois et bat les pavés des villes
pour protester. Fanny Pigeaud1 en fait un écho explicite : « Fin février 2015, l’ambassadrice de France au Cameroun, Christine Robichon, a été très mal accueillie lorsqu’elle s’est jointe à une marche organisée à Yaoundé pour dénoncer les exactions de Boko Haram dans le nord du pays. »
Mais il existe une autre faille et pas des moindres : l’éducation. Certes l’islam pratiqué au Nord-Cameroun ne permet pas cet extrémisme enseigné dans les écoles salafistes. Il n’existe pas au Nord-Cameroun une tradition d’enseignements islamiques aussi dévoyés susceptibles de conduire les Puukara2 vers des délires extrémistes. Il est vrai aussi que depuis quelques années, des rumeurs persistantes sur l’existence de certains réseaux islamistes au Cameroun ont fait leur chemin de crête. Mais d’où vient le problème ? On ne peut ignorer qu’il y a un terreau propice à l’extrémisme religieux quel qu’il soit dans un milieu peu scolarisé. L’abandon des enfants aux mains d’imams, souvent sans épaisseur théologique ou fortement idéologisés et dominés par la haine de l’autre, ne peut que favoriser des dérives d’une telle ampleur. L’enseignement islamique exclusif, celui qui ignore délibérément l’école citoyenne, est un support idéal de la culture de l’obscurantisme. La manipulation d’une population peu ou mal éduquée n’est-elle pas moins coûteuse ? Objectivement, la donne peut changer du fait de la proximité d’avec l’Etat de Borno qui connaît depuis des années de telles dérives pédagogiques et théologiques.
Les leçons de la conjoncture actuelle doivent être impérativement tirées. La prospection a le mérite d’être plus efficace que la réaction. Comment expliquer qu’à la barbe de l’élite locale et de l’Etat, certains enfants et adolescents ne connaissent pas la joie de l’école républicaine. Sans s’en prendre à l’école coranique traditionnelle, il est impératif que les parents associent sa pratique à celle l’école d’Etat. Autrement dit, il faudra veiller à ne pas priver ces jeunes d’avenir ; plutôt les former pour être des citoyens capables de jouer pleinement leur rôle. Les dignitaires qui développent encore un esprit de cour devraient comprendre que l’émancipation indistincte des hommes comme des femmes est la clé de notre mieux-être. La Côte d’Ivoire serait-elle en train de prévenir cette « bombe » en rendant l’école obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans ? A méditer.
La faille de la communication dans ce contexte de lutte contre Boko Haram est manifeste. Si les médias privés ont la volonté de donner la pleine mesure de la réalité, ils n’ont pas toujours les moyens de fournir l’information souhaitée. Pendant longtemps, l’affaire Boko Haram n’a pas connu un retentissement uniforme au sein de la population. Car suspicions et ignorances se sont moult fois exprimées au point de désigner en secret les « Nordistes » de préparer un « coup ». Cette stigmatisation voilée est aujourd’hui en nette perte de vitesse. L’intérêt national a surgi même s’il paraît tardif.
Une sorte de mutisme des médias officiels handicape la communication tant recherchée par de nombreux citoyens camerounais. Ce silence est clivant. Les uns mettent en avant la volonté délibérée des pouvoirs publics d’éviter une publicité à moindres frais au réseau terroriste. Les autres s’indignent de l’inefficacité de la CRTV et de Cameroon Tribune, deux médias qui essuient fréquemment la critique de nombreux Camerounais les jugeant assez ringards. Le souvenir négativement impérissable du journal de 17 h à la CRTV, deux heures environ après l’attentat suicide du 22 juillet à Maroua reste gravé dans les mémoires. L’événement est passé inaperçu alors que la
visite de président des Comores à Douala faisait la une du journal parlé. Que doivent faire les autorités ? L’on déplore le silence du président de la république et surtout le fait qu’il n’ait jamais effectué un déplacement sur le théâtre du drame pour manifester de l’empathie aux populations.
L’autre pan de la communication qui mérite un réel recadrage est celui inhérent au port de vêtements. Tout le monde devrait comprendre qu’il est facile de dissimuler une bombe sous un Niqab, une Burqa ou un Kaba. La sécurité des populations n’est-elle pas plus importante ? Forcément, la gravité des événements mérite que l’on se penche sur le sens profond des habitudes qui se sont consolidées le long des années. Les réalités sociétales, culturelles et religieuses devraient se laisser habiter par une mentalité singulièrement aiguë et pressante. Les religieux, on dirait, paraissent plus silencieux qu’on ne le souhaite. Ne faudra-t-il pas donner de la voix ? Se démarquer ? Oser ? Aussi, et cela d’une manière générale - au-delà des seuls médias camerounais ou africains -, faudra-t-il repenser la communication sur l’Islam. Il existe aujourd’hui une réelle marginalisation de la frange la plus importante de l’Islam pour cette minorité qu’on qualifierait d’ « islam abstrait »3.
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1 L’auteure de l’ouvrage Au Cameroun de Paul Biya, Karthala, Paris, 2011 publie sur le site de mediapart.fr un article intitulé « Les relations entre la France et le Cameroun se sont sérieusement détériorées » le 25 avril 2015.
2 Disciples en Fulfuldé. Equivalent des Talibé du Sénégal.
3 Georges Corm, « Des conflits géopolitiques sous couvert de religion », Le Monde des religions du 22 juillet 2015.