Ibrahim Zakari,Dg du ccere-Tel:+237 699024118
Les six pays de la CEMAC viennent officiellement de rendre exécutoire la suppression des visas d’entrée pour leurs ressortissants. Comment le CCERE a-t-il accueilli cette évolution ?
Ibrahim ZAKARI : Vous faites bien de parler d’évolution. C’est un véritable bon dans le processus d’intégration. La suppression des visas entre ces pays frères d’Afrique centrale signe un resserrement des liens de fraternité qui remontent à très loin dans l’histoire de l’Afrique. Ça a été pendant des décennies une aberration que les frères et sœurs bulu et fans du Cameroun, du Gabon et de Guinée Equatoriale, se voient imposée une telle rente. Ça a été contreproductif pendant environ 60 ans que les communautés du Nord du Cameroun et de l’Est du Cameroun soient assujetties à une taxe nommée Visa pour échanger avec leurs sœurs du Tchad, du Congo et de Centrafrique. Pour répondre à votre question, le CCERE a accueilli avec fierté cet engagement sous-régional de rendre exécutoire la suppression de Visa entre les six pays de la CEMAC, qui est quand même une décision sage des Chefs d’Etat datant du 25 juin 2013.
A quoi peut-on s’attendre désormais suite à une telle évolution, pour ne pas parler de révolution, quand on sait les embûches qui marquent la circulation des personnes et des biens dans la sous-région ?
Ibrahim ZAKARI : Les populations de la sous-région CEMAC vont renouer avec leurs relations ancestrales d’aller et venir, d’échanger les biens et les richesses, de s’aimer et de s’entraider en plus. La suppression des visas en CEMAC va accélérer les échanges commerciaux pour un meilleur équilibre des pays. Vous vous souvenez des temps perdus, des rendez-vous manqués, des pertes d’argent, et des projets morts nés, pour cause de Visa entre pays de la CEMAC. Ces échecs vont s’éloigner dans le passer. Les chiffres d’affaires vont gonfler. La balance commerciale va s’améliorer. La CEMAC va constituer un bloc économique plus fort et plus compétitif face aux défis de la mondialisation.
Vous savez comme moi qu’avec l’Accord de partenariat économique signé entre le Cameroun et l’Union européenne (APE), il y avait une véritable inquiétude vue la réticence de ses pays frères. Ils vont désormais se sentir plus unis, et plus obligés de regarder dans la direction. S’il faut reculer, on recule ensemble. S’il faut avancer, on avance ensemble. Les points de convergence vont être plus visibles aux plans social, économique, culturel, politique et diplomatique. Ensemble, les pays de la CEMAC vont renforcer leur capacité à assumer les engagements pris il y a quelques mois devant les bailleurs de fonds internationaux, notamment le FMI, pour sortir de la crise. Vous savez aussi que la question du franc CFA reste un caillou dans le talon de la CEMAC. Il était aberrant que des pays qui partagent la même monnaie, disposent de la même banque centrale, et sont mis dans le même panier au niveau international, restassent divisés par des instruments coloniaux comme le Visa. Ce qui pourra, et devra donc aussi changer dans un avenir que nous souhaitons proche, c’est l’érection d’une véritable souveraineté monétaire en zone CEMAC avec capacité de battre monnaie par nous-mêmes. Divisés, les pays de la CEMAC ne pouvaient pas nous faire percevoir une telle lueur. Mais désormais intégrés comme l’atteste la suppression effective des visas, nous pensons qu’il s’agit d’un pas déterminant vers cette éventualité monétaire.
Voulez-vous dire que le sommet des chefs d’Etat qui s’ouvre ce mardi 31 octobre à N’djamena, donc, à la suite et dans le vif de ces suppression de visa, pourrait avoir sur sa table la question de la souveraineté du F.CFA d’Afrique Centrale ?
Ibrahim ZAKARI : Le Centre du commerce extérieur et des relations extérieures se sentirait plus confortable dans ses transactions internationales, comme d’ailleurs tous les opérateurs économiques de la sous-région, avec une monnaie dont nous avons la pleine maîtrise, et la libre convertibilité. C’est aussi cela, nous pensons, le sentiment, le désir des chefs d’Etat de la sous-région. Ne vous attendez pas surtout à de grandes déclarations sur cette question sensible et géostratégique de la souveraineté monétaire, lors du sommet de N’djamena. Rendez-vous seulement compte que le francs CFA préoccupe au plus haut point nos dirigeants, qui en l’espace d’un an, sont allés plus d’une fois à Paris pour en discuter avec les dirigeants Français qui jusqu’ici sont les vrais propriétaires de cette monnaie. A l’issue de l’une de ces discussions parisiennes, les déclarations du président Idriss Deby ont été des plus retentissantes. Et nous pensons au CCERE que non seulement la suppression des visas mais aussi le sommet de la CEMAC du 31 octobre 2017 participent de ce processus lent mais certains vers une meilleure maîtrise de nos instruments de souveraineté et de développement dont le franc CFA.
Pour rester sur la question de la suppression des visas, le CCERE se sent-il désormais pousser les ailes pour voler de pays en pays au niveau CEMAC ?
Ibrahim ZAKARI : Nous savons que la guerre contre Boko Haram, la guerre en RCA, la chute vertigineuse des cours des matières premières dont le pétrole, et l’épineux problème de gouvernance économique, ont plongé nos pays dans la situation délétère que nous vivons. La suppression des visas plutôt que de faire circuler les tars d’un pays à un autre, doit plutôt faire prospérer les atouts des uns au profit des autres. Et justement, parce que nous avons une expertise avérée en matière d’intelligence et de diplomatie économique, nous comptons profiter de la libre circulation des personnes et des biens qu’engendre la suppression des visas, pour nous mettre au service des opérateurs économiques quels que soient leurs tailles et leurs emplacements dans la sous-région.
Nous savons que la jeunesse, notre jeunesse, cherche des débouchés, des emplois dans différents domaines, qui vont des TIC à l’agriculture, en passant par la métallurgie, la sidérurgie, les transports, le bâtiment, le commerce, etc. Avant, en terme d’intelligence et de diplomatie économique, nous regardions presqu’essentiellement au-delà de la zone CEMAC. Notre jeunesse traverse parfois le désert à pied, et les océans sous les cales des bateaux, pour aller « se chercher » comme elle le dit elle-même en Europe, en Amérique, en Asie, et parfois, au prix de nombreuses vies, à la désolation de nombreuses familles. Non, nous allons désormais porter notre attention sur les partenariats, les échanges, bref, les opportunités sous-régionales. Ce sera notre modeste accompagnement non seulement de la jeunesse, mais aussi des pouvoirs publics de nos six pays de la CEMAC.
Interview réalisée par : Henri FOTSO