Laoukissam Laurent Feckoua, ancien ministre du Plan tchadien
Mardi 15 mai, au Séminaire de prospective énergétique de la revue Passages, à l’Institut hongrois
» L’Afrique représente 15 % de la population mondiale mais seulement 3 % de l’énergie consommée. Cette précarité énergétique est un obstacle important au développement. L’Union africaine pousse au développement des solidarités au sein de grands ensembles régionaux. D’autant que le continent a du potentiel : il détient 12 à 15 % des ressources énergétiques de la planète. Mais les pays n’arrivent pas à s’entendre sur les logiques à développer « .
Maître de conférences à l’université Paris X-Nanterre, Laoukissam Laurent Feckoua s’est notamment spécialisé sur la question des ressources en eau et sur les questions de l’énergie. Ancien ministre du plan au Tchad, en 1979-1981, il connaît les stratégies envisagées depuis le second choc pétrolier en 1980 pour diminuer la vulnérabilité des populations du continent. Mais il a constaté mardi 15 mai, lors d’un séminaire organisé par la revue Passages, combien la volonté politique manquait, particulièrement dans les pays producteurs de pétrole.
» Les grands pays producteurs africains ne font pas de cadeaux »
» L’Afrique reste le grand pôle de pauvreté dans le monde. Mais les grands producteurs comme l’Angola, le Nigeria, la Guinée équatoriale ne font pas de cadeaux, « souligne-t-il. » Chaque pays exploite individuellement la ressource. Une association des producteurs de pétrole africains existe depuis 1987. Une association des pays non-producteurs a été envisagée en 2006. On pourrait imaginer la création d’un marché intra-africain du pétrole ou la création d’un fonds de stabilisation des prix du pétrole qui serait abondé par les pays producteurs et qui permettrait de contrer la volatilité des cours. Mais aujourd’hui, il n’y a rien de concret « .
» Un modèle en Amérique latine autour du Venezuela »
» Il existe pourtant un modèle en Amérique latine « , explique cet expert. » Le Venezuela, qui produit environ 3 millions de baril de pétrole par jour (b/j), en réserve 110.000 b/j à ses voisins, qu’il leur vend à un tarif préférentiel inférieur de 40 % au prix du marché. Il le présente comme la colonne vertébrale qu’une grande stratégie d’intégration régionale « .
» En Afrique, des organisations régionales ont été créées, à l’Est, à l’Ouest, au Sud, au centre et au Nord « , rappelle Laoukissam Laurent Feckoua. » C’est en leur sein que sont censées être développées des stratégies de coopération dans l’énergie. Celles-ci s’appuient surtout, jusqu’à présent, sur l’énergie hydraulique « .
L’Éthiopie, château d’eau de l’Afrique de l’Est
Des pays s’apprêtent en effet à jouer un rôle de château d’eau et de fournisseur d’électricité à l’échelle régionale. » En Afrique de l’Est, l’Éthiopie a un énorme potentiel, estimé à 45 000 MW « , souligne l’universitaire. » Elle mène une politique d’investissement qui pourrait lui permettre d’avoir une puissance installée de 10 000 MW en 2017. De l’électricité qu’elle vendra notamment au Kenya « .
» Le rôle important du Mozambique, de la Guinée et de la RD Congo »
» En Afrique australe, c’est le Mozambique qui joue ce rôle, très important pour les industries d’Afrique du sud. Un second barrage très important doit démarrer en 2012 sur le fleuve Zambèze. En Afrique de l’Ouest, la Guinée abrite la source de trois fleuves importants, le Niger, le Sénégal et la Gambie. En Afrique centrale, la République démocratique du Congo est un potentiel géant énergétique et des négociations sont en cours pour un troisième grand barrage sur le site d’Inga, dans le Bas Congo. Le Cameroun, aussi, est appelé à jouer un rôle important « .
» L’Afrique ne consomme pas son pétrole »
Ces projets d’hydroélectricité sont longs à développer mais susceptibles de structurer les sous-régions africaines. À l’inverse, l’exploitation des hydrocarbures ne s’est inscrit jusqu’à présent que dans le cadre du marché mondial. » L’Afrique ne consomme pas son pétrole : il est exporté « , constate Laoukissam Laurent Feckoua. » Et elle importe les produits raffinés. Il faudrait d’importantes infrastructures pour le transformer sur place et l’acheminer d’un pays à un autre « .
La Chine construit des raffineries
C’est peut-être la Chine qui va changer la donne. Laoukissam Laurent Feckoua peut l’observer dans son propre pays. » La China national petroleum corporation (CNPC) a déjà construit une importante raffinerie au Soudan. Elle en a construit une autre au Tchad, non loin de N’Djamena, et une troisième près de Zinder, au Niger, ces deux dernières ayant été inaugurées l’an dernier. La CNPC exploite aussi du pétrole dans ces trois pays voisins. Une partie est vouée à l’exportation, mais une autre est destinée à la consommation locale ou régionale « .
» Incident diplomatique entre Pékin et N’Djamena »
Tout n’est certes pas transparent. » La détermination du prix du gazole destiné au marché local a été l’occasion d’un bras de fer qui a tourné à l’incident diplomatique entre Pékin et N’Djamena, en février dernier. Le président Deby avait fixé le prix à 300 francs CFA le litre mais le directeur chinois de la raffinerie, dont 60 % du capital est détenu par la CNPC, laquelle a entièrement assumé les frais de construction, a refusé et bloqué la production. Finalement, le directeur a été expulsé du Tchad. La négociation s’est déroulée avec Pékin et le prix a été fixé à 530 francs CFA le litre – et 579 francs CFA au Niger -, ce qui reste très élevé pour les Tchadiens » .
Un Tchadien consomme vingt fois moins d’énergie qu’un Français
» Le fardeau énergétique au Tchad est un des obstacles majeurs au développement de ce pays « , a confirmé lors du séminaire de Passages Géraud Magrin, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et coauteur d’une étude très intéressante sur ce sujet. » Dans ce pays grand comme deux fois et demi la France, la population a doublé en 20 ans, atteignant 10 millions d’habitants. Mais la consommation d’énergie est de 0,2 tonne d’équivalent pétrole par habitant et par an contre 4 tonnes en France et 8 tonnes aux États-Unis. Des hydrocarbures y sont exploités depuis 2003 par un consortium mené par Exxon, qui exporte sa production par un oléoduc aboutissant au Cameroun. »
» Au Tchad, une électricité parmi les plus chères au monde »
» L’électricité y est une des plus chères au monde, deux à trois fois plus qu’en France » , enchaîne l’expert. » Et l’une des plus rares : quatre ou cinq villes sont alimentées mais les pannes sont fréquentes. Le Tchad est dépendant des importations en provenance du Nigeria, qui souffrent d’interruptions fréquentes et de fortes variations des prix. Il faut espérer que la nouvelle raffinerie, qui alimente une centrale thermique, va apporter plus de régularité, à un prix plus favorable « .
» Bientôt dix-neuf pays subsahariens producteurs de pétrole »
» La carte du pétrole change en Afrique, » souligne Laoukissam Laurent Feckoua. » Il y a aujourd’hui 17 pays subsahariens producteurs de pétrole. Il y en aura bientôt deux de plus avec l’Ouganda et le Mali. Malgré tout, il faut faire en sorte que la solidarité soit plus nette entre les États et que de véritables marchés régionaux se développent par delà les frontières « .
Par Jean-Christophe Ploquin
Planete
(1) un franc CFA égal 0,15 euros
Mardi 15 mai, au Séminaire de prospective énergétique de la revue Passages, à l’Institut hongrois
» L’Afrique représente 15 % de la population mondiale mais seulement 3 % de l’énergie consommée. Cette précarité énergétique est un obstacle important au développement. L’Union africaine pousse au développement des solidarités au sein de grands ensembles régionaux. D’autant que le continent a du potentiel : il détient 12 à 15 % des ressources énergétiques de la planète. Mais les pays n’arrivent pas à s’entendre sur les logiques à développer « .
Maître de conférences à l’université Paris X-Nanterre, Laoukissam Laurent Feckoua s’est notamment spécialisé sur la question des ressources en eau et sur les questions de l’énergie. Ancien ministre du plan au Tchad, en 1979-1981, il connaît les stratégies envisagées depuis le second choc pétrolier en 1980 pour diminuer la vulnérabilité des populations du continent. Mais il a constaté mardi 15 mai, lors d’un séminaire organisé par la revue Passages, combien la volonté politique manquait, particulièrement dans les pays producteurs de pétrole.
» Les grands pays producteurs africains ne font pas de cadeaux »
» L’Afrique reste le grand pôle de pauvreté dans le monde. Mais les grands producteurs comme l’Angola, le Nigeria, la Guinée équatoriale ne font pas de cadeaux, « souligne-t-il. » Chaque pays exploite individuellement la ressource. Une association des producteurs de pétrole africains existe depuis 1987. Une association des pays non-producteurs a été envisagée en 2006. On pourrait imaginer la création d’un marché intra-africain du pétrole ou la création d’un fonds de stabilisation des prix du pétrole qui serait abondé par les pays producteurs et qui permettrait de contrer la volatilité des cours. Mais aujourd’hui, il n’y a rien de concret « .
» Un modèle en Amérique latine autour du Venezuela »
» Il existe pourtant un modèle en Amérique latine « , explique cet expert. » Le Venezuela, qui produit environ 3 millions de baril de pétrole par jour (b/j), en réserve 110.000 b/j à ses voisins, qu’il leur vend à un tarif préférentiel inférieur de 40 % au prix du marché. Il le présente comme la colonne vertébrale qu’une grande stratégie d’intégration régionale « .
» En Afrique, des organisations régionales ont été créées, à l’Est, à l’Ouest, au Sud, au centre et au Nord « , rappelle Laoukissam Laurent Feckoua. » C’est en leur sein que sont censées être développées des stratégies de coopération dans l’énergie. Celles-ci s’appuient surtout, jusqu’à présent, sur l’énergie hydraulique « .
L’Éthiopie, château d’eau de l’Afrique de l’Est
Des pays s’apprêtent en effet à jouer un rôle de château d’eau et de fournisseur d’électricité à l’échelle régionale. » En Afrique de l’Est, l’Éthiopie a un énorme potentiel, estimé à 45 000 MW « , souligne l’universitaire. » Elle mène une politique d’investissement qui pourrait lui permettre d’avoir une puissance installée de 10 000 MW en 2017. De l’électricité qu’elle vendra notamment au Kenya « .
» Le rôle important du Mozambique, de la Guinée et de la RD Congo »
» En Afrique australe, c’est le Mozambique qui joue ce rôle, très important pour les industries d’Afrique du sud. Un second barrage très important doit démarrer en 2012 sur le fleuve Zambèze. En Afrique de l’Ouest, la Guinée abrite la source de trois fleuves importants, le Niger, le Sénégal et la Gambie. En Afrique centrale, la République démocratique du Congo est un potentiel géant énergétique et des négociations sont en cours pour un troisième grand barrage sur le site d’Inga, dans le Bas Congo. Le Cameroun, aussi, est appelé à jouer un rôle important « .
» L’Afrique ne consomme pas son pétrole »
Ces projets d’hydroélectricité sont longs à développer mais susceptibles de structurer les sous-régions africaines. À l’inverse, l’exploitation des hydrocarbures ne s’est inscrit jusqu’à présent que dans le cadre du marché mondial. » L’Afrique ne consomme pas son pétrole : il est exporté « , constate Laoukissam Laurent Feckoua. » Et elle importe les produits raffinés. Il faudrait d’importantes infrastructures pour le transformer sur place et l’acheminer d’un pays à un autre « .
La Chine construit des raffineries
C’est peut-être la Chine qui va changer la donne. Laoukissam Laurent Feckoua peut l’observer dans son propre pays. » La China national petroleum corporation (CNPC) a déjà construit une importante raffinerie au Soudan. Elle en a construit une autre au Tchad, non loin de N’Djamena, et une troisième près de Zinder, au Niger, ces deux dernières ayant été inaugurées l’an dernier. La CNPC exploite aussi du pétrole dans ces trois pays voisins. Une partie est vouée à l’exportation, mais une autre est destinée à la consommation locale ou régionale « .
» Incident diplomatique entre Pékin et N’Djamena »
Tout n’est certes pas transparent. » La détermination du prix du gazole destiné au marché local a été l’occasion d’un bras de fer qui a tourné à l’incident diplomatique entre Pékin et N’Djamena, en février dernier. Le président Deby avait fixé le prix à 300 francs CFA le litre mais le directeur chinois de la raffinerie, dont 60 % du capital est détenu par la CNPC, laquelle a entièrement assumé les frais de construction, a refusé et bloqué la production. Finalement, le directeur a été expulsé du Tchad. La négociation s’est déroulée avec Pékin et le prix a été fixé à 530 francs CFA le litre – et 579 francs CFA au Niger -, ce qui reste très élevé pour les Tchadiens » .
Un Tchadien consomme vingt fois moins d’énergie qu’un Français
» Le fardeau énergétique au Tchad est un des obstacles majeurs au développement de ce pays « , a confirmé lors du séminaire de Passages Géraud Magrin, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et coauteur d’une étude très intéressante sur ce sujet. » Dans ce pays grand comme deux fois et demi la France, la population a doublé en 20 ans, atteignant 10 millions d’habitants. Mais la consommation d’énergie est de 0,2 tonne d’équivalent pétrole par habitant et par an contre 4 tonnes en France et 8 tonnes aux États-Unis. Des hydrocarbures y sont exploités depuis 2003 par un consortium mené par Exxon, qui exporte sa production par un oléoduc aboutissant au Cameroun. »
» Au Tchad, une électricité parmi les plus chères au monde »
» L’électricité y est une des plus chères au monde, deux à trois fois plus qu’en France » , enchaîne l’expert. » Et l’une des plus rares : quatre ou cinq villes sont alimentées mais les pannes sont fréquentes. Le Tchad est dépendant des importations en provenance du Nigeria, qui souffrent d’interruptions fréquentes et de fortes variations des prix. Il faut espérer que la nouvelle raffinerie, qui alimente une centrale thermique, va apporter plus de régularité, à un prix plus favorable « .
» Bientôt dix-neuf pays subsahariens producteurs de pétrole »
» La carte du pétrole change en Afrique, » souligne Laoukissam Laurent Feckoua. » Il y a aujourd’hui 17 pays subsahariens producteurs de pétrole. Il y en aura bientôt deux de plus avec l’Ouganda et le Mali. Malgré tout, il faut faire en sorte que la solidarité soit plus nette entre les États et que de véritables marchés régionaux se développent par delà les frontières « .
Par Jean-Christophe Ploquin
Planete
(1) un franc CFA égal 0,15 euros