Monsieur le président, J’ai suivi avec une attention particulière vos propos sur mon expulsion du Sénégal le 7 mai 20133 vers la Guinée Conakry, à la suite de la question de Ziad Maalouf en marge du Sommet de la Francophonie à Dakar. Je vous remercie de me redonner l’occasion de m’exprimer sur les événements. A travers vos réponses vous avez reconnu avoir subi personnellement des fortes pressions des autorités tchadiennes, qui vous ont contraint à m’expulser du Sénégal où j’ai vécu paisiblement et sans histoire pendant 7ans, comme l’atteste l’élan de solidarité manifesté à mon égard par la presse, la communauté des blogueurs et la société civile de votre pays. Je leur renouvelle ma reconnaissance, et leur signale que je me porte bien. Vous avez tenté après vos ministres, MM Latif Coulibaly et Seydou Gueye, de justifier vainement cette expulsion qui a été dénoncée par Amnesty international Sénégal, le forum social sénégalais, la rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme, la Ligue sénégalaise des droits de l’homme, Reporters sans frontière, Article 19, le Comité pour la protection des journalistes, et des députés issus de votre parti. Je précise que pendant mon séjour au Sénégal, je n’ai jamais été interpelé par vos services, contrairement à votre affirmation. Le 7 mai 2013, après 5 heures d’interrogatoires dans les locaux de la police, le commissaire Ndiaye et deux inspecteurs, exécutant les ordres du ministère de l’intérieur et de la présidence du Sénégal, ont décidé de m’expulser vers le Tchad, où ma vie était en danger. Mon renvoie vers la Guinée Conakry a été fixé vers minuit à mon insu. J’ai découvert à l’aéroport de Dakar ma destination, contrairement à ce que vous affirmez, une nouvelle fois. Je retiens d’exact dans votre déclaration que « Ce n'était pas une erreur. » Ainsi, vous impliquez l’Etat sénégalais dans une prise de position sur la politique tchadienne, dont vous n’avez peut-être pas encore mesure toutes les conséquences et toutes les dimensions. En quoi un blog d’information peut-il être capable de « déstabiliser » un régime militaire au pouvoir depuis 24 ans ? Vous me surestimez ! Par contre, je ne sous-estime pas la haine du chef de l’Etat tchadien pour ceux qui dénoncent les crimes, les violations des droits humains, la confiscation des libertés, la répression généralisée des populations et l’accaparement des richesses par son entourage. Si vous connaissez un minimum de l’histoire de la Centrafrique depuis 20 ans : qui est le déstabilisateur, Idriss Déby ou moi? Vous parlez de liberté de la presse au Sénégal : qui a détruit toute liberté de la presse dans son pays et contraint les journalistes à l’exil ? L’Union de la Presse francophone (UPF), qui interrogeait à vos côtés, venait de vous demander de transmettre aux Chefs d’Etat réunis au sommet de la Francophonie un appel pour « la suppression des peines privatives de liberté relatives aux délits de presse », dans une déclaration à la cérémonie de clôture de ses assises à Dakar. Est-ce qu’une expulsion sans aucun jugement sans possibilité de se défendre avec un avocat n’est pas contraire à toute législation sur la presse et sur les droits humains et n’est pas du même niveau qu’un emprisonnement ? Avant la mise évidence de sa responsabilité dans le conflit en Centrafrique, Idriss Déby en 2013 a paru intouchable. Grâce à son intervention guerre au Mali, il a profité d’une tentative de réhabilitation internationale, qui semble avoir touché le Sénégal. Il semble aussi avoir tenté en 2013 de s’immiscer dans la vie sénégalaise pour créer un climat de soutien qui rendrait impossible la mise en évidence par le procès Habré de son rôle d’adjoint d’Habré dans les crimes et les massacres, en particulier lors du septembre noir en 1984 : « Commandant en chef des Forces Armées du Nord (FAN), puis des Forces Armées Nationales Tchadiennes (FANT) de 1983 à 1985 (chef d’Etat major des armées), puis Conseiller spécial à la défense et à la sécurité de 1987 à 1988, Idriss Déby a mené une partie des massacres attribués à Habré, dont ceux du ‘Septembre noir’ en 1984 dans le Sud, et ceux de la région de Guéra dans la répression du MOSANAT entre 1986 et 1988. » J’informe aussi l’opinion publique sénégalaise, que 48 heures avant mon expulsion, vous avez reçu au palais présidentiel à Dakar, Jean-Bernard Padaré, à l’époque ministre de la justice, pour décider de mon sort, comme me l’a indiqué une source de votre entourage. Monsieur le président, pouvez-vous affirmer devant le peuple sénégalais que le gouvernement tchadien est celui d’un pays démocratique ? Où les journalistes sont respectés comme au Sénégal ? Vous parlez au nom d’un des pays les plus démocratiques d’Afrique à la jeunesse africaine qui se passionne pour les blogs. Vous ne devez pas oublier le prix payé par les résistants à des dictatures pour que leurs pays deviennent un jour aussi libres que le vôtre. Si vous ne savez pas reconnaître une dictature, alors vous êtes loin des aspirations de la jeunesse sénégalaise qui a pu apprécier le courage de celle du Burkina Faso, il y a seulement quelques jours. Monsieur le président, il faut savoir reconnaître une erreur. C’est important pour la liberté de la presse, l’Etat de droit et la démocratie en Afrique. Dans de nombreuses dictatures, d’autres journalistes et blogueurs sont régulièrement harcelés et expulsés. Il ne suffit pas de les accueillir. Makaila Nguebla Paris, le 30 novembre 2014. http://www.rfi.fr/emission/20141129-presse-francophonie-sommet-dakar-sall-kouchner-upf/ 29 novembre 2014 Entretiens avec le président sénégalais Macky Sall et Jean Kouchner, secrétaire général de l'UPF. Question de Ziad Maalouf de RFI: Le Sénégal a expulsé le blogueur opposant politique Makaila Nguebla ... ? Il a d'ailleurs depuis reçu l'asile politique en France, ce qui est une sorte légitimation... : est-ce que c'était une erreur, un mauvais message à la communauté des blogueurs? Réponse de Macky Sall: Ce n'était pas une erreur. Nous sommes un Etat organisé qui a une vieille pratique de l'hospitalité. Nous avons reçu des chefs d'Etat et opposants qui sont dans notre pays. Notre pays ne peut pas être un pays à partir de lequel on organise une déstabilisation contre quelque régime que ce soit. On doit être très clair là-dessus. Nous ne sommes pas là pour orchestrer des changements anticonstitutionnels vis à vis de quelque pays que ce soit. Par contre tous les journalistes, qui sont dans le respect de la liberté de la presse et dans le respect des relations nécessaires de bon voisinage entre le Sénégal et leur pays d'origine, n'ont aucun problème. Mais lorsque le gouvernement tchadien, à plusieurs reprises, avec des documents à l'appui, saisit notre gouvernement pour se plaindre des agissements de ce journaliste, de ce blogueur, et des interconnexions. Ils sont même allés jusqu'à poser des actes vraiment de déstabilisation, je ne sais pas ce que ca vaut. Mais il y a eu suffisamment de plaintes, et nous avons suffisamment interpellé le journaliste, par nos services, pour attirer son attention. Il a continué. Ecoutez! La seule chose que l'on pouvait lui dire c'est d'aller continuer son activité ailleurs, puisque nous avons quand même à respecter également et à préserver les relations de bon voisinage entre le Tchad et le Sénégal. Il n'a pas été contraint, mais, on lui a dit 'vous choisissez le pays de votre choix'. C'est lui qui a choisi le pays de destination. On l'a ramené jusqu'à la frontière de ce pays, comme c'était un pays frontalier. Et bien, ça s'est passé comme cela. Nous avons encore beaucoup de journalistes, qui viennent d'autres pays, et beaucoup d'autres pays d'ailleurs nous en veulent. Nous les protégeons. Le Sénégal ne peut être un pays où on s'installe et où on essaye de déstabiliser. Tant que c'est la liberté de la presse, nous n’avons aucun problème. Mais voilà ce qui s'est passé pour le cas de ce journaliste, c'est rien d'autre. Makaila NGUEBLA Blogueur et Militant des Droits de l'Homme Média Citoyen en exil http://makaila.over-blog.com
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