Alors que la Chine prend de plus en plus de place à Djibouti, aux dépens des partenaires traditionnels du pays, les raisons de cette nouvelle proximité économique sont difficiles à percevoir. Si à première vue, le président Ismail Omar Guelleh semble simplement aller là où se trouve l'argent qu'importe les conséquences diplomatiques que cela peut entrainer son comportement pourrait avoir des motifs plus obscurs.
À la fin du mois de septembre dernier, l'ambassadeur de la Chine à Djibouti, Fu Huaqiang, et le ministre djiboutien des Affaires étrangères, Mahmoud Ali Youssouf, signaient un accord de coopération économique et technique. L'enjeu : le financement chinois de divers projets de développement, dont la construction de la Bibliothèque Archives, à Djibouti. Comme prévu par l'accord, la Chine va ainsi fournir au pays de la corne de l'Afrique la modeste somme de 150 millions de yuans, soit plus de 24 millions de dollars, et ceci, sans la moindre contrepartie.
Cette sorte de cadeau de remerciement de la Chine à Djibouti n'est pas si surprenante que cela alors même que l'Empire du Milieu semble depuis plusieurs mois dans les bonnes grâces du président djiboutien, Ismail Omar Guelleh, qui multiplie de son côté les pieds de nez en direction de ses partenaires économiques traditionnels. Depuis plusieurs mois, il place la Chine en haut de sa liste de priorités économiques et diplomatiques, au détriment de ses autres partenaires qui ne voient pas d'un bon il cet énième revirement de situation que leur impose le Président Guelleh.
Ismail Omar Guelleh vend arbitrairement Djibouti au plus offrant
Parmi les nombreux avantages que la Chine s'est vue accorder par le Président djiboutien, celui qui fait le plus parler est clairement la cession sur le port de Djibouti d'installations militaires comme port d'attache de la marine chinoise le 25 février dernier. Le port de Djibouti est à la croisée des chemins entre l'Europe, l'Afrique et la péninsule Arabique et constitue une position stratégique pour la lutte contre le terrorisme où de nombreux pays de la France au Japon en passant par les États-Unis ont déjà posé l'ancre. Des pays qui n'hésitent pas à débourser des sommes faramineuses pour pouvoir y rester ; 30 millions de dollars pour le Japon et les États-Unis et 40 millions de dollars pour la France. La Chine, de son côté, s'est vu attribuer cette base militaire à titre gracieux.
Plus surprenant encore, le président Guelleh n'hésiterait apparemment pas à bouter des entreprises étrangères hors de son territoire, qu'importe le prétexte, pour faire plus de place à son nouveau partenaire asiatique. L'entreprise DP World, la plus importante des Émirats Arabes Unis, en a récemment fait les frais. En juillet dernier, l'entreprise a vu Djibouti résilier son contrat de concession du terminal à conteneurs de Doraleh. La raison : l'opérateur portuaire aurait versé des pots-de-vin à Abdourahman Borreh, ancien président de l'Autorité des ports et zones franches de Djibouti, pour obtenir ce terminal en 2006. Des accusations qui tombent à pic et qui permettent au président Guelleh de non seulement écarter de la scène médiatique une des voix dissidentes du régime, Abdourahman Borreh, mais également de libérer un terminal qui n'aura mis que quelques jours avant d'être cédé à la Chine. Le hasard fait parfois bien les choses, ce n'est pas Ismail Omar Guelleh qui dira le contraire.
Alors que les partenaires d'antan du président djiboutien ne semblent plus aussi attrayants qu'auparavant, celui-ci leur fait sentir sans le moindre détour. Après DP World, c'est aujourd'hui Total, et par son intermédiaire la France, que Djibouti tente de bouter hors de son territoire. Le pays a porté plainte il y a plusieurs semaines contre la compagnie pétrolière française pour des faits de pollution présumés qui lui ont valu une amende 204 millions d'euros (102 millions pour chacune de ses filiales à Djibouti). Une plainte surprenante alors même que l'affaire date d'une vingtaine d'années et qui force Total à devoir renoncer au marché djiboutien et ainsi à laisser le champ libre aux compagnies pétrolières chinoises.
mais pas seulement
Les nombreuses fluctuations d'opinion d'Ismail Omar Guelleh lui font aujourd'hui perdre de plus en plus de crédibilité sur la scène internationale. Ses choix politiques deviennent de simples marchandises, s'orientant vers le plus offrant certes, mais pas seulement. On peut également voir des motifs plus obscurs au comportement du président Guelleh. Rappelons que son pays est souvent rappelé à l'ordre par les différentes associations de défense des droits de l'homme et de liberté de la presse.
Le 8 août dernier, un journaliste du pays, Mohamed Ibrahim Waiss, était arrêté alors qu'il couvrait une manifestation dans la ville de Djibouti. Un fait qui n'a aujourd'hui rien de surprenant alors même que l'affaire Borrel l'assassinat du juge français Bernard Borrel en 1995 à Djibouti pour lequel l'enquête a donné lieu à de nombreuses pressions de la part des autorités djiboutiennes reste dans toutes les mémoires. Aujourd'hui au Djibouti, aucun journal privé n'est autorisé et l'ONU dénonce régulièrement le pays pour utilisation de force excessive, arrestations et emprisonnements arbitraires.
Un CV gênant que la plupart des puissances occidentales ont du mal à accepter. Elles poussent ainsi le président Guelleh dans la voie de réformes démocratiques qui n'arrangent pas forcément les affaires de ce dernier. Et c'est là que la capacité de la Chine à fermer les yeux sur certains dérapages démocratiques prend tout son sens pour Ismail Omar Guelleh. Plus qu'un simple partenaire économique, l'Empire du Milieu représente aujourd'hui pour le président djiboutien l'assurance qu'il pourra continuer sans obstacle de régner comme il l'entend sur son pays. Une « liberté » pour laquelle il semble prêt à troquer sa crédibilité.
Julien Bondarev
Via Economie Matin : http://www.economiematin.fr/news-chine-djibouti-partenariat-suspect-bondarev
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