Par Fayçal Megherbi, enseignant en droit à l’université de Panthéon-Assas Paris II [email protected]
S’opposer ou émettre un avis critique envers la gouvernance de son pays, dans une époque marquée par les révoltes des pays arabes, constitue-t-il une trahison ou un désamour envers sa patrie ? C’est ce qui ressort dans les réseaux sociaux sur le net, critiquer ceux qui gouvernent, crée souvent, pour certains responsables politiques, une suspicion ou les prémices du complot et de la conspiration à l’égard du pays et ses intérêts. Comment peut-on expliquer ces réactions ?
Est-ce une réplique de défense ou de l’autosuffisance nationaliste non-fondée ? Le gouvernant du sud est-il paranoïaque ? Est-il psychologiquement fragile ou carrément susceptible ? Est-il ouvert au débat ? Accepte-t-il d’écouter une autre vision d’un projet de société que celle qui lui a été inculquée à l’école fondamentale, une conception ou une pensée plus unique que multiple ? Un sudiste (citoyen du sud), quelque soit son lieu de résidence, pourrait-il avoir une opinion de l’avenir de son pays différente à celle de ceux qui le gouvernent sans être forcément regardé comme un traître ? Avoir l’envie de changer positivement les choses était-elle incompatible avec l’amour de son pays ? Avoir un désir profond de se préoccuper de l’intérêt général forme-il une méprise dans l’esprit de ceux le gouvernent mal ? Demander de niveler les sudistes vers le haut comme il se fait dans les pays qui respectent plus leur population, serait-il une trahison pour ceux qui tiennent le pouvoir ? Vouloir mettre les mesures nécessaires pour faire évoluer le pouvoir d’achat des citoyens et de faire appliquer une véritable justice sociale, rime-t-il avec la conspiration avec l’ennemi venant de l’extérieur ? Demander de ne plus penser à quitter son pays pour aller vivre ailleurs, réclamer que les représentants du peuple (élus) et ceux qui le gouvernent une implication dans la construction et le rayonnement de sa patrie, est-ce une chose irréalisable ?
L’internaute sudiste participe à alimenter les avis sur la démocratie, la justice sociale, les libertés fondamentales et les droits de l’homme, il peut être surpris par les propositions de chacune et chacun et concourt au débat et à l’échange. Il dérape rarement dans les propos diffamatoires, insultants et incitateurs à la haine ou à la violence. L’internaute sudiste a finalement l’âme du démocrate, du tolérant, du droit de l’hommiste et comprend la détresse de l’autre et essaye souvent de construire et proposer des solutions réfléchies et plein de sens pour améliorer le quotidien dans les différents secteurs qui le concerne. Ce potentiel est-il valorisé, serait-il pris en charge par la société civile ?
Dans les pays dits « développés », la société civile participe vivement dans la vie politique, sociale et économique. Elle est consultée dans les projets de lois, est invitée à débattre dans les sujets qui concernent la population. Son avis est précieux, considéré et apprécié dans la prise des décisions politiques. Agit-on de la même manière dans les pays du sud ? Il est nécessaire, avant de continuer ce développement de définir, d’abord, la société civile selon les organisations internationales, dont ces mêmes pays du sud sont membres.
L’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) entend par société civile, « l'auto-organisation de la société en dehors du cadre étatique ou du cadre commercial, c'est-à-dire un ensemble d'organisations ou de groupes constitués de façon plus ou moins formelle et qui n'appartiennent ni à la sphère gouvernementale ni à la sphère commerciale. »
Selon les critères qui la définissent, a-t-on vraiment une société civile ? Est-elle efficace ? Réagit-elle aux problèmes sociaux de la population ? est-elle soutenue ? A-t-elle déjà gagné des batailles sociales ? Este-t-elle en justice lorsqu’un droit de l’homme ou une liberté fondamentale sont bafoués ? Y a-t-il des avocats militants et engagés ? Si la réponse est oui, sont-ils nombreux ? Entendons-nous dans la presse leurs actions devant les juridictions algériennes ? L’algérien, est-t-il doté de la culture de la procédure et des procès ? A-t-on le sentiment que le droit est une arme d’action pour faire valoir ses acquis et libertés ?
Nos organisations syndicales et associations sont-elles crédibles aux yeux de l’opinion publique algérienne ? Un appel à la manifestation ou à la grève, serait-il suivi par la masse populaire ? Croit-on aux retombées économiques et sociales des actions des syndicats ?
Les associations sont-elles à l’affut de l’actualité ? Sont-elles intransigeantes avec les violations et les atteintes des droits fondamentaux ? Communiquent-elles assez pour dénoncer les manquements et abus de l’administration et des collectivités locales ?
Qu’elle est la réputation de nos politiques auprès du citoyen ? Est-elle au beau fixe ? Le citoyen du sud, fait-il confiance à sa classe politique ? Le politique sudiste lit-il ? Publie-t-il assez ? Est-il visionnaire ? pense-t-il à l’intérêt public ? S’est-il où il va dans un ce nouvel ordre mondial ? Connaît-il sa mission et son rôle dans la société ? Faire la politique, est-ce vraiment sa vocation ? Suit-il convenablement les phénomènes sociaux et économiques, nationaux et internationaux ? Est-il assez instruit ? Maîtrise-t-il ses dossiers ?
Il est essentiel que le citoyen et l’élite des pays du sud se penchent sur ces questions de fond. Le jour où les sociétés civiles du sud s’intéresseront correctement à ces quelques pistes de réflexion, il commenceront à engager des actions de contestation construites et soutenues par des acteurs sur qui ils pourront compter pour changer le quotidien et faire valoir les doits sociaux, culturels, économiques, civiques et politiques des citoyens.