Par Michelot Yogogombaye
Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes
Il n’est que trop rare de lire ou relire les proverbes, dictons, philosophies d’Afrique sous le prisme de leur contribution au questionnement sur les fins ultimes de l’homme, ses attentes fondamentales, ses certitudes, son infinitude.
Il y a quelques années en arrière, j’ai découvert (sur Afrikara) le concept « Ubuntu ». Je me permets de vous inviter à se le partager, en cette occasion de notre fête nationale du onze(11) août.
Avec ce concept zulu dit d’Ubuntu, l'Afrique propose une vision radicalement novatrice de la conscience de soi et simultanément de l’Altérité, disposant à une éthique collective où respect, dialogue, compassion, consensus sont des conséquences évidentes. C'est le principe cartésien de l'interculturalité qui représente une option, un choix pour nous qui, comme le philosophe Kant, pensons que les êtres humains doivent être traités comme des fins et non comme des moyens : « Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes ». Oui, chaque individu a le droit d’être pris en compte avec ses particularités, avec sa culture, autrement dit avec son « bain originel » dans lequel il se socialise ; à l’intérieur duquel dès son enfance il acquière valeurs et normes comportementales de base ; auquel il continue d’avoir une référence très forte, surtout lorsqu’il a été amené à le quitter. Je vous offre donc, ci-dessous, de vivre les émotions palpitantes de la sagesse africaine ; d’une Afrique debout ; d’une Afrique mystérieuse!
Le concept philosophico-religieux d’Ubuntu provient d’Afrique du Sud, de la culture zulu précisément et a acquis progressivement, avec la fin de l’Apartheid, une notoriété internationale. La transition relativement pacifique [après la longue et sanglante lutte d’indépendance] du régime d’Apartheid à la démocratie One man One vote n’avait pas suscité dans les années 90 l’explosion de violences anti-blancs et de revanches incontrôlées que beaucoup d’observateurs avaient prédit. Au contraire l’Afrique du Sud s’était engagée dans une difficile et émouvante thérapie collective, mise en œuvre par la Commission Vérité, Justice, Réparations et Réconciliation, chargée de panser les plaies ouvertes chez des milliers de familles noires victimes des massacres et d’horreurs du régime afrikaner.
Le concept d’Ubuntu par sa force et sa singularité, particulièrement moderne, a exercé une séduction sans précédent dans les milieux solidaires planétaires au point d’offrir involontairement son nom à un programme gratuit sur internet, un « logiciel Ubuntu » distribué par Linux.
« Umuntu ngumuntu ngabantu » ce qui se traduit par: une personne est ce qu’elle est à travers les autres, par les autres. C’est ainsi que cette philosophie d’Ubuntu s’énonce, explicitée à l’échelle de la pratique individuelle par Desmond Tutu, prix Nobel de la Paix sud-africain : « Quelqu'un d'Ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il ou elle possède sa propre estime de soi ––qui vient de la connaissance qu'il ou elle a d'appartenir à quelque chose de plus grand–- et qu'il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou oppressés. »
Si, dans ce monde « pluriel » où les références identitaires se croisent en permanence, le concept d’Ubuntu peut servir de modèle de respect mutuel, de compassion, d’empathie, etc.…, il peut [aussi] se hisser au-delà d’un ethos communautaire pour proposer une philosophie politique de l’altérité : "Je ne suis ce que je suis [que] parce que vous êtes ce que vous êtes". Cette phrase articule deux niveaux donnés généralement comme inconciliables, le niveau individuel, qui mène à toutes les formes d’individualisme [philosophique, méthodologique,…] et le niveau collectif [holisme, collectivisme,…]. La surprise ne provient pas de l‘identification de ces moments, mais de leur conciliation.
L’habitude et le réflexe philosophique depuis Descartes veulent que l’individu se révèle à lui-même par le seul fait de son existence, de sa conscience, de son acte de penser. C’est le canonique « cogito ergo sum : je pense donc je suis ». La perspective offerte par la philosophie Ubuntu est toute autre. Dire que je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes change totalement le modèle d’identification et de prise en charge de sa conscience. Le solipsisme qui reconnaît l’individu seul et qui fonde un individualisme philosophique est substitué par une reconnaissance simultanée de l’être par l’autre, l’altérité. Nul n’existe de façon exclusive en tant que tel. L’individu a besoin de la reconnaissance de l’autre pour exister et vice versa. Une conception presque d’école de l’individu social, de l’individu politique qui vient au monde, pour lui et par les autres, par les autres et pour lui. L’altérité et sa reconnaissance sont autant fondées que le sont l’existence de l’être au monde. Il n’y a plus une ontologie détachée du groupe, mais il n’y a pas d’indifférenciation par rapport au groupe non plus.
Cette vision du monde pourrait concourir à produire des institutions inclusives, solidaires, en recherche de consensus, de réconciliation, de dialogue. Elle pourrait nous aider, au Tchad, à construire notre Nation Arc-en-ciel ». [Car] elle se prête à une extension de son champ premier d’interprétation, en étendant la relation entre le moi et les autres à celle du moi avec les ascendants, les ancêtres. L’altérité peut se concevoir comme intergénérationnelle, décalée dans le temps, affirmant aussi l’irréductibilité des ascendants, et la solidarité entre classes d’âges, mânes et vivants, histoire et présent, présent et futur.
L’Ubuntu se propose de protéger l’individualité, ses particularités, son historicité, sans nier celles des Autres, des individus et collectifs autres. C’est la double reconnaissance, c’est le lien double entre l’individu et son environnement, son altérité. En développant de telles pensées philosophiques de nos ancêtres, en (re)puisant de telles sources et approches de la vie du plus profond de notre "bain originel", il sera possible à notre Tchad, à notre Afrique du troisième millénaire de vaincre l'adversité. C'est en se dotant de tels instruments philosophiques appropriés à la résolution de ses conflits que pays gagnera la bataille de la « Construction Nationale » ; que l'Afrique gagnera la bataille de la modernité, de la défense des droits humains et de la respectabilité. C'est là l'un des nouveaux chantiers de l'espérance pour l'Afrique, et donc pour le Tchad, notre pays! Lorsque, au temps de son apogée, le Sultan Idriss III Allahoma Ndamsami de l’Empire du Kanem faisait construire des maisons d’accueil à la Mecque pour l’hébergement des pèlerins africains, Paris n’était qu’une minable bourgade peuplée de cinq mille âmes qui se nourrissaient de racines et autres tubercules sauvages. Les gaulois n’étaient pas nos ancêtres !
Tchadienne, Tchadien
Get up, stand up ! Get up for your rights!
Michelot Yogogombaye
Il n’est que trop rare de lire ou relire les proverbes, dictons, philosophies d’Afrique sous le prisme de leur contribution au questionnement sur les fins ultimes de l’homme, ses attentes fondamentales, ses certitudes, son infinitude.
Il y a quelques années en arrière, j’ai découvert (sur Afrikara) le concept « Ubuntu ». Je me permets de vous inviter à se le partager, en cette occasion de notre fête nationale du onze(11) août.
Avec ce concept zulu dit d’Ubuntu, l'Afrique propose une vision radicalement novatrice de la conscience de soi et simultanément de l’Altérité, disposant à une éthique collective où respect, dialogue, compassion, consensus sont des conséquences évidentes. C'est le principe cartésien de l'interculturalité qui représente une option, un choix pour nous qui, comme le philosophe Kant, pensons que les êtres humains doivent être traités comme des fins et non comme des moyens : « Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes ». Oui, chaque individu a le droit d’être pris en compte avec ses particularités, avec sa culture, autrement dit avec son « bain originel » dans lequel il se socialise ; à l’intérieur duquel dès son enfance il acquière valeurs et normes comportementales de base ; auquel il continue d’avoir une référence très forte, surtout lorsqu’il a été amené à le quitter. Je vous offre donc, ci-dessous, de vivre les émotions palpitantes de la sagesse africaine ; d’une Afrique debout ; d’une Afrique mystérieuse!
Le concept philosophico-religieux d’Ubuntu provient d’Afrique du Sud, de la culture zulu précisément et a acquis progressivement, avec la fin de l’Apartheid, une notoriété internationale. La transition relativement pacifique [après la longue et sanglante lutte d’indépendance] du régime d’Apartheid à la démocratie One man One vote n’avait pas suscité dans les années 90 l’explosion de violences anti-blancs et de revanches incontrôlées que beaucoup d’observateurs avaient prédit. Au contraire l’Afrique du Sud s’était engagée dans une difficile et émouvante thérapie collective, mise en œuvre par la Commission Vérité, Justice, Réparations et Réconciliation, chargée de panser les plaies ouvertes chez des milliers de familles noires victimes des massacres et d’horreurs du régime afrikaner.
Le concept d’Ubuntu par sa force et sa singularité, particulièrement moderne, a exercé une séduction sans précédent dans les milieux solidaires planétaires au point d’offrir involontairement son nom à un programme gratuit sur internet, un « logiciel Ubuntu » distribué par Linux.
« Umuntu ngumuntu ngabantu » ce qui se traduit par: une personne est ce qu’elle est à travers les autres, par les autres. C’est ainsi que cette philosophie d’Ubuntu s’énonce, explicitée à l’échelle de la pratique individuelle par Desmond Tutu, prix Nobel de la Paix sud-africain : « Quelqu'un d'Ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il ou elle possède sa propre estime de soi ––qui vient de la connaissance qu'il ou elle a d'appartenir à quelque chose de plus grand–- et qu'il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou oppressés. »
Si, dans ce monde « pluriel » où les références identitaires se croisent en permanence, le concept d’Ubuntu peut servir de modèle de respect mutuel, de compassion, d’empathie, etc.…, il peut [aussi] se hisser au-delà d’un ethos communautaire pour proposer une philosophie politique de l’altérité : "Je ne suis ce que je suis [que] parce que vous êtes ce que vous êtes". Cette phrase articule deux niveaux donnés généralement comme inconciliables, le niveau individuel, qui mène à toutes les formes d’individualisme [philosophique, méthodologique,…] et le niveau collectif [holisme, collectivisme,…]. La surprise ne provient pas de l‘identification de ces moments, mais de leur conciliation.
L’habitude et le réflexe philosophique depuis Descartes veulent que l’individu se révèle à lui-même par le seul fait de son existence, de sa conscience, de son acte de penser. C’est le canonique « cogito ergo sum : je pense donc je suis ». La perspective offerte par la philosophie Ubuntu est toute autre. Dire que je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes change totalement le modèle d’identification et de prise en charge de sa conscience. Le solipsisme qui reconnaît l’individu seul et qui fonde un individualisme philosophique est substitué par une reconnaissance simultanée de l’être par l’autre, l’altérité. Nul n’existe de façon exclusive en tant que tel. L’individu a besoin de la reconnaissance de l’autre pour exister et vice versa. Une conception presque d’école de l’individu social, de l’individu politique qui vient au monde, pour lui et par les autres, par les autres et pour lui. L’altérité et sa reconnaissance sont autant fondées que le sont l’existence de l’être au monde. Il n’y a plus une ontologie détachée du groupe, mais il n’y a pas d’indifférenciation par rapport au groupe non plus.
Cette vision du monde pourrait concourir à produire des institutions inclusives, solidaires, en recherche de consensus, de réconciliation, de dialogue. Elle pourrait nous aider, au Tchad, à construire notre Nation Arc-en-ciel ». [Car] elle se prête à une extension de son champ premier d’interprétation, en étendant la relation entre le moi et les autres à celle du moi avec les ascendants, les ancêtres. L’altérité peut se concevoir comme intergénérationnelle, décalée dans le temps, affirmant aussi l’irréductibilité des ascendants, et la solidarité entre classes d’âges, mânes et vivants, histoire et présent, présent et futur.
L’Ubuntu se propose de protéger l’individualité, ses particularités, son historicité, sans nier celles des Autres, des individus et collectifs autres. C’est la double reconnaissance, c’est le lien double entre l’individu et son environnement, son altérité. En développant de telles pensées philosophiques de nos ancêtres, en (re)puisant de telles sources et approches de la vie du plus profond de notre "bain originel", il sera possible à notre Tchad, à notre Afrique du troisième millénaire de vaincre l'adversité. C'est en se dotant de tels instruments philosophiques appropriés à la résolution de ses conflits que pays gagnera la bataille de la « Construction Nationale » ; que l'Afrique gagnera la bataille de la modernité, de la défense des droits humains et de la respectabilité. C'est là l'un des nouveaux chantiers de l'espérance pour l'Afrique, et donc pour le Tchad, notre pays! Lorsque, au temps de son apogée, le Sultan Idriss III Allahoma Ndamsami de l’Empire du Kanem faisait construire des maisons d’accueil à la Mecque pour l’hébergement des pèlerins africains, Paris n’était qu’une minable bourgade peuplée de cinq mille âmes qui se nourrissaient de racines et autres tubercules sauvages. Les gaulois n’étaient pas nos ancêtres !
Tchadienne, Tchadien
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Michelot Yogogombaye