Par Talha Mahamat Allim - Genève, Suisse
Le Tchad a des multiples défis à relever pour son développement, en particulier dans le domaine de la santé publique.
La situation sanitaire dans le pays est peu reluisante. L’offre et la qualité des soins ne sont pas à la hauteur des attentes de la population. Le taux de mortalité infantile et maternelle reste élevé, l’espérance de vie quant à elle n’est pas meilleure. La couverture médicale reste insuffisante ; la population est soumise à une forte mobilité vers des dispensaires villageois des pays limitrophes pour pouvoir accéder ne fut-ce qu’au minimum des soins de santé de base, en dépit de l’existence de quelques infrastructures médicales, notamment dans la capitale. Ce qui témoigne d’un certain manque de confiance quant à l’offre et à la qualité de ces dernières, au-delà du coût de transport pour y accéder. Les catégories sociales les plus aisées préfèrent aller se faire soigner à l’étranger, notamment dans les pays occidentaux. Les plus pauvres sont abandonnés à eux-mêmes.
Toutefois, l’Etat tchadien a fait de la santé une de ses priorités dans le cadre du développement. Cela s’observe à travers la définition et la mise en place d’une politique nationale de santé ainsi que la réorganisation du système sanitaire. Mais l’efficacité de ces efforts reste limitée par diverses carences, notamment au niveau des ressources matérielles (équipements, moyens de la population…), des infrastructures adaptées, des ressources humaines, de la gestion et du fonctionnement, etc.
De notre point de vue, nous considérons que notre système diplomatique constitue l’une des principales voies pouvant contribuer à atteindre cette efficacité et à améliorer le niveau de santé aussi bien sur le plan des infrastructures que sur celui des connaissances, des techniques et de la technologie, des soins de santé et de leur accessibilité.
A titre indicatif, sur le plan des connaissances, de le technique et de la technologie, le système diplomatique tchadien peut beaucoup apporter au pays et ainsi améliorer la qualité des ressources humaines et l’offre des soins médicaux. Pour cela, il faudrait que toutes les composantes du système diplomatique tchadien s’impliquent activement. Cependant, si nous prenons le cas de la Suisse, notre représentation diplomatique est ouverte depuis 5 ans mais aucun professionnel de la santé n’a été envoyé par le Tchad pour se perfectionner ou se spécialiser, alors que les compétences et les offres suisses et multilatérales en matière de santé font partie des meilleurs.
A Genève, nous avons rencontré des ressortissants camerounais, sénégalais, ivoiriens, burundais… qui étaient venus se perfectionner ou faire leur spécialisation dans le domaine médicale sous l’initiative de leurs gouvernements. On est alors en droit de se demander ce qui manque au Tchad pour emboîter le pas avec ses ressortissants qui ne manquent pas de compétences et de qualités pour accéder à ces perfectionnements et spécialisations. A moins que notre pays ne cherche à rester dans la dépendance médicale par rapport aux autres pays, en particulier les pays limitrophes.
Cette question est essentielle au regard du rythme de l’évolution des connaissances et techniques médicales, des complications au niveau des différentes maladies, de la nécessité des infrastructures modernes, de l’explosion des demandes de la population et surtout des exigences en ce qui concerne la qualité, la multiplicité et la diversité des services demandés. Par ailleurs, la santé est l’un des piliers du progrès socio-économique, de la productivité et de la richesse d’un pays, en même temps que ces derniers favorisent une meilleure santé ou en offrent les opportunités et/ou les moyens. Une population bien portante constitue un atout majeur pour un pays en quête du développement et de la paix comme le Tchad.
De ce point de vue, nos compatriotes professionnels de la santé méritent d’avoir l’opportunité et surtout l’appui nécessaire pour mettre à jour leurs connaissances et se familiariser avec les nouvelles techniques afin qu’ils puissent contribuer activement et efficacement au développement du pays.
Dans cette perspective, il est nécessaire que d’un côté, le gouvernement, par le biais du ministère de la santé et du ministère de l’enseignement supérieur, fasse l’inventaire des besoins en formation en fonction des avancées scientifiques et technologiques dans le secteur médical ainsi que de l’état de maladies et de leurs complications au Tchad. Cet inventaire devrait être communiqué, par le canal du ministère des affaires étrangères, aux différentes représentations diplomatiques tchadiennes dans le monde pour qu’elles collectent les informations concernant les offres de formation, voire de financement dans les domaines répertoriés par les ministères concernés.
D’un autre côté, sans même attendre cet inventaire, nos représentations diplomatiques devraient chercher toutes les informations nécessaires et utiles dans ce domaine, et les porter à la connaissance des ministères concernés afin que le nécessaire soit fait pour que celles et ceux qui remplissent les exigences pour suivre ces formations, perfectionnements… et/ou obtenir ces financements puissent entreprendre les démarches nécessaires.
Pour éviter la dispersion, voire la perte d’information dans les circuits administratifs, il est utile qu’il soit créé au sein du ministère des affaires étrangères du Tchad, un Centre chargé de la collecte d’informations relatives aux offres de formation et de perfectionnement, à la recherche, à la technique et la technologie, aux divers financements, etc. Cette collecte pourra se faire auprès de toutes les ambassades du Tchad et de tous les acteurs concernés ; une grille d’évaluation est même nécessaire pour suivre et évaluer les efforts fournis dans ce but par chaque acteur impliqué.
Ce centre pourra faire le tri, le traitement, le classement selon l’ordre des priorités et identifier localement les secteurs et les personnes qui ont besoin de ces informations pour les porter à leur connaissance, tout en prenant soin de clarifier les démarches et procédures à entreprendre dans ce sens. Le centre lui-même devrait prendre l’initiative de secouer tous les acteurs concernés, en particulier les représentations diplomatiques et les ministères, pour qu’ils aillent chercher les informations et les moyens requis. Il est ainsi important que ce centre soit doté en personnel qualifié, compétent et motivé, qu’il soit bien équipé en matériel informatique afin qu’il puisse bien s’acquitter de ses missions, voire même chercher lui-même ces informations ; les nouvelles technologies facilitent l’accès à l’information.
Enfin, ce centre pourrait veiller à ce qu’il n’y ait pas de dispersion, de perte, de gaspillage ou de surcharge des compétences, car ces derniers peuvent produire des effets pervers : chômage, insuffisance dans la couverture du territoire national, télescopage nuisible au rendement et à l’efficacité, sous-utilisation des potentialités et des compétences, etc. Ce qui irait à l’encontre du but recherché, en l’occurrence le progrès du Tchad.
L’existence de ce centre et son fonctionnement doivent être portés à la connaissance des tchadiens et tchadiennes pour qu’ils puissent prendre l’habitude d’aller y chercher ces informations.
A l’heure actuelle, la ressource la plus importante et la plus productive, c’est l’information. Si on n’a pas la bonne information et à temps, on rate de nombreuses opportunités et on se retrouve spectateur d’un spectacle déjà fini.
Ce centre pourra ainsi être un relais direct entre la population et les opportunités internationales. Ce qui pourrait contribuer à sortir la plupart de nos compatriotes du rôle du spectateur pour devenir des acteurs de leur propre destinée et de celle du développement de leur pays. Dans le schémas classique, on retrouve de liens bien établis entre les représentations diplomatiques, le ministère de tutelle et le pouvoir central d’un côté, et les partenaires bilatéraux et multilatéraux de l’autre ; la population ne vit la coopération que par procuration, si elle n’est pas absente, alors qu’elle est censée être la principale bénéficiaire de cette coopération. Ce centre serait donc un moyen de lui permettre de bénéficier directement au moins d’une infime partie des possibilités offertes par cette coopération.
Pour que notre pays puisse faire un grand pas vers le progrès, il ne faut plus se contenter des informations et des moyens donnés par les partenaires bilatéraux et multilatéraux, il faut que nous allions plus loin et les cherchions nous-mêmes partout où ils se trouvent. Il est utile de rester attentif au fait que les informations et moyens que ces partenaires nous apportent correspondent plus à leurs besoins qu’aux nôtres. Si nous voulons cesser de toujours jouer les seconds rôles et ne plus rester d’éternels perdants dans le jeu mondial, il est temps et primordial de changer de perspectives et de stratégies.
L’amélioration du niveau de la santé au Tchad passe aussi par le renforcement de la collaboration entre les acteurs du système diplomatique et ceux de la santé, et plus spécifiquement par la sensibilisation des diplomates quant à l’impact potentiel et effectif de leurs choix, décisions et actions ou inactions sur la situation sanitaire dans notre pays. Par ailleurs, au regard des liens entre mauvaise santé et pauvreté, tous les efforts dans le sens du progrès socio-économique sont à encourager. Si chaque acteur diplomatique tchadien, à commencer par les responsables des différentes structures en l’occurrence les ambassades et missions permanentes, s’y met activement, des meilleurs résultats sont envisageables dans les meilleurs délais que l’on ne le pense.
Ce ne sont ni les opportunités ni les informations qui manquent pour y arriver. Ce sont la motivation et l’implication active des acteurs concernés qui font défaut. Par exemple, l’université de Genève (faculté de médecine), le centre médical universitaire (CMU) , les hôpitaux universitaires de Genève (HUG)…offrent diverses possibilités de formation dont des diplômes postgrade, de spécialisation et de formation approfondie. Divers programmes de stage et de formation continue sont également offerts par des universités suisses, les Sociétés médicales suisses, etc.
A titre illustratif, l’université de Genève en partenariat avec d’autres universités suisses donnent aux médecins la possibilité d’acquérir une formation professionnelle en santé publique à travers le programme MD - MPH (docteur en médecine - maîtrise en Santé publique, medical doctor - master of public health). Dans le cadre de ce programme, les financements sont disponibles par le biais d’un programme de bourses mises au concours conjointement par plusieurs institutions (le Fonds national suisse, l'Académie suisse des sciences médicales (ASSM), Swiss Foundation for Excellence and Talent in Biomedical Research (Roche), OncoSuisse (SKL, SIAK et ISREC), la Fondation suisse de recherche sur les maladies musculaires, la Fondation Louis-Jeantet de médecine, la Fondation Velux et la Fondation Dr. Max Cloëtta).
Les personnes intéressées obtiendront des informations détaillées sur le site http://www.unige.ch/medecine/enseignement/formationPostgrade/DoctoratSciencesMed.html
Un seul doigt ne peut casser l’arachide. A la veille de passer le cap des 50 ans de la proclamation de l’indépendance nationale, il est nécessaire que nous soyons tous unis et regardions dans la même direction : celle de la démocratie, de la justice, du développement et de la paix au Tchad. Il suffit que chacun en soit convaincu et qu’il se mette au travail au nom de l’intérêt général.
Dans ce sens, les personnes mieux placées dans les circuits administratifs diplomatiques et autres, qui retiennent des informations importantes et utiles pour leurs compatriotes devraient mettre fin à cette attitude. Ceux qui n’agissent pas ou ne donnent pas ces informations par peur d’être remplacés ou concurrencés par ceux qui vont bénéficier de ces informations, devraient changer ce regard. L’amélioration de la formation et du niveau intellectuel de ces derniers ne constitue pas une menace mais bien au contraire un atout pour le Tchad et par conséquent pour ces mêmes personnes qui ont peur.