Par Gaëlle LE ROUX
"On nous jetait de l’eau à nous, les prisonniers, nous devions la lécher, comme des chiens, sur le sol ou sur nos corps", raconte Souleymane Guengueng, dans un témoignage paru dans le New York Times en 2001 . L’homme, aujourd’hui âgé de 64 ans, a passé plus de deux ans enfermé dans les geôles du dictateur tchadien Hissène Habré (1982 – 1990), à la fin des années 1980. Depuis 22 ans, il se bat pour que le despote exilé au Sénégal réponde de ses crimes devant une cour de justice. Il est en passe de voir son combat porter ses fruits : vendredi 8 février, un tribunal spécial chargé de juger Hissène Habré s'ouvre à Dakar. L’ex-dictateur tchadien est poursuivi pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture.
Des centaines de témoignages collectés
Il est libéré en 1990, après le coup d’État mené par Idriss Déby, actuel chef de l’État tchadien. Un an plus tard, l’homme fonde, aux côtés d’autres ex-détenus, l’Association tchadienne des victimes de crimes et de répressions politiques (AVCRP). Inlassablement, pendant plus de deux décennies, il écoute les victimes, consigne leurs récits, collecte des photos, des documents…
Pour Reed Brody, conseiller juridique et porte-parole à Human Rights Watch (HRW), "C’est grâce à la ténacité et à la persévérance des victimes, qui n’ont jamais baissé les bras, qu’on assiste aujourd’hui à la possibilité de juger Hissène Habré". Ce fervent défenseur des droits de l’Homme prête main forte à Souleymane Guengueng depuis maintenant quatorze ans. Ensemble, ils ont réussi à récolter des centaines de témoignages de victimes ou de témoins, de membres du système Hissène Habré, mais également des documents récupérés au siège de la DDS. Des documents précieux, retrouvés presque par hasard. "En 2001, nous nous sommes rendus dans l’ancien bâtiment de la DDS, sorte de Gestapo de Hissène Habré, raconte Reed Brody. Là, abandonnés depuis des années, on tombe sur des centaines et des centaines de documents, qui jonchaient le sol de plusieurs salles. Il s’agissait de preuves tangibles, solides, qui venaient conforter les témoignages des victimes. C’était une mine d’or d’informations sur la milice politique. Un véritable trésor pour nous".
"Feuilleton politico-juridique"
Les 10 juges et quatre procureurs qui composent cette cour, nommés par l’Union africaine, vont désormais pouvoir entamer la longue instruction du dossier Habré. Hissène Habré ne devrait en revanche pas être aperçu à la barre du tribunal avant fin 2014, estime Reed Brody. "Le procès ne va pas se tenir avant quelques temps mais au moins, le processus est enclenché, ce qui était presque inespéré", estime le conseiller juridique de Human Rights Watch. "En tant que défenseur des droits de l’Homme, je ne peux pas affirmer à l’avance que ce procès va être équitable. Mais le respect du droit de la défense est respecté, tout me semble en place pour que l’instruction et le procès se déroulent équitablement", jauge-t-il, avant de poursuivre : "Je pense que ce procès a vocation à être historique pour le Tchad et pour l’Afrique. Il va montrer que de simples victimes peuvent, par leur action et leur persévérance arriver à faire juger un dictateur." F24