Accueil
Envoyer à un ami
Imprimer
Grand
Petit
Partager
ANALYSE

Tchad : La HAMA peut-elle légalement restreindre les productions sonores et/ou audiovisuelles aux journaux en ligne ? (Analyse)


Alwihda Info | Par Info Alwihda - 24 Octobre 2024


Ces différentes affirmations et positions de la HAMA principalement celles liées à l’exigence d’une autorisation de diffusion pour les journaux en ligne qui publient du contenu sonore et/ou audiovisuel n’ont pas manqué de surprendre l’ensemble du paysage médiatique tchadien, du public et en particulier les journaux en ligne. Puisque de toute évidence, cette dernière déclaration du Président de la HAMA s’analyse comme une tentative de restriction illégale de la presse en ligne.


Dans un discours présenté à l’occasion du séminaire de préparation de la Haute Autorité des Médias et de l’Audiovisuel (« HAMA ») aux élections législatives du 29 décembre 2024, le Président de la haute institution, Monsieur Abderamane Barka Abdoulaye Doningar a affirmé que pour l’encadrement de la couverture médiatique des prochaines opérations électorales, le Collège de la HAMA a adopté, le 26 septembre 2024, trois (03) décisions, qui rappellent les règles éthiques, déontologiques et législatives à observer par des professionnels et leurs médias en période électorale. En outre, le Président de la HAMA a affirmé en ces termes :

Qu’ « en effet, des promoteurs de journaux imprimés utilisent encore des pages Facebook à leurs effigies pour publier d’autres articles que les contenus originaux de leurs médias. D’autres journaux imprimés ou en ligne diffusent plutôt des vidéos en ligne à la place des contenus écrits pour lesquels ils sont autorisés. Il y a aussi les médias audiovisuels privés qui contrairement aux autorisations de création et d’exercice accordées par l’Autorité de Régulation, exploitent des relais électroniques pour diffuser leurs contenus ou nouent des partenariats sans en aviser préalablement la HAMA ».
 
Il précise ensuite que « désormais, tout journal privé, imprimé ou en ligne, qui diffuserait des productions sonores ou audiovisuelles, au lieu de se limiter à ses articles écrits, verra sa parution suspendue ou son récépissé de déclaration de parution retiré. Il en sera de même pour tous les médias privés qui utilisent des pages Facebook avec des insignes de leurs organes pour diffuser d’autres informations que les contenus originaux de ces journaux, radios ou télévisions ».
 
Il rajoute enfin en ces termes : « j’annonce, par la même occasion, aux responsables de journaux qui basculent dans l’audiovisuel sans en être autorisés, ou à tout citoyen qui souhaiterait en disposer, que des cahiers des charges pour la création et l’exercice d’une web télé et web radio sont mis à leurs dispositions par la HAMA, tout en leur rappelant qu’une personne physique ou morale privée tchadienne peut détenir jusqu’à trois (03) médias cumulativement. Les responsables des médias audiovisuels privés dont les autorisations ont expiré sont également appelés à s’approcher de la HAMA pour les renouveler afin de ne pas subir les conséquences éventuelles du non-respect des dispositions législatives et réglementaires ».
 
Par ailleurs, pour clôturer son discours, le Président de la HAMA affirme que le Collège de la HAMA prendra des mesures adéquates à l’égard des médias qui ne respectent pas les dispositions des textes réglementaires et législatifs.
 
Dans un autre texte plus ancien valant « Communiqué Officiel n°011/HAMA/CAB/23 » signé en date du 28 août 2023, la HAMA rappelait « pour la dernière fois, les médias d’exercer selon les formats pour lesquels ils ont été autorisés et d’arrêter de publier ou diffuser des productions originales dans d’autres formats. Elle les prévient qu’en cas de récidive, leurs autorisations de fonctionner leur seront purement et simplement retirées, conformément à la loi ».
 
Dans une allocution accordée à la chaîne de télévision nationale ONAMA TV, le 17 octobre 2024, afin de répondre au mécontentement exprimé à l’issue d’un communiqué de presse conjoint de la Plateforme des Organisations des Médias du Tchad (regroupant huit organisations signataires) publié le même jour, le Président de la HAMA a fait part de sa réaction en affirmant notamment les propos suivants : « Certains font des vidéos par moment en donnant la parole à des personnes et souvent ce sont des attaques personnelles contre des personnes, contre des personnes physiques ou morales et qui pourront leur être préjudiciable parce qu’ils utilisent leur logo. Le logo de leur média pour ces diffusions. Et lorsqu’ils utilisent le logo de leurs médias, ils portent la responsabilité de ces diffusions là à leur média. Journaux en ligne précisément. Parce qu’il y a des journaux imprimés qui le font également. Et là ils ne sont plus couverts par la loi. Parce que c’est une autre activité que ce qui est contenu dans leur déclaration de parution. Y’en a qui ont même des plateaux de présentation. C’est une concurrence déloyale à la télévision. Donc nous avons voulu les organiser, les favoriser pour une meilleure professionnalisation ».
 
Ces différentes affirmations et positions de la HAMA principalement celles liées à l’exigence d’une autorisation de diffusion pour les journaux en ligne qui publient du contenu sonore et/ou audiovisuel n’ont pas manqué de surprendre l’ensemble du paysage médiatique tchadien, du public et en particulier les journaux en ligne. Puisque de toute évidence, cette dernière déclaration du Président de la HAMA s’analyse comme une tentative de restriction illégale de la presse en ligne. Ce qui mériterai dès lors d’y prêter une attention toute particulière et nous amène à nous poser la question suivante :
 
Est-ce que l’exigence d’une autorisation sonore et/ou audiovisuelle défendue par la HAMA à l’encontre des journaux en ligne respecte les textes fondamentaux et législatifs en vigueur au Tchad ou constitue-elle un abus de pouvoir condamnable et préjudiciable ?
 
A titre liminaire, il convient de préciser que l’article 28 de la nouvelle Constitution tchadienne adoptée le 17 décembre 2023 par référendum et constituant dès lors le texte normatif suprême dans le droit positif tchadien dispose que « les libertés d’opinion et d’expression, de communication, (…) de presse sont garanties à tous. Elles ne peuvent être limitées que par le respect des libertés et des droits d’autrui et par l’impératif de sauvegarder l’ordre public et les bonnes mœurs. La loi détermine les conditions de leur exercice ».  
 
Ce même texte suprême, s’il confère une existence constitutionnelle à la Haute Autorité des Médias et de l’Audiovisuel en qualité d’autorité administrative indépendante en son Titre 8 et en ses articles 215 à 220, il ne manque pas de préciser son champ d’action : « la Haute autorité des médias et de l’audiovisuel a pour mission de réguler les activités relatives à l’information et à la communication et de garantir la liberté d’expression et de communication » (article 217 de la Constitution).
 
Par ailleurs, les attributions, les règles de désignation, d’organisation et de fonctionnement de la Haute autorité des médias et de l’audiovisuel sont précisées par une loi (article 220 de la Constitution).
 

Image générée par l'IA.
Image générée par l'IA.

 
  1. Quelles sont les attributions et pouvoirs conférés par la loi à la HAMA ?
 
C’est précisément la Loi n°32/PR/2018 du 03 décembre 2018 portant ratification de l’Ordonnance n°016/PR/2018 du 31 mai 2018 portant Attributions, Organisation et Fonctionnement de la Haute Autorité des Media et de l’Audiovisuel qui constitue le principal cadre opérationnel du régulateur tchadien (ci-après, la « Loi 032 »).
 
S’il est dévolu à la HAMA de réguler les média audiovisuels, la presse écrite et les média électroniques publics et privés et les blogs, il demeure qu’elle a pour mission, entre autres, de garantir la liberté de la presse et l’expression pluraliste des opinions dans le cadre du respect des valeurs culturelles nationales, de l’ordre public et de la vie des citoyens (article 3 de la Loi 032).
 
En outre, la HAMA délivre les autorisations et licences d’exploitation des services audiovisuels aux opérateurs privés et donne un avis conforme avant la délivrance des récépissés aux organes de presse écrite et en ligne par le Procureur de la République. Elle définit les conditions des cahiers des charges (article 4 de la Loi 032). Par ailleurs, la HAMA reçoit les « déclarations de mise en service des médias en ligne » (article 5 de la Loi 032).
 
En cas d’inobservation de l’une des règles légales des textes en vigueur, la HAMA peut user de différents pouvoirs de sanctions (suspension de l’autorisation, suspension d’un organe de presse, réduction de la durée de l’autorisation, infliger une amende, le retrait de l’autorisation accordée ou à la fermeture d’un organe de presse électronique et le retrait de la carte d’identité professionnelle de journaliste) (article 10 de la Loi 032). Toutefois, l’article 12 de cette même Loi 032 dispose que les décisions de la HAMA sont « motivées », notifiées aux contrevenants et publiées au Journal Officiel de la République. Ces mêmes décisions étant susceptibles de recours devant les juridictions compétentes.
 
Les pouvoirs de la HAMA se fondent également sur la Loi n°020/PR/2018 du 10 Janvier 2019 (ci-après, la « Loi 020 ») qui a pour objet de définir les modalités de fonctionnement des médias audiovisuels classiques et électroniques (Article 1er) et sur la Loi n°31/PR/2018 du 03 Décembre 2018 portant ratification de l’Ordonnance n°025/PR/2018 du 29 juin 2018 portant Régime de la Presse écrite et des Media électroniques au Tchad (ci-après, la « Loi 031 »). L’article 1er de la Loi 031 dispose que « la présente Ordonnance a pour objet de déterminer les règles applicables aux activités de la presse écrite, de l’imprimerie et de la presse en ligne au Tchad ».
 
  1. A qui s’applique la Loi 020 ? Quelle définition la Loi 020 entend-t-elle donner aux « médias audiovisuels classiques et électroniques » ?
 
De prime abord, l’article 2 de la Loi 020 précise très clairement que la « Haute Autorité des Médias et de l’Audiovisuel (HAMA) garantit l’exercice de la liberté de Communication audiovisuelle et de l’indépendance des médias suivant les modalités et conditions fixées par la présente loi ». En d’autres termes, la Loi 020 est le seul dispositif légal qui régit la « Communication audiovisuelle » ainsi que les « Media audiovisuels et électroniques ».
 
Cependant, au titre des définitions visées au Chapitre II de la Loi 020, si les termes de « Communication audiovisuelle », « Communication électronique », « Éditeur de services », « Opérateur de communication audiovisuelle », « Opérateur de diffusion » sont entre autres définis, les termes « Média audiovisuel » et « Média électronique » ne le sont pas. Est-ce une volonté du législateur ou un oubli ?
 
Puisque les définitions suivantes nous intéressent, la « Communication audiovisuelle » se définie par « toute mise à la disposition du public ou de catégorie du public, par un procédé de télécommunications, de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée ». Aussi, la « Communication électronique » se définie, quant à elle, par des « émissions, transmission ou réception de signes, de signaux, d’écrits, d’images ou de sons par voie électronique ».
 
Si l’article 7 de la Loi 020 dispose que « toute entreprise de presse audiovisuelle doit faire l’objet d’une autorisation de la Haute Autorité des Médias et de l’Audiovisuel après un appel à candidature public », heureusement que l’article 8 de la même loi dispose assez restrictivement que « font l’objet d’une autorisation d’exploitation dans les formes fiées par la présente loi, l’établissement et/ou l’exploitation des réseaux pour la diffusion des services de communication audiovisuelle notamment :
  • La voie hertzienne,
  • Le satellite,
  • Les réseaux câblés de distribution des services de communication audiovisuelle,
  • Et tout autre mode de technique de communication audiovisuelle ».
 
A ce stade, l’on comprend aisément que la voie hertzienne, le satellite et réseaux câblés de distribution de services ne pourraient concerner que les chaînes de télévision puisque par évidence les journaux en ligne ne diffusent que par le biais d’internet.
 
Si l’on s’en tient à l’article 12 de la Loi 020 qui dispose que la « HAMA délivre des autorisations d’exploiter un service de radio ; de télévision ou autre service de communication audiovisuelle privé sur appel à candidature public. Il définit les conditions des cahiers des charges », il apparaît que les termes « service de communication audiovisuelle privé » ne sont pas définis.
 
On retrouve néanmoins la définition la plus proche des termes « Service de communication audiovisuelle » comme suit : « tout service ou ensemble de services diffusant un même programme pour une proportion majoritaire du temps d’antenne de chaque service ». Cette définition met en évidence les notions de « temps d’antenne » alors inapplicables aux journaux en ligne tout autant que l’article 12 de la Loi 020 dans son intégralité si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout.
 
Les dispositions suivantes de la Loi 020 à compter du Chapitre IV (de l’utilisation de la voie hertzienne terrestre par les entreprises audiovisuelles) faisant référence aux notions d’autorisation d’utilisation des « fréquences par voie hertzienne terrestre », des « dispositions particulières applicables à l’édition et à la distribution de service de radiodiffusion sonore et de télévision par câble ou satellite » ne sont de toute évidence pas applicables aux journaux en ligne.
 
Le Chapitre 7 de la Loi 020 régit la « responsabilité des opérateurs de la communication audiovisuelle » alors même que la définition d’ « opérateur de communication audiovisuelle » renvoie à la notion de « Service de communication audiovisuelle » toujours inapplicable aux journaux en ligne comme expliqué précédemment.
 
La lourdeur du cahier des charges et références techniques non applicables aux journaux en ligne :
 
Enfin, il y a lieu de souligner la lourdeur du processus lié la régularisation d’un cahier des charges bien qu’inapplicables aux journaux en ligne. L’article 43 de la Loi 020 dispose que « les cahiers des charges des entreprises de communication audiovisuelle privées et publiques sont établis par la Haute Autorité des Médias et de l’Audiovisuel, à la suite d’une audience publique au cours de laquelle les représentants de la société civile et tous les intéressés ont l’opportunité de faire connaître leur point de vue » en plus des nombreuses conditions fixées à l’article 44 du même texte.
 
Et pour démontrer l’inapplicabilité plausible et évidente du cahier des charges aux journaux en ligne conformément à la volonté du législateur, il est par exemple prévu à l’article 44 de la Loi 020 que celui-ci doit préciser notamment pour les sociétés de droit tchadien : l’établissement du réseau dont ceux relatifs à la zone de couverture du service (…) les conditions d’usage des ressources radioélectriques, notamment les caractéristiques des signaux émis et des équipements de transmission et de diffusion utilisés, les conditions techniques de multiplexage et les caractéristiques des équipements de transmission et de diffusion utilisés, le lieu d’émission, la limite supérieure de puissance apparente rayonnée (…) le nombre de canaux utilisés, le nombre d’abonnés dans le cas de système à péage, les modalités d’accès aux programmes cryptés (…). Naturellement, ces précisions exigées sont au moins inhérentes aux chaînes de télévision si elles ne le sont aussi aux radios.
 
  1. Quelle définition juridique est donnée aux journaux en ligne ?
 
L’article 1er de la Loi 031 est plus précise que la Loi 020 et dispose des règles applicables aux activités de la presse écrite, de l’imprimerie et de la presse en ligne au Tchad. Il y a dès lors une distinction entre d’un côté la définition d’une presse en ligne et de l’autre celle d’un media audiovisuel ou électronique en confrontant les deux lois.
 
Le chapitre IV dispose du régime juridique applicable à la presse en ligne et confère comme attribution, la mise à disposition du public d’un contenu original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique (…).
 
L’article 25 évoque aussi la notion de « Service de presse en ligne ».
 
  1. Quels sont les types de contenus que peut publier tout journal en ligne ?
 
L’article 25 de la Loi 031 dispose clairement qu’ « au sens de la présente Ordonnance les services de presse en ligne répondent aux conditions suivantes : le service de presse en ligne offre un contenu utilisant essentiellement le mode écrit et audiovisuel ».
 
De plus, l’article 26 dispose que l’information par voie de presse en ligne se réalise à travers des « publications générales, d’opinion ou spécialisées en ligne » destinées au public.
 
Le régime juridique unique d’autorisation de fonctionnement et d’exploitation d’un journal en ligne :
 
A cela s’ajoute la compréhension du dispositif juridique lié à la création d’un journal en ligne qui peut être publié « sans autorisation et sans dépôt de cautionnement après la déclaration prescrite par la présente loi » (article 27 de la Loi 031). Aussi il est disposé à l’article 28 de la Loi 031 qu’ « à leur création, les journaux en ligne doivent être déclarés auprès du Procureur de la République du lieu d’édition qui est tenu de délivrer un récépissé de déclaration dans les quinze jours suivant le dépôt du dossier après avis conforme de la Haute Autorité des Media et de l’Audiovisuel ».
 
Non seulement la Loi 031 régit le statut juridique de la presse en ligne et/ou journaux en ligne mais elle donne explicitement droit à ces derniers de pouvoir diffuser et publier du contenu écrit et audiovisuel sans imposer l’exigence d’un régime d’autorisation autre que celui précédemment évoqué.
 
D’ailleurs, il n’existe pas de « format » de publication comme le prétend le Président de la HAMA puisqu’à leur création, l’article 30 de la Loi 031 dispose que « la déclaration faite par écrit sur papier timbré, doit indiquer :
  • L’objet de la publication ;
  • Les langues de publication ;
  • Le titre de la publication ;
  • Les noms, prénom(s) et domicile du directeur de publication et le cas échéant du codirecteur ».
 
Toute autre information complétée ou manquante à l’étape de la déclaration de parution ne saurait réduire les droits de tout journal en ligne de publier librement du contenu audiovisuel incluant précisément du contenu sonore et du contenu vidéo.
 
A titre subsidiaire, il conviendra de rappeler le principe de la liberté d’interprétation des lois qui permet de présumer, en l’absence de restriction explicite, que les journaux en ligne et/ou presse en ligne autrement qualifiés comme étant des « médias numériques » ont le droit de diffuser tous types de contenus numériques, qu’ils soient écrits, audio ou visuels.
 
Dans un environnement digital, il n’existe pas de cloisonnement technique ou conceptuel entre les différents types de médias. Il est donc incohérent de limiter la nature du contenu publié par un journal en ligne. Contrairement aux médias traditionnels (presse écrite, radio, télévision), un journal en ligne n’est pas restreint à une seule forme de contenu : il publie naturellement du texte, des images, de l’audio et de la vidéo, car le contenu numérique permet cette intégration inclusive des formats. Cela est inhérent à la nature d’internet et du journalisme digital.
 
L’évolution du journalisme numérique va dans ce sens : le journalisme multimédia s’appuie sur la complémentarité des formats pour enrichir l’expérience utilisateur. C’est la raison pour laquelle la Loi 031 est venue encadrer avec bienveillance les journaux en ligne complétant ainsi les médias traditionnels et moyens de communiquer au public. Restreindre cette capacité va à l’encontre des tendances mondiales de l’information numérique et à l’encontre des libertés fondamentales d’expression et de presse constituant une entrave dangereuse à la Constitution tchadienne. 
 
Le Président de la HAMA semble oublier que selon le principe de neutralité technologique, les régulations ne doivent pas discriminer un media en fonction de la technologie ou du format qu’il utilise. Autrement dit, un journal en ligne ne devrait pas être contraint d’acquérir une licence supplémentaire juste parce qu’il choisit de publier des vidéos ou des fichiers audios, alors que d’autres formats (comme le texte) ne nécessitent pas de telles licences de manière segmentée. La diffusion numérique englobe naturellement tous ces formats.
 
  1. Les journaux en ligne diffusant du contenu audiovisuel sont-ils auteurs d’une concurrence déloyale au détriment des chaînes de télévisions et/ou médias audiovisuels et électroniques exploitant un service de communication audiovisuel ?
 
Cette affirmation du Président de la HAMA est à la fois très surprenante et étonnante et semble vouloir injustement protéger les chaînes de télévisions d’une audience galopante et croissante qu’accusent les journaux en ligne. Pourtant comme expliqué dans ce présent exposé analytique, les Lois 020 et 031 distinguent assez clairement le régime juridique applicable pour chaque type de média sans les opposer mais en proposant une complémentarité au bénéfice d’une presse diversifiée et inclusive tout en comprenant le fonctionnement technique bien différent pour chacun d’entre eux et les méthodes de consommation de l’information destinée au public.
 
En droit tchadien, plusieurs textes juridiques à l’exemple de la Constitution tchadienne, de la loi n°043/PR/2014 viennent encadrer le principe de la libre concurrence loyale et son corolaire lié à la concurrence déloyale ainsi sanctionnée. L’article 131 de l’Acte Uniforme relatif au droit commercial général (Droit OHADA) dispose que « toute entreprise doit se conformer aux lois et règlements qui régissent l’exercice de ses activités, et ne doit pas user de moyens déloyaux pour porter atteinte à la concurrence ». En outre, plusieurs actes peuvent constituer une concurrence déloyale à savoir la confusion, le dénigrement, le parasitisme, le détournement de clientèle et la violation des règles de loyauté.
 
A tout le moins, on comprendra que le Président de la HAMA associerait à l’existence d’une concurrence déloyale, la diffusion « illégale » de contenus audiovisuels par les journaux en ligne conférant à ces derniers un avantage injuste dans le marché de la diffusion audiovisuelle, préjudiciant les chaines de télévisions détentrices d’une licence d’autorisation prévue au titre de la Loi 032. Il ne serait pas juste, selon Monsieur Abderamane Barka que les journaux en ligne puissent diffuser du contenu audiovisuel sur internet et pages de réseaux sociaux associés sans se soumettre au régime juridique de la Loi 032. Selon lui, les journaux en ligne devraient ainsi s’acquitter de cette même licence et en payer la contrepartie financière et/ou redevance revenant à la HAMA au même titre que les télévisions au risque de préjudicier ces dernières sur le marché du contenu audiovisuel.
 
Il serait tout d’abord curieux de savoir si la HAMA a réellement le droit d’agir sur le terrain d’une hypothétique concurrence déloyale non justifiée en lieu et place des médias audiovisuels et électroniques alors que de tels actes ne peuvent être sanctionnés que sur le terrain de la responsabilité civile.
 
Il est important de souligner que les journaux en ligne et les télévisions sont fondamentalement différents dans leur modèle économique, leur infrastructure, et leur portée. Alors que la télévision est un media traditionnel avec une diffusion linéaire (avec des grilles horaires fixes) et utilisant le spectre radioélectrique, les journaux en ligne offrent un accès à la demande et une interaction plus riche via des formats écrits, audio et visuels en combinant texte, image, vidéo et son de manière intégrée. Les télévisions et radio traditionnelles opèrent sur des fréquences hertziennes qui sont des ressources limitées nécessitant une régulation stricte qu’offre la Loi 032, d’où la nécessité de licences onéreuses. Exiger des licences similaires pour des journaux en ligne qui utilisent un cadre technologique et économique fondamentalement différent est disproportionné et inadapté constituant dès lors une mesure discriminatoire et arbitraire à l’égard des journaux en ligne ainsi qu’une atteinte inéquitable à la liberté d’accès à l’information.
 
En revanche, les journaux en ligne utilisent internet comme un canal de diffusion, qui demeure une infrastructure beaucoup plus ouverte, accessible et démocratisée. Aucun journal en ligne ne devrait donc être contraint de fonctionner sous les mêmes régulations que les télévisions et radios traditionnelles.
 
Il n’existe aucune concurrence « déloyale » entre les télévisions et/ou radios d’une part et journaux en ligne contrairement à ce que soutient le Président de la HAMA. La télévision reste un media de masse pour certaines catégories de la population, tandis que les journaux en ligne, avec leurs formats diversifiés, s’adressent souvent à un public plus jeune et/ou plus connecté. De plus, en termes de production de contenu, les coûts de production et les investissements nécessaires pour une télévision sont beaucoup plus élevés que pour un journal en ligne. Il est donc peu pertinent de considérer les journaux en ligne comme une concurrence directe aux télévisions.
 
Bien au contraire, si une concurrence est bien existante et réelle entre les télévisions et journaux en ligne d’une part sur le contenu audiovisuel et entre les radios et journaux en ligne d’autre part sur le contenu sonore de type podcast, elle demeure « saine » et « loyale » permettant ainsi d’offrir le choix de l’expérience utilisateur au public cible.
 
D’ailleurs, le Président de la HAMA ne peut se fonder sur l’existence de modestes « plateaux de télévisions » ou de « studio » au sein des rédactions des journaux en ligne pour prétendre à l’existence d’une concurrence déloyale avec les télévisions. Aucune loi n’interdit aux journaux en ligne de se doter du meilleur matériel du marché et d’investir dans la modernisation de ses moyens de productions pour produire du contenu audiovisuel de qualité.
 
 
  1. Quel est l’avenir de la consommation de l’information ?
 
Cette déclaration du Président de la HAMA semble soulever une autre difficulté plus profonde qui refait surface de manière récurrente liée aux nouvelles habitudes de consommation de l’information.
 
Le public tchadien est de plus en plus digitalisé et adopte, au même titre que les tendances internationales, une nouvelle manière de consommer l’information. L’ère digital a entraîné de profonde mutations dans le secteur des médias et les consommateurs tchadiens s’attendent aujourd’hui à un contenu multimédia diversifié. Les gens lisent des articles, écoutent des podcasts, regardent des vidéos en ligne et souvent sur une même plateforme donnant ainsi une part d’audience aux journaux en ligne et médias digitaux. La HAMA doit ainsi comprendre l’évolution des médias numériques et journaux en ligne et s’adapter à ces nouveaux usages qui ne feront que s’accroître d’année en année. Que ce soit une télévision, une radio, une presse écrite ou une presse en ligne, tout media a parfaitement le droit de disposer des canaux digitaux afin de distribuer son contenu d’origine et mieux atteindre le public cible. C’est aujourd’hui ce que font notamment les télévisions en touchant le public cible à travers les réseaux sociaux. Ce que ne pourrait faire les journaux en ligne en utilisant des fréquences hertziennes sur le territoire national pour toucher les populations de masse.
 
Ces dernières années, de nouveaux journaux en ligne ont vu le jour et permettent une large diffusion de l’information et une offre de consommation plus diversifiée. Si les technologies permettent de créer du contenu audiovisuel avec des coûts réduits, avec des moyens largement accessibles, avec une qualité remarquable et en touchant une audience plus ou moins égale à celle de la télévision, la HAMA ne peut en vouloir aux journaux en ligne qui disposent de ressources pourtant bien plus limitées.
 
Le rôle du régulateur n’est pas de restreindre la liberté d’accès à l’information du public et de leur droit de choisir librement leur mode de consommation de celle-ci, moins encore de restreindre les canaux de communication et types de contenus produits par les journaux en ligne mais d’opérer un contrôle sur les dérives liés à ces contenus.
 
  1. Et si la HAMA décidait malgré tout de sanctionner les journaux en ligne qui diffusent du contenu audiovisuel ?
 
Il est important de rappeler que la HAMA étant une autorité administrative indépendante trouvant ses attributions et compétences au sein de la Constitution mais aussi de la loi, ne peut prendre des décisions hors du cadre légal qui lui est conféré et délimité. Les dernières déclarations du Président de la HAMA n’ont pas de valeur juridique contraignante en elles-mêmes mais permettent simplement d’alerter sur les intentions du régulateur. La HAMA n’est pas au-dessus des libertés fondamentales de presse et d’information et de ses corollaires et ne peut en aucun cas y faire violation. Elle doit tout au contraire faire respecter ces droits fondamentaux en évitant toute entrave inopportune.
 
Si la HAMA venait à prendre une décision de censure à l’encontre d’un ou plusieurs journaux en ligne pour motif avancé de « diffusion illégale » de contenu audiovisuel, il va sans dire qu’une telle sanction regrettable ne pourrait être observée sans saisir les juridictions compétentes de référé et au fond pour faire valoir l’interprétation favorable du droit positif tchadien en faveur de la presse en ligne.
 
Une telle procédure judiciaire, inévitable en telle circonstance, ferait certainement couler beaucoup d’encre et pourrait ainsi permettre pour la première fois de faire fléchir définitivement toute intention restrictive et liberticide planant sur les libertés fondamentales et l’interprétation négative des règles de droit évoquées précédemment.
 
Sadam Ahmat Mahamat Yacoub
Juriste en droit des affaires.
 
 



Pour toute information, contactez-nous au : +(235) 99267667 ; 62883277 ; 66267667 (Bureau N'Djamena)