« Telle école, telle société : les répercussions socio-politiques des grèves au Tchad »
Excellence Monsieur le Président de la République,
Notre pays le Tchad, la terre de Toumaï qui se veut d’être le berceau de l’humanité peine à avoir un service d’éducation dynamique, égalitaire et républicaine. A ce jour, les indicateurs nous autorisent à dire que rien ne marche et que notre système éducatif n’est pas performant. A défaut de la mise en œuvre de la politique du gouvernement dans le domaine de l’éducation, nous vivons au rythme des grèves perlées depuis plus de 25 ans. A titre illustratif, au moment où nous écrivons ces lignes, les salles des classes sont fermées. Pourtant, sous d’autres cieux, les décideurs sont convaincus et croient fermement avec John Dewey qu’ « après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple » et qu’une bonne éducation est le plus grand bien que nous puissions laisser à la génération future (Laurent Bordelon).
Nous avons la certitude que vous partagez ces opinions, car dans votre communication d’investiture du 08 août 2016, vous avez fait une déclaration séduisante, une promesse selon laquelle le Maréchal du Tchad est déterminé à apporter des réponses appropriées aux préoccupations de la jeunesse tchadienne. « Jeunesses Tchadiennes, vous offrir une éducation et une formation de qualité, du primaire au supérieur, est la condition première d’un plein épanouissement personnel. Mais c’est également, le plus sûr investissement que nous pourrons faire pour l’avenir de notre pays » (dixit Idriss Déby Itno). Cinq ans après, aux derniers jours de votre quinquennat, le train avance sans que rien ne bouge. Les efforts de votre gouvernement et ceux des partenaires au développement n’ont pas inversé la tendance actuelle. Pourtant, il suffit de mettre en œuvre la nouvelle politique éducative pour renverser la vapeur. Oui, il le faut pour sortir l’école tchadienne du péril. Vous conviendrez avec Jean-Jacques Rousseau que « la meilleure solution pour préparer le futur est une bonne éducation ».
« L’école tchadienne est en ruine, victime des grèves illimitées »
Il y a de cela 30 ans, le 04 mars 1991, vous avez prononcé un discours démocratique, nous faisant croire que le Tchad allait désormais entrer dans une ère nouvelle, celle d’une « démocratie réelle, pluraliste, garantissant toutes les libertés individuelles et collectives ». Une telle promesse devrait être accompagnée de meilleures conditions pour « une éducation pour tous » ; sachant que les partenaires étrangers bilatéraux et multilatéraux sont très sensibles à ces genres de credo, vous devriez œuvrer pour faire de l’éducation une responsabilité institutionnelle.
Mais à notre grande surprise, dès les premières années de votre accession à la magistrature suprême, les enseignants mécontents ont jeté les craies. On a assisté à la chute de l’école avec l’organisation d’un scenario qui favorisé le passage automatique en classe supérieure pour tous entre 1992-1993. Depuis lors, ils ne cessent de renouer avec cet amour, fruit de l’infidélité de votre système aux promesses faites à ces soldats de la craie. Ces grèves qui se multiplient et se poursuivent, mettent non seulement les agents de l’Etat (enseignants et administrateurs) en vacances, mais jettent dans la rue des écoliers, des collégiens, des lycéens et des étudiants. Du jour au lendemain, certains se convertissent en vendeurs ambulants, d’autres deviennent des servants dans les bars, les restaurants et les auberges, d’autres encore choisissent de faire le clando (transporteurs à moto). En période de grèves, certains élèvent et étudiants deviennent des délinquants urbains et d’autres embrassent le métier de fossoyeurs s’ils ne partagent pas la bière avec leurs enseignants dans les buvettes et les cabarets. A cause des grèves, nos filles sont victimes des grossesses non désirées ; nos adolescents sont kidnappés et exploités comme des enfants bouviers. Les médias à capitaux privés nous rapportent que nos enfants « esclaves », sont envoyés à des milliers de kilomètres, pour la garde des dromadaires, dans un pâturage ambulatoire, parmi des loups sous le regard hagard de leurs bourreaux. Sans que cette pratique digne de l’époque de l’esclavage et de l’apartheid n’émeuve les élus du peuple (Assemblée nationale) et l’Etat tchadien. A travers le Tchad profond, d’autres enfants, à cause de la fermeture des écoles sont soumis aux durs travaux. Vous avez fait le constat vous-même, le 10 novembre 2020 à Kemata (Sarh), lors de votre descente dans un champ de coton où travaillaient des enfants. « J’ai saisi cette opportunité pour échanger avec les paysans sur la question prégnante liée à l’éducation et à la scolarisation des filles. La place des enfants est à l’école », aviez-vous déclaré. Mais quelle école ? Sachez-le, ces enfants abandonnés à leur triste sort, qui s’offrent une éducation sans école constituent des bombes à retardement pour notre société de demain.
Maréchal du Tchad, l’école tchadienne est tombée en ruine et sur les cendres de ce Temple du savoir, veille des charognards qui festoient autour des cadavres de nos enfants qui ne sont plus que des petits Mozart assassinés. Nos établissements scolaires (primaire et secondaire) et universitaires sont devenues des champs de courses entre les écoliers, les collégiens, les étudiants et les éléments du Groupement mobile d’intervention de la police (GMIP). Quelques-uns dont l’étudiant Hassan Massing Daouda ont trouvé la mort dans ces courses poursuites en 2015. Les populations des quartiers riverains de nos établissements scolaires et campus universitaires sont non seulement témoins de cette violence policière (barbarie policière), mais les victimes collatérales : elles inhalent souvent les gaz lacrymogènes dont les conséquences seront fatales pour leur santé. Personne ne peut nier qu’avant la pandémie à coronavirus (Covid-19), le Tchad de la masse populaire revient de loin. « Tchad, notre bel enfer », tel est le titre du livre publié par M. Dobian Assingar, l’ancien président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme (LTDH).
« Cette énième grève va hypothéquer l’avenir de la jeunesse »
La grève illimitée qui vient d’être lancée le 11 janvier 2021 était prévisible ; car c’est depuis octobre 2020 que les grognes se faisaient entendre. Les travailleurs affiliés à la plateforme syndicale revendicative revendiquent le paiement de leur titre de transport triennal (2016 et 2019) accordé par le décret 567 du 31 juillet 2007 que vous avez signé vous-même. L’heure n’est plus au dialogue puisque les organisations syndicales disent avoir signé un protocole accord avec votre gouvernement le 09 janvier 2020 et qu’il était question d’honorer ce qui a été convenu au terme dudit protocole d’accord. Comme en 2018, les fonctionnaires désabusés viennent de fermer les établissements scolaires (primaire et secondaire), les universités, les bureaux ainsi que les hôpitaux (avec un service minimum). A cause de la mauvaise foi de votre gouvernement, cette nouvelle décrépitude et grogne grandissante vont paralyser tout le secteur public et auront des conséquences incalculables sur le secteur privé, sur l’économie nationale ainsi que sur la société tchadienne, hypothéquant, pour ainsi dire, l’avenir de la jeunesse.
Malgré votre message à la Nation du 31 décembre 2020, soutenant que « tous les points de l’accord sont traduits en actes », les organisations syndicales signataires du Protocole d’Accord du 09 janvier 2020 sont entrées en grève illimitée. Selon la Plateforme syndicale revendicative (UST-CIST-SYNECS-SYMET), la Confédération libre des travailleurs du Tchad (CLTT), la Plateforme syndicale pour le dialogue social (CST-CSTT), votre gouvernement n’a pas honoré son engagement au titre des augmentations générales et spécifiques (AGS), au titre des indemnités et primes, au titre de la levée de gel des effets financiers des avancements et reclassements et au titre des frais de transport. Selon les évaluations, la grève des travailleurs du secteur public est observée sur toute l’étendue du territoire national. Nous regrettons cette situation, car cette énième grève, selon la conclusion que nous faisions, va hypothéquer l’avenir de la jeunesse. Voilà pourquoi, nous sommes d’accord avec Souleymane Abdoulaye Adoum qui a écrit dans l’un de se livres que « dans les conditions actuelles, le système éducatif tchadien n’est pas en mesure d’assurer une formation efficiente aux jeunes dont l’ambition est de relever le défi ». Pour faire un peu d’histoire, Jean Chapelle a écrit dans son livre « Le peuple tchadien : ses racines et sa vie quotidienne » qu’au moment de son accession à l’indépendance, le Tchad avait un seul diplômé, licencié en droit ; il n’avait aucun bachelier avant 1962 et a eu 19 bacheliers en 1966. En 2020, sous le régime Mps, ce sont 33.712 jeunes qui ont obtenu le baccalauréat sur 87.500 candidats. C’est un progrès considérable par rapport à ce que nous connaissions jusqu’à la fin des années quatre-vingt. Mais avec les grèves perlées, les performances de notre système éducatif de ces 30 dernières années sont allées à vau-l’eau. Depuis l’organisation expresse de la seconde session du baccalauréat en septembre 1997 pour remettre en selle la première dame Zina Wazina Déby (le fameux bac dit Bac bonus), le baccalauréat tchadien n’a plus de valeur aux yeux de nos voisins et partenaires. On se demande s’il y a un désamour de votre régime pour la jeunesse tchadienne ? Si non, pourquoi acceptons-nous de supplanter son avenir à travers une éducation frelatée ?
« Ils n’ont pas assimilé le contenu des cours, mais passent en classe supérieure ! »
On se souvient, pour sauver l’année scolaire et académique 2019-2020, des stratégies et alternatives ont été proposées pour la reprise des cours, d’abord pour les classes d’examens et dans les universités. Par la suite, le ministère de l’éducation nationale et de la promotion civique a élaboré quatre scénarii en octobre 2020 pour valider les heures restantes de l’année scolaire 2019-2020. Mais ces scenarii n’ont pas donné des résultats probants. Plusieurs facteurs expliquent cet échec. Qu’à cela ne tienne, la rentrée scolaire 2020-2021 a été lancée en novembre 2020. L’enseignant-chercheur Djiramssem Thalès qui ne cesse de faire des analyses pertinentes à travers des articles de presse et des livres sur l’école tchadienne avait fait le constat suivant : « nous pensons que l’essentiel n’est pas d’organiser les examens, ni de valider une année du point de vue théorique. Il faut relever qu’il existe une logique, un ordre et une cohérence entre les cycles, les classes ou les niveaux. Ce qui suppose que si le programme d’une classe n’est pas exécuté dans sa totalité, l’élève accumulera des tares. Un élève de la classe de terminale qui n’a pas tout assimilé le contenu des cours de cette classe aura certainement des difficultés pour réussir dans les études supérieures au niveau de l’université par exemple. C’est pourquoi nous disons qu’il n’est pas seulement question de sauver une année mais de tenir compte de l’aspect d’acquisition du savoir. Telle est aussi une préoccupation pédagogique à en tenir compte dans l’application des scénarii proposés pour la reprise des activités pédagogiques ». En effet, dans les établissements (primaire et secondaire) publics du Tchad, les classes sont actuellement peuplées des élèves qui ont accumulé des tares. A l’allure où vont les choses, il faut s’attendre au pire à la prochaine reprise des classes : nos élèves et étudiants ne seront que des stupides et incultes, de véritables boétiens. Demain, on parlera sans doute d’un déficit éducationnel, d’une catastrophe éducative. A la limite, on peut dire que l’école tchadienne est en péril. Et comme l’a si bien écrit l’abbé Arcadius Sawadogo du Burkina Faso dans un rapport de l’Unicef intitulé Sos enfants (2019) « sans éducation, nos enfants ont devant eux un avenir de chômage et de pauvreté. C’est une catastrophe ».
« Tchad, mauvais élève de l’Afrique »
Les personnalités qui se sont succédé à la tête du département de l’éducation nationale ont toujours cherché à donner une bonne image de notre système éducatif. Ils parlent des reformes et présentent des bilans positifs assortis de chiffres erronés. Ce sont ces personnalités là qui empoisonnent notre système éducatif en verrouillant à partir de l’intérieur son épanouissement. En réalité, malgré les politiques éducatives (de 1962 à nos jours) et les différentes réformes, malgré les Etats généraux de l’éducation (1994), piloté par votre ancien ministre de l’éducation, M. Mahamat Ahmat Alhabo, rien n’a changé dans nos écoles. Le dernier rapport de l’Assemblée nationale sur le système éducatif montre à suffisance que l’école tchadienne est sous perfusion, victime d’une gamme de pathologie. Les élus du peuple qui ont sillonnent villes et villages du Tchad profond nous ont révélé que rien ne marche dans nos écoles. En plus de la baisse de niveau scolaire, le système éducatif tchadien, victime de nombreux maux, a du plomb dans l’aile. Voilà pourquoi, à travers une évaluation scientifique, la Banque mondial dans le cadre du Programme d’analyse des systèmes éducatifs (PASEC) n’a pas hésité à classer le Tchad parmi les mauvais élèves de l’Afrique francophone dont les résultats ne sont pas du tout reluisants. Pour la Banque mondiale, les séquelles des grèves ne font qu’amplifier les défis dans le secteur éducatif tchadien. Même s’il existe une différence notable entre les écoles publiques et privées, cela est loin de lever le défi principal qui se situe dans le renforcement des acquis scolaires. Lorsqu’on consulte les évaluations internationales dans le domaine de l’éducation, on découvre que le Tchad occupe toujours une place en queue de peloton dans la sous région Afrique francophone. C’est bien dommage ! Dès lors, la cérémonie de distinction des meilleurs bacheliers qu’organise chaque année votre épouse, Mme Hinda Déby Itno, n’est qu’un leurre. Dites-lui d’arrêter ces folklores pour permettre aux acteurs du système éducatif de prendre le taureau par les cornes. Les techniciens du département de l’éducation nationale, du Centre national des Curricula et les partenaires (Unesco) sont interpellés et doivent dire aux partisans de la Fondation Grand Cœur qu’au Tchad, on ne peut pas encore parler de l’excellence en milieu scolaire dans le secteur public. La démagogie n’a pas sa place dans le système éducatif.
« Respecter et appliquer la politique éducative »
Pour sauver notre école, vous devrez inviter les acteurs du système éducatif et leurs partenaires à lire la Loi n°16/PR/2006 du 13 mars 2006 portant orientation du système éducatif tchadien. Dès lors, ils comprendront que la suppression à partir de 2015 du CEPE et du concours d’entrée en 6ème au nom de la reforme est une erreur. La loi n°16 en terme de structuration du système éducatif formel a fondu l’enseignement primaire et le 1er cycle de l’enseignement secondaire pour former l’enseignement fondamental, mais les contenus sont les mêmes. Dès lors, pour consolider les acquis de l’enseignement fondamental, donner aux élèves de nouvelles connaissances dans les domaines fixés par les programmes de formation et les préparer à la formation secondaire et supérieure, le respect de la durée de chaque cycle et des volumes horaires de formation demeurent des conditions sine qua non. Ce qui veut dire que les passages obligatoires, la validation à la va vite des années scolaires et académiques sont à proscrire. L’article 80 de la loi n°16 stipule : « l’année scolaire pour les enseignements fondamental et secondaire a une durée de trente six (36) semaines, réparties en trois trimestres de douze semaines chacun. L’année universitaire comporte vingt cinq (25) semaines au moins, et trente six (36) semaines au plus, réparties en deux semaines ». Finalement, nous comprenons que le gouvernement de la République du Tchad a une politique éducative, mais elle n’est pas mise en application, depuis que les politiciens ont droit de cité dans les ministères en charge de l’éducation nationale.
« Le Tchad a besoin des Conseillers d’orientation et des Psychologues scolaires »
Dans le contexte actuel, il est nécessaire de doter notre système éducatif d’un service d’orientation scolaire bien organisé. Cette structure aura pour but de donner des ouvertures et des orientations aux élèves qui, malgré la formation au rabais, ont besoin d’opérer un choix pour leur avenir. Dans ce sens, l’Ecole normale supérieure (ENS) a déjà formé deux promotions. De même, depuis 2012, l’Université de N’Djaména à travers la Faculté des sciences de l’éducation a formé, elle aussi, deux promotions de Conseillers d’orientation. Ces quatre (04) promotions frappent, en vain, à la porte de la Fonction publique. Il faut donc saisir cette chance pour que ce vivier de conseillers qualifiés soit déployé dans les établissements secondaires et universités du pays pour aider les élèves à faire des choix judicieux. C’est de cette manière seulement que l’on pourra adapter l’école tchadienne la dynamique sociale, à travers des programmes d’éducation adaptés aux réalités socio-économiques et culturelles du Tchad. C’est une question de gouvernance de notre politique d’éducation.
« Telle société, telle école et vice versa »
Monsieur le Président de la République, nous ne pourrions terminer mon cri d’alarme sans évoquer l’esprit qui anime, de nos jours, les enseignants, les parents d’élèves et les apprenants. Tous sont victimes d’un phénomène qui mérite l’appellation de mercenariat intellectuel. En tant que premier éducateur tchadien, vous saviez que notre système éducatif compte dans ses rangs des brebis galeuses. Nous voulons parler ici des enseignants qui succombent à l’appât de la corruption. Ils sont nombreux dans nos établissements scolaires et universitaires. Ces derniers, combinent avec leurs élèves qui leur graissent les pattes et/ou leur cèdent les cuisses afin d’obtenir des résultats appréciables pour le passage en classe supérieure. Ils offrent des spectacles à chaque organisation des concours et examens. C’est d’ailleurs pour contrer cette tendance que l’Office national des examens et concours (ONECS) a instauré la carte biométrique pour les candidats au baccalauréat. La mentalité de la fraude ou de la corruption a gagné notre système éducatif et elle se trouve davantage renforcée par l’introduction de la téléphonie mobile dans notre société de consommation. Selon des enquêtes menées dans le milieu éducatif, des parents d’élèves s’en mêlent aussi à cette pratique pour favoriser et forcer la réussite de leurs enfants. Ce qui veut dire que cette société que vous avez soumis à une culture politique de sujétion a une emprise sur le système éducatif. Comme l’a si bien dit Karl Marx dans l’avant-propos à la Critique de l’économie politique « ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience ». Autrement dit, notre école est à l’image de notre société, une société gangrenée par la corruption, la fraude, le mensonge, le clientélisme, le népotisme, le tribalisme, le clivage, et que sais-je encore ? Rappelez-vous de l’affaire de marché fictif d’impression de manuels scolaires (marché 205) au ministère de l’éducation nationale impliquant deux anciens ministres (Limane Mahamat et Boukar Gana), de hauts cadres dont l’ancien Secrétaire général de la Présidence de la République, Haroun Kabadi et un député en cavale. Un exemple type de corruption, de gabegie et de détournement de fonds publics.
Cela dit, nous déduisons que ce qui se passe dans notre pays (dans nos familles, dans l’arène politique et dans les milieux professionnels) s’est fortement transposé dans notre système éducatif. L’attrait du gain facile, le déséquilibre social et la perte de personnalité nous conduisent à la pratique du mercenariat intellectuel au mépris de la déontologie. Notre système éducatif est déjà parti en sucette. Du coup, le Tchad aura de la peine à assurer à ses enfants une éducation transdisciplinaire allant de l’éducation environnementale, à l’éducation à la démocratie, aux droits de l’homme et à la santé (Referez-vous à la gestion hasardeuse de la pandémie de Covid-19, le non respect des mesures barrières pour la lutte contre le coronavirus).
« Pour une opération d’assainissement Coup de balai éducationnel»
Pour conjurer les maux du système éducatif, vous devrez déclarer une guerre sans merci à cette bourgeoisie de l’intelligence qui rôde autour de vous au Palais rose ainsi qu’aux ennemis du système éducatif. Il vous faut une opération d’assainissement du genre « Coup de balai éducationnel». Sans cela, la société tchadienne et notre administration publique de demain seront peuplées de grands corrupteurs et des mercenaires intellectuels. Mais n’oubliez pas que la solution à tous ces maux passe par le relèvement du niveau de vie des Tchadiens. Donnez aux travailleurs du secteur public ce qu’ils méritent et vous verrez qu’il y aura moins de fraudeurs et de voleurs dans l’administration publique et en milieu scolaire. Il en va de l’avenir de votre régime qui est en passe de briquer un sixième mandat. L’Occident a fait de vous le bouclier de la lutte contre le terrorisme, mais sachez que c’est par l’éducation seulement que l’on peut arriver au bout des jihadistes. Victor Hugo l’a dit « l’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde ».
Maréchal du Tchad, nous vous disons tout cela, au nom de cette jeunesse qui peine à lever les yeux pour voir resplendir l’Avenir. L’urgence est là. L’ouvrage « Eduquer ou périr » publié par Joseph Ki-Zerbo en 1990, nous fait comprendre que l’éducation doit être au centre des préoccupations des gouvernants. C’est un défi majeur lorsqu’on sait que notre Constitution même considère l’éducation à la fois comme un droit et un devoir pour tous. Soyez à l’écoute du peuple et le Ciel vous bénira. Que Dieu éloigne la jeunesse du mal et porte son regard sur le Tchad.
Déli Sainzoumi Nestor,
Ancien directeur de publication du journal Eclairages et Auteur.
Notre pays le Tchad, la terre de Toumaï qui se veut d’être le berceau de l’humanité peine à avoir un service d’éducation dynamique, égalitaire et républicaine. A ce jour, les indicateurs nous autorisent à dire que rien ne marche et que notre système éducatif n’est pas performant. A défaut de la mise en œuvre de la politique du gouvernement dans le domaine de l’éducation, nous vivons au rythme des grèves perlées depuis plus de 25 ans. A titre illustratif, au moment où nous écrivons ces lignes, les salles des classes sont fermées. Pourtant, sous d’autres cieux, les décideurs sont convaincus et croient fermement avec John Dewey qu’ « après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple » et qu’une bonne éducation est le plus grand bien que nous puissions laisser à la génération future (Laurent Bordelon).
Nous avons la certitude que vous partagez ces opinions, car dans votre communication d’investiture du 08 août 2016, vous avez fait une déclaration séduisante, une promesse selon laquelle le Maréchal du Tchad est déterminé à apporter des réponses appropriées aux préoccupations de la jeunesse tchadienne. « Jeunesses Tchadiennes, vous offrir une éducation et une formation de qualité, du primaire au supérieur, est la condition première d’un plein épanouissement personnel. Mais c’est également, le plus sûr investissement que nous pourrons faire pour l’avenir de notre pays » (dixit Idriss Déby Itno). Cinq ans après, aux derniers jours de votre quinquennat, le train avance sans que rien ne bouge. Les efforts de votre gouvernement et ceux des partenaires au développement n’ont pas inversé la tendance actuelle. Pourtant, il suffit de mettre en œuvre la nouvelle politique éducative pour renverser la vapeur. Oui, il le faut pour sortir l’école tchadienne du péril. Vous conviendrez avec Jean-Jacques Rousseau que « la meilleure solution pour préparer le futur est une bonne éducation ».
« L’école tchadienne est en ruine, victime des grèves illimitées »
Il y a de cela 30 ans, le 04 mars 1991, vous avez prononcé un discours démocratique, nous faisant croire que le Tchad allait désormais entrer dans une ère nouvelle, celle d’une « démocratie réelle, pluraliste, garantissant toutes les libertés individuelles et collectives ». Une telle promesse devrait être accompagnée de meilleures conditions pour « une éducation pour tous » ; sachant que les partenaires étrangers bilatéraux et multilatéraux sont très sensibles à ces genres de credo, vous devriez œuvrer pour faire de l’éducation une responsabilité institutionnelle.
Mais à notre grande surprise, dès les premières années de votre accession à la magistrature suprême, les enseignants mécontents ont jeté les craies. On a assisté à la chute de l’école avec l’organisation d’un scenario qui favorisé le passage automatique en classe supérieure pour tous entre 1992-1993. Depuis lors, ils ne cessent de renouer avec cet amour, fruit de l’infidélité de votre système aux promesses faites à ces soldats de la craie. Ces grèves qui se multiplient et se poursuivent, mettent non seulement les agents de l’Etat (enseignants et administrateurs) en vacances, mais jettent dans la rue des écoliers, des collégiens, des lycéens et des étudiants. Du jour au lendemain, certains se convertissent en vendeurs ambulants, d’autres deviennent des servants dans les bars, les restaurants et les auberges, d’autres encore choisissent de faire le clando (transporteurs à moto). En période de grèves, certains élèvent et étudiants deviennent des délinquants urbains et d’autres embrassent le métier de fossoyeurs s’ils ne partagent pas la bière avec leurs enseignants dans les buvettes et les cabarets. A cause des grèves, nos filles sont victimes des grossesses non désirées ; nos adolescents sont kidnappés et exploités comme des enfants bouviers. Les médias à capitaux privés nous rapportent que nos enfants « esclaves », sont envoyés à des milliers de kilomètres, pour la garde des dromadaires, dans un pâturage ambulatoire, parmi des loups sous le regard hagard de leurs bourreaux. Sans que cette pratique digne de l’époque de l’esclavage et de l’apartheid n’émeuve les élus du peuple (Assemblée nationale) et l’Etat tchadien. A travers le Tchad profond, d’autres enfants, à cause de la fermeture des écoles sont soumis aux durs travaux. Vous avez fait le constat vous-même, le 10 novembre 2020 à Kemata (Sarh), lors de votre descente dans un champ de coton où travaillaient des enfants. « J’ai saisi cette opportunité pour échanger avec les paysans sur la question prégnante liée à l’éducation et à la scolarisation des filles. La place des enfants est à l’école », aviez-vous déclaré. Mais quelle école ? Sachez-le, ces enfants abandonnés à leur triste sort, qui s’offrent une éducation sans école constituent des bombes à retardement pour notre société de demain.
Maréchal du Tchad, l’école tchadienne est tombée en ruine et sur les cendres de ce Temple du savoir, veille des charognards qui festoient autour des cadavres de nos enfants qui ne sont plus que des petits Mozart assassinés. Nos établissements scolaires (primaire et secondaire) et universitaires sont devenues des champs de courses entre les écoliers, les collégiens, les étudiants et les éléments du Groupement mobile d’intervention de la police (GMIP). Quelques-uns dont l’étudiant Hassan Massing Daouda ont trouvé la mort dans ces courses poursuites en 2015. Les populations des quartiers riverains de nos établissements scolaires et campus universitaires sont non seulement témoins de cette violence policière (barbarie policière), mais les victimes collatérales : elles inhalent souvent les gaz lacrymogènes dont les conséquences seront fatales pour leur santé. Personne ne peut nier qu’avant la pandémie à coronavirus (Covid-19), le Tchad de la masse populaire revient de loin. « Tchad, notre bel enfer », tel est le titre du livre publié par M. Dobian Assingar, l’ancien président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme (LTDH).
« Cette énième grève va hypothéquer l’avenir de la jeunesse »
La grève illimitée qui vient d’être lancée le 11 janvier 2021 était prévisible ; car c’est depuis octobre 2020 que les grognes se faisaient entendre. Les travailleurs affiliés à la plateforme syndicale revendicative revendiquent le paiement de leur titre de transport triennal (2016 et 2019) accordé par le décret 567 du 31 juillet 2007 que vous avez signé vous-même. L’heure n’est plus au dialogue puisque les organisations syndicales disent avoir signé un protocole accord avec votre gouvernement le 09 janvier 2020 et qu’il était question d’honorer ce qui a été convenu au terme dudit protocole d’accord. Comme en 2018, les fonctionnaires désabusés viennent de fermer les établissements scolaires (primaire et secondaire), les universités, les bureaux ainsi que les hôpitaux (avec un service minimum). A cause de la mauvaise foi de votre gouvernement, cette nouvelle décrépitude et grogne grandissante vont paralyser tout le secteur public et auront des conséquences incalculables sur le secteur privé, sur l’économie nationale ainsi que sur la société tchadienne, hypothéquant, pour ainsi dire, l’avenir de la jeunesse.
Malgré votre message à la Nation du 31 décembre 2020, soutenant que « tous les points de l’accord sont traduits en actes », les organisations syndicales signataires du Protocole d’Accord du 09 janvier 2020 sont entrées en grève illimitée. Selon la Plateforme syndicale revendicative (UST-CIST-SYNECS-SYMET), la Confédération libre des travailleurs du Tchad (CLTT), la Plateforme syndicale pour le dialogue social (CST-CSTT), votre gouvernement n’a pas honoré son engagement au titre des augmentations générales et spécifiques (AGS), au titre des indemnités et primes, au titre de la levée de gel des effets financiers des avancements et reclassements et au titre des frais de transport. Selon les évaluations, la grève des travailleurs du secteur public est observée sur toute l’étendue du territoire national. Nous regrettons cette situation, car cette énième grève, selon la conclusion que nous faisions, va hypothéquer l’avenir de la jeunesse. Voilà pourquoi, nous sommes d’accord avec Souleymane Abdoulaye Adoum qui a écrit dans l’un de se livres que « dans les conditions actuelles, le système éducatif tchadien n’est pas en mesure d’assurer une formation efficiente aux jeunes dont l’ambition est de relever le défi ». Pour faire un peu d’histoire, Jean Chapelle a écrit dans son livre « Le peuple tchadien : ses racines et sa vie quotidienne » qu’au moment de son accession à l’indépendance, le Tchad avait un seul diplômé, licencié en droit ; il n’avait aucun bachelier avant 1962 et a eu 19 bacheliers en 1966. En 2020, sous le régime Mps, ce sont 33.712 jeunes qui ont obtenu le baccalauréat sur 87.500 candidats. C’est un progrès considérable par rapport à ce que nous connaissions jusqu’à la fin des années quatre-vingt. Mais avec les grèves perlées, les performances de notre système éducatif de ces 30 dernières années sont allées à vau-l’eau. Depuis l’organisation expresse de la seconde session du baccalauréat en septembre 1997 pour remettre en selle la première dame Zina Wazina Déby (le fameux bac dit Bac bonus), le baccalauréat tchadien n’a plus de valeur aux yeux de nos voisins et partenaires. On se demande s’il y a un désamour de votre régime pour la jeunesse tchadienne ? Si non, pourquoi acceptons-nous de supplanter son avenir à travers une éducation frelatée ?
« Ils n’ont pas assimilé le contenu des cours, mais passent en classe supérieure ! »
On se souvient, pour sauver l’année scolaire et académique 2019-2020, des stratégies et alternatives ont été proposées pour la reprise des cours, d’abord pour les classes d’examens et dans les universités. Par la suite, le ministère de l’éducation nationale et de la promotion civique a élaboré quatre scénarii en octobre 2020 pour valider les heures restantes de l’année scolaire 2019-2020. Mais ces scenarii n’ont pas donné des résultats probants. Plusieurs facteurs expliquent cet échec. Qu’à cela ne tienne, la rentrée scolaire 2020-2021 a été lancée en novembre 2020. L’enseignant-chercheur Djiramssem Thalès qui ne cesse de faire des analyses pertinentes à travers des articles de presse et des livres sur l’école tchadienne avait fait le constat suivant : « nous pensons que l’essentiel n’est pas d’organiser les examens, ni de valider une année du point de vue théorique. Il faut relever qu’il existe une logique, un ordre et une cohérence entre les cycles, les classes ou les niveaux. Ce qui suppose que si le programme d’une classe n’est pas exécuté dans sa totalité, l’élève accumulera des tares. Un élève de la classe de terminale qui n’a pas tout assimilé le contenu des cours de cette classe aura certainement des difficultés pour réussir dans les études supérieures au niveau de l’université par exemple. C’est pourquoi nous disons qu’il n’est pas seulement question de sauver une année mais de tenir compte de l’aspect d’acquisition du savoir. Telle est aussi une préoccupation pédagogique à en tenir compte dans l’application des scénarii proposés pour la reprise des activités pédagogiques ». En effet, dans les établissements (primaire et secondaire) publics du Tchad, les classes sont actuellement peuplées des élèves qui ont accumulé des tares. A l’allure où vont les choses, il faut s’attendre au pire à la prochaine reprise des classes : nos élèves et étudiants ne seront que des stupides et incultes, de véritables boétiens. Demain, on parlera sans doute d’un déficit éducationnel, d’une catastrophe éducative. A la limite, on peut dire que l’école tchadienne est en péril. Et comme l’a si bien écrit l’abbé Arcadius Sawadogo du Burkina Faso dans un rapport de l’Unicef intitulé Sos enfants (2019) « sans éducation, nos enfants ont devant eux un avenir de chômage et de pauvreté. C’est une catastrophe ».
« Tchad, mauvais élève de l’Afrique »
Les personnalités qui se sont succédé à la tête du département de l’éducation nationale ont toujours cherché à donner une bonne image de notre système éducatif. Ils parlent des reformes et présentent des bilans positifs assortis de chiffres erronés. Ce sont ces personnalités là qui empoisonnent notre système éducatif en verrouillant à partir de l’intérieur son épanouissement. En réalité, malgré les politiques éducatives (de 1962 à nos jours) et les différentes réformes, malgré les Etats généraux de l’éducation (1994), piloté par votre ancien ministre de l’éducation, M. Mahamat Ahmat Alhabo, rien n’a changé dans nos écoles. Le dernier rapport de l’Assemblée nationale sur le système éducatif montre à suffisance que l’école tchadienne est sous perfusion, victime d’une gamme de pathologie. Les élus du peuple qui ont sillonnent villes et villages du Tchad profond nous ont révélé que rien ne marche dans nos écoles. En plus de la baisse de niveau scolaire, le système éducatif tchadien, victime de nombreux maux, a du plomb dans l’aile. Voilà pourquoi, à travers une évaluation scientifique, la Banque mondial dans le cadre du Programme d’analyse des systèmes éducatifs (PASEC) n’a pas hésité à classer le Tchad parmi les mauvais élèves de l’Afrique francophone dont les résultats ne sont pas du tout reluisants. Pour la Banque mondiale, les séquelles des grèves ne font qu’amplifier les défis dans le secteur éducatif tchadien. Même s’il existe une différence notable entre les écoles publiques et privées, cela est loin de lever le défi principal qui se situe dans le renforcement des acquis scolaires. Lorsqu’on consulte les évaluations internationales dans le domaine de l’éducation, on découvre que le Tchad occupe toujours une place en queue de peloton dans la sous région Afrique francophone. C’est bien dommage ! Dès lors, la cérémonie de distinction des meilleurs bacheliers qu’organise chaque année votre épouse, Mme Hinda Déby Itno, n’est qu’un leurre. Dites-lui d’arrêter ces folklores pour permettre aux acteurs du système éducatif de prendre le taureau par les cornes. Les techniciens du département de l’éducation nationale, du Centre national des Curricula et les partenaires (Unesco) sont interpellés et doivent dire aux partisans de la Fondation Grand Cœur qu’au Tchad, on ne peut pas encore parler de l’excellence en milieu scolaire dans le secteur public. La démagogie n’a pas sa place dans le système éducatif.
« Respecter et appliquer la politique éducative »
Pour sauver notre école, vous devrez inviter les acteurs du système éducatif et leurs partenaires à lire la Loi n°16/PR/2006 du 13 mars 2006 portant orientation du système éducatif tchadien. Dès lors, ils comprendront que la suppression à partir de 2015 du CEPE et du concours d’entrée en 6ème au nom de la reforme est une erreur. La loi n°16 en terme de structuration du système éducatif formel a fondu l’enseignement primaire et le 1er cycle de l’enseignement secondaire pour former l’enseignement fondamental, mais les contenus sont les mêmes. Dès lors, pour consolider les acquis de l’enseignement fondamental, donner aux élèves de nouvelles connaissances dans les domaines fixés par les programmes de formation et les préparer à la formation secondaire et supérieure, le respect de la durée de chaque cycle et des volumes horaires de formation demeurent des conditions sine qua non. Ce qui veut dire que les passages obligatoires, la validation à la va vite des années scolaires et académiques sont à proscrire. L’article 80 de la loi n°16 stipule : « l’année scolaire pour les enseignements fondamental et secondaire a une durée de trente six (36) semaines, réparties en trois trimestres de douze semaines chacun. L’année universitaire comporte vingt cinq (25) semaines au moins, et trente six (36) semaines au plus, réparties en deux semaines ». Finalement, nous comprenons que le gouvernement de la République du Tchad a une politique éducative, mais elle n’est pas mise en application, depuis que les politiciens ont droit de cité dans les ministères en charge de l’éducation nationale.
« Le Tchad a besoin des Conseillers d’orientation et des Psychologues scolaires »
Dans le contexte actuel, il est nécessaire de doter notre système éducatif d’un service d’orientation scolaire bien organisé. Cette structure aura pour but de donner des ouvertures et des orientations aux élèves qui, malgré la formation au rabais, ont besoin d’opérer un choix pour leur avenir. Dans ce sens, l’Ecole normale supérieure (ENS) a déjà formé deux promotions. De même, depuis 2012, l’Université de N’Djaména à travers la Faculté des sciences de l’éducation a formé, elle aussi, deux promotions de Conseillers d’orientation. Ces quatre (04) promotions frappent, en vain, à la porte de la Fonction publique. Il faut donc saisir cette chance pour que ce vivier de conseillers qualifiés soit déployé dans les établissements secondaires et universités du pays pour aider les élèves à faire des choix judicieux. C’est de cette manière seulement que l’on pourra adapter l’école tchadienne la dynamique sociale, à travers des programmes d’éducation adaptés aux réalités socio-économiques et culturelles du Tchad. C’est une question de gouvernance de notre politique d’éducation.
« Telle société, telle école et vice versa »
Monsieur le Président de la République, nous ne pourrions terminer mon cri d’alarme sans évoquer l’esprit qui anime, de nos jours, les enseignants, les parents d’élèves et les apprenants. Tous sont victimes d’un phénomène qui mérite l’appellation de mercenariat intellectuel. En tant que premier éducateur tchadien, vous saviez que notre système éducatif compte dans ses rangs des brebis galeuses. Nous voulons parler ici des enseignants qui succombent à l’appât de la corruption. Ils sont nombreux dans nos établissements scolaires et universitaires. Ces derniers, combinent avec leurs élèves qui leur graissent les pattes et/ou leur cèdent les cuisses afin d’obtenir des résultats appréciables pour le passage en classe supérieure. Ils offrent des spectacles à chaque organisation des concours et examens. C’est d’ailleurs pour contrer cette tendance que l’Office national des examens et concours (ONECS) a instauré la carte biométrique pour les candidats au baccalauréat. La mentalité de la fraude ou de la corruption a gagné notre système éducatif et elle se trouve davantage renforcée par l’introduction de la téléphonie mobile dans notre société de consommation. Selon des enquêtes menées dans le milieu éducatif, des parents d’élèves s’en mêlent aussi à cette pratique pour favoriser et forcer la réussite de leurs enfants. Ce qui veut dire que cette société que vous avez soumis à une culture politique de sujétion a une emprise sur le système éducatif. Comme l’a si bien dit Karl Marx dans l’avant-propos à la Critique de l’économie politique « ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience ». Autrement dit, notre école est à l’image de notre société, une société gangrenée par la corruption, la fraude, le mensonge, le clientélisme, le népotisme, le tribalisme, le clivage, et que sais-je encore ? Rappelez-vous de l’affaire de marché fictif d’impression de manuels scolaires (marché 205) au ministère de l’éducation nationale impliquant deux anciens ministres (Limane Mahamat et Boukar Gana), de hauts cadres dont l’ancien Secrétaire général de la Présidence de la République, Haroun Kabadi et un député en cavale. Un exemple type de corruption, de gabegie et de détournement de fonds publics.
Cela dit, nous déduisons que ce qui se passe dans notre pays (dans nos familles, dans l’arène politique et dans les milieux professionnels) s’est fortement transposé dans notre système éducatif. L’attrait du gain facile, le déséquilibre social et la perte de personnalité nous conduisent à la pratique du mercenariat intellectuel au mépris de la déontologie. Notre système éducatif est déjà parti en sucette. Du coup, le Tchad aura de la peine à assurer à ses enfants une éducation transdisciplinaire allant de l’éducation environnementale, à l’éducation à la démocratie, aux droits de l’homme et à la santé (Referez-vous à la gestion hasardeuse de la pandémie de Covid-19, le non respect des mesures barrières pour la lutte contre le coronavirus).
« Pour une opération d’assainissement Coup de balai éducationnel»
Pour conjurer les maux du système éducatif, vous devrez déclarer une guerre sans merci à cette bourgeoisie de l’intelligence qui rôde autour de vous au Palais rose ainsi qu’aux ennemis du système éducatif. Il vous faut une opération d’assainissement du genre « Coup de balai éducationnel». Sans cela, la société tchadienne et notre administration publique de demain seront peuplées de grands corrupteurs et des mercenaires intellectuels. Mais n’oubliez pas que la solution à tous ces maux passe par le relèvement du niveau de vie des Tchadiens. Donnez aux travailleurs du secteur public ce qu’ils méritent et vous verrez qu’il y aura moins de fraudeurs et de voleurs dans l’administration publique et en milieu scolaire. Il en va de l’avenir de votre régime qui est en passe de briquer un sixième mandat. L’Occident a fait de vous le bouclier de la lutte contre le terrorisme, mais sachez que c’est par l’éducation seulement que l’on peut arriver au bout des jihadistes. Victor Hugo l’a dit « l’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde ».
Maréchal du Tchad, nous vous disons tout cela, au nom de cette jeunesse qui peine à lever les yeux pour voir resplendir l’Avenir. L’urgence est là. L’ouvrage « Eduquer ou périr » publié par Joseph Ki-Zerbo en 1990, nous fait comprendre que l’éducation doit être au centre des préoccupations des gouvernants. C’est un défi majeur lorsqu’on sait que notre Constitution même considère l’éducation à la fois comme un droit et un devoir pour tous. Soyez à l’écoute du peuple et le Ciel vous bénira. Que Dieu éloigne la jeunesse du mal et porte son regard sur le Tchad.
Déli Sainzoumi Nestor,
Ancien directeur de publication du journal Eclairages et Auteur.