En 1996, le deuxième tour de l’élection présidentielle a révélé les deux plus grandes forces politiques au Tchad : le MPS de DEBY et ses alliés et l’URD de KAMOUGUE. Les élections législatives de 1997 ont confirmé cette réalité en donnant au parti MPS de DEBY et ses alliés 69 Députés et au parti URD de KAMOUGUE 29, soit 98 pour les deux réunis sur les 125 Députés que comptait l’Assemblée Nationale. Les 27 restants étaient répartis entre la dizaine de partis politiques représentés à l’Assemblée Nationale.
La grandeur de vue politique de DEBY à l’époque, ainsi que sa volonté de stabiliser le climat politique qu’il a contribué à apaiser après les évènements politico-militaires qui ont déchiré la société tchadienne, a rencontré la qualité d’homme d’Etat de KAMOUGUE qui représentait véritablement un électorat qui lui était totalement politiquement acquis. D’où la mise en œuvre de ce que l’on avait appelé à l’époque la « Démocratie Consensuelle et Participative (DCP) » des années 1996-2001. C’était une sorte d’exercice commun du pouvoir, associant la majorité au pouvoir représentée par le Président de la République (DEBY) et la minorité de l’opposition représentée par le Président de l’Assemblée Nationale (KAMOUGUE), deuxième personnalité de l’Etat. Malgré la majorité absolue du parti de DEBY (le MPS) à l’Assemblée Nationale, l’intérêt supérieur de la Nation en construction avait primé sur toute autre considération. La majorité au pouvoir avait donc accepté volontiers de céder le perchoir à la minorité de l’opposition. La mise en œuvre de la DCP a eu le mérite de stabiliser le contexte politique et permettre un fonctionnement sans accrocs des différentes Institutions de la République pendant toute la durée de la première législature. Je l’affirme aujourd’hui pour avoir eu l’honneur et la fierté d’avoir été acteur de la DCP, tant dans sa conception que tout au long de sa mise en œuvre, mais aussi pour avoir connu les deux grands hommes qui l’avait animée, militaires de carrière, Officiers Supérieurs qui plus est, connaissant parfaitement les réalités sociopolitiques du pays. N’eût été les faucons de la majorité au pouvoir qui avaient eu le dessus sur ses colombes vers la fin de la première législature, les tchadiens ne seraient pas en train encore de chercher des solutions pour sortir du cycle de violence politique.
Ce que l’on observe en ce moment sur la scène politique, après le retour de Succès MASRA au pays et l’amnistie générale, présage-t-il un remake du scénario politique du Tchad des années 1996-2001 ?
Il n’est pas besoin d’être un observateur particulièrement attentif pour constater le changement de comportement de MASRA. En effet, depuis son retour au pays, MASRA ne parle plus de division mais plutôt d’unité et de réconciliation nationale ; non pas de boycott mais de participation de son parti à la Transition. Il a d’abord joué subtilement en n’appelant pas au « non » ou au boycott au référendum constitutionnel pour ne pas déranger ses partenaires à l’accord de principe qui a permis son retour. Il n’a pas appelé au « oui » non plus pour ne pas apparaitre aux yeux de ses partisans comme étant « rentré dans les rangs ». Le pouvoir de Transition, quant à lui, observe sans souci apparent. MASRA n’a finalement appelé au « oui » qu’après avoir mesuré sa force politique après son retour, prenant ainsi beaucoup de ses adversaires politiques de court. Ce faisant, il espère récupérer le « oui » massif qui serait le résultat de son appel et en même temps se positionner pour les échéances futures.
Tout se passe comme si l’accord de principe n’est qu’une étape dans un processus devant aboutir à un scénario semblable à celui des années 1996-2001. D’autant que le pouvoir de Transition, qui a lui aussi intérêt à solder les évènements du 20 octobre 2022 par la levée du mandat d’arrêt international contre MASRA et l’amnistie générale, pourrait légitimement penser tirer avantage de cette accalmie.
Ce que l’on observe en ce moment à la suite du retour de MASRA délivre plusieurs messages : les évènements du 20 octobre 2022 n’ont pas cassé la dynamique de masse qui constitue la base politique de MASRA, au contraire ; sa position politique n’est donc pas fragilisée, au contraire ; ce n’est plus l'homme qui parlait cru comme le laisse entrevoir son livre « Tchad, éloge des lumières obscures : du sacre des cancres à la dynastie des pillards psychopathes », mais c’est plutôt en homme politique de dimension nationale qu’il s’affiche ; tous ceux que la géostratégie du Tchad intéresse doivent compter avec MASRA. A la différence de KAMOUGUE à l’époque, MASRA, qui a presque mûri, a aujourd’hui des arguments politiques, économiques, géostratégiques et de communication à faire valoir à qui voudrait traiter avec lui. Il pourrait se gargariser de tous ses atouts et nourrir des ambitions nationales, somme toute légitimes, qui pourraient rendre plus compliquée l’étape suivante de l’accord de principe, si celle-ci était prévue. D’autant que MASRA et ses partisans clament à qui veut l’entendre que son retour et l’amnistie générale ne sont intervenus que sur simple accord de principe « ce n’est qu’un accord de principe », voulant sans doute signifier que MASRA n’est pas « ligoté » par l’accord de principe et que tout reste ouvert.
Nonobstant les calculs politiques des uns et des autres, je crois que l’accord de principe ayant permis le retour de MASRA et l’amnistie générale a été d’une haute importance pour le Tchad et le peuple tchadien dans son ensemble : il a d’abord contribué à la décrispation du climat politique actuel avec l’adoption probable et sans bruit de la Constitution qui arrange tout les camps, notamment celui de MASRA qui semble désormais unioniste ; il a ensuite permis de penser que la bataille pour les changements qualitatifs de gouvernance du pays sera désormais nationale ; il a enfin permis de montrer qu’il est possible de revendiquer - et d’obtenir- pacifiquement ces changements qualitatifs de gouvernance au Tchad.
Sans verser dans un optimisme aveugle, je crois que le contexte politique actuel constitue une opportunité à saisir par l’ensemble des acteurs politiques, notamment les partenaires de l’accord de principe, afin de négocier, non pas seulement une DCP, mais une sortie honorable de crise politique dans l’intérêt bien compris de toutes les composantes de la société tchadienne.
Parlant aux dirigeants des pays occidentaux qui doutaient de la sincérité du Président de l’Union Soviétique Michael GORBATCHEV quand il avait annoncé la Perestroïka à la fin des années 1980, le Président français François MITTERAND avait dit en substance : « Faisons comme s’il était sincère ». Les tchadiens doivent aussi faire comme si les partenaires à l’accord de principe étaient sincères !
Au pouvoir de Transition, qui a la responsabilité première de la gestion du pays, de se doter des ressources intellectuelles et morales nécessaires pour analyser puis tirer les leçons de ce tournant historique afin de sortir définitivement le Tchad du cycle de violence politique qui le caractérise depuis son indépendance.
Dr Mahamat Ahmat Abdéraman
Ancien Député (1997-2002)
[email protected]
La grandeur de vue politique de DEBY à l’époque, ainsi que sa volonté de stabiliser le climat politique qu’il a contribué à apaiser après les évènements politico-militaires qui ont déchiré la société tchadienne, a rencontré la qualité d’homme d’Etat de KAMOUGUE qui représentait véritablement un électorat qui lui était totalement politiquement acquis. D’où la mise en œuvre de ce que l’on avait appelé à l’époque la « Démocratie Consensuelle et Participative (DCP) » des années 1996-2001. C’était une sorte d’exercice commun du pouvoir, associant la majorité au pouvoir représentée par le Président de la République (DEBY) et la minorité de l’opposition représentée par le Président de l’Assemblée Nationale (KAMOUGUE), deuxième personnalité de l’Etat. Malgré la majorité absolue du parti de DEBY (le MPS) à l’Assemblée Nationale, l’intérêt supérieur de la Nation en construction avait primé sur toute autre considération. La majorité au pouvoir avait donc accepté volontiers de céder le perchoir à la minorité de l’opposition. La mise en œuvre de la DCP a eu le mérite de stabiliser le contexte politique et permettre un fonctionnement sans accrocs des différentes Institutions de la République pendant toute la durée de la première législature. Je l’affirme aujourd’hui pour avoir eu l’honneur et la fierté d’avoir été acteur de la DCP, tant dans sa conception que tout au long de sa mise en œuvre, mais aussi pour avoir connu les deux grands hommes qui l’avait animée, militaires de carrière, Officiers Supérieurs qui plus est, connaissant parfaitement les réalités sociopolitiques du pays. N’eût été les faucons de la majorité au pouvoir qui avaient eu le dessus sur ses colombes vers la fin de la première législature, les tchadiens ne seraient pas en train encore de chercher des solutions pour sortir du cycle de violence politique.
Ce que l’on observe en ce moment sur la scène politique, après le retour de Succès MASRA au pays et l’amnistie générale, présage-t-il un remake du scénario politique du Tchad des années 1996-2001 ?
Il n’est pas besoin d’être un observateur particulièrement attentif pour constater le changement de comportement de MASRA. En effet, depuis son retour au pays, MASRA ne parle plus de division mais plutôt d’unité et de réconciliation nationale ; non pas de boycott mais de participation de son parti à la Transition. Il a d’abord joué subtilement en n’appelant pas au « non » ou au boycott au référendum constitutionnel pour ne pas déranger ses partenaires à l’accord de principe qui a permis son retour. Il n’a pas appelé au « oui » non plus pour ne pas apparaitre aux yeux de ses partisans comme étant « rentré dans les rangs ». Le pouvoir de Transition, quant à lui, observe sans souci apparent. MASRA n’a finalement appelé au « oui » qu’après avoir mesuré sa force politique après son retour, prenant ainsi beaucoup de ses adversaires politiques de court. Ce faisant, il espère récupérer le « oui » massif qui serait le résultat de son appel et en même temps se positionner pour les échéances futures.
Tout se passe comme si l’accord de principe n’est qu’une étape dans un processus devant aboutir à un scénario semblable à celui des années 1996-2001. D’autant que le pouvoir de Transition, qui a lui aussi intérêt à solder les évènements du 20 octobre 2022 par la levée du mandat d’arrêt international contre MASRA et l’amnistie générale, pourrait légitimement penser tirer avantage de cette accalmie.
Ce que l’on observe en ce moment à la suite du retour de MASRA délivre plusieurs messages : les évènements du 20 octobre 2022 n’ont pas cassé la dynamique de masse qui constitue la base politique de MASRA, au contraire ; sa position politique n’est donc pas fragilisée, au contraire ; ce n’est plus l'homme qui parlait cru comme le laisse entrevoir son livre « Tchad, éloge des lumières obscures : du sacre des cancres à la dynastie des pillards psychopathes », mais c’est plutôt en homme politique de dimension nationale qu’il s’affiche ; tous ceux que la géostratégie du Tchad intéresse doivent compter avec MASRA. A la différence de KAMOUGUE à l’époque, MASRA, qui a presque mûri, a aujourd’hui des arguments politiques, économiques, géostratégiques et de communication à faire valoir à qui voudrait traiter avec lui. Il pourrait se gargariser de tous ses atouts et nourrir des ambitions nationales, somme toute légitimes, qui pourraient rendre plus compliquée l’étape suivante de l’accord de principe, si celle-ci était prévue. D’autant que MASRA et ses partisans clament à qui veut l’entendre que son retour et l’amnistie générale ne sont intervenus que sur simple accord de principe « ce n’est qu’un accord de principe », voulant sans doute signifier que MASRA n’est pas « ligoté » par l’accord de principe et que tout reste ouvert.
Nonobstant les calculs politiques des uns et des autres, je crois que l’accord de principe ayant permis le retour de MASRA et l’amnistie générale a été d’une haute importance pour le Tchad et le peuple tchadien dans son ensemble : il a d’abord contribué à la décrispation du climat politique actuel avec l’adoption probable et sans bruit de la Constitution qui arrange tout les camps, notamment celui de MASRA qui semble désormais unioniste ; il a ensuite permis de penser que la bataille pour les changements qualitatifs de gouvernance du pays sera désormais nationale ; il a enfin permis de montrer qu’il est possible de revendiquer - et d’obtenir- pacifiquement ces changements qualitatifs de gouvernance au Tchad.
Sans verser dans un optimisme aveugle, je crois que le contexte politique actuel constitue une opportunité à saisir par l’ensemble des acteurs politiques, notamment les partenaires de l’accord de principe, afin de négocier, non pas seulement une DCP, mais une sortie honorable de crise politique dans l’intérêt bien compris de toutes les composantes de la société tchadienne.
Parlant aux dirigeants des pays occidentaux qui doutaient de la sincérité du Président de l’Union Soviétique Michael GORBATCHEV quand il avait annoncé la Perestroïka à la fin des années 1980, le Président français François MITTERAND avait dit en substance : « Faisons comme s’il était sincère ». Les tchadiens doivent aussi faire comme si les partenaires à l’accord de principe étaient sincères !
Au pouvoir de Transition, qui a la responsabilité première de la gestion du pays, de se doter des ressources intellectuelles et morales nécessaires pour analyser puis tirer les leçons de ce tournant historique afin de sortir définitivement le Tchad du cycle de violence politique qui le caractérise depuis son indépendance.
Dr Mahamat Ahmat Abdéraman
Ancien Député (1997-2002)
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