Compte-rendu et analyses de la conférence débat du 12 avril 2014
La pensée de Barthélémy Boganda et les crises actuelles - avril 2014
Fondation Centrafricaine pour la Paix et la Démocratie Fini Sêse
www.paix-democratie.org

FINI SÊSE
Les crises qui secouent la République Centrafricaine nous interrogent.
Pourquoi notre pays traverse-t-il, encore une fois, une grande période d’instabilité et comment trouver des solutions efficaces et durables ?
La République Centrafricaine ne manque pas d’idées. Elle manque de lieux où les exprimer, les renouveler et les exposer. Les dirigeants ont besoin d’être confrontés à de nouvelles manières de penser et de gouverner.
« Les idées gouvernent le monde », disait Auguste Comte, et il est important d’offrir à ce pays un nouvel espace de réflexion.
C’est ainsi qu’est née la Fondation Centrafricaine pour la Paix et la Démocratie, think tank Fini Sêse. Elle entend produire et diffuser des solutions politiques innovantes pour le progrès social et la promotion de la démocratie. Son ambition est de favoriser la rénovation intellectuelle et démocratique.
Yvon Kamach
Président de la Fondation Centrafricaine pour la Paix et la Démocratie Fini Sêse
INTRODUCTION
Barthélémy Boganda, père fondateur de la République Centrafricaine, avait une grande ambition pour ce jeune pays.
Véritable incarnation des valeurs républicaines, il a construit le socle de la nation autour de la devise « Unité, Dignité, Travail ». Des valeurs essentielles auxquelles il faut rattacher le principe « Zo kwe zo » rappelant que tout homme en vaut un autre. Sa pensée politique et son engagement ont uni le peuple centrafricain au delà de ses diversités, léguant ainsi un précieux héritage aux générations suivantes.
Pourtant, depuis sa disparition, l’instabilité est devenue la règle. Les systèmes politiques se suivent et échouent. La mauvaise gouvernance entrave le développement du pays et empêche tout progrès social.
Plus de 50 ans après la disparition de Barthélémy Boganda, la République Centrafricaine traverse aujourd’hui une situation dramatique sans précédent : crise de régime, crise de gouvernement et crise communautaire. Et les solutions initiées par la classe gouvernante et la communauté internationale semblent montrer leurs limites.
Galvaudée bien souvent par les hommes politiques et très mal connue par la jeunesse centrafricaine, la pensée de Barthélémy Boganda semble pourtant d’une étonnant modernité à l’heure de reconstruire le pays...
Le think tank Fini Sêse se propose donc de mettre en perspective ces deux facettes de notre histoire : la pensée fondatrice de Barthélémy Boganda et l’instabilité chronique de notre pays depuis sa disparition il y a 55 ans.
L’héritage de Barthélémy Boganda peut-il contribuer à résoudre ces crises ?
Partie 1 – Boganda, hier, aujourd’hui et demain
1.1. Les fondamentaux de l’héritage politique de Barthélémy Boganda
Par le Dr Alain Lamessi, Maître de conférence à l’Université de Bangui, ancien directeur de cabinet à la présidence de l’Assemblée Nationale.
Le drame que vit notre pays depuis bientôt plus de quinze mois nous déchire le cœur. Il ne peut nous laisser indifférents. Nous assistons hélas impuissants à la descente aux enfers de ce que nous avons de plus cher, à savoir notre patrimoine commun : la République Centrafricaine.
C’est lorsque le présent paraît insaisissable et l’avenir incertain que l’on se met à idéaliser le passé. Je veux résister à la tentation d’idéaliser notre passé. Non pas qu’il soit vide et a-historique pour reprendre l’expression de Hegel mais parce qu’il regorge plus de motifs d’insatisfaction, de frustration et de déception.
Et la pensée politique d’un homme comme Barthélémy Boganda est le miroir qui reflète notre vrai visage, 55 ans après sa disparition. Le philosophe Henri Bergson n’avait-il pas raison de dire que « la prise de conscience est une demi-victoire » ?
Barthélémy Boganda : entre mythe et réalité
Tout a été dit sur Barthélémy Boganda : des vérités et contre-vérités, des choses sensées et des choses peu raisonnables. Pour bon nombre de nos compatriotes, Barthélémy Boganda reste un mythe. Le propre du mythe, c’est de proposer des récits surnaturels et irrationnels avec des explications toutes faites au sujet des origines, des dieux et des héros. Ces explications sont toujours invérifiables par conséquent indiscutables. On y croit, un point c’est tout.
Des histoires invraisemblables et rocambolesques du genre Boganda pouvait disparaître et réapparaître à sa guise sont racontées à longueur de journée. On dit même qu’il pouvait se transformer en animal ou en objet, etc. Tout cela participe de la conception traditionnelle du chef qui doit toujours être puissant et doté de pouvoirs surnaturels. Le chef ne meurt jamais. Il rejoint les ancêtres.
Pourtant des faits indubitables sont là : l’avion dans lequel il avait voyagé avec Fayama et Kangala s’était bel et bien écrasé, en ce 29 mars 1959, aux alentours de Boda. Tous les occupants ainsi que les pilotes, le copilote et les mécaniciens étaient bien morts. Mais on vous dira que Barthélémy Boganda n’est pas mort. Certains intellectuels, en dépit de tout bon sens, vont jusqu’à dire que Boganda, n’était pas mort. Il aurait été enlevé et fait prisonnier en Guyane et il ne serait mort en définitive qu’en 1986.
Si la mort prématurée de Barthélémy Boganda a privé la République Centrafricaine d’un grand dirigeant, il a néanmoins légué à la prospérité de grands héritages.
L’héritage de Barthélémy Boganda en quelques points
L’action politique de Barthélémy Boganda a visé, outre la décolonisation, la libération du peuple centrafricain de la servitude et de la misère pour le hisser à un niveau de dignité convenable qui sied à son humanité. La liberté et le progrès social sont les maîtres-mots que l’on voit transparaître dans tous ses discours et actions politiques. Son engagement pour l’essor économique de la République Centrafricaine et le progrès social au profit du peuple centrafricain découle assurément de son humanisme hérité de la foi chrétienne. L’héritage politique de Barthélémy Boganda se décline en quelques points suivants : les attributs de la République Centrafricaine, un principe fondateur et le MESAN.
Les attributs de la nouvelle République
Père fondateur de la République Centrafricaine, c’est lui qui a donné le nom de la République Centrafricaine, initialement destiné à tous les Etats d’Afrique Equatoriale Française. Ce projet qui lui était cher de créer les Etats unis d’Afrique latine. C’est encore lui qui a composé les paroles de l’hymne national en français: « La Renaissance ». C’est toujours lui qui a rédigé le long préambule de la constitution, précisant toutes les libertés reconnues aux Centrafricains.
Le Président Barthélémy Boganda a donné à la République Centrafricaine la devise nationale: Unité, Dignité et Travail.
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L’unité, comme premier mot de cette devise découle de l’impérieuse nécessité de rassembler les divers groupes ethniques parfois antagonistes pour en faire un même et seul peuple. « Malheur à l’homme seul », aimait-il à dire. Pour lui en effet, si « la division, le tribalisme et l’égoïsme ont fait notre faiblesse dans le passé, la division, le tribalisme et l’égoïsme feront notre malheur dans l’avenir ». Cette parole prophétique s’est malheureusement réalisée. L’unité des centrafricains et au-delà des africains, est un enjeu stratégique qu’il nous faut réaliser si nous voulons devenir un Etat digne de ce nom.
La dignité: longtemps brimé par le colonisateur, les grands commerçants et même les esclavagistes, le moment est venu pour relever la tête et manifester la dignité d’être un homme libre. Libéré du joug du colon, le centrafricain devrait retrouver sa dignité. Il a droit au respect et à la dignité au même titre que le colonisateur.
Le travail : l’émancipation du centrafricain qu’il appelle de tous ses vœux passe par le travail libérateur. Il fallait en finir avec l’image du noir paresseux et fainéant.
Un autre héritage que le Président Barthélémy Boganda nous a légué est le drapeau et les armoiries: Bleu, blanc, vert, jaune et rouge avec une étoile jaune à 5 branches à l’angle droit.
A cela s’ajoute un principe que tout centrafricain connaît par cœur : Zo kwé zo.
Un principe fondateur : Zo kwe zo
La promotion de la dignité de l’homme s’est matérialisée dans un principe simple : Zo kwe zo qui veut dire : tout homme est un homme. L’idée, c’est de dire que tous les êtres humains se valent. Par conséquent, ils doivent avoir droit au respect et aux mêmes avantages. En effet, l’action politique de Barthélémy Boganda a visé tout d’abord à s’élever contre les nombreuses exactions des gardes indigènes et autres violations des droits de l’homme traduites quotidiennement par le travail forcé des femmes et des enfants, les châtiments corporels. Il soutint la suppression des laissez-passer qui étaient exigés « pour tout déplacement hors des régions d’origine». Il s’éleva également contre le mariage forcé et la polygamie pourtant valorisés par la tradition centrafricaine.
Le MESAN : un parti politique ou une coquille vide
La création du parti politique MESAN (Mouvement de l’Evolution Sociale en Afrique Noire) répond à la volonté de Boganda d’asseoir sa politique sur une base populaire crédible surtout qu’il a l’ambition de promouvoir la libération et le développement de l’Afrique noire: «Libérer l’Afrique et les Africains de la servitude et la misère, telle est ma raison d’être et le sens de mon existence », a-t- il déclaré. Le dernier élément de l’héritage de Boganda qu’il faut rappeler est non seulement son parti politique mais surtout les cinq verbes du MESAN qui font office de profession de foi: nourrir, soigner, instruire, loger, vêtir.
Un héritage dilapidé faute de vrais héritiers
Comme nous venons de voir, l’héritage politique légué à la postérité par Barthélémy Boganda est immense. Un enfant qui n’a pas conscience qu’il est l’héritier des patrimoines de son père peut mourir pauvre. La République Centrafricaine n’a pas pleinement pris conscience de l’importance de l’héritage légué par Barthélémy Boganda. Tout au moins cet héritage n’a jamais été ni valorisé, ni fructifié. Les régimes successifs, sans forcément être contre les idées de Boganda, n’ont jamais pu les mettre en œuvre. Si tout le monde prétend suivre la voie tracée par le père de la Nation, aucun homme politique n’est véritablement identifié comme porteur des valeurs qu’il a défendues. Tout le monde cite ses idées à profusion, parfois même à tort et à travers, pour le besoin de la cause, c’est à dire pour asseoir son régime mais en vérité personne ne peut ou ne veut s’identifier à lui.
La vérité, c’est que Barthélémy Boganda, ce visionnaire nationaliste, patriote et progressiste était très en avance sur son temps et sur les autres. Il était un cran au-dessus des hommes politiques non seulement de la République Centrafricaine mais de l’Afrique centrale en générale. C’est l’arbre qui a caché la forêt. Ses idées sont perspicaces et d’une criante actualité. Serait-il mort avec ses idées ?
Que faire maintenant ?
Pour répondre à cette question, il aurait été facile de proposer un catalogue de bonnes intentions et autres pétitions de principe. Je ne le ferai pas. Pas plus que je n’adopterai de position pseudo-moraliste et jeter l’anathème sur les hommes politiques. C’est de la facilité : l’enfer, c’est toujours les autres.
Je rappellerai simplement que la situation que vit aujourd’hui la République Centrafricaine est très grave. Depuis 1959, le contexte a certes beaucoup changé mais la paupérisation s’est aggravée, le peuple centrafricain est plus que jamais divisé. Quelqu’un a parlé d’un « Etat zéro » en évoquant la république centrafricaine. Notre pays est occupé par des forces étrangères : certaines pour nous aider à rétablir la paix et la sécurité, d’autres pour assassiner, piller et violer. Il nous faut changer de logiciel et revenir aux fondamentaux de l’héritage de Barthélémy Boganda que sont l’Unité, la Dignité et le Travail.
Depuis l’indépendance, Barthélémy Boganda est mangé à toutes les sauces à tel point qu’il ne fait plus rêver. Même la simple évocation de son nom provoque chez certains une véritable crise d’urticaire. Les idées politiques de cet illustre Centrafricain sont tellement galvaudées qu’elles n’enchantent plus personne. Ce patrimoine national, qui a beaucoup de plus-values que tous les hommes politiques centrafricains réunis, a cessé d’être l’objet de notre de fierté, le fondement de notre unité et l’expression de notre identité. D’ailleurs, la majorité silencieuse de notre peuple, surtout la jeunesse centrafricaine, ne le connaît même pas ou très peu par conséquent, ne se reconnaît pas en lui.
Il faut être lucide et reconnaître que tous nos échecs présents sont la conséquence directe de la fragilité de la fondation sur laquelle est bâtie la République Centrafricaine. Tout en acceptant notre passé, il faut avoir le courage de le transcender et proposer de nouveaux paradigmes. Il nous faut changer de logiciel pour changer la vie et offrir un nouvel idéal à notre peuple.
Le changement nous invite à chaque action que nous devons poser, à chaque proposition que nous devons formuler et à chaque étape que nous devons franchir. Le changement, qui doit être notre maître-mot, nous impose de changer de mentalité. Et le premier changement nous convoque de changer le nom de notre pays : La République Centrafricaine. Ce nom non seulement ne veut strictement rien dire mais surtout il est devenu le symbole par excellence de notre échec collectif. D’autres pays l’ont fait et ne s’en portent pas si mal : le Burkina- Faso et le Benin. En plus de changer de nom du pays, il faut changer les symboles comme l’hymne national, la devise, etc. qui ne mobilisent plus personne et dont les paroles sont en parfait décalage avec la réalité présente et historique.
Dire cela, est-ce aller contre les idées de Barthélémy Boganda ? Rien n’est moins sûr. En tout cas, telle n’est pas notre conviction.
Les défis de reconstruction de la nation, d’unir un peuple déchiré, de pacifier le pays, de répondre aux nombreux besoins vitaux de notre peuple, ces défis sont immenses, complexes et multiples. Le premier défi à surmonter est sans nul doute celui qui consiste à dépasser notre propre égoïsme voire notre propre sectarisme. L’unité nationale n’est pas un choix de circonstance mais une nécessité stratégique. L’Unité nationale, c’est comme l’air que nous respirons: une nécessité vitale pour notre peuple. Voilà, l’un des fondamentaux de l’héritage politique de Barthélémy Boganda que nous devons capitaliser dans notre lutte de tous les jours pour la paix et la sécurité dans notre pays et le bonheur de notre peuple.
1.2. Crise des valeurs en République Centrafricaine : la pensée de Barthélémy Boganda peut-elle inspirer des réponses modernes ?
Par Charles Armel Doubane, ancien ambassadeur à l’ONU et ancien ministre.
La République Centrafricaine de 2014 présente le prototype réel d’Etat failli, sans institutions étatiques fiables parce que atomisées. Elle se trouve dans l’incapacité d’offrir un minimum de sécurité et de services socio-économiques de base à son peuple et ceux qui ont choisi d’y vivre. Il y règne un chaos sans précédent dans son histoire contraignant ainsi la communauté internationale à agir afin de pallier la carence de l’Etat dans trois domaines principaux notamment la sécurité, l’assistance humanitaire et la réhabilitation de l’Etat.
Au regard de ce triste constat, nombre d’observateurs s’interrogent sur les meilleures pistes de sortie de crise. C’est pour cette raison et comme cela arrive souvent en de pareilles circonstances, que les organisateurs de nos assises du jour ont jugé utile de se référer au passé de ce jeune Etat aujourd’hui en grande difficulté – à la limite effondré – qu’est la République Centrafricaine. D’où le recours à Barthélémy Boganda son fondateur, afin de revisiter ses idées mais surtout les valeurs qu’elles contiennent pour apporter des réponses à la crise. Pour développer cette thématique, nous parlerons d’abord de la pensée de Boganda et des valeurs qu’elle incarne. Dans un deuxième temps, nous tenterons de voir si elles peuvent s’adapter au contexte actuel.
De la pensée de Boganda
Boganda voulait et avait créé un Etat Uni, digne par le travail de sa population axé autour des valeurs d’Unité, de Dignité et du Travail.
Boganda voulait affranchir du joug de la servitude l’Oubanguien, l’Africain puis le Centrafricain, en lui rendant sa liberté et favoriser son émancipation par le biais des principes humanistes tirés de la doctrine sociale de l’Eglise catholique extraites des Béatitudes. Il a mis en exergue le respect des droits humains consacré par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 à travers la philosophie de ZO KWE ZO si chère au MESAN son instrument politique créé en septembre 1949.
Des possibilités de l’application desdites idées pour la reconstruction d’un Etat de droit post crise.
Une forte volonté politique des leaders centrafricains et particulièrement des acteurs de la gestion de l’actuelle transition et une forte conscience nationale de l’ensemble des centrafricains pour sortir la république Centrafricaine de la crise en mettant en œuvre lesdites idées.
La réaffirmation de la volonté du vivre ensemble ou la préservation de l’unité nationale (en dépit de la mosaïque de notre peuple) ;
La traduction dans les faits des valeurs du travail (lui-même détestait les oisifs);
Les valeurs de l’abnégation, de l’intégrité et du dévouement à la cause nationale et la bonne mise en œuvre des cinq verbes fondateurs du MESAN à savoir : nourrir, loger, vêtir, soigner, instruire.
Pour conclure, Barthélémy Boganda reste l’icône de l’unité nationale, la référence d’un leadership, rassembleur et bon père de famille. Il a traversé le temps et plus encore ses idées restent très actuelles. Le 1er décembre 1958 il avait fixé le cap et tracé la voie pour bâtir une République Centrafricaine qui serait un havre de paix. Cinquante-six ans plus tard, son rêve qui peine à se réaliser pourrait le devenir si les Centrafricaines et les Centrafricains tirent véritablement les leçons de cette longue et profonde crise pour s’approprier leur destin. Retenons tout simplement que ce qui arrive à notre pays n’est pas une fatalité. D’autres Etats ont connu des situations pareilles voire pires. Les Centrafricains peuvent s’en sortir et bâtir à nouveau un Etat stable, prospère et ouvert sur le monde. C’est possible et c’est faisable. Et les outils pour cette reconstruction sont entre nos mains. Sachons seulement nous en servir et bien.
1.3. Qu’est-ce qu’être Centrafricain en 2014 ? Que reste-t-il de l’héritage de Barthélémy Boganda ?
Par Marie Reine Hassen, économiste, ancien ministre et candidate aux élections présidentielles en 2015.
Boganda et sa pensée
Tous les mouvements centrafricains, les partis politiques, les hommes politiques et les hommes d’Etat, tous se réclament de l’héritage de Barthélémy Boganda. Il y a un très fort culte de sa personnalité, une espèce de béatification de celui qui est connu comme étant le père de la Nation Centrafricaine. Ce culte est permanent.
Pourtant depuis 50 ans il y a un manque de réalisations dans tous les domaines : économiques, politiques et social, une espèce d’errance et un éternel recommencement, un cercle vicieux qui n’a jamais pu être brisé.
Or, il est en quelque sorte le père de tous ceux qui nous ont gouvernés et qui nous gouvernent encore. Ils sont également son héritage. Alors on est en droit de se poser des questions.
La devise de la République Centrafricaine, conçue par Barthélémy Boganda, UNITE, DIGNITE, TRAVAIL, est bafouée, et son pays est entraîné dans une dégringolade aux enfers depuis un demi siècle.
Barthélémy Boganda a été un grand homme. Il était le plus prestigieux et le plus compétent des hommes politiques d’Afrique équatoriale. Il fait partie, sans aucun doute, de ces Africains du siècle, ces Africains qui méritent une éternelle reconnaissance, ces braves combattants, pères de nos indépendances et témoins des jours heureux. Il s'était fait le champion d'une Afrique centrale unie et avait prévu l'impasse dans laquelle devait mener la balkanisation du continent.
Boganda rêvait de Nourrir, Vêtir, Soigner, Loger et Instruire, non seulement son peuple, mais aussi celui de l’Afrique.
A tout point de vue, Barthélémy Boganda a été un patriote sincère. Lorsqu’il était Député de l’Oubangui-Chari de 1946 à 1958, il s’est distingué par ses prises de positions courageuses et son sens aigu des responsabilités.
C’est en 1946 qu’il complète son œuvre humanitaire et sociale par une action politique. Il est entré en politique au nom des plus hautes vertus, au nom d’un devoir sacré. En est-il de même pour ses successeurs? Tous ses successeurs n’ont jamais eu ce sens élevé du devoir et cet absolu désintéressement, excepté Abel Goumba, et dans une moindre mesure David Dacko. Lorsqu’on parcours l’histoire qui va de l’émergence politique du mouvement de libération de Barthélémy Boganda dans les années 50, en passant par Bozizé de 2003 à 2012 et la coalition barbare Séléka qui l’a renversé, jusqu’à Catherine Samba-Panza désignée en janvier 2014 pour gérer la transition, on ne peut s’empêcher de penser que la République Centrafricaine est un Etat avorté. Elle a été livrée comme butin à toutes les rapacités des chefs d’Etat qui se sont succédés, abandonné aux caprices des responsables politiques sans idéologie ni projets de société.
Boganda a été un grand panafricaniste. Pendant la période de l’autonomie interne des territoires, le patriarche Boganda a avancé l’idée d’une grande République Centrafricaine élargie à quatre territoires (l’Oubangui Chari, le Tchad, le Congo Brazzaville et le Gabon). Il a lutté pour que ça se réalise. Mais lorsqu’il a envoyé une délégation à Libreville pour présenter ce projet de fédération, les membres de la délégation n’ont même pas été autorisés à fouler le sol gabonais. Cette délégation n’a même pas pu s’entretenir avec ceux qui tenaient uniquement à leur « petit Gabon ». Léon Mba ne voulait pas que « son petit Gabon » devienne la « vache laitière » pour d’autres Etats, tout comme Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire.
Cela n’a pas arrêté Boganda qui voyait l’unité africaine en trois étapes : la République Centrafricaine d’abord, l’Union des ex-colonies des pays de langue latine ensuite, et enfin la Grande Union Africaine.
Cet immense leader Africain, cette grande figure de l’engagement politique, a disparu en 1959, dans un accident d’avion, un dimanche de Pâques. Il était Premier Ministre de son pays. Ce drame a plongé ses militants et son pays dans un grand désarroi. La Centrafrique l’a pleuré et le pleurera toujours.
La figure et le message de Boganda auraient dû rester présents dans la mémoire de son peuple. Mais au vu de la situation actuelle, et qui prévaut depuis des décennies, Barthélémy Boganda n’est plus l’homme de référence pour le peuple Centrafricain.
David Dacko, un instituteur, son cousin lui succède. Il est renversé fin 1965 par son cousin Jean Bedel Bokassa, chef d’Etat Major des armées. Et c’est là que le calvaire commence.
Bokassa se fait couronner empereur en 1977. Il règne pendant quatorze ans sur le Centrafrique, en dictateur impitoyable. Il est renversé en septembre 1979, et remplacé par David Dacko, chassé à son tour du pouvoir en septembre 1981 par le Général André Kolingba qui instaure un régime militaire jusqu’en 1993. Les premières élections multipartites ont lieu cette année là et Ange- Félix Patasse est élu président de la République, mais la parenthèse démocratique est courte. En 2001, une tentative de coup d’Etat provoque de violents affrontements à Bangui. En mars 2003, le Président Patassé est renversé par le Général François Bozizé En mars 2012 les rebelles de la coalition Séléka prennent le pouvoir et achèvent ce qui reste d’une RCA moribonde. Ils mettent tout le territoire à feu et à sang.
En janvier 2014, sous la pression de la Communauté Internationale, Michel Djotodia, incapable de gouverner, démissionne et est remplacé par Catherine Samba Panza, tout aussi incapable de prendre la situation en main et de redresser le pays. Il est à noter que ces deux derniers sont les seuls à ne pas honorer la mémoire de Barthélémy Boganda le 29 mars.
Quel héritage ?
L’histoire de la patrie de Boganda, depuis qu’il s’en est allé, est catastrophique. Une chose est certaine : ce n’est pas celle qu’il avait espéré.
Pendant l’autonomie interne (à partir de 1958), quand le pays est devenu une République, ce chef charismatique l’avait dirigé avec abnégation, dans le souci des préoccupations de son peuple.
Comme les patriotes africains et héros combattants, tels que Patrice Lumumba, Modibo Keïta, Keneth Kaounda, Félix Moumié etc. à qui nous devons l’indépendance, il a été inspiré dans son action politique et son comportement de tous les jours par les préceptes que Gandhi a enseigné aux communautés indiennes : non violence, désobéissance civile, résistance passive.
Boganda était clairvoyant, il avait œuvré pour la cohésion, pour une Afrique et un Centrafrique prospère, pour la grandeur africaine et centrafricaine. Il défendait la dignité de son peuple et l’unité de son pays. Il nous a légué un héritage inestimable, mais tous ceux qui lui ont succédé ont échoué, malgré les ressources innombrables, malgré les talents connus ou cachés, malgré notre histoire, malgré un leader qui a combattu pour l’indépendance.
Boganda n’a pas eu le temps de faire émerger des Centrafricains ayant un sens patriotique assez fort pour poursuivre son œuvre. Au final, rien n’a été fait.
Les coups d’Etat et les rebellions en Centrafrique ont remplacé le travail, l’ordre, la dignité, l’honnêteté, une gestion saine... Ils sont devenus un frein pour la démocratie, un véritable cancer. On ignore que gouverner c’est prévoir, et que la politique c’est la gouvernance d’un pays, d’une nation, pas celle d’un clan, d’une ethnie ou d’intérêts personnels. Les bruits de botte et des armes sont de plus en plus assourdissants en RCA. La haine est à son comble.
Le Centrafrique et les Centrafricains en 2014
Le pays de Boganda aujourd’hui, c’est la barbarie et la violence armée devenues une méthode pour réussir. C’est l’absence de l’Etat, des Institutions presqu’inexistantes.
C’est un Etat fantôme, un immense cimetière pour ses populations. C’est le chaos, l’anarchie. Un pays qui cumule toutes les crises : politique, sociale, humanitaire... C’est la dévalorisation des plus hautes fonctions de l’Etat. Des repris de justice, des malfrats, des ignorants et des analphabètes devenus ministres au gouvernement et conseillers à la présidence de la République. Aujourd’hui tout le monde peut prétendre être président de la République ;
Ce sont des Chefs d’Etat qui tuent eux-mêmes leur propre peuple, qui permettent qu’on le massacre, qui n’éprouvent aucune empathie ;
Ce sont des présidents de la République sans vision, sans convictions, sans projet de société, qui avancent au jugé, comme un bateau ivre en pleine tempête ;
Ce sont des gouvernements d’affamés, toujours voués à l'échec ;
C’est le comportement de ses élites qui est devenu inacceptable (coups d’Etat, complots, putsch, subversions, rébellions, corruption...). C’est la classe politique qui se précipite, au gré des évènements, à l’Elysée, à Brazzaville, à Libreville ou à Djaména. En se mettant si facilement d’accord sans aucune dignité tout ce monde montre ses limites politiques et intellectuelles, leur manque de conviction et de vision ;
C’est l’immonde cupidité des politiciens centrafricains qui s’allient à des brigands ; Les Centrafricains en 2014 ce sont des générations perdues, à cause de l’écroulement du système éducatif, du système de santé, de l’éclatement des familles, des traumatismes...
Les Centrafricains d’aujourd’hui, ce sont des personnes qui ont perdu tout sens de civisme, qui ne savent pas pourquoi ils votent, qui le font par solidarité ethnique, ou pour un quartier de bœuf, un casier de bière, une petite enveloppe, qui ensuite mourront parce que celui pour qui ils ont voté n’a en fait aucune capacité à diriger leur pays, donc leur avenir ;Ce sont des populations prises au piège, attaquées en permanence, terrorisées et en proie à l’épouvante ;
C’est la Constitution foulée aux pieds à maintes reprises ;
C’est une majorité de naïfs qui croient toujours que les choses vont changer et qui n’entendent pas sonner les cloches pour une alarme générale. De trop nombreuses personnes qui manquent de réflexion et d’analyse, et qui ne voient rien venir : ni les manœuvres par un pays voisin musulman pour installer un premier président musulman en RCA, ni celles d’un autre pour s’ouvrir les portes d’entrée vers nos forêts ;
Même l’intégrité territoriale du pays de Boganda est mise en cause en 2014; une nébuleuse séparatiste menace de mettre à exécution son plan machiavélique de sécession ;
Le Centrafricain de 2014 c’est celui qui aime les formules creuses du type : « Quelques soit la durée le la nuit le soleil apparaitra », ou encore : « La vérité a triomphé du mensonge » ou tout simplement, et dramatiquement : « Mais tout va bien, il ne faut pas exagérer. »
Le Centrafricain de 2014 c’est celui qui avait applaudi l’arrivée de Patassé au pouvoir en pensant que ce serait la fin de ses malheurs ; c’est celui qui a de nouveau dansé et chanté de joie à la prise de pouvoir de Bozizé en l’appelant le « libérateur » ; c’est celui qui s’est réjoui de l’arrivée de la Séléka en pensant que cela le débarrassait d’un dictateur ; c’est celui qui a encore une foi sauté de joie, dansé, chanté et fait couler le Champagne quand on a remplacé Djotodia par Catherine Samba Panza, criant très fort que la paix était enfin revenue.
Des personnes qui sont obligées d’assister à des combats de coqs en spectateurs impuissants, alors qu’ils sont affamés, meurent de tout et de rien, et que c’est leur destin qui est en jeu.
Aujourd’hui le Centrafrique c’est l’apocalypse, des gens qui ont perdu la raison, qui s’entretuent en permanence, sans parfois savoir qui ils tuent, et pourquoi. Ce sont des troupes internationales qui viennent à la rescousse, bientôt des casques bleus des Nations-Unies
Le changement
Il est temps de mettre un terme à ce cycle infernal.
En dépit de ces tourbillons, ces coups d’Etat, ces complots, ces reniements, il est encore possible de remettre ce pays sur les rails du progrès. A condition que les fils et les filles de Boganda se ré approprient la terre de leurs ancêtres, et les valeurs et les principes que leur a légués Barthélémy Boganda.
Je vais terminer avec ce message de Barthélémy Boganda qui me plaît particulièrement : « Avec la liberté que j'ai conquise pour vous de haute lutte, il faut le bonheur. Le bonheur et la prospérité de l'Oubangui-Chari résident dans ces trois mots : retour à la terre et produire. Je vous ai donné l'exemple. Il nous faut déprolétariser de plus en plus. Il faut créer une bourgeoisie africaine. »
Le Centrafrique doit avancer, donc les centrafricains doivent changer. Il appartient à la jeunesse centrafricaine d’exiger un changement de comportement des élites en vue d’envisager l’avenir avec beaucoup plus de sérénité et d’espoir.
Partie 2 – Quelles solutions pour construire un nouveau système politique en République Centrafricaine ?
2.1. Un pays face aux crises : quelles réponses ? Une approche universitaire des crises
D’après l’intervention de Sébastien Gardon, docteur en Sciences Politiques.
Il existe plusieurs types de crises : politique, sociale, économique, religieuse / communautaire. Mais la principale difficulté est de les cumuler.
Pourtant l’Histoire a montré des possibilités de formes de stabilité dans les crises, avec des logiques de fond structurelle. Citons l’exemple de la 3ème République en France: un moment d'innovation, d'expérimentation, avec une grande transformation de la société française et la consolidation de la République malgré une instabilité politique chronique. Citons également l’exemple des économies européennes depuis les années 1970: phase de désindustrialisation et de restructuration des économies dans un contexte permanent de crise.
En ce sens la crise peut être structurelle et permanente.
Les périodes de guerre et de crise sont aussi parfois des périodes positives sur le plan économique, notamment avec les périodes de reconstruction, etc.
Dans l’histoire de l’humanité, les crises sont des moments qui permettent de franchir un cap : la philosophie hégélienne montre bien les différentes étapes de l’histoire politique et religieuse (occidentale), passée par différentes crises. Exemple de la longue construction européenne, voulue et annoncée depuis le 19ème siècle (Victor Hugo souhaitant l'avènement des Etats-Unis d’Europe) puis plus tard avec Aristide Briand, qui connaîtra trois grandes guerres avant processus constructif qui semble aujourd’hui irréversible voire achevé.
La vision à long terme que l’on retrouve chez Norbert Elias (Dynamique de l’Occident) montre une pacification des mœurs et des Etats sur plusieurs siècles malgré des épisodes difficiles. C’est également le cas chez Tocqueville, pour l’avènement de la démocratie, une idée en germe depuis l’émergence du Christianisme et qui met 18 siècles à s’accomplir.
Nous pouvons également évoquer l’histoire des sciences, avec des pics, des controverses, de la stabilité, avant à nouveau des moments de crise, controverses, etc.
Hegel fait également le parallèle pour les individus : pour être un bon adulte il faut avoir été un bon adolescent, donc avoir traversé sa crise d’adolescence.
Globalement, les crises sont des moments de réforme et de réactualisation de logiques plus profondes : phases de réflexion, d’expérimentation, d'innovations (institutionnelle, politique, administrative).
Elles peuvent aboutir à la redéfinition de la relation et des rapports entre gouvernants et gouvernés.
Les Etats et les organisations politiques et administratives produisent des mécanismes, des outils (de gouvernement au sens de Foucault) qui empêchent ou annulent les effets des crises : maintien d’un équilibre, d’un rapport de force entre gouvernants et gouvernés.
La question est de savoir comment provoquer une sortie de crise : par le dialogue, la négociation...
La décision en temps de crise est une démarche importante (cf. travaux de Lucien Sfez, Critique de la décision, 1973), et montre à quel point les acteurs et les institutions sont irrationnels (concept de rationalité limitée).
Les effets des crises peuvent donc être négatifs à court terme et positifs à long terme. Ce sont des étapes difficiles, douloureuses.
2.2. Réflexions autour de solutions inspirées par Bathélémy Boganda
Compte-rendu et analyse des débats autour de la série de conférences
L’accession de la République Centrafricaine à l’indépendance, le 13 aout 1960, est perçue comme un tournant décisif pour la prospérité de ce pays. Ce processus, dit de décolonisation, marque la fin d’une époque de dépendance de ce pays vis à vis de la communauté occidentale, et traduit pour lui, un point de départ, pour affirmer en toute autonomie sa responsabilité pour entrer dans le concert des nations. Il revient donc, aux peuples de ce pays de prendre désormais en main la destinée du pays et, de travailler pour son mieux être. Aujourd’hui, c’est en Centrafrique, pays pauvre, que les conflits armés, y sont fréquents, caractérisés par des actes criminels isolés et des affrontements armés intensifs. La République Centrafricaine connait une crise en profondeur de son existence.
L’histoire de l’évolution de la nation centrafricaine est marquée par une succession d’évènements qui la caractérisent. La crise en Centrafrique a plusieurs formes : politique, sociale, économique, religieuse, communautaire.
La philosophie de Barthélemy Boganda est gréco-romaine. C’est de l’idée romaine qu’il est parti pour créer un Etat d’Afrique centrale c’est-à-dire une confédération avec un pouvoir central qui est faible. Il y a un ensemble de pistes autour duquel on peut trouver des solutions. Le rapport entre Barthelemy Boganda et la France est positif. Dans les premières années de Centrafrique, il a un rapport sain pour conquérir la République Centrafricaine.
Un exemple à suivre serait celui de Nelson Mandela. La responsabilité des hommes est de dépasser les oppositions. On peut se rassembler sur ce qui peut unir et dépasser ce qui divise. La République Centrafricaine a d’énormes atouts, mais souffre que les hommes de pouvoir monopolisent tout ce qui permet aux Centrafricains de se développer. Chacun doit pouvoir prendre ses responsabilités pour privilégier l’union sur la division.
La crise est structurelle et la réponse doit être structurelle. Il faut faire la synthèse pour pouvoir rebondir et recréer la République Centrafricaine. Les initiatives diverses peuvent amener les Centrafricains à se réunir. L’enjeu est de dépasser le traumatisme, les violences et la justice dans un cadre post conflit.
Cette conférence est l’occasion de se retrouver, de débattre et faire des propositions. Aujourd’hui on a beau trouver des solutions et les mettre en application : c’est vain.
L’objectif est donc de repartir de la réflexion de Barthélemy Boganda autour des idées pour dépasser cette crise.
Quelques questionnements fondent cette problématique: Quelles sont les démarches de paix autour des idées de Barthélemy Boganda? A qui la responsabilité politique du K.O. politique centrafricain ? Faut-il l’attribuer à la vieille classe politique ? Comment faire appliquer les fondamentaux de Barthélemy Boganda pour juguler la crise centrafricaine ? Quel est le rôle des hommes et femmes politiques dans le comportement des centrafricains de 2014 ?
En somme comment prendre une décision pour sortir de cette crise ?
Des différents échanges, il ressort des points de vue différents énumérés ci- après.
Monsieur Bongo Passi, Ambassadeur, explique qu’on parle de République Centrafricaine toujours avec émotion et avec sérieux. « Barthélémy Boganda nous interpelle ». Selon lui, nous devons savoir quelles étaient la pensée de Barthelemy Boganda et ses applications. « Le pays est instable constamment. La liberté est un vain mot. A partir du moment où on prend la liberté des autres on n’est pas libre.
La paix suppose la présence de la Justice, c’est-à-dire tout ce qui est bon pour que chacun se développe normalement.
Ce n’est pas facile d’assurer la justice. La démocratie reste un idéal, ce n’est pas une fin. L’idée de Barthélemy Boganda est fondée sur la justice.
A propos du rapport avec la France, il rappelle que la République Centrafricaine est gérée par l’accord de 1960. Il appartient aux hommes politiques de dire ce que nous voulons. Nous devons nous regarder dans les yeux et de nous dire qui sommes-nous ? Ensuite nous devons pratiquer la politique de donnant-donnant, identifier les objectifs de notre action ça demande bien entendu le calme car l’essentiel est accessoire demain et inversement.
Aujourd’hui nous jetons les fondamentaux. La crise veut dire décision, donc il faut l’évaluer en vue de rebondir.
Pour Michel Taube et Lydie Nzengou, représentants d’Opinion Internationale, le Centrafrique souffre de nombreux maux.
Barthelemy Boganda a deux visages à savoir grand homme et l’inconnu. Il est comme en France Victoire Hugo mais est peu connu. Il est nécessaire de le faire connaitre. Il y a une icône Barthelemy Boganda qu’il faut entretenir pour transmettre ce message de réconciliation aux centrafricains.
Seul Barthelemy Boganda peut réconcilier les frères ennemis centrafricains sur la base de « Zo kwè Zo ». On connait Barthelemy Baganda, mais peu d’écrits sur lui. Il faut qu’il soit médiatisé, enseigné depuis la maternelle et le primaire.
Alain Lamessi a mis l’accent sur la personnalité de Barthelemy Boganda. Selon lui il y a trop de passions. Quand on parle de Barthélemy Boganda c’est un mythe, c’est irrationnel. Parce que le peuple a besoin d’un mythe pour fonctionner, donc Barthélemy Boganda est un héros pour les Centrafricains. Il est mort en laissant un chantier avec beaucoup de choses. A-t-il échoué ?
La République Centrafrique est comme un homme qui est né mais qui n’a pas grandi. Nous souffrons de plusieurs maux dont le déficit de leadership. La crise est une clé. Il faut mettre sur pied une nouvelle approche politique avec de nouveaux hommes.
Armel Doubane rappelle que plusieurs crises s’emboitent les unes dans les autres. La question que l’on se pose est : est-ce que les valeurs d’Unité, Dignité et Travail peuvent elles être adaptées aux situations du monde moderne ? Il propose des pistes de solutions par lesquelles le Centrafrique peut passer pour répondre à ses crises considérées comme épiphénomènes afin d’aller vers la paix :
• Le développement du pays par le travail rien que le travail ;
• Il faut à chaque centrafricain une forte conscience nationales et une volonté
politique.
• Nous devons réaffirmer en dépit de nos divergences l’identité nationale qui
est composée de l’ensemble de toutes les cultures. La crise est d’abord
état de crise, de prise de conscience.
• Traduire les 5 verbes humanistes pour bâtir à nouveau le pays quitte à
inverser l’ordre. Les traduire dans les faits.
• Avoir les valeurs de l’abnégation, l’intégration afin de bâtir une nation.
• Il faut prendre conscience de la situation et bâtir un projet sur la sécurité,
l’humanitaire, les élections, instaurer un dialogue inter centrafricain.
Selon Marie Reine Hassen, il y a un manque de principe et valeur en Centrafrique. Barthélemy Boganda est le père de tous ceux qui nous ont gouvernés. Au final rien n’a été fait, il ne reste rien de la philosophie de Barthélemy Boganda la devise de la République Centrafricaine est bafouée. Par ailleurs pour parler de leurs pays tous les centrafricains doivent se mettre ensemble sur leur territoire pour parler de leur problème.
Guerekpidou Jean-pierre explique que les idéologies de Barthélemy Boganda sont restées d’actualité, pourtant créées dans un contexte de décolonisation. Le système concessionnaire a suffisamment marqué l’époque de Barthélemy Boganda. Après sa mort aucun Président n’a réussi à mettre en œuvre sa devise. On observe trois problèmes à savoir le sous-développement structurel, l’absence d’autonomie, et l’absence de renouvellement de la classe politique. Le politique doit prendre le pas sur les armes.
Pour Vincent Mambachaka, il y a une absence de repères, donc il faut réconcilier les Centrafricains entre eux. Le peuple ne croit plus aux politiques et à la parole des religieux. Il faut aller rechercher les différences culturelles pour unir le peuple, car le conflit n’est pas religieux.
Ce n’est pas à partir de dialogue générique que les Centrafricains revivront ensemble. La justice doit passer avant la réconciliation et faire un vrai dialogue où les bourreaux ne doivent plus être blanchis.
Il faut saisir le pacifisme du centrafricain pour ramener la paix.
CONCLUSION GÉNÉRALE
Par Sébastien Gardon, docteur en Sciences politiques, directeur de recherche.
L'histoire de la République centrafricaine est complexe et les crises que traverse ce pays depuis de nombreuses années sont profondes. La journée de réflexion du 12 avril dernier a suscité beaucoup d'attentes mais également beaucoup de frustrations. Elle a permis un vaste tour d'horizon des principaux enjeux qui concernent aujourd’hui les centrafricains et centrafricains tout en offrant un espace d'expression sur la Centrafrique pour les centrafricains. De ce point de vue, elle a joué le rôle d’ « exécutoire » dans ce moment de tensions très vives.
Néanmoins, cette rencontre pose un certain nombre de problèmes et interpelle à plusieurs titres : quels sont les acteurs et les groupes en capacité de s’exprimer et légitime pour le faire ? Comment gérer une forme d’extériorité du débat face à la situation d'urgence du pays. Par ailleurs, les thématiques de la journée sont apparues trop larges et trop ouvertes, ne permettant pas de se concentrer sur certains aspects de la crise centrafricaine. Enfin parmi les prises de parole, plusieurs étaient sans soute trop ambitieuses et parfois peu en prises avec les réalités de terrain.
Cette conférence avait pour objectif de retrouver dans la pensée de Boganda des valeurs et des repères pour « refonder » la RCA et mieux la positionner face à son avenir. Si le parcours (sa mort trop brutale, le départ raté de la RCA, avec le symbole du pays prématuré) et les inspirations du père fondateur de la RCA ont été largement évoqués et en même temps questionnés (l’Imam Oumar Kobine Layama rappelait qu’il faut se méfier du risque de récupération de Boganda : est- ce qu’on ne veut pas en faire autre chose ?), ce sont avant tout les problèmes et les crises que rencontre la RCA depuis l’après Boganda, et encore plus depuis ces derniers mois, qui ont été au cœur des réflexions. A travers cette dynamique, plusieurs questionnements sont revenus avec insistance chez les intervenants de la journée.
D’une part, les problématiques de frontières et le rapport à l’extérieur. La question des relations de la RCA à la communauté internationale et notamment à la France a soulevé de nombreux paradoxes, entre demande d’autonomie, problème de la gestion de l’héritage colonial, critique de formes d’ingérence et besoin d’aides, avec l’enjeu de la maîtrise par les centrafricains de leur propre destin. D’autre part, de nombreuses revendications ont naturellement émergé au sujet du renouvellement et de la remise en cause de la classe politique centrafricaine avec des dénonciations assez fortes comme la cupidité de cette classe politique. Face à ces constats, c’est surtout la politisation des élites et l’accès aux fonctions dirigeantes et donc le lien avec la société civile qu’il est urgent de questionner. Au- delà, plusieurs fustigent le fait que les hommes politiques ont abandonné les centrafricains, ne sont plus présents sur le terrain et n’ont pas le courage de mourir à l’inverse des religieux, seuls présents encore auprès des centrafricains. En bref, la moralisation et l’aseptisation de la classe politique a longtemps été évoquée. Cela renvoie au principe de responsabilité des élites politiques. Ainsi plusieurs ont soulignée un problème d’inversion des valeurs, qui se traduit par un déni du politique et des institutions : « les gens ne croient plus ». Ces dénonciations oublient parfois le rôle du politique dans la mise en ordre de la société. Dans ce contexte l’un des objectifs de la journée était donc de trouver des valeurs qui rassemblent.
Dans cette optique, l’organisation d’un dialogue inter-centrafricain pour juguler la difficulté de la guerre a été plusieurs fois mise en avant selon des formes différentes et des échéances à construire. Ainsi cette suggestion a été déclinée sous plusieurs formes à traverses l’urgence d’une « réunion des centrafricains chez eux pour savoir d’où on vient et où on veut aller », « briser le cercle vicieux avec un grand débat national pour laver le linge sale en famille », la mise en place d’ « une caravane culturelle avec l’organisation de forums à destination de la jeunesse pour aller à l’intérieur du pays à partir du Sango comme ciment de l’unité centrafricaine » ou l’organisation de relais à travers des psychologues, à former, pour réintégrer certaines franges de la société centrafricaine et opérer la réconciliation sur le terrain. Ces démarches renvoient à la question de l’unité au sein de cette société car plusieurs ont souligné l’exploitation des divisions en son sein comme principale source de la crise. Il s’agit donc, comme l’a souligné Vincent Mambachaka, de favoriser la paix et le vivre ensemble en RCA autour de valeur d’amour, d’unité et de pacifisme, et à partir d’un dialogue inter-culturel et inter-religieux.
Enfin, une thématique qui n'était pas présentée comme centrale, a pris de plus en plus de consistance au fur et à mesure de la journée : la question de l’information, de sa transparence et de l’existence de relais médiatiques, comme gage de d'une transition vers un régime plus démocratique. Michel Daube a notamment souligné ce besoin d’information et l’urgence de décrire ce qui se passe en RCA en évoquant l’exemple de la construction d’un journal d’infos et d’une radio de la réconciliation, pour le dialogue entre centrafricains, entre belligérants, pour que les centrafricains s’expriment. Cette perspective renvoie à la nécessité de mettre en œuvre des espaces de discussion permanents.
Au-delà de ces premières perspectives, d’autres thématiques sont apparues en creux et nécessitent des approfondissements. Ainsi tout au long de la journée, la problématique de la diversité ethnique et religieuse, bien que présenté comme une donnée essentielle, notamment du fait de la présence de l’évêque et de l’imam et de leur intervention en début et fin de journée, n’a pas été abordé frontalement. Pourtant comme cela a été rappelé par Yvon Kamach en fin de la journée, le conflit est culturel et social avant d’être politique. Il est donc urgent de savoir vraiment ce qui se passe aujourd’hui d’un point de vue sociologique, de mieux décrypter ce qu’est le centrafricain et la Centrafrique aujourd’hui. Il a donc fort logiquement encouragé à réaliser une étude dans cette direction. Cela rejoint la nécessité soulevée par Christian Bangui de se rendre en RCA pour faire un véritable état des lieux et un inventaire de ces enjeux.
Concernant les propositions attendues, l’exercice est difficile et il s’avère toujours périlleux de faire ressortir des éléments concrets. L’une des plus symboliques est sans doute celle formulée par le docteur Alain Lamessi qui consiste à réfléchir sur le nom de la Centrafrique qui concentre tant de problème afin d’impulser un vrai changement.
Devant l’urgence de la situation, plusieurs contributions ont mis en avant la nécessité de développer un plan d’actions pour permettre une sortie de crise. Cette démarche s’accompagne d’un moment de transition jusqu’aux élections qui repose sur trois défis: assurer la sécurité, prendre en compte les enjeux humanitaires et remettre en place d’un Etat de droit. Ainsi le programme d’action proposé par l'ancien Ministre Charles Armel-Doubane est axé sur une problématique sécuritaire. Il propose par ordre de priorité :
- La construction institutionnelle de l’Etat post-élection
- La mise en place d’une armée et de forces de l’Etat autonomes : le
centrafricain doit protéger le centrafricain / bâtir une nouvelle armée qui
représente la mosaïque du peuple centrafricain.
- Un volet justice avec des institutions judiciaires pour lutter contre l’impunité
- La mise en place d’un Etat de droit et d’une administration
- La construction de relais pour créer les conditions d’un dialogue permanent
- L’établissement d’un programme d’action ambitieux sur les thématiques de
l’éducation, la formation, l’emploi, la culture et la santé
- Le retour à une économie axée sur la terre et l’eau avec une priorité à
l’agriculture qui sortirait des cycles café/cacao, et ensuite une transition
vers les mines.
- Et enfin la redéfinition de la place de la RCA dans le monde avec un
nouveau positionnement dans la communauté internationale.
D’autres interventions ont fait émerger des variantes dans cette programmation. En partant de trois impératifs (la rupture avec la Loi-cadre de 1956 pour rompre avec la servitude volontaire ; la redéfinition des frontières de la RCA ; faire un état des lieux pour recenser tous les manquements), quatre pistes plus radicales ont été mises en avant :
- Le transfert du pouvoir politique à une autre classe
- L’exclusion de la classe politique
- La suspension des élections à suspendre car elles sont à l’origine du
clientélisme, ce qui implique de nouvelles procédures
- Le besoin d’un soutien international pour construire de nouvelles institutions
Partant du constat de l’absence de démocratie lié à l’incapacité à faire fonctionner un Etat de droit, d’autres plans d’actions ont mis en avant la nécessité de « discuter ensemble » des contours d’une nouvelle constitution, de mettre en place une souveraineté monétaire et de contrôler les frontières avec un ministère de la défense puissant.
Comme Alain Lamessi, nombreux sont ceux qui réclament l’avènement d’un Etat fort pour favoriser l’unité et réduire le multipartisme. Les lectures partisanes peuvent en effet perturbent encore plus l’organisation de débats larges et ouverts même si les partis sont là aussi pour mobiliser la population. Ainsi l’organisation de débats et de discussion ressort également très souvent comme la mise en place d’une conférence entre belligérants, d’états- généraux de l’armée, ou de débats entre tous les acteurs de la société politique. Certains ont même évoqué la possibilité d’élargir cette journée dans d’autres lieux en France. De son côté, Monseigneur Dieudonné Nzapalainga a suggéré de construire un vrai projet, autour d’une même vision, afin de le donner au gouvernement pour l’appuyer et l’aider à gérer cette crise.
Comme Alain Lamessi, nombreux sont ceux qui réclament l’avènement d’un Etat fort pour favoriser l’unité et réduire le multipartisme. Les lectures partisanes peuvent en effet perturbent encore plus l’organisation de débats larges et ouverts même si les partis sont là aussi pour mobiliser la population. Ainsi l’organisation de débats et de discussion ressort également très souvent comme la mise en place d’une conférence entre belligérants, d’états- généraux de l’armée, ou de débats entre tous les acteurs de la société politique. Certains ont même évoqué la possibilité d’élargir cette journée dans d’autres lieux en France. De son côté, Monseigneur Dieudonné Nzapalainga a suggéré de construire un vrai projet, autour d’une même vision, afin de le donner au gouvernement pour l’appuyer et l’aider à gérer cette crise.
Pour rendre réalistes ces programmes d’actions, d’autres facteurs et leviers sont à actionner. Ainsi le rôle de la société civile et de différents groupes (jeunes, femmes, acteurs privés) est déterminant dans ce processus de transition post- crise et post-élection. Les gouvernants doivent alors réapprendre à s’appuyer sur des acteurs intermédiaires, publics, si l’administration est en mesure de fonctionner, ou privés. Puis dans la période d’après transition, la mise en place de politiques publiques peuvent être de puissants facteurs de stabilité, à travers la mise en œuvre d’outils et instruments de gouvernement susceptibles de redéfinir les rapports entre gouvernants et gouvernés. Enfin la culture et l’éducation comme cela a été évoqué plusieurs fois, sont des enjeux majeurs de pacification au service des citoyens et/ou des dirigeants.
D’autres questions restent en suspend comme le modèle de centralisation et d’unification de l’Etat et de la nation à mettre en place : un modèle qui puisse favoriser à la fois la reconstruction, l’unité mais en même temps qui assure des libertés fondamentales et des capacités d’action essentielles pour le dynamisme de la société centrafricaine. Par ailleurs, comment ce modèle peut favoriser en même temps un processus de décentralisation infra-nationale et de régionalisation supra-nationale ? Comment assurer l'équilibre des pouvoirs entre le politique (l'exécutif), le législatif, le judiciaire, pour rétablir un état de droit lorsque l’on réclame si souvent un Etat fort et puissant. Enfin dans ce cadre comment envisager également la répartition des pouvoirs entre le religieux, les médias et le militaire ?
La pensée de Barthélémy Boganda et les crises actuelles - avril 2014
Fondation Centrafricaine pour la Paix et la Démocratie Fini Sêse
www.paix-democratie.org