Alwihda : Après avoir été supprimée en 2018, la 5ème République rétablit la Médiature de la République. Quelle est votre opinion en tant qu'expert en gestion et prévention des conflits, ayant été conseiller de la République pendant dix ans ? Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cette institution a été supprimée en 2018, selon vous ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Je tiens à vous exprimer ma gratitude pour le travail que vous accomplissez. Je peux me permettre de dire que la suppression de la Médiature était une grosse erreur, et la vraie raison, inconnue pour beaucoup, était le projet de sa réforme que nous avons proposé aux hautes autorités. Nous avons jugé qu'il était temps de réformer cette importante institution qui n'était en fait qu'une coquille vide. En l'absence de toute réforme, sa suppression ne m'a pas surpris ni déçu.
Alwihda : Pourquoi n'avez-vous pas été surpris ni déçu par sa suppression ? Quel est votre avis sur sa réhabilitation après une période de suppression de six années ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Vous savez, moi qui détenais une thèse de doctorat en gestion des conflits à travers la médiation, je suis désolé de dire que sa suppression, faute de réforme, est une bonne chose. Il peut arriver que notre délégation ne soit pas autorisée à assister à une assemblée générale en raison de notre non-conformité aux critères de l'Ombudsman. Les règlements des associations des ombudsmans/Médiateurs (l’AOMA, CROA, l’AOMF, l’IIO…) excluent toute institution de participer même en tant qu'observateur à une Assemblée générale, et par conséquent, le droit de vote lui est interdit. Si vous ne réglez pas votre adhésion annuelle, vous serez exclu d'une Assemblée générale, bien que cela ne soit pas mentionné dans nos rapports. Concernant sa réhabilitation, je salue la volonté des hautes autorités de renforcer les mécanismes de promotion des valeurs démocratiques, mais il faut élaborer de nouveaux statuts en tenant compte de la modernité de cette institution.
Alwihda : D’où vient l’idée de la Médiature ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Beaucoup ignorent que la médiation est apparue au VIIe siècle à l'époque du second Calife des Musulmans, Omar Ibn Khattab, sous l'appellation de Diwan Al Madhalim, que l’on peut traduire par bureau de doléances. Ensuite, l’Empire ottoman a calqué ce modèle de médiation sur la pratique musulmane instaurée depuis le VIIe siècle. En 1809, l’ombudsman (Médiateur) a été créé par le roi suédois Charles 2, qui s’est inspiré du modèle turque (Mohtaseb). C’est à partir des pays scandinaves que l’ombudsman s’est développé, subissant de réformes en réformes. Le premier pays ayant instauré une médiation en Afrique est la Tanzanie en 1968. En Afrique francophone, nous sommes très en retard, et nos États aiment toujours contrôler les activités de la médiation, ce qui ne lui laisse pas de marge de manœuvre pour se développer. Aujourd’hui, on peut se servir du modèle dans la péninsule ibérique, en Afrique du Sud et en Ouganda, même s’il faut l’adapter aux réalités locales car « chaque pays a l’ombudsman qu’il mérite ». Dans les deux derniers pays, l’Ombudsman a le pouvoir de combattre la corruption et le détournement.
Alwihda : Pouvez-vous nous expliquer quel type de Médiature conseillez-vous ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Je recommande l'instauration d'une Médiature hybride. Ce statut d’hybridité lui octroie plus de prérogatives dans ses actions et se base sur la défense des droits de l’Homme, la protection de l’enfance, du genre, de l’environnement, la contribution à l’amélioration de la bonne gouvernance. Le statut hybride a pour objectif de garantir la protection des personnes contre le mauvais fonctionnement de l'administration ou contre l'abus de position dominante des activités administratives. Son rôle est à la fois de rapprocher le citoyen de l'administration et d'améliorer la performance de l'administration publique en proposant des modifications dans les législations. Le Médiateur hybride joue aussi un rôle essentiel pour renforcer la paix. Il rend plus aisée la recherche de solutions justes, adaptées pour créer, maintenir et renforcer le lien de confiance entre les différentes parties. Grâce à cette hybridité, il est en mesure de gérer des conflits, de jouer un rôle dans la réconciliation nationale, de faciliter l'insertion et la réhabilitation des désengagés des mouvements politico-militaires. Le Médiateur doit également avoir la capacité de lutter contre la corruption et le détournement.
Alwihda : A quel statut de Médiateur pensez-vous et avec quel mandat ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Le souci est de rendre la fonctionnalité de l’institution hybride avec un Médiateur qui doit être indépendant, apolitique et impartial, ayant un statut qui lui octroie le droit d’exercer ses fonctions en toute liberté et en toute indépendance par rapport aux instances exécutives et parlementaires. Bien qu'il soit protégé par un privilège d'inamovibilité, la difficulté en Afrique francophone réside dans la nomination. Le défenseur des droits, en France, est « nommé par le président de la République, par décret en Conseil des ministres après avis de commissions parlementaires compétentes ». Sur ce point précis, on constate dans certains pays tels que l’Afrique du Sud et le Canada, la nomination de l’Ombudsman relève de la compétence du pouvoir législatif et en aucun cas de l’exécutif. La situation est différente pour la plupart des Ombudsman d'Afrique francophone, qui mettent l'accent sur le contrôle de l'institution plutôt que sur l'exécutif. Dès lors, on peut comprendre qu’il y ait une sorte de mainmise sur l’institution et, par conséquent, il n’est pas surprenant que les hautes autorités instruisent voire même instrumentalisent l’institution.
Alwihda : Pourquoi la protection et les droits du personnel, tels que les conseillers, ne sont jamais mentionnés dans les statuts ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Il y a là aussi une exclusion de protection et une absence de mention des droits du personnel de la Médiature, tels que les conseillers, examinateurs et autres enquêteurs. Ils ne jouissent d’aucune protection juridique, ni dans le cadre d’une nomination ni dans celui d’un mandat, encore moins en ce qui concerne la protection. Après la suppression de la Médiature en 2008, nous avons découvert comment les conseillers ont été remerciés. Sans aucun respect pour leurs droits, ils ont été renvoyés et leurs véhicules ont été dérobés sans préavis. Certains ont malheureusement perdu la vie en raison des obstacles rencontrés pour se faire soigner.
Alwihda : La plupart des pays d’Afrique francophone calquent généralement leurs modèles de Médiation institutionnelle sur la France. Est-ce que c’est le cas du Tchad ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Sans aucun doute, les pays francophones d'Afrique ont tendance à reproduire les mêmes textes statutaires juridiques que la France, mais beaucoup ignorent que la France est en retard sur ce sujet. Le modèle, initié par l’Espagne et le Portugal, a été une source d’inspiration pour le comité de réflexion français, qui a recommandé la création d'un Défenseur des droits de rang constitutionnel en 2008, ayant vocation à exercer les compétences de Médiateur de la République et d'autres autorités indépendantes. En 2015, j'ai eu l'opportunité de discuter avec M. Jacques Toubon lors du Congrès au Québec sur le rôle d'un médiateur en France. En France, le Médiateur (Défenseur des Droits) est nommé par le Président et désigné par le parlement, alors que dans beaucoup de pays développés et même dans certains pays d'Afrique, comme l’Afrique du Sud, le Médiateur (protecteur des citoyens) est désigné ou élu par le Parlement et il dépose ses rapports annuels au Parlement. En réalité, le médiateur peut être de type hybride, qu'il s'agisse d'un médiateur parlementaire ou d'un médiateur administratif. La création d'un ombudsman spécialisé (ombudsman des droits de l'homme) résulte de la fusion de plusieurs Autorités Administratives Indépendantes (AAI) chargées de leurs attributions.
Alwihda : Président d’un Centre d’études, avec 16 années d’expérience dans la gestion des conflits, dont dix comme conseiller de la Médiature de la République, beaucoup pensent que vous êtes l’unique Tchadien à avoir fait une thèse dans la gestion des conflits et estiment que vous êtes le mieux placé pour diriger cette institution.
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Non, ce n’est pas exact. Il est essentiel de faire la distinction. Je ne suis pas le seul Tchadien à avoir fait une thèse sur la gestion des conflits, mais je suis le seul à avoir fait une thèse de doctorat sur la gestion des conflits à travers la médiation, ce qui me permet de contribuer à la modernisation de cette institution. En tant que sociologue, je vous renvoie à la citation de Pierre Grelley qui a dit : « Fille de la philosophie et de l’histoire, la sociologie s’est intéressée de manière principale aux conditions d’exercice des médiations juridiques ».
Alwihda : Vous savez que dans ce pays, les postes de responsabilité sont souvent attribués aux partisans politiques sans tenir compte de la compétence. Or, vous n'appartenez à aucun des deux partis politiques au pouvoir ni à un parti allié. Pensez-vous que votre candidature est solide ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Je n'ignore pas cette réalité, mais j'ai pris en compte la volonté du Président et de son Premier Ministre de vouloir réformer et moderniser le pays sur la base de la compétence. Il est important qu'en plus de la compétence, un Médiateur soit apolitique, impartial et indépendant, et c'est exactement ce que je suis.
Alwihda : Quelle type de modernisation pouvez-vous apporter à la nouvelle Médiature ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Il convient de comprendre que l'une des priorités dans les sphères démocratiques est l'instauration et le renforcement des systèmes de protection juridictionnelle et non juridictionnelle des droits fondamentaux. En première ligne des protecteurs des droits et libertés se trouvent le juge et les Autorités Administratives Indépendantes (AAI). L'évolution de ces systèmes se poursuit depuis la Deuxième Guerre mondiale grâce à de multiples réformes constitutionnelles garantissant le fonctionnement de ces divers mécanismes. Chaque pays adapte les évolutions réformatrices en les rendant plus efficaces et plus opérationnelles, tout en tenant compte des réalités sociopolitiques et économiques. Les réformes doivent prendre en compte le fait que l'accessibilité aux différents mécanismes soit plus facile pour toute personne, ce qui fait partie des droits fondamentaux.
Alwihda : Quelles seront les priorités du nouveau Médiateur selon vous ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Il y a trois priorités : 1/ réconcilier les Tchadiens, 2/ contribuer au succès du programme de DDR concernant les désengagés des mouvements politico-militaires, 3/ élaborer une stratégie visant à réduire les conflits inter et intracommunautaires.
Alwihda : Votre conclusion sur ce sujet ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Je recommande aux autorités compétentes de ne pas se précipiter et de prendre leur temps pour élaborer les statuts de la nouvelle médiation en mettant en place une commission d'experts dans ce domaine.
Propos recueillis par Djimet Wiche
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Je tiens à vous exprimer ma gratitude pour le travail que vous accomplissez. Je peux me permettre de dire que la suppression de la Médiature était une grosse erreur, et la vraie raison, inconnue pour beaucoup, était le projet de sa réforme que nous avons proposé aux hautes autorités. Nous avons jugé qu'il était temps de réformer cette importante institution qui n'était en fait qu'une coquille vide. En l'absence de toute réforme, sa suppression ne m'a pas surpris ni déçu.
Alwihda : Pourquoi n'avez-vous pas été surpris ni déçu par sa suppression ? Quel est votre avis sur sa réhabilitation après une période de suppression de six années ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Vous savez, moi qui détenais une thèse de doctorat en gestion des conflits à travers la médiation, je suis désolé de dire que sa suppression, faute de réforme, est une bonne chose. Il peut arriver que notre délégation ne soit pas autorisée à assister à une assemblée générale en raison de notre non-conformité aux critères de l'Ombudsman. Les règlements des associations des ombudsmans/Médiateurs (l’AOMA, CROA, l’AOMF, l’IIO…) excluent toute institution de participer même en tant qu'observateur à une Assemblée générale, et par conséquent, le droit de vote lui est interdit. Si vous ne réglez pas votre adhésion annuelle, vous serez exclu d'une Assemblée générale, bien que cela ne soit pas mentionné dans nos rapports. Concernant sa réhabilitation, je salue la volonté des hautes autorités de renforcer les mécanismes de promotion des valeurs démocratiques, mais il faut élaborer de nouveaux statuts en tenant compte de la modernité de cette institution.
Alwihda : D’où vient l’idée de la Médiature ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Beaucoup ignorent que la médiation est apparue au VIIe siècle à l'époque du second Calife des Musulmans, Omar Ibn Khattab, sous l'appellation de Diwan Al Madhalim, que l’on peut traduire par bureau de doléances. Ensuite, l’Empire ottoman a calqué ce modèle de médiation sur la pratique musulmane instaurée depuis le VIIe siècle. En 1809, l’ombudsman (Médiateur) a été créé par le roi suédois Charles 2, qui s’est inspiré du modèle turque (Mohtaseb). C’est à partir des pays scandinaves que l’ombudsman s’est développé, subissant de réformes en réformes. Le premier pays ayant instauré une médiation en Afrique est la Tanzanie en 1968. En Afrique francophone, nous sommes très en retard, et nos États aiment toujours contrôler les activités de la médiation, ce qui ne lui laisse pas de marge de manœuvre pour se développer. Aujourd’hui, on peut se servir du modèle dans la péninsule ibérique, en Afrique du Sud et en Ouganda, même s’il faut l’adapter aux réalités locales car « chaque pays a l’ombudsman qu’il mérite ». Dans les deux derniers pays, l’Ombudsman a le pouvoir de combattre la corruption et le détournement.
Alwihda : Pouvez-vous nous expliquer quel type de Médiature conseillez-vous ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Je recommande l'instauration d'une Médiature hybride. Ce statut d’hybridité lui octroie plus de prérogatives dans ses actions et se base sur la défense des droits de l’Homme, la protection de l’enfance, du genre, de l’environnement, la contribution à l’amélioration de la bonne gouvernance. Le statut hybride a pour objectif de garantir la protection des personnes contre le mauvais fonctionnement de l'administration ou contre l'abus de position dominante des activités administratives. Son rôle est à la fois de rapprocher le citoyen de l'administration et d'améliorer la performance de l'administration publique en proposant des modifications dans les législations. Le Médiateur hybride joue aussi un rôle essentiel pour renforcer la paix. Il rend plus aisée la recherche de solutions justes, adaptées pour créer, maintenir et renforcer le lien de confiance entre les différentes parties. Grâce à cette hybridité, il est en mesure de gérer des conflits, de jouer un rôle dans la réconciliation nationale, de faciliter l'insertion et la réhabilitation des désengagés des mouvements politico-militaires. Le Médiateur doit également avoir la capacité de lutter contre la corruption et le détournement.
Alwihda : A quel statut de Médiateur pensez-vous et avec quel mandat ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Le souci est de rendre la fonctionnalité de l’institution hybride avec un Médiateur qui doit être indépendant, apolitique et impartial, ayant un statut qui lui octroie le droit d’exercer ses fonctions en toute liberté et en toute indépendance par rapport aux instances exécutives et parlementaires. Bien qu'il soit protégé par un privilège d'inamovibilité, la difficulté en Afrique francophone réside dans la nomination. Le défenseur des droits, en France, est « nommé par le président de la République, par décret en Conseil des ministres après avis de commissions parlementaires compétentes ». Sur ce point précis, on constate dans certains pays tels que l’Afrique du Sud et le Canada, la nomination de l’Ombudsman relève de la compétence du pouvoir législatif et en aucun cas de l’exécutif. La situation est différente pour la plupart des Ombudsman d'Afrique francophone, qui mettent l'accent sur le contrôle de l'institution plutôt que sur l'exécutif. Dès lors, on peut comprendre qu’il y ait une sorte de mainmise sur l’institution et, par conséquent, il n’est pas surprenant que les hautes autorités instruisent voire même instrumentalisent l’institution.
Alwihda : Pourquoi la protection et les droits du personnel, tels que les conseillers, ne sont jamais mentionnés dans les statuts ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Il y a là aussi une exclusion de protection et une absence de mention des droits du personnel de la Médiature, tels que les conseillers, examinateurs et autres enquêteurs. Ils ne jouissent d’aucune protection juridique, ni dans le cadre d’une nomination ni dans celui d’un mandat, encore moins en ce qui concerne la protection. Après la suppression de la Médiature en 2008, nous avons découvert comment les conseillers ont été remerciés. Sans aucun respect pour leurs droits, ils ont été renvoyés et leurs véhicules ont été dérobés sans préavis. Certains ont malheureusement perdu la vie en raison des obstacles rencontrés pour se faire soigner.
Alwihda : La plupart des pays d’Afrique francophone calquent généralement leurs modèles de Médiation institutionnelle sur la France. Est-ce que c’est le cas du Tchad ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Sans aucun doute, les pays francophones d'Afrique ont tendance à reproduire les mêmes textes statutaires juridiques que la France, mais beaucoup ignorent que la France est en retard sur ce sujet. Le modèle, initié par l’Espagne et le Portugal, a été une source d’inspiration pour le comité de réflexion français, qui a recommandé la création d'un Défenseur des droits de rang constitutionnel en 2008, ayant vocation à exercer les compétences de Médiateur de la République et d'autres autorités indépendantes. En 2015, j'ai eu l'opportunité de discuter avec M. Jacques Toubon lors du Congrès au Québec sur le rôle d'un médiateur en France. En France, le Médiateur (Défenseur des Droits) est nommé par le Président et désigné par le parlement, alors que dans beaucoup de pays développés et même dans certains pays d'Afrique, comme l’Afrique du Sud, le Médiateur (protecteur des citoyens) est désigné ou élu par le Parlement et il dépose ses rapports annuels au Parlement. En réalité, le médiateur peut être de type hybride, qu'il s'agisse d'un médiateur parlementaire ou d'un médiateur administratif. La création d'un ombudsman spécialisé (ombudsman des droits de l'homme) résulte de la fusion de plusieurs Autorités Administratives Indépendantes (AAI) chargées de leurs attributions.
Alwihda : Président d’un Centre d’études, avec 16 années d’expérience dans la gestion des conflits, dont dix comme conseiller de la Médiature de la République, beaucoup pensent que vous êtes l’unique Tchadien à avoir fait une thèse dans la gestion des conflits et estiment que vous êtes le mieux placé pour diriger cette institution.
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Non, ce n’est pas exact. Il est essentiel de faire la distinction. Je ne suis pas le seul Tchadien à avoir fait une thèse sur la gestion des conflits, mais je suis le seul à avoir fait une thèse de doctorat sur la gestion des conflits à travers la médiation, ce qui me permet de contribuer à la modernisation de cette institution. En tant que sociologue, je vous renvoie à la citation de Pierre Grelley qui a dit : « Fille de la philosophie et de l’histoire, la sociologie s’est intéressée de manière principale aux conditions d’exercice des médiations juridiques ».
Alwihda : Vous savez que dans ce pays, les postes de responsabilité sont souvent attribués aux partisans politiques sans tenir compte de la compétence. Or, vous n'appartenez à aucun des deux partis politiques au pouvoir ni à un parti allié. Pensez-vous que votre candidature est solide ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Je n'ignore pas cette réalité, mais j'ai pris en compte la volonté du Président et de son Premier Ministre de vouloir réformer et moderniser le pays sur la base de la compétence. Il est important qu'en plus de la compétence, un Médiateur soit apolitique, impartial et indépendant, et c'est exactement ce que je suis.
Alwihda : Quelle type de modernisation pouvez-vous apporter à la nouvelle Médiature ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Il convient de comprendre que l'une des priorités dans les sphères démocratiques est l'instauration et le renforcement des systèmes de protection juridictionnelle et non juridictionnelle des droits fondamentaux. En première ligne des protecteurs des droits et libertés se trouvent le juge et les Autorités Administratives Indépendantes (AAI). L'évolution de ces systèmes se poursuit depuis la Deuxième Guerre mondiale grâce à de multiples réformes constitutionnelles garantissant le fonctionnement de ces divers mécanismes. Chaque pays adapte les évolutions réformatrices en les rendant plus efficaces et plus opérationnelles, tout en tenant compte des réalités sociopolitiques et économiques. Les réformes doivent prendre en compte le fait que l'accessibilité aux différents mécanismes soit plus facile pour toute personne, ce qui fait partie des droits fondamentaux.
Alwihda : Quelles seront les priorités du nouveau Médiateur selon vous ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Il y a trois priorités : 1/ réconcilier les Tchadiens, 2/ contribuer au succès du programme de DDR concernant les désengagés des mouvements politico-militaires, 3/ élaborer une stratégie visant à réduire les conflits inter et intracommunautaires.
Alwihda : Votre conclusion sur ce sujet ?
Dr. Ahmat Yacoub Dabio : Je recommande aux autorités compétentes de ne pas se précipiter et de prendre leur temps pour élaborer les statuts de la nouvelle médiation en mettant en place une commission d'experts dans ce domaine.
Propos recueillis par Djimet Wiche