Crédits photo : Le Figaro. Le président ivoirien, Laurent Gbagbo
Saïd Penda est un ancien journaliste de la BBC qui a décidé d’investir le champ du cinéma. Sa caméra en bandoulière, ce Camerounais établi en Côte d’Ivoire n’en finit pas de soulever des vagues avec ses films très engagés. Son documentaire consacré à l’ancien président ivoirien Gbagbo (Laurent Gbagbo : despote ou anti-néocolonialiste…le verbe et le sang, ndlr )n’a pas encore fini de faire couler de l’encre et de la salive. Le réalisateur séjourne à Dakar dans le cadre d’un festival cinématographique. Nous avons profité de cette opportunité pour nous entretenir avec ce redoutable polémiste que certains ont vite fait de cataloguer comme un activiste voire un affairiste avisé. En aparté avec un homme qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui sait visiblement se défendre.
Le Témoin - Vous êtes à Dakar pour participer à un festival de cinéma, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Saïd PENDA -Je suis très content d’avoir été invité par ce festival qui est consacré aux droits humains. Il est surtout considéré comme une manifestation culturelle de référence dans la sous-région de l’Afrique occidentale, en matière de cinéma. C’est aussi un festival atypique qui réunit des réalisateurs ayant planché sur des films qui abordent les droits humains. Ils le font généralement de manière engagée et certains de ces films ont connu quelques infortunes notamment des interdictions à l’instar de mon film consacré à Laurent Gbagbo. En effet, mon œuvre a tout simplement été interdite de diffusion au Cameroun.
Quel est le sentiment qui vous anime après avoir réalisé ce film sur Laurent Gbagbo qui ne cesse d’alimenter la polémique ?
Je suis très fier d’avoir, en tant qu’Africain, réalisé un film qui est très critique sur les dirigeants africains. Pour cette fois, il s’agit de Laurent Gbagbo qui était idolâtré par ses partisans et dans certains pays africains. Vous aurez remarqué que la plupart des gens qui le supportent sont loin de la Côte d’Ivoire. Ils se trouvent plutôt en Afrique Centrale et ailleurs. Ici, en Afrique de l’Ouest comme au Sénégal où je me trouve actuellement, les gens ont souvent vu leurs compatriotes ramenés au bercail dans des cercueils durant les dix années de régence de Laurent Gbagbo. Dans ces pays-là, les gens ont fini par savoir qu’il était un despote sanguinaire et barbare. Par conséquent, dans ces contrées d’Afrique de l’Ouest, je n’ai pas de problèmes. C’est en Afrique centrale où les gens le connaissaient très peu et où certains gens ont profité de la Côte d’Ivoire de manière très malhonnête qu’ils ont profité de cette situation en accusant la France malheureusement sur le dos des Ivoiriens. Ils ont dépeint Gbagbo comme un résistant à la France qui aurait tenté de s’emparer des richesses de la Côte d’Ivoire. Ce qui était totalement faux, comme je l’ai découvert pendant les investigations que je menais durant la préparation de ce documentaire. En réalité, au-delà des aspects de son discours anticolonialiste et de résistant, Laurent Gbagbo était un illusionniste, un prestidigitateur, un imposteur. Le discours était totalement en déphasage avec la réalité.
A Abidjan, certains vous ont accusé d’avoir tourné ce film pour soutirer de l’argent au président Ouattara. Que leur répondez-vous ?
Je serais tenté de répondre par le mépris car ces propos vont beaucoup choquer mes proches et tous ceux qui me connaissent. Néanmoins, je vais préciser que le dernier emploi que j’ai occupé après la Bbc (British broadcasting corporation, Ndlr) était à l’Union européenne où j’étais responsable de la communication pour 18 pays d’Afrique Centrale et de l’Ouest. J’avais un salaire d’environ 10.000 euros par mois (6,5 millions FCfa, Ndlr).
Cet argent, je l’ai gagné pour l’emploi que j’occupais. Comprenez donc que je n’ai pas fait ce documentaire dans un objectif financier. Je l’ai réalisé dans un objectif patriotique, panafricain. J’ai fait ce film parce que j’ai été très choqué. Nos dirigeants en Afrique nous ont beaucoup mentis. Laurent Gbagbo a été le dirigeant qui a le plus menti aux gens qui croyaient en lui en Afrique. Est-ce qu’il était un démocrate ? Le documentaire permet d’affirmer que non.
L’opinion camerounaise a été très favorable à Laurent Gbagbo pendant la crise ivoirienne. Qu’est-ce qui peut expliquer votre position aujourd’hui ?
Je tiens à présenter au nom de tous les Camerounais des excuses aux victimes de Laurent Gbagbo. Lorsque je parle des victimes de Laurent Gbagbo, je parle aussi de ses partisans. Je veux présenter mes excuses à tous les Ivoiriens. En réalité, les Camerounais voulaient régler leurs différends avec la France à travers la crise ivoirienne.
Le Cameroun est le seul pays en Afrique noire où on a dû conquérir l’indépendance par les armes. Au Cameroun, l’armée coloniale française a incendié des villages entiers. Ces crimes ne sont pas connus, ces crimes ne sont pas reconnus par la France coloniale, encore moins par la France d’aujourd’hui. Donc, pour les Camerounais, la crise ivoirienne a été l’occasion de venir étancher cette soif de revanche sur la France, ce besoin, cette demande pressante de reconnaissance des crimes par la France, commis au Cameroun. Donc, ça n’avait rien à voir avec Laurent Gbagbo ou la Côte d’Ivoire. Ça a été juste un prétexte pour les Camerounais et je crois qu’ils se rendent compte aujourd’hui, de plus en plus, qu’ils ont été trompés par Laurent Gbagbo.
Certains vous accusent de ne pas parler de Paul Biya qui ne fait pas mieux que Gbagbo et qui est aussi considéré comme un despote pour certains. Qu’avez-vous à dire sur tout cela ?
Justement. Et c’est cela l’une des raisons pour lesquelles les Camerounais supportaient Laurent Gbagbo. C’est parce qu’ils se disaient que si réellement le combat de la France et de la communauté internationale en Côte d’Ivoire c’était pour la réinstauration de la démocratie, dans ce cas, il fallait commencer par Paul Biya, le faire sauter, lui qui est là depuis un quart de siècle. Voilà la logique des Camerounais ; une logique que je trouve, malheureusement, égoïste. Pourtant, je viens de vous dire que mon film a été interdit au Cameroun et cela veut tout dire.
Que pensez-vous de la CPI ?
Je ne porterai pas de jugement de valeur sur la Cpi. C’est une institution que je respecte, que je soutiens et que je soutiendrai toujours. Parce qu’en réalité, la Cpi a été créée pour nous les pauvres, pour nous les plus faibles. La Cpi a été créée pour défendre les faibles, c’est-à-dire les peuples qui ont souvent été maltraités, massacrés par leurs dirigeants.
Je pense que c’est bon pour Laurent Gbagbo d’être jugé par un tribunal comme celui-là qui est un tribunal impartial.
Que pensez vous de la Côte d’Ivoire où vous avez choisi de vivre ?
On est heureux de pouvoir vivre en Côte d’Ivoire. J’aurais pu choisir un autre pays pour m’installer quand j’ai quitté l’Union européenne, mais j’ai choisi la Côte d’Ivoire parce que ce pays est redevenu accueillant pour les étrangers. Je me sens plus à l’aise en Côte d’Ivoire que dans mon propre pays, le Cameroun. Je suis désolé. Ce n’est pas un régime xénophobe, fasciste. L’ancien régime était xénophobe, fasciste et anti-africain.
Certes, beaucoup de choses doivent être améliorées en Côte d’Ivoire, mais, à mon avis, ce pays est sur la bonne voie, même si je ne suis pas capable de porter des jugements de valeur sur le régime Ouattara. Attendons que je finisse par faire un film sur le régime en place, et à ce moment-là je pourrai mieux porter un jugement…
Propos recueillis par Fadel Lo
Article paru dans « Le Témoin » N° 1161 –Hebdomadaire Sénégalais (AVRIL 2014)