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POINT DE VUE

« NOS GOUVERNANTS SONT-ILS DEVENUS FOUS ? »


Alwihda Info | Par - 17 Avril 2013


De l’affaire Stavisky à la plus modeste aventure des diamants de l’empereur de Centrafrique, les « affaires » provoquent l’émoi et l’indignation de la conscience collective.


 
Editorial du Président | 17 avril 2013
 

Le déshonneur d’un ministre qui serait fraudeur et parjure ne saurait à lui seul tuer la démocratie comme le ferait un virus mortifère.

Les affrontements de l’opposition et de la majorité et les gesticulations qui les ponctuent sont inhérents au combat politique. L’opposition a le droit de demander des comptes au gouvernement qui a le droit de riposter. Ces empoignades sur fond de scandale jalonnent l’histoire de notre République, témoignent de sa vitalité et contribuent à sa survie.

De l’affaire Stavisky à la plus modeste aventure des diamants de l’empereur de Centrafrique, les « affaires » provoquent l’émoi et l’indignation de la conscience collective.

L’intensité du débat d’aujourd’hui tient à ce que j’appellerai la logique du comble : non seulement un ministre aurait fraudé le fisc, mais il aurait juré le contraire devant l’Assemblée nationale avant de passer aux aveux. Pire encore, il s’agissait du ministre de l’administration fiscale !

Pour autant, le gouvernement devrait se montrer ferme et calme et la classe politique savoir raison garder.

Au lieu de cela, se met en place, dans une atmosphère rappelant les excès de la Révolution française (un homme politique en appelle aujourd’hui à Robespierre !), une suspicion généralisée.

Animés d’une sorte de fièvre panique, des députés, des sénateurs ou des ministres étalent leur patrimoine, invitent à fouiller leurs armoires pour prouver qu’ils ne cachent rien et réclament la transparence comme une vertu suprême, quittes à devenir aussi translucides que des méduses.

Plus grave, on tente de mettre en place une sorte de loi des suspects sur fond de haine civile désignant à la vindicte populaire des professionnels, étrangers au drame, qu’on lui jette en pâture comme des boucs-émissaires.

Sont-ils devenus fous ?

On commence par jeter l’opprobre sur les avocats comme s’ils étaient les fauteurs du mal. À supposer que l’un d’entre eux manque à son serment et se fasse complice d’une fraude, il doit être jugé comme tout un chacun et jeté hors du barreau. Mais la généralisation est insupportable : a-t-on imaginé, dans le passé, de supprimer le gouvernement parce qu’un ministre a failli, de prôner la méfiance à l’égard de tous les parlementaires parce que l’un d’entre eux a été condamné, ou encore de discréditer la magistrature lorsqu’il arrive qu’un juge encourt la destitution ?

Et, comble supplémentaire, aucun avocat n’est ici en cause, mais un chirurgien !

Cela n’empêche pas nos gouvernants de délirer.

La loi que concoctent en ce moment leurs services est destinée à empêcher un avocat, devenu parlementaire (je ne parle pas d’un parlementaire devenu avocat), de continuer à exercer son métier. Ce projet scélérat va infuser dans l’opinion publique l’idée qu’un avocat serait malhonnête, qu’il se livrerait, étant parlementaire, à je ne sais quel trafic d’influence, soit pour favoriser des lois utiles à sa clientèle, soit pour impressionner les juges en raison de ce pouvoir supplémentaire qu’il détiendrait, comme si les juges n’étaient pas des femmes et des hommes libres.

Or déjà depuis plus de quarante ans, une loi organique (article LO 149 du Code électoral) a défini de manière très précise et stricte les domaines dans lesquels un avocat devenu parlementaire doit s’abstenir d’exercer son métier : il ne peut plaider ni pour ni contre l’État, ni pour ni contre des sociétés nationalisées, ni à l’occasion de marchés publics, ni dans les procès de diffamation au pénal. Je ne cite que ces quelques exemples.

Si l’avocat enfreint la règle, il est réputé démissionnaire de son mandat parlementaire. Il revient alors au bureau de son assemblée de le constater.

Au surplus, notre déontologie nous impose de fuir les conflits d’intérêts à peine de commettre une faute disciplinaire qui relèverait du conseil de discipline, sous le contrôle des magistrats professionnels. Ce sont eux qui, en appel, relaxent ou condamnent un avocat.

Quelles seraient les conséquences de cette législation inepte ?

Un avocat, par état, défend ses contemporains et les représente au sein des assemblées. Qu’une dissolution l’empêche de terminer sa mandature ou qu’il reste parlementaire pendant un certain nombre d’années, son retour à la vie professionnelle sera de toute façon compromis : ses clients ont pris l’habitude de se passer de lui.

Du même coup, les avocats seraient encore moins nombreux qu’aujourd’hui au sein du parlement, alors qu’étant juristes, ils ont toutes les qualités pour participer efficacement à l’élaboration de la loi.

Le parlement sera-t-il donc composé essentiellement de fonctionnaires, certes en disponibilité, mais qui n’auront pas à affronter les mêmes craintes ? Quelque estime que je leur porte, je ne puis concevoir que nos assemblées soient désormais essentiellement constituées d’agents de la fonction publique. Nous changerions de régime politique puisque les assemblées seraient composées de manière très majoritaire d’agents de l’État assurés, une fois expirée la durée de leur mandat, de retrouver leur place au sein de l’administration.

Cette réforme, outre qu’elle dénaturerait notre République, procèderait d’une discrimination insupportable.

Que nos gouvernants, s’ils maintiennent leur projet absurde, aillent au bout de leur folie : nul ne peut être parlementaire s’il n’a préalablement démissionné de son métier antérieur, qu’il soit professionnel libéral ou fonctionnaire.

Le gouvernement rêve-t-il d’avoir les pleins pouvoirs grâce à des assemblées d’assujettis, à moins qu’il ne songe même à s’en passer ?

Peuple de France, réveille-toi ! Ils sont en train de devenir fous !

  Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel
Président du Conseil national des barreaux
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