Le président Emmanuel Macron vient de boucler par la Guinée-Bissau, une tournée africaine qui l'aura conduit au Cameroun et au Bénin. Comment se porte la France au sortir de cette opération de reconquête du continent africain ?
Pour son tout premier déplacement africain de son second mandat, le président français Emmanuel Macron a, par la force des choses et le réalisme politique, choisi le Cameroun. Fini donc les bravades à l’égard de son aîné de très loin, le président Paul Biya, 89 ans dont quarante passés au pouvoir et lui, 44 ans d’âge seulement, qui s’était targué en 2020 de « mettre la pression » sur le président camerounais pour qu’il libère, certains opposants et règle la crise anglophone. Il faut bien le dire, l’offensive russe en Afrique n’est pas pour rien dans ce revirement stratégique. Selon la confidence d’un diplomate français, Emmanuel Macron a décidé de marquer la Russie à la culotte sur le continent.
Cette visite avait donc pour but, entre autres, le repositionnement de la France en Afrique centrale, face aux ambitions russes, et de promouvoir l’initiative FARM (Food and Agriculture Resilience Mission), lancée en mars dernier, pour renforcer la résilience alimentaire et favoriser l’investissement dans l’agriculture africaine.
Ainsi donc, en visite au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau, le président français Emmanuel Macron, nous l’espérons pour lui, s’est bien rendu compte des changements que connait la diplomatie dans plusieurs pays africains et se souviendra de la petite phrase de Charles De Gaulle qui disait je cite : « En politique, il n’y pas d’amis, il n’y a que des intérêts ». On peut affirmer qu’il est très sensible à ces développements, car la France a senti l’Afrique subsaharienne lui glisser entre les doigts, tant sur le plan économique par une Turquie dont le déploiement en Afrique est à ne pas sous-estimer que militairement par une Russie plus que jamais conquérante, alors que la Chine domine tout sur son passage.
Pendant ce temps, le Gabon, allié classique de la France, vire dans la sphère anglo-saxonne en prônant le modèle rwandais ; en adoptant la langue anglaise et en intégrant le Commonwealth.
Le président français durant sa tournée africaine n’a eu de cesse de hausser le ton contre la politique de Vladimir Poutine, en affirmant que « quand on dit les choses et qu'on essaie de les qualifier », « on se donne les moyens » de peser sur les évènements. Depuis son arrivée en Afrique, il a ainsi multiplié les critiques envers Moscou alors que, dans le même temps, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, était également en tournée africaine pour affirmer son attachement au continent.
Quel commentaire faites-vous du message délivré par le président français à ses homologues africains, au cours de son voyage sur le continent ?
L’objectif poursuivi dans cette diatribe sévère était de continuer à adopter un discours sentimental et plutôt « has been » tendant à toujours faire croire que la France est la seule puissance qui souhaite sincèrement la réussite du développement africain tout en présentant la Russie comme l'une des dernières puissances impériales coloniales qui a décidé « d'envahir un pays voisin (l'Ukraine) pour y défendre ses intérêts », lors d'une conférence de presse avec son homologue béninois, Patrice Talon, à Cotonou.
Dans les trois capitales africaines visitées, le président français a cherché à mettre en garde les pays contre le « nouveau type de guerre mondiale hybride » que mène Moscou, qui « a décidé que l'information, l'énergie et l'alimentation étaient des instruments militaires mis au service » de la guerre en Ukraine. A Yaoundé, le chef d’Etat français avait par ailleurs dénoncé sans ambages « l'hypocrisie », entendue « en particulier sur le continent africain », consistant à ne pas reconnaître clairement que la Russie menait « une agression unilatérale » en Ukraine « parce qu'il y a des pressions diplomatiques ». Il s’agit là d’une définition occidentale de l’agression, qui demeure un sujet à caution dans sa définition en relations internationales, que forcément les Africains ne partagent pas nécessairement avec les pays de l’OTAN.
La Russie est également ciblée par Emmanuel Macron pour son activisme en Afrique, notamment par l'intermédiaire du groupe paramilitaire Wagner, qui vient, selon lui, « en soutien soit à des pouvoirs politiques affaiblis qui ont du mal à s'assumer soit à des juntes illégitimes », en Centrafrique et au Mali. On pourrait se risquer de dire qu’après cette tournée africaine dense et intense, la France a définitivement compris la place cruciale et déterminante de l’Afrique dans le contexte géopolitique actuel.
Aujourd’hui, les Etats africains jouent un rôle de plus en plus important dans la politique et l’économie globale, car ils apportent d’une manière énergique leur contribution au règlement des problèmes clés de notre époque, à preuve la médiation magistrale de l’Union Africaine dans le conflit russo-ukrainien. Contrairement à ce que l’on pense, l’Afrique est géopolitiquement importante pour le monde entier. Et ce n’est pas pour rien que les puissances mondiales y courent pour placer.
Dès lors, que pense la France sur la coopération militaire entre le Cameroun et la Russie ?
En définitive, au cours de cette visite Paris a voulu rassurer Yaoundé sur la pérennité de son partenariat alors que le Kremlin selon la France mise sur le ministre camerounais délégué à la Défense, Joseph Beti Assomo et les jeunes officiers pour étendre son influence. C’est pourquoi, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a eu un entretien avec notre ministre délégué à la Défense, avec au menu, l’intensification de la coopération militaire, notamment dans la lutte contre Boko Haram au nord Cameroun. On sait pertinemment que le groupe paramilitaire Wagner est manifestement la bête noire de la France.
Ce d’autant plus que les Français prêtent au MINDEF Beti Assomo une proximité avec les Russes, sachant qu’il a effectué une visite remarquée à Moscou le 12 avril dernier, en pleine offensive en Ukraine, en signant avec son homologue russe, Sergueï Choïgou, un nouvel accord en matière de politique de défense et de sécurité, tout ceci dans la routine des relations diplomatiques bilatérales entre les deux pays pour reprendre les mots très justes du président de la République Paul Biya.
Au même moment, on constate ce chassé-croisé diplomatique des superpuissances mondiales, après la France, la Russie et bientôt les États-Unis.
L’Afrique est manifestement devenue une terre d'influence. Il y a décidément une coïncidence suspecte des agendas, le déplacement élyséen intervient au moment même où le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a posé ses valises à Oyo, au Congo-Brazzaville, pour s’entretenir avec le président Denis Sassou N’Guesso. Il s’est ensuite rendu à Kampala où il a rencontré le président ougandais, Yoweri Museveni, puis à Addis-Abeba, où il a vu le Premier ministre, Abiy Ahmed.
Le diplomate russe n’a pas manqué de promouvoir sa vision de la crise ukrainienne, de rassurer sur la fourniture de céréales et de discuter des projets bilatéraux dans les domaines militaires et miniers. Le chassé-croisé diplomatique entre la Russie, la France et les États-Unis se poursuit en Afrique. Puisque quelques jours après la tournée du chef de la diplomatie russe sur le continent, son homologue américain va se rendre en Afrique du Sud, en République démocratique du Congo et au Rwanda. Dès lors, il est loisible d’observer que plus de soixante ans après les indépendances, le continent reste donc bien l'objet des convoitises entre les grandes puissances.
L'Afrique représente environ 8 % des réserves de pétrole du monde, 7 % de l'or, 53 % des diamants, 75 % du platine et au moins 60 % des terres arables non cultivées. La mise en culture aurait de quoi nourrir une grande partie de la population mondiale, qui à la fin de ce siècle pourrait atteindre 11 milliards de personnes. Ainsi, à peine la tournée africaine du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov en Afrique terminée que les États-Unis déploient déjà la contre-attaque.
En Afrique, Moscou a démontré que la Russie n’est pas isolée au plan diplomatique et que les sanctions internationales contre elle, seraient responsables de la flambée des prix des matières premières et non son opération spéciale en Ukraine. Après cette opération de charme du ministre russe des Affaires étrangères en Afrique, le chef de la diplomatie américaine lui emboîte le pas et a annoncé le 29 juillet dernier une tournée africaine. Anthony Blinken se rendra donc en Afrique du 7 au 12 août prochain. Une visite destinée à réaffirmer la présence géopolitique des États-Unis sur le continent africain face à la Russie sur fond de guerre en Ukraine.
Quels sont les enjeux de la prochaine tournée africaine du secrétaire d’Etat américain ?
Alors, les enjeux de la tournée africaine du secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken pour les États-Unis consistent à chercher à contrecarrer l’influence diplomatique russe. Pour contrer ce récit russe, le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken se rendra en Afrique du Sud du 7 au 9 août, en République Démocratique du Congo du 9 au 10 août et au Rwanda du 10 au 12 août, les deux pays connaissent un regain de tensions suite à la crise qui sévit à l’Est de la RDC. Une semaine plus tard, c’est Linda Thomas Greenfield, l’ambassadrice des États-Unis aux Nations Unies à New York qui visitera le Ghana et l’Ouganda, pays visité par Sergueï Lavrov, juste après le passage de Samantha Power, la directrice de l’agence américaine d’aide au développement qui a achevé récemment un déplacement au Kenya, allié de longue date des Etats-Unis et en Somalie.
Dans un communiqué, le département d’État explique le but de ces efforts diplomatiques américains, il s’agit de montrer aux pays africains qu’ils ont un rôle géostratégique essentiel et sont des alliés cruciaux sur les questions les plus brûlantes de notre époque, allant de la promotion d’un système international ouvert et stable à la lutte contre les effets du changement climatique, l’insécurité alimentaire et les pandémies mondiales. Il s’agira du deuxième déplacement d’Anthony Blinken en Afrique subsaharienne depuis sa prise de fonctions. L’année dernière, il s’était déjà rendu au Kenya, au Nigeria et au Sénégal.
Avant l’invasion russe de l’Ukraine, la diplomatie américaine en Afrique se concentrait surtout sur la compétition avec la Chine, qui a fait d’importants investissements dans les infrastructures sur le continent africain et qui, à l’inverse des États-Unis, l’a fait sans demander de contrepartie aux Etats africains sur la démocratie ou les droits humains. La nouvelle tournée africaine d’Antony Blinken intervient alors que la Russie est entrain d’étendre son influence sur le continent et met les dirigeants africains en garde contre les dangers d’un monde unipolaire régi par les États-Unis.
Lors d’un discours prononcé, le 27 juillet, devant un parterre de diplomates africains réunis à Addis-Abeba, siège de l’Union africaine, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait appelé les pays africains à ne pas soutenir un monde régi par les USA, les avertissant qu’ils pourraient être les prochains à subir les foudres américaines. À l’instar du président Paul Biya, plusieurs dirigeants africains ne condamnent pas officiellement l’intervention russe, ce qui est le cas également au Moyen-Orient…
Avec ce retour de la Russie en Afrique et ce nouveau redéploiement du monde occidental, est-ce que ce n'est pas déjà le retour à la guerre froide en Afrique ?
D’emblée non. C’est plutôt la consécration du multilatéralisme et du monde multipolaire avec l’émergence inexorable des BRICS et l’explosion de la diversité tous azimuts des partenariats pour les Africains. D’un autre côté, c’est aussi l’affirmation renouvelée du non alignement très cher à beaucoup de pays africains, dont le Cameroun. Par conséquent, on conserve nos relations traditionnelles avec nos partenaires occidentaux, tout en élargissant dans le même temps, notre cercle d’amitiés internationales au gré de nos intérêts propres.
Mais il faut noter que pendant la guerre froide, l'URSS apparaissait en pleine décolonisation comme une alternative à l'Europe et était devenue l'un des principaux fournisseurs d'armes des pays africains. L'autre point fort de l'influence soviétique était la coopération universitaire, qui a permis à de nombreux jeunes Africains d'aller étudier à Moscou. A l'époque, cette influence inquiétait les pays occidentaux, qui se demandaient même si l'Union soviétique n'était pas en train de prendre le contrôle de ce que l'on nommait le tiers-monde. Si Emmanuel Macron entend rénover ses partenariats militaires sur le continent, il sait que la compétition stratégique avec Moscou a trouvé, au Sahel, l’abcès de fixation synonyme, pour Paris, de perte d’influence, voire d’humiliation.
Enfin, il appartient à chaque pays africain visité, en fonction de la personnalité de ses dirigeants, de décider s’il se sent flatté d’être courtisé par deux puissances majeures ou stressé d’être sous leur pression.
Pour ce qui est du Cameroun, me semble-t-il en tous cas, ça ne fait ni chaud ni froid au président Paul Biya, homme de très grande expérience rompu à la pratique des relations internationales et à la diplomatie de très haut vol, qui a encore eu là une extraordinaire occasion de donner une leçon politique magistrale au dirigeant français.
Pour son tout premier déplacement africain de son second mandat, le président français Emmanuel Macron a, par la force des choses et le réalisme politique, choisi le Cameroun. Fini donc les bravades à l’égard de son aîné de très loin, le président Paul Biya, 89 ans dont quarante passés au pouvoir et lui, 44 ans d’âge seulement, qui s’était targué en 2020 de « mettre la pression » sur le président camerounais pour qu’il libère, certains opposants et règle la crise anglophone. Il faut bien le dire, l’offensive russe en Afrique n’est pas pour rien dans ce revirement stratégique. Selon la confidence d’un diplomate français, Emmanuel Macron a décidé de marquer la Russie à la culotte sur le continent.
Cette visite avait donc pour but, entre autres, le repositionnement de la France en Afrique centrale, face aux ambitions russes, et de promouvoir l’initiative FARM (Food and Agriculture Resilience Mission), lancée en mars dernier, pour renforcer la résilience alimentaire et favoriser l’investissement dans l’agriculture africaine.
Ainsi donc, en visite au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau, le président français Emmanuel Macron, nous l’espérons pour lui, s’est bien rendu compte des changements que connait la diplomatie dans plusieurs pays africains et se souviendra de la petite phrase de Charles De Gaulle qui disait je cite : « En politique, il n’y pas d’amis, il n’y a que des intérêts ». On peut affirmer qu’il est très sensible à ces développements, car la France a senti l’Afrique subsaharienne lui glisser entre les doigts, tant sur le plan économique par une Turquie dont le déploiement en Afrique est à ne pas sous-estimer que militairement par une Russie plus que jamais conquérante, alors que la Chine domine tout sur son passage.
Pendant ce temps, le Gabon, allié classique de la France, vire dans la sphère anglo-saxonne en prônant le modèle rwandais ; en adoptant la langue anglaise et en intégrant le Commonwealth.
Le président français durant sa tournée africaine n’a eu de cesse de hausser le ton contre la politique de Vladimir Poutine, en affirmant que « quand on dit les choses et qu'on essaie de les qualifier », « on se donne les moyens » de peser sur les évènements. Depuis son arrivée en Afrique, il a ainsi multiplié les critiques envers Moscou alors que, dans le même temps, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, était également en tournée africaine pour affirmer son attachement au continent.
Quel commentaire faites-vous du message délivré par le président français à ses homologues africains, au cours de son voyage sur le continent ?
L’objectif poursuivi dans cette diatribe sévère était de continuer à adopter un discours sentimental et plutôt « has been » tendant à toujours faire croire que la France est la seule puissance qui souhaite sincèrement la réussite du développement africain tout en présentant la Russie comme l'une des dernières puissances impériales coloniales qui a décidé « d'envahir un pays voisin (l'Ukraine) pour y défendre ses intérêts », lors d'une conférence de presse avec son homologue béninois, Patrice Talon, à Cotonou.
Dans les trois capitales africaines visitées, le président français a cherché à mettre en garde les pays contre le « nouveau type de guerre mondiale hybride » que mène Moscou, qui « a décidé que l'information, l'énergie et l'alimentation étaient des instruments militaires mis au service » de la guerre en Ukraine. A Yaoundé, le chef d’Etat français avait par ailleurs dénoncé sans ambages « l'hypocrisie », entendue « en particulier sur le continent africain », consistant à ne pas reconnaître clairement que la Russie menait « une agression unilatérale » en Ukraine « parce qu'il y a des pressions diplomatiques ». Il s’agit là d’une définition occidentale de l’agression, qui demeure un sujet à caution dans sa définition en relations internationales, que forcément les Africains ne partagent pas nécessairement avec les pays de l’OTAN.
La Russie est également ciblée par Emmanuel Macron pour son activisme en Afrique, notamment par l'intermédiaire du groupe paramilitaire Wagner, qui vient, selon lui, « en soutien soit à des pouvoirs politiques affaiblis qui ont du mal à s'assumer soit à des juntes illégitimes », en Centrafrique et au Mali. On pourrait se risquer de dire qu’après cette tournée africaine dense et intense, la France a définitivement compris la place cruciale et déterminante de l’Afrique dans le contexte géopolitique actuel.
Aujourd’hui, les Etats africains jouent un rôle de plus en plus important dans la politique et l’économie globale, car ils apportent d’une manière énergique leur contribution au règlement des problèmes clés de notre époque, à preuve la médiation magistrale de l’Union Africaine dans le conflit russo-ukrainien. Contrairement à ce que l’on pense, l’Afrique est géopolitiquement importante pour le monde entier. Et ce n’est pas pour rien que les puissances mondiales y courent pour placer.
Dès lors, que pense la France sur la coopération militaire entre le Cameroun et la Russie ?
En définitive, au cours de cette visite Paris a voulu rassurer Yaoundé sur la pérennité de son partenariat alors que le Kremlin selon la France mise sur le ministre camerounais délégué à la Défense, Joseph Beti Assomo et les jeunes officiers pour étendre son influence. C’est pourquoi, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a eu un entretien avec notre ministre délégué à la Défense, avec au menu, l’intensification de la coopération militaire, notamment dans la lutte contre Boko Haram au nord Cameroun. On sait pertinemment que le groupe paramilitaire Wagner est manifestement la bête noire de la France.
Ce d’autant plus que les Français prêtent au MINDEF Beti Assomo une proximité avec les Russes, sachant qu’il a effectué une visite remarquée à Moscou le 12 avril dernier, en pleine offensive en Ukraine, en signant avec son homologue russe, Sergueï Choïgou, un nouvel accord en matière de politique de défense et de sécurité, tout ceci dans la routine des relations diplomatiques bilatérales entre les deux pays pour reprendre les mots très justes du président de la République Paul Biya.
Au même moment, on constate ce chassé-croisé diplomatique des superpuissances mondiales, après la France, la Russie et bientôt les États-Unis.
L’Afrique est manifestement devenue une terre d'influence. Il y a décidément une coïncidence suspecte des agendas, le déplacement élyséen intervient au moment même où le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a posé ses valises à Oyo, au Congo-Brazzaville, pour s’entretenir avec le président Denis Sassou N’Guesso. Il s’est ensuite rendu à Kampala où il a rencontré le président ougandais, Yoweri Museveni, puis à Addis-Abeba, où il a vu le Premier ministre, Abiy Ahmed.
Le diplomate russe n’a pas manqué de promouvoir sa vision de la crise ukrainienne, de rassurer sur la fourniture de céréales et de discuter des projets bilatéraux dans les domaines militaires et miniers. Le chassé-croisé diplomatique entre la Russie, la France et les États-Unis se poursuit en Afrique. Puisque quelques jours après la tournée du chef de la diplomatie russe sur le continent, son homologue américain va se rendre en Afrique du Sud, en République démocratique du Congo et au Rwanda. Dès lors, il est loisible d’observer que plus de soixante ans après les indépendances, le continent reste donc bien l'objet des convoitises entre les grandes puissances.
L'Afrique représente environ 8 % des réserves de pétrole du monde, 7 % de l'or, 53 % des diamants, 75 % du platine et au moins 60 % des terres arables non cultivées. La mise en culture aurait de quoi nourrir une grande partie de la population mondiale, qui à la fin de ce siècle pourrait atteindre 11 milliards de personnes. Ainsi, à peine la tournée africaine du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov en Afrique terminée que les États-Unis déploient déjà la contre-attaque.
En Afrique, Moscou a démontré que la Russie n’est pas isolée au plan diplomatique et que les sanctions internationales contre elle, seraient responsables de la flambée des prix des matières premières et non son opération spéciale en Ukraine. Après cette opération de charme du ministre russe des Affaires étrangères en Afrique, le chef de la diplomatie américaine lui emboîte le pas et a annoncé le 29 juillet dernier une tournée africaine. Anthony Blinken se rendra donc en Afrique du 7 au 12 août prochain. Une visite destinée à réaffirmer la présence géopolitique des États-Unis sur le continent africain face à la Russie sur fond de guerre en Ukraine.
Quels sont les enjeux de la prochaine tournée africaine du secrétaire d’Etat américain ?
Alors, les enjeux de la tournée africaine du secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken pour les États-Unis consistent à chercher à contrecarrer l’influence diplomatique russe. Pour contrer ce récit russe, le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken se rendra en Afrique du Sud du 7 au 9 août, en République Démocratique du Congo du 9 au 10 août et au Rwanda du 10 au 12 août, les deux pays connaissent un regain de tensions suite à la crise qui sévit à l’Est de la RDC. Une semaine plus tard, c’est Linda Thomas Greenfield, l’ambassadrice des États-Unis aux Nations Unies à New York qui visitera le Ghana et l’Ouganda, pays visité par Sergueï Lavrov, juste après le passage de Samantha Power, la directrice de l’agence américaine d’aide au développement qui a achevé récemment un déplacement au Kenya, allié de longue date des Etats-Unis et en Somalie.
Dans un communiqué, le département d’État explique le but de ces efforts diplomatiques américains, il s’agit de montrer aux pays africains qu’ils ont un rôle géostratégique essentiel et sont des alliés cruciaux sur les questions les plus brûlantes de notre époque, allant de la promotion d’un système international ouvert et stable à la lutte contre les effets du changement climatique, l’insécurité alimentaire et les pandémies mondiales. Il s’agira du deuxième déplacement d’Anthony Blinken en Afrique subsaharienne depuis sa prise de fonctions. L’année dernière, il s’était déjà rendu au Kenya, au Nigeria et au Sénégal.
Avant l’invasion russe de l’Ukraine, la diplomatie américaine en Afrique se concentrait surtout sur la compétition avec la Chine, qui a fait d’importants investissements dans les infrastructures sur le continent africain et qui, à l’inverse des États-Unis, l’a fait sans demander de contrepartie aux Etats africains sur la démocratie ou les droits humains. La nouvelle tournée africaine d’Antony Blinken intervient alors que la Russie est entrain d’étendre son influence sur le continent et met les dirigeants africains en garde contre les dangers d’un monde unipolaire régi par les États-Unis.
Lors d’un discours prononcé, le 27 juillet, devant un parterre de diplomates africains réunis à Addis-Abeba, siège de l’Union africaine, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait appelé les pays africains à ne pas soutenir un monde régi par les USA, les avertissant qu’ils pourraient être les prochains à subir les foudres américaines. À l’instar du président Paul Biya, plusieurs dirigeants africains ne condamnent pas officiellement l’intervention russe, ce qui est le cas également au Moyen-Orient…
Avec ce retour de la Russie en Afrique et ce nouveau redéploiement du monde occidental, est-ce que ce n'est pas déjà le retour à la guerre froide en Afrique ?
D’emblée non. C’est plutôt la consécration du multilatéralisme et du monde multipolaire avec l’émergence inexorable des BRICS et l’explosion de la diversité tous azimuts des partenariats pour les Africains. D’un autre côté, c’est aussi l’affirmation renouvelée du non alignement très cher à beaucoup de pays africains, dont le Cameroun. Par conséquent, on conserve nos relations traditionnelles avec nos partenaires occidentaux, tout en élargissant dans le même temps, notre cercle d’amitiés internationales au gré de nos intérêts propres.
Mais il faut noter que pendant la guerre froide, l'URSS apparaissait en pleine décolonisation comme une alternative à l'Europe et était devenue l'un des principaux fournisseurs d'armes des pays africains. L'autre point fort de l'influence soviétique était la coopération universitaire, qui a permis à de nombreux jeunes Africains d'aller étudier à Moscou. A l'époque, cette influence inquiétait les pays occidentaux, qui se demandaient même si l'Union soviétique n'était pas en train de prendre le contrôle de ce que l'on nommait le tiers-monde. Si Emmanuel Macron entend rénover ses partenariats militaires sur le continent, il sait que la compétition stratégique avec Moscou a trouvé, au Sahel, l’abcès de fixation synonyme, pour Paris, de perte d’influence, voire d’humiliation.
Enfin, il appartient à chaque pays africain visité, en fonction de la personnalité de ses dirigeants, de décider s’il se sent flatté d’être courtisé par deux puissances majeures ou stressé d’être sous leur pression.
Pour ce qui est du Cameroun, me semble-t-il en tous cas, ça ne fait ni chaud ni froid au président Paul Biya, homme de très grande expérience rompu à la pratique des relations internationales et à la diplomatie de très haut vol, qui a encore eu là une extraordinaire occasion de donner une leçon politique magistrale au dirigeant français.