Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à écrire cet ouvrage ?
Quand on ne sait plus où l’on va, il est conseillé de se poser et de réfléchir sur son passé. Dans ma langue natale – à savoir le lingala, le kikongo étant ma langue maternelle, donc ancestrale – le passé et le futur sont matérialisés par un même substantif, à savoir « lobi ». Cela laisse supposer que le présent est déterminant dans l’orientation de l’existence d’un individu car il permet de se ressourcer dans le passé pour mieux aborder le futur.
En quoi l’histoire de l’Afrique est-elle le fruit d’un « mensonge civilisationnel » ?
L’histoire de l’Afrique nous est très largement connue par la société occidentale. Or, dès l’exploration européenne du continent africain par les Grecs anciens et les Romains, les Occidentaux avaient des visées expansionnistes, donc impérialistes. Leur désir de domination en vue du splendeur économique s’est fait par le biais de l’esclavage, de la division pour mieux régner, de la fragilisation des entités africaines, des pillages des ressources naturelles, de la conquête et de l’occupation des terres par les armes... Pour que ce système puisse perdurer, il fallait s’imposer par la force dans le but de détourner les vaincus de leurs cultures ancestrales. Un arbre sans raciste n’est utile qu’au bonheur de celui qui l’a coupé. Ce qui s’est passé, s’agissant de l’histoire de l’Afrique, est merveilleusement résumé par l’Américain Elie Wiesel lorsqu’il dit que le bourreau tue toujours deux fois : la première fois par les armes, la seconde fois par l’oubli. Il fallait donc faire fonctionner le subconscient de l’Afrique à partir d’une culture qui n’est pas la sienne et dont il ne maîtrise pas. D’où l’introduction en Afrique des religions venues d’ailleurs et de l’instruction sur la base des valeurs européennes. On apprit aux Africains à rester pauvres sur terre pour vivre riches au paradis. On est parvenu à les convaincre que leurs ancêtres étaient des Gaulois ou des Saxons, alors que le continent africain est la matrice de l’Humanité.
Que voulez-vous dire concrètement ?
Quand on profite de la faiblesse de la victime, on s’applique afin que cette dernière reste le plus longtemps possible dans l’ignorance. À travers cet ouvrage, j’ai voulu seulement restituer une part de vérité pour que l’on puisse comprendre les raisons ayant motivé l'aliénation du Noir, et qui continuent encore de fonder les relations entre l’Afrique et les puissances extra-continentales. D’aucuns savent que derrière chaque menteur se cache un voleur.
L’esclavage est pour beaucoup dans la situation actuelle de l’Afrique, au même titre que les guerres, initiées depuis l’extérieur du continent, qui sont à l’origine des régimes dictatoriaux, du génocide rwandais et de celui en cours en République Démocratique du Congo.
Que faire alors, pour que l’Afrique puisse assumer sa vraie indépendance ?
Il faut que les Africains commencent par savoir ce qu’ils veulent faire réellement de leurs pays respectifs, donc de leur continent. Quel rôle veulent-ils jouer, au regard des enjeux à venir ? Au moment où nous sommes à la croisée des chemins, à la recherche d’autres modes de vie, doivent-ils toujours rester les bras croisés ? Doivent-ils sans cesse demeurer spectateurs, donc à la merci des autres ? À quoi cela sert-il de dénoncer bruyamment les méfaits de l’esclavage, si l’on ne pense même pas à s’approprier son avenir ?
J’ose espérer que mon ouvrage permettra aux nouvelles générations d’Africains de réaliser, à travers les exploits et les erreurs de nos aînés, que l’intelligence n’est pas que l’apanage des autres peuples. Mais cet ouvrage doit aussi faire comprendre aux personnes non africaines que l’Afrique est la terre nourricière, c’est-à-dire la mère de l’Humanité dont la sauvegarde préfigure l’avenir de tous les humains. Nous avons donc tous intérêts à veiller à son épanouissement. En tout cas, je suis très convaincu que nous assisterons, dans pas longtemps, à l’éveil de l’Afrique à l’instar de l’avènement de Soundiata Keïta qui, pour mettre définitivement un terme aux moqueries à son encontre, avait su vaincre l’infirmité qui l’avait longtemps empêché de s’épanouir.
Propos recueillis par Charlotte Mondo
Quelques informations
Titre : Les figures marquantes de l’Afrique subsaharienne
Auteur : Gaspard-Hubert Lonsi Koko
Éditeur : L’Atelier de l’Égrégore
Genre : Essai
Collection : Démocratie & Histoire
Formats : papier et numérique
Sortie : début novembre 2017
© Agoravox
La trilogie des Grands Lacs est un ensemble de trois ouvrages relatifs aux investigations du détective privé Cicéron Boku Ngoi dans deux pays d’Afrique, plus précisément la République du Zaïre, de nos jours la République Démocratique du Congo, ainsi que le Rwanda. Ces enquêtes – à savoir Dans l’œil du léopard, La chasse au léopard et Au pays des mille collines – sont donc connectées et peuvent être considérées comme une œuvre unique ou bien comme trois œuvres distinctes.
Sans conteste, au-delà de l’aspect imaginaire soutenant la trame de différentes investigations de Cicéron Boku Ngoi dans ces deux pays, le lecteur éveillé peut aisément percevoir la géopolitique en cours en Afrique centrale et dans la région des Grands Lacs africains. Ainsi la stratégie interplanétaire se développe-t-elle en Afrique, au détriment des autochtones, dans l’optique – surtout pour les Occidentaux, la Russie et la Chine – de s’imposer comme la puissance militaire et économique du vingt-et-unième siècle.
Titre : La trilogie des Grands lacs
Format : EPUB (numérique)
Format : Papier
Sur les traces du Justicier exécuteur
Vous venez de publier un nouveau roman intitulé Le justicier exécuteur . En avez-vous déjà assez, au bout de trois ouvrages, de votre héros Cicéron Boku Ngoi ? Qu’est devenu ce personnage très attachant aux yeux de vos lecteurs ?
Les pérégrinations de Cicéron Boku Ngoi concernaient trois affaires[1] ayant concerné trois investigations, en tant que détective privé, menées à la demande du Quai d’Orsay, c’est-à-dire du ministère français des affaires étrangères. Ces trois romans font partie intégrante de La trilogie des Grands Lacs. Le personnage de Cicéron Boku Ngoi s’est donc imposé à moi dans ce cadre précis. Il se manifestera peut-être de nouveau, à travers d’autres passionnantes péripéties.
Alors, qui est ce Justicier exécuteur ?
Il est question de Roger Dercky, un ancien membre de la nouvelle génération des gendarmes Katangais de Nathanaël Mbumba ayant longtemps sévi dans le Sud-Est de la République du Zaïre – plus précisément dans la région du Shaba, l’ex-Katanga – et dans le Nord-Est de l’Angola. Un homme qui s’est établi à Paris, après s’être enrichi dans le trafic des pierres précieuses.
Avez-vous une préférence entre ce personnage, en l’occurrence Roger Dercky, et Cicéron Boku Ngoi ?
Il est difficile, pour moi, d’avoir une préférence pour Cicéron au détriment de Roger, et vice-versa. Primo, comme moi-même, Cicéron Boku Ngoi et Roger Dercky sont nés à Kinshasa et ont grandi à dans la commune de Bumbu. De ce fait, nous sommes tous les trois des Galois – Gal étant l’une des appellations des communes de Bumbu et de Selembao. Nous avons donc connu l’esprit de sangolu zaku, expression de la langue kikongo signifiant que l’on ne peut avant tout compter que sur sa propre force, c’est-à-dire sur soi-même. C’est d’ailleurs cet esprit qui guidera Roger Dercky face à un danger imminent.
Secundo, en tant que romancier, je suis le créateur de Roger et de Cicéron. J’ai donc un regard paternel sur ces deux personnages. Comment un père peut-il préférer un de ses fils par rapport à l’autre ? J’écris des romans comme un géniteur fait des enfants. L’un d’eux fera de moi ce que je souhaite réellement devenir. Lequel d’entre eux ? L’avenir nous le dira. Raison pour lequel je dois les choyer de la même façon.
Comment un milliardaire peut-il devenir subitement un détective privé ?
On exerce une profession soit par nécessité, soit par vocation, soit par concours de circonstance. Dans le cas de Roger Dercky, c’est un double meurtre dans son luxueux appartement du septième arrondissement de Paris qui l’a poussé à rendre lui-même justice. Le mercenaire sommeillant en lui, ayant grandi dans une mentalité tout à fait galoise, a estimé qu’il était son propre garde du corps. Ainsi a-t-il refusé de laisser la police française régler une affaire personnelle à ses yeux.
Au-delà d’une affaire personnelle, Roger Dercky n’est-il pas guidé par une force mystique ? Êtes-vous, vous-même, un mystique ?
Il y a aussi une part de mysticisme dans les aventures de Cicéron Boku Ngoi. Comme moi, Roger Dercky et Cicéron Boku Ngoi sont des Bakongo, donc des descendants des Bantous. Nous sommes des animistes élevés aussi dans la religion chrétienne. En tant que tels, nous croyons aux forces de l’esprit tout en restant pragmatiques. Par conséquent, on peut comprendre que l’on puisse nous qualifier d’agnostiques à tendance mystique. Voilà l’une des raisons qui a poussé l’auteur que je suis à ouvrir une perspective, dans Le Justicier exécuteur, à travers laquelle le lecteur pourrait assister aux voyages des âmes dans l’au-delà. L’Enfer et le Paradis sont proches, et Roger Dercky bénéficie de la protection de ce phénomène tout en étant victime de leurs conséquences. Disons que l’appartement du septième arrondissement et la ville de Paris ont servi, à travers cette enquête, de champ de bataille entre le Mal et le Bien.
Envisageriez-vous, un jour, une investigation commune entre Roger Dercky et Cicéron Boku Ngoi ?
Ces deux Galois sont mes créatures. Cela laisse supposer qu’ils pourraient un jour coopérer dans l’optique d’une cause commune. Ils pourraient aussi s’affronter, à cause d’un malentendu ou d’un conflit d’intérêt. Caïn n’avait-il pas tué son frère Abel ? Tout est possible. Tout dépendra de l’état d’esprit de l’auteur.
Propos recueillis par Charlote de Courchevel