Son dernier ouvrage intitulé Dans l’œil du léopard, un roman policier sous format numérique, est en vente depuis le début du mois de mai sur le site de l’Atelier de l’Egrégore et dans les espaces connus des internautes : Amazon, la Fnac, Kobo, googlebooks, youscribe, etc. Cette interview est l’occasion pour l’auteur, en l’occurrence Gaspard-Hubert Lonsi Koko, de livrer aux lecteurs un aperçu global de son œuvre.
Charlotte de Courchevel : Pourquoi avoir choisi la Bretagne comme cadre pour évoquer votre parcours littéraire ?
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Les bantous disent que l’eau va toujours à la rivière. Je suis Breton par mes enfants qui, bien qu’encore petits, s’intéressent beaucoup ma passion pour l’écriture. J’ai tenu à leur rendre hommage, en guise de remerciement. Au-delà de l’appartenance de mes enfants à la culture celte, la Bretagne me renoue avec une force tellurique, vraisemblablement mystique, que je ne retrouve que dans le Bas-Congo, la terre de mes aïeux.
Charlotte de Courchevel : Etes-vous, en quelque sorte, en parfaite harmonie avec cette terre bretonne ? Est-elle une source d’inspiration pour vous ?
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Indépendamment du fait d’avoir des enfants qui sont à la fois des Bakongo et des Bretons, qui évoluent merveilleusement dans un univers bantou-celtique, je suis un immigré polyvalent. Je me sens chez moi partout. Cela explique peut-être le vertige métaphysique, conception chère à l’écrivain argentin Borges, que le lecteur attentif découvre de temps à autre dans un coin de mes récits.
Charlotte de Courchevel : Quels sont les auteurs préférés de l’homme de grande culture que vous êtes ?
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Parmi les auteurs que j’ai lus, et ils sont nombreux, seuls trois ont réellement influencé ma passion pour la littérature. Il s’agit de James Joyce, de Vladimir Sirine Nabokov et de Jorge Luis Borges. Ils m’ont donné l’envie de ne vivre qu’en écrivant des livres, même si, de nos jours, l’écriture reste un hobby qui me permet de m’évader de temps en temps, d’oublier la dureté des combats politiques et les contraintes de la vie professionnelle.
Charlotte de Courchevel : Et la Dordogne, dans tout ça ?
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Il est vrai que je suis également Périgourdin d’adoption, ayant souvent séjourné dans le Périgord noir. Il fut un temps où je passais mes fins de semaine et mes vacances en Dordogne, à laquelle j’ai consacré un récit romanesque intitulé Drosera capensis.
Charlotte de Courchevel : Une plante carnivore…
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Exactement. Il s’agit d’une métaphore m’ayant permis de me pencher sur la déception amoureuse d’un jeune homme qui fut victime d’une femme mystérieuse que d’aucuns avaient surnommé « drosera capensis ». Ainsi fallait-il s’interroger sur le nombrede proies humaines que cette belle plante carnivore allait capturer et digérer. J’ai donc voulu offrir aux lecteurs un dénouement fatal, par le truchement des amours folles de différents protagonistes dans un environnement périgourdin comme toile de fond. Un véritable voyage imaginaire à travers un tableau coruscant.
Charlotte de Courchevel : Tout justement, vous évoquiez tout à l’heure le fait d’être un immigré polyvalent. Est-ce pour cela que vous avez écrit Le demandeur d’asile ?
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : La trame de cet ouvrage, c’est-à-dire Le demandeur d’asile, je l’ai tiré d’une histoire que j’ai tout simplement romancée. Il s’agit d’une sorte de témoignage dans le but de dénoncer la flagrante contradiction entre l’image de marque de la France et le labyrinthe dans lequel s’engage le candidat au statut d’asile politique après s’être enfui de la dictature corrompue que soutiennent avec immoralité certains pays occidentaux. A travers la vision intradiégétique de Léopold Mwana Malamu, le lecteur ne peut que se faire une idée du parcours du combattant, tout à fait kafkaïen, qu’empruntent beaucoup d’immigrés.
Charlotte de Courchevel : Et La vie parisienne d’un Négropolitain ? Est-ce le prolongement de la mésaventure de Léopold Mwana Malamu ?
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : A l’instar de Léopold Mwana Malamu, Parfait Luyindula est effectivement un immigré. Je dirais polyvalent, comme moi (rire).
Charlotte de Courchevel : Cet ouvrage raconte donc votre propre histoire…
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Non, non. Il est question d’un Parisien d’adoption, d’un bounty très bien intégré dans la société française.
Charlotte de Courchevel : Comme vous…
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Le visage de l’auteur se cache derrière chaque ouvrage qu’il écrit. Je m’inscris en faux, s’agissant de La vie parisienne d’un Négropolitain, par rapport à cette vision hugolienne. Mes critiques les plus perspicaces me reprochent, entre autres, d’être plus Parisien que Kinois. Il est certain que j’ai vécu plus longtemps à Paris qu’à Kinshasa, qui plus est ma ville natale. Mais je ne suis pas Parfait Luyindula, d’autant plus que certains écrivains ont souvent recours à la fiction pour raconter des histoires réelles. A travers cet ouvrage, j’ai voulu encore une fois insister sur la problématique de l’immigration en développant des thèmes capitaux qui ressurgissent toujours à l’approche de chaque enjeu électoral dans les sociétés occidentales.
Quant à mon dernier roman, Dans l’œil du léopard, il met l’accent sur le régime dictatorial qui permettait au maréchal Mobutu Sese Seko de diriger, d’une main de fer, la République du Zaïre. Une époque où l’on ne badinait pas du tout avec ce qui touchait à la présidence de la République.
Charlotte de Courchevel : Votre bibliographie est aussi composée d’essais. Pourquoi ce goût pour des réflexions planétaires ?
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Je suis un militant politique, un socialiste jauressien. Et le socialisme jauressien est par nature d’obédience humaniste, donc planétaire. C’est dans cette optique que j’ai écrit Mitterrand l’Africain ? . C’est en tant qu’essayiste réformiste et analyste politique, que j’ai confiné mes réflexions dans Un nouvel élan socialiste. C’est en tant qu’internationaliste que j’ai décliné, avec Jacques Laudet, la pensée socialiste française dans Socialisme, un combat permanent.
Charlotte de Courchevel : Et l’Afrique ?
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Dans Mitterrand l’Africain ?, j’ai démontré la complexité des relations franco-africaines à travers le sinueux parcours de l’ancien président de la République française, en l’occurrence François Mitterrand. J’ai tenu à décortiquer minutieusement les réseaux ayant été mis en place par Jacques Foccart et entretenus par quelques africanistes de gauche. Les autres ouvrages traitent plutôt de la République Démocratique du Congo, car le citoyen du monde que je suis détient originellement la nationalité congolaise. J’ai donc consacré trois essais politiques à mon pays : La République Démocratique du Congo, un combat pour la survie ; Congo-Kinshasa : le degré zéro de la politique ; et, enfin,Ma vision pour le Congo-Kinshasa et la région des Grands lacs.
Charlotte de Courchevel : De véritables projets de société.
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Je ne vous le fais pas dire…
Charlotte de Courchevel : Ambitionnez-vous, par hasard, une carrière politique en République Démocratique du Congo ?
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Une carrière politique ? Je ne conçois pas la politique comme une profession. La politique au sens habituel est un combat, elle est un engagement de l’être humain. Politiquement parlant, j’assume l’enseignement mitterrandien et…
Charlotte de Courchevel : Donc ?
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : J’ai des principes et des convictions. Des projets novateurs également…, mais chaque chose en son temps. Tout Congolais consciencieux, qui a une vision étatique doublée d’une dimension humaniste, doit pouvoir aspirer un jour aux destinées de la République Démocratique du Congo. Je n’exclus pas cette hypothèse… Ayons seulement la lucidité de laisser le temps au temps. De plus, je suis convaincu qu’un courant très fort finira par balayer toutes les aspérités qui troublent l’eau du fleuve Congo. Ainsi le climat politique deviendra-t-il favorable à une nouvelle ère propice à l’épanouissement du peuple congolais et à l’émergence d’un Etat de droit économiquement viable.
Propos recueillis par Charlotte de Courchevel
© Kokolivres
Dans cet article, il est question de quelques extraits relatifs à mon dernier roman intitulé "Dans l'œil du léopard".
« Le citoyen Ngwena se vit escorter par les deux armoires à glace. Le docteur risquait de ne pas être libéré de sitôt. Les brutes de la Division spéciale présidentielle, contrairement à la courtoisie, évidemment feinte, qu’avait affichée le major des Forces armées zaïroises lors de l’interrogatoire, ne se montreraient pas tendres. L’avenir du détenu était par conséquent incertain. Il valait mieux ne pas se retrouver dans sa situation. »
« On pouvait déjà s’attendre, dans les mois à venir, au durcissement du régime mobutiste. Ces prémices auraient pu en effet pousser les observateurs les plus prévenants à préfigurer la bestialité qui allait le caractériser quelques années plus tard. C’était donc dans l’atmosphère d’un mauvais casting, qui se déroulait sous les yeux des éléments français de la CRS, que les différents individus présents au Bobongo évoluaient – les uns comme acteurs et les autres en tant que spectateurs. »
« Suite aux grandes transformations auxquelles seraient contraintes les relations internationales à la fin de l’année 1989 avec l’effondrement du bloc de l’Est et la réorientation des politiques européennes d’aide au développement, désormais soucieuses de promouvoir la bonne gouvernance et le respect des droits humains, les Occidentaux estimeraient obsolète le rôle de la République du Zaïre comme rempart du capitalisme contre le communisme à la fois en Afrique centrale et orientale. Ainsi le maréchal Mobutu finirait-il par devenir un allié encombrant, voire pestiféré, au regard de l’opinion publique internationale. »
« La porte finit par s’entrouvrir sur l’impressionnant Bifos Munduki, son visage affichant la mine de papier mâchouillé. Ses yeux rouges se posèrent avec dureté sur les deux hommes qui se tenaient en face de lui. Assuré qu’il avait réellement affaire à July Cuivre, même s’il ne connaissait pas, a priori, le quidam qui l’accompagnait, il ouvrit la porte et s’effaça. La gestuelle corporelle qu’il exécuta s’accompagna d’une prière. »
« Conscient de cette nouvelle donnée, c’est-à-dire la fin de la guerre froide, et très choqué par l’exécution de son ami dictateur roumain Nicolae Ceausescu, le ploutocrate en “abacost” finirait par organiser à contrecœur des consultations populaires en vue d’un grand débat national sur l’amélioration du système politique et du développement économique de la République du Zaïre. »
« Une subtile mélodie captivante, quasiment envoûtante, provenait de la pièce voisine. Les Bobongo Stars, à savoir les musiciens et les chanteurs de l’orchestre qui se produisaient de temps à autre dans ce dancing, étaient en train de répéter. On entendait la voix ensorcelante de Bastia Nama Matingu et le son endiablé, tout à fait captivant, de la guitare de Shakara Mutela K. Une telle ambiance équivalait à l’exotisme, dans toute sa pureté, pour les policiers français de la Compagnie républicaine de sécurité ! Dommage, le grand Michelino Mavatiku Visi ne faisait pas partie de cet orchestre ! Il aurait pu enrichir davantage, de quelques notes dont lui seul détenait le secret, la musique des Bobongo Stars. Cicéron Boku Ngoi et ses acolytes, éblouis par cet air envoûtant, lequel renvoyait à l’époque où la grande Cora Walton – connue sous l’appellation de Koko Taylor – faisait vibrer les tripes des Noirs dans la ville de Memphis dans d’État du Tennessee. »
« La Conférence souveraine nationale aurait lieu sur la base des doléances qui avaient été faites à cet effet. Ce serait dans un climat de tension, de panique et de peur, alors que les travaux des assises stagnaient, que le président-maréchal Mobutu Sese Seko, après une réunion de concertation au Palais de Marbre à Kinshasa avec les représentants de l’Union sacrée, signerait l’ordonnance portant nomination de l’éternel opposant Étienne Tshisekedi wa Mulumba, mobutiste de première heure devenu dissident, au poste de Premier ministre. »
« Sur la piste, des filles presque nues, aux corps longilignes semblables à ceux des semblables à ceux des impalas, et des travestis aux longues jambes, des anges archanges fourvoyés, ainsi que des chattes de luxe dansaient sensuellement sous le regard admiratif de quelques Européens, à la mine patibulaire, dont les crânes étaient rasés. On se serait cru en Allemagne, dans les années 1930. Plus précisément au Himmel und Hölle, un ancien cabaret berlinois qui était situé non loin de l’Église mémorial Kaiser-Wilhelm. Le videur de cet établissement se déguisait en démon, tandis que les serveuses en anges. »
« En ayant comme référence le spectacle en cours au Bobongo, Kinshasa ressemblait complètement à la ville de Berlin en pleine débauche, mœurs qui préparèrent – de manière inconsciente pour les uns, mais délibérée pour les autres – la prise du pouvoir par Adolf Hitler et le Parti national-socialiste. À une différence près, en République du Zaïre, la dictature était déjà au pouvoir. Sauf si les nazis se trouvaient dans la capitale zaïroise pour apporter leur savoir-faire aux tortionnaires du maréchal Mobutu, ce dernier étant aussi appelé Mobutu SS. »
« Les clients européens, dont les airs s’apparentaient à ceux des nazis, auraient très bien pu s’appeler Joseph Goebbels, Hermann Wilhelm Göring, Heinrich Himmler, ou Erwin Rommel. En tout cas, ces types ressemblaient à des monstres comme Adolf Eichmann, Josef Mengele, Rodolph Hess, Martin Bormann, Klaus Barbie, Rudolf Franz Ferdinand Höss, Martin Bormann… »
« Cicéron Boku Ngoi raccompagna l’impressionnante citoyenne Mujinga Tshibola à son domicile, dans le quartier de Matonge, le fief des chanteurs comme Papa Wemba et le Commandant Dona Mobeti. Une sorte de Pigalle à la kinoise. »