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Affaire Habré : Quand les accusateurs de l’ancien président tchadien dissimulent leur propre holocauste


Alwihda Info | Par Serigne Saliou Guèye - 4 Août 2013



J’avais décidé, après les interventions pertinentes sur l’affaire Hissène Habré de mes deux collègues, en l’occurrence le directeur de publication Mamadou Oumar Ndiaye et Aly Samba Ndiaye, de ne point me prononcer sur le sujet tant je trouvais que tout a été dit sur l’injustice qui entoure ce procès inéquitable. Mais l’abdication du monarque belge Albert II en faveur de son fils Philippe au palais royal de Bruxelles a aiguillonné mon désir ardent de me prononcer sur l’affaire Habré aux relents colonialistes. Cette cérémonie m’a rappelé que le palais où Albert II a prononcé son acte abdicataire et qui est construit avec les richesses extorquées des terres congolaises est le symbole de la cruauté que son grand-père Léopold II.

C’est cette Belgique déroulant le tapis rouge à son nouveau monarque, descendant du barbare Léopold II, qui a lancé, sous la houlette de Tchadiens à qui on a offert la nationalité belge, la procédure ayant abouti à l’arrestation du président Hissène Habré. Une procédure déclenchée par la Belgique le 19 septembre 2005 au nom de sa loi sur la compétence universelle pourtant abrogée le 5 août 2003. Foulant au pied la souveraineté du Sénégal et méprisant son système judiciaire, le procureur du parquet fédéral belge a enjoint ses collègues sénégalais d’appliquer le principe d’obligatoriété « aut dedere aut judicare », c’est-à-dire d’extrader ou juger Habré. Le président Abdoulaye Wade, qui n’a jamais voulu être en porte à faux avec le droit international mais qui n’a jamais voulu se comporter en laquais des Occidentaux, a toujours usé d’artifices et de stratagèmes juridico-financiers pour ne jamais tenir ce procès gênant au pays de la Téranga. Il réussira son jeu puisque c’est son successeur Macky Sall, faisant preuve de pusillanimité avec sa ministre de la Justice rêche et inflexible dans sa posture d’envoyer à la potence l’ex-chef de l’Etat tchadien, qui exécutera finalement les volontés de la Belgique avec l’inculpation suivie d’incarcération de Habré le 2 juillet dernier.

L’INJUSTICE AUX PAYS COLONISES, L’ABSOLUTION AUX PUISSANCES COLONIALES
Il faut dire que ce procès n’est pas celui des présumés victimes de Habré mais celui de la société civile qui a poussé les autorités belges à mettre en place la loi dite de compétence universelle de juin 1993 révisée en 1999 et en 2003. Au nom de la souveraineté de notre pays, le président de la République ne devait jamais céder sous la pression des prétendus droits-de-l’hommiste qui, pour des raisons financières, sont prêts à fouler au pied les principes qu’ils prétendent défendre en observant l’omerta sur les exactions sanglantes des puissances occidentales qui sont par ailleurs leurs bailleurs. Si la loi belge sur la compétence universelle qui transperce le temps, le territoire et la souveraineté a permis à des Tchadiens nationalisés Belges de porter plainte contre Hissène Habré, pourquoi ne s’est-elle pas appliquée à l’époque de la guerre du Golfe sur le général Tommy Franks, commandant en chef des troupes américano-britanniques en Irak, lorsque l’avocat belge Jan Fermo, sur initiative de ressortissants irakiens et jordaniens, a porté plainte pour crimes de guerre ? La réponse est toute trouvée. Les minuscules Etats sénégalais et tchadiens ne sont pas comparables au géant américain. Ainsi les Etats-Unis ont rejeté l’autorité présumée des tribunaux belges, leur déniant tout droit de juger ses chefs militaires qui ont provoqué la guerre du Golfe, et même d’ailleurs tout ressortissant américain. L’alors Secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, avait qualifié les plaintes d’« absurdes » et dénié l’autorité de la Belgique de juger les dirigeants américains lors d’un sommet de l’OTAN tenu le 12 juin 2003. Il avait même menacé de délocaliser le siège de l’OTAN de Bruxelles vers un autre pays en ces termes : «la Belgique doit reconnaître qu’il y a des conséquences à ses actions et cette loi remet en question sérieuse de savoir si l’OTAN peut continuer à tenir des réunions en Belgique et si de hauts responsables américains, militaires et civils, seront en mesure de continuer à visiter des organisations internationales en Belgique. Jusqu’à ce que cette question soit résolue, nous nous opposerons à toute nouvelle dépense pour la construction d’un nouveau siège de l’OTAN, ici à Bruxelles, jusqu’à ce que nous savons avec certitude que la Belgique entend être un endroit accueillant pour l’OTAN de mener ses activités, comme il a été depuis tant d'années.» La Maison Blanche est allée plus loin dans ses propos comminatoires à l’endroit de la Belgique qui s’est auto-attribué une loi qui dénie la souveraineté américaine. Aussi un diplomate américain a-t-il même suggérer l’adoption d’un Universal Jurisdiction Rejection Act qui autoriserait le président américain à utiliser tous les moyens nécessaires, y compris militaires, pour délivrer un ressortissant américain détenu dans un Etat étranger sur la base d’une loi de compétence universelle. Mais plus discrètement, les Etats-Unis ont également fait savoir aux autorités belges qu’une partie du trafic maritime en provenance des Etats-Unis qui transitait par le port d’Anvers pourrait être déroutée vers Rotterdam aux Pays-Bas. Au même moment, Israël a rappelé son ambassadeur à Bruxelles en guise de protestation après que ladite loi s’est abattue sur le fasciste et raciste Ariel Sharon – alors Premier ministre de l’Etat hébreu – responsable des massacres de Sabra et Chatilah, où furent assassinés des milliers de civils palestiniens, femmes, enfants et vieillards confondus. Ainsi entre menaces diplomatiques proférées par les USA et intérêts financiers, la loi belge du 16 juin 1993, tant controversée, fut amendée avant d’être abrogée le 5 août 2003 pour permettre aux Etats-Unis furibards et à Israël de ne plus être poursuivis par des plaignants ressortissants d’un quelconque pays. Autant de faits qui montrent que la Belgique, qui tire les ficelles dans l’affaire Habré, ne peut se prévaloir d’une quelconque légitimité pour examiner des faits commis dans un contexte politique, social et culturel dont il ignore souvent les subtilités et les contingences. En étant le seul pays au monde à reconnaître de manière aussi extensive la compétence de ses tribunaux en matière d’infraction au droit international humanitaire, elle s’est exposée à occuper un rôle dont elle n’avait ni les moyens matériels, ni les moyens diplomatiques concernant les plaintes contre un général américain et le Premier ministre israélien. Pourtant, rien n’a empêché le Sénégal, souverainement, de récuser le mandat d’arrêt du parquet fédéral belge et d’adopter le même comportement quand un juge d’Evry, en France, avait lancé des mandats d’arrêt internationaux contre des personnalités sénégalaises accusé d’homicide involontaire et de non-assistance à personnes en danger dans le naufrage du bateau le Diola. Malheureusement, sous la pression des Occidentaux et d’ONG puissantes comme Human Rights Watch et Amnesty International, la vassalité de sa ministre de la Justice aussi, le président Macky Sall a cédé là où Abdoulaye Wade a usé de ruses et d’atermoiements ponce-pilatistes pendant une décennie.
LEOPOLD II, RESPONSABLE DE LA MORT DE 10 MILLIONS DE CONGOLAIS
La tenue du procès de Habré aurait tout son sens si la Belgique, initiatrice du mandat d’arrêt contre lui, s’était appliqué le même principe en ce qui concerne les crimes commis odieusement au Congo par le roi Léopold II entre 1880 et 1909. Durant cette période, presque 10 millions de Congolais ont trouvé la mort dans des conditions atroces. Ayant fait du Congo sa propriété personnelle depuis le congrès de Berlin de 1885 qui consacra le partage ignoble de l’Afrique, Léopold II, pour exploiter le caoutchouc et l’ivoire, n’a pas hésité à faire recours à des méthodes inhumaines et dégradantes tels que les viols, les incendies de villages, les mutilations, les amputations manuelles, le fouettage inhumain, l’esclavage. Des milliers de Congolais virent leurs mains sectionnées pour s’être opposés à leur asservissement par le roi des Belges au point qu’on appela le Congo « le pays des mains coupées ». En effet, les images de personnes amputées pendant la guerre civile sierra-léonaise que les télévisions occidentales ont l’habitude de passer en boucle pour flétrir la sauvagerie de Foday Sankoh, le défunt leader du RUF, et de son allié Charles Taylor ne sont rien devant les cruautés de Léopold II. Ainsi en passant au crible ces horreurs de l’ancêtre du nouveau monarque Philippe, tout nouveau roi belge, ensevelies par une conspiration du silence, un journaliste américain du nom d’Adam Hochschild parle d’ « holocauste oublié ». Habré qu’on accuse démesurément d’avoir tué 40 mille personnes serait bien un nain devant la barbarie inoubliable de Léopold II. Par conséquent, la Belgique doit être trainée devant les tribunaux pour crimes contre l’humanité et génocide. Dans la planification jusqu’à la liquidation physique et tragique du Premier ministre congolais Patrice Emeri Lumumba, les Belges donneurs de leçons de justice sont aux premières loges. Le seul tort du père de l’indépendance congolaise a été de revendiquer pour son pays une entière souveraineté, laquelle souveraineté fait encore défaut, après 52 ans d’indépendance, à des pays comme le Sénégal qui s’est plié aux oukases de la justice belge et aux pressions tchadiennes pour juger et condamner, in fine, Hissène Habré.

LA BELGIQUE COMMANDITAIRE DE L’ASSASSINAT DE LUMUMBA

Dans la chaîne de l’assassinat de Patrice Lumumba, des figures de l’administration coloniale belge constituent des maillons importants. C’est le petit-fils de Léopold II, le défunt Roi Baudouin 1er, qui s’impliquera le 17 janvier 1961 dans l’élimination tragique du Premier ministre Patrice Emeri Lumumba (avec ses compagnons Joseph Okito et Maurice Mpolo). Et c’est le numéro un des services secrets belges à Léopoldville, le colonel Marlière, (Kinshasa), par ailleurs conseiller militaire de Mobutu qui était le cerveau de l’opération Barracuda laquelle devait aboutir à la liquidation du leader nationaliste. Harold d’Aspremont Lynden, ministre des Affaires africaines, Pierre Wigny, ministre des Affaires étrangères, Guy Weber, Major de l’armée belge, conseiller militaire de Moïse Tshombé, leader du Katanga, Jacques Brassinne, Chargé de mission du gouvernement belge, le colonel Frédéric Vandewalle, chef de la sûreté congolaise… tous ces Belges ont été des rouages essentiels dans le processus de liquidation du père de l’indépendance congolaise. Et c’est l’alors Premier ministre belge, Gaston Eyskens, et Joseph-Désiré Mobutu qui ont ratifié officiellement l’assassinat de Lumumba, avec la bénédiction du président américain Dwight Eisenhower. Un capitaine belge commandait le peloton de quatre Congolais qui a fusillé Lumumba et ses compagnons. Leurs corps sont déchiquetés et dissous dans un fût d’acide sulfurique par deux policiers belges. Ces mêmes Belges ont joué un rôle déterminant dans le génocide rwandais entre Hutus et Tutsis. Pendant l’occupation coloniale, ils ont divisé le peuple rwandais en deux entités en théorisant une différenciation raciale artificielle entre les Tutsis minoritaires et les Hutus majoritaires. Cette distinction, au départ socio-professionnelle et politique, est devenue raciale et politique dans l’organisation coloniale de la société. Les différenciations raciales irrationnelles marquées sur les cartes d’identité des Rwandais furent intégrées par les populations au point de pousser ces deux catégories ethniques d’un même peuple à s’entre-anéantir de 1959 à 1994. Avec un passé aussi… noir, la Belgique ne devait point s’acharner sur celui que l’on qualifie de Pinochet africain.

Serigne Saliou Guèye
« Le Témoin » N° 1133 –Hebdomadaire Sénégalais ( AOUT 2013)



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