Il est toujours difficile de dresser un bilan économique au bout de seulement deux ans de gouvernance. Les tendances lourdes d’une gestion apparaissent difficilement dans ce court laps de temps. Les éventuels signes de reprise, s’il en est, ne peuvent être confirmés qu’avec le temps. En conséquence, les effets conjugués de la désastreuse politique économique du régime précédent et des facteurs exogènes du contexte international commandent à plus de prudence dans l’analyse des performances économiques de ces deux dernières années. Cependant, il est possible de voir et constater si les mesures engagées au cours de ces deux dernières années vont dans le bon sens en scrutant les équilibres macro-économiques et la restauration de nos capacités financières, le comportement des acteurs dans la recherche de gain de compétitivité. Et, bien entendu, la distribution des richesses et le panier de la ménagère.
Depuis 2006, le Sénégal est entré dans une phase active de décélération de sa croissance. Tirant profit de l’annulation de la dette PPTE (Pays pauvres très endettés) de quelque 3000 milliards, le régime de Wade s’était lancé dans une véritable opération de gabegie. Investissements douteux sans valeur ajoutée, dépenses somptuaires, endettement public abyssal, faible niveau de règlement de la dette publique intérieure, effondrement des secteurs productifs primaires de l’industrie. Faute d’avoir utilisé cette manne pour encourager l’exportation, les gouvernements de Wadese sont lancés au contraire dans une logique dispendieuse, important biens et services à profusion, démultipliant à l’envi le train de vie de l’Etat et l‘entretien fastueux des pontes du régime précédent. Résultat : notre taux de croissance est passé de 5 à à peine plus de 3 %, presque autant que le taux d’accroissement démographique. L’endettement public a repris de plus belle dépassant les 4000 milliards.
Même si les recettes fiscales ont augmenté sensiblement (1500 milliards), elles ne suffisent pas à financer le développement largement dépendant des apports extérieurs. Qui plus est, le tiers de ces rentrées sert à payer des fonctionnaires qui en demandent d’ailleurs toujours plus. Depuis deux ans, notre pays est enfermé dans cette quadrature du cercle. L’octroi d’un cadeau de fiscal de 30 milliards FCFA aux ménages n’y a rien changé, puisque le coût de la vie reste cher et entraine notre pays dans une inflation endémique.
La baisse des prix des denrées alimentaires est très hypothétique et ne porte dans le meilleur cas que sur un nombre de produits limité. Et les deux campagnes agricoles du nouveau régime, en dépit de l’augmentation du prix au producteur de l’arachide (200 FCFA cette année), ont presque tourné au désastre. Les subventions de l’engrais supprimées, le choix des semences non certifiées hasardeux, des huiliers peu motivés, tous les ingrédients sont réunis pour rater la campagne. Surtout que les autres filières ne se portent guère mieux. L’importation du riz coûte à notre économiela bagatelle de 100 milliards FCFA, en plus des 15 à 20 milliards pour l’importation des produits laitiers. Au même moment, des produits agricoles en grosses quantités sont en souffrance ou pourrissent dans les champs. Malgré les promesses de relance du ranch de Doli et de l’élevage, nos importations en produits animaliers sont astronomiques, pendant que plus 400 entreprises et industries ont cessé leurs activités ces deux dernières années. Alors que notre production industrielle est fantomatique, l’activité touristique baisse de manière drastique, singulièrement dans la région de Casamance dont l’économie est plombée par la psychose de guerre imposée par le MFDC.
Idem pour la pêche, poste important de notre PIB, qui se débat dans une crise profonde. Ce secteur a encore du mal à se constituer en véritable filière, de la prise à l’exportation en passant par la conservation et la transformation. En l’absence d’installations frigorifiques suffisantes, la production se perd dans la nature et nos produits halieutiques sont pillésinexorablement par des bateaux étrangers. Après la dénonciation des accords de pêche avec l’Union Européenne, et la pause biologique qui s’en est suivie, l’activité bat encore de l’aile et tarde à occuper la place stratégique qu’on attend d’elle dans notre économie.
Avec une balance commerciale largement déficitaire et une balance des paiements qui l’est autant, notre économie reste essentiellement stagnante. Faute d’assurer une correcte sécurité alimentaire, elle garde à l’évidence sa propension à l’extraversion qui érode nos liquidités. Le service de la dette qui s’était amenuisé après l’effacement de l’ardoise PPTE a repris de plus belle et réduit considérablement nos capacités financières d’investissement public.
Les entreprises n’arrêtent pas de crier leur souffrance devant la cherté des intrants et autres facteurs de production. Même si la main d’œuvre est relativement qualifiée, pour beaucoup de travailleurs la formation fait largement défaut, et le coût du travail est encore cher. Notre économie souffre de la prédominance des banques commerciales plus enclines à octroyer des prêts à court et moyen termes, qu’à financer des activités structurantes. Le loyerde l’argent est onéreux et hors de portée pour les PME- PMI. Et comme l’ont montré les rapports du Doing Business, l’environnement des affaires est plombé par des lourdeurs administratives indescriptibles, une législation inadaptée,une surimposition des entreprises et une corruption handicapante.
Le président de la République avait, dans ses trente deux propositions de campagne électorale, promis de relancer la croissance en insufflant du sang neuf dans l’économie. Il avait pris l’engagement de booster la croissance aussi bien par l’investissement que par la consommation par le biais de mesures hardies dans les deux sens, exercice fort difficile du reste. Il s’était engagé à créer des centaines de milliers d’emplois notamment dans l’agriculture. Toutes ces promesses font actuellement long feu. Notre croissance (3,4%) est plus faible que la moyenne de la CEDEAO qui tourne autour de 6 %, et reste loin derrière celle du Nigéria (9 %), du Ghana (8 %), du Burkina (6 %) et de la Côte d’Ivoire (7 %).
Accusé de manquer de vision à moyen terme, le gouvernement vient de lancer son Plan Sénégal Emergent. Il cherchait 1853 milliards de francs, le Groupe consultatif de Paris lui en a promis 3700 milliards, pour financer essentiellement 27 projets majeurs dans l’agriculture, les infrastructures, le tourisme, l’éducation, entre autres. Toutefois, l’objectif de 7 % visé d’ici 2025 paraît bien moins ambitieux que l’espérance des Sénégalais. Quant aux mesures sociales lancées par le gouvernement (bourse de solidarité familiale, couverture médicale universelle, la carte solidarité pour les handicapés) ainsi que la baisse du coût des loyers, elles répondent plus à une logique redistributive aux effets très limités pour relancer l’économie qu’à une véritable politique de croissance.
A trois ans de la fin de son mandat, il y a peu de chances que le président Macky Sall remette l’économie sénégalaise sur les rails de la croissance en dépit des promesses du PSE. Peut-être espère-t-il gagner quelques points difficiles à trouver dans le panier de la ménagère, principal indicateur de richesse des Sénégalais. Pour l’heure, les incidences positives de la gouvernance économique du président Sall ne sont pas encore visibles. Tout cela dit, deux ans, c’est bien trop peu pour juger de l’efficacité des politiques publiques. En fait, le vrai problème de notre économie est qu’elle repose davantage sur la consommation que sur une croissance créatrice de valeurs. Une consommation dont,d’ailleurs, l’entreprisesénégalaise est quasi-absente. L’essentiel des 800 milliards de commande est trusté par les entreprises étrangères, la portée congrue étant réservée aux nôtres, avec toutes les conséquences que cela implique sur notre produit national brut.
Par Aly Samba Ndiaye
Article paru dans « Le Témoin » N° 1158 –Hebdomadaire Sénégalais (Mars 2014)