Blaise Compaoré, Président du Burkina-Faso. Crédit photo : Sources
Le Témoin - Vous êtes à Dakar dans le cadre d’un festival cinématographique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Smockey -Il faut savoir que ce festival respecte une certaine tradition en faisant participer de « grandes gueules ». Cela a démarré à Ouagadougou et maintenant on est à Dakar. Parce que, ici, il ya une grande panoplie de personnes qui s’inscrivent dans ce sillage des « grandes greules ». On est donc là pour libérer la parole. Cela a commencé par le grand concert de ce samedi au CCF. Avant cela, il ya eu des débats et cela va se poursuivre sans oublier les projections de films suivies de discussions. Pour la plupart, il s’agit de films qui ont soulevé des polémiques. Il est toujours bon de voir les réactions du public par rapport à certains sujets que nos télévisons publiques n’ont pas l’habitude d’aborder…
En parlant de « grandes gueules », où en êtes-vous avec le combat politique que vous menez au Burkina, votre pays ?
Au Burkina Faso, on est en train d’appuyer sur la pédale d’accélération. Parce que, bien entendu, de l’autre coté, ça accélère aussi pour faire passer le suppositoire au peuple. Un gros suppositoire qui, malheureusement, contient tous les germes d’une grande révolte sociale. Voila pourquoi nous nous organisons pour barrer la route aux velléités de modification de l’article 37 de la Constitution qui limite les mandats du Président à deux. Et ce alors même que celui-là qui est actuellement au pouvoir est en place depuis 27 ans. Donc, il est sensé partir en 2015. Là, je parle évidemment de Blaise Compaoré.Nous nous organisons pour faire face. Il s’agit de marches, sit-in, podiums et tout ce qui est possible pour lui barrer la route.
N’avez-vous pas peur parce Blaise Compaoré n’est pas un enfant de chœur ?
Bien sûr, il faut savoir qu’en un moment donné on a tous peur. C’est un peu sur ça que jouent les dictateurs. Ils pensent toujours que les gens auront peur et qu’ils n’iront pas forcément jusqu’au bout. Mais à la différence de certains de nos devanciers comme Thomas Sankara ou Norbert Zongo, qui étaient des gens plutôt esseulés dans leur combat, aujourd’hui nous sommes vraiment entourés par beaucoup de gens sans oublier la médiatisation qui est réelle. Moi, par exemple, je suis toujours en contact avec les médias de mon pays. Ce qui fait que quand les gens sentiront que vous avez du répondant et que ca peut partir dans tous les sens, ils seront obligés de se calmer et de faire attention. C’est vrai aussi que nous bénéficions malheureusement des sacrifices de certains. Ce qui signifie que ces sacrifices n’ont pas été vains quelque part. Malheureusement, ceux d’en face n’ont pas retrouvé la raison mais ces sacrifices ont quand même permis de voir à quel point s’attaquer aux journalistes peut être dangereux. Je pense seulement au niveau des journalistes. Mais cela a été un acquis qui a permis d’ailleurs de revenir sur la modification de l’article. Parce qu’il avait été abrogé, c'est-à-dire qu’on avait supprimé la limitation des mandats. C’est après la mort de Norbert Zongo que l’Etat avait consenti à revenir sur ce fameux article et limiter le mandat à cinq ans. En même temps,on ne permettait plus au président de disposer de plus de deux mandats. A l’heure actuelle,les deux mandats de Blaise sont arrivés à terme et il n’y aura plus de grossesse et plus d’accouchement. C’est vraiment fini, c’est l’heure de la ménopause pour Blaise Compaoré.
De quelles armes disposez-vous pour arriver à vos fins ?
Nous avons les armes de la réaction publique. Nous avons les armes de la parole. La parole est une arme, on l’a toujours dit et enseigné. C’est aussi cela la vérité. Aujourd’hui si Blaise est en train de reculer, s’il a hésité sur le Sénat, s’il hésite à organiser un référendum, c’est parce qu’il ya une réaction populaire ferme qui est là. Et cela suffit à lui faire comprendre que ses tripatouillages de la Constitution ne passeront plus comme avant. Il ne lui reste qu’une seule échappatoire, c’est partir, démissionner, s’en aller à la fin de son mandat pour éviter l’humiliation. Parce que la société civile va se mettre en branle, une partie de l’opposition va se mettre en branle. Contrairement à ce qui a été dit, c’est tout le peuple burkinabé qui va se regrouper et qui va faire barrage. Même les militaires qui sont dans l’entourage de Blaise ne sont plus chauds pour le défendre.
Artistiquement, que nous réserve Smockey ?
Je suis en train de préparer un triple album qui s’appelle « Playlist » et qui va sortir dans quelques mois. Il y a déjà un vidéo-clip qui est disponible et qui a déjà commencé à passer sur les chaines sénégalaises. Il s’appelle « Tomber la lame » en référence aux mutilations génitales de la femme africaine notamment au Burkina Faso. J’ai eu une très bonne réaction par rapport au vidéo-clip.C’est un album qui renferme plus d’une vingtaine de titres et on continue de travailler là- dessus. Toujours est il que ça s’annonce suffisamment provocateur et fécond.
Propos recueillis par Fadel LO
Article paru dans « Le Témoin » N° 1162 –Hebdomadaire Sénégalais (AVRIL 2014)