Par Marie-Reine HASSEN, ancien ministre
Le Président BOZIZE a été renversé par les rebelles de la coalition Séléka dont vous êtes le chef. L’entêtement de l’ancien Président était devenu un grave danger pour la République centrafricaine et pour la sous-région. Le départ du pouvoir de François Bozizé était donc devenu un impératif incontournable pour amorcer un véritable changement de la gouvernance en RCA.
Vous vous êtes posé comme le nouvel homme fort de la République Centrafricaine. Selon vos déclarations, vous avez suspendu les institutions du pays et avez décidé de légiférer par ordonnances pendant trois ans, pensant qu’ainsi vous allez nous conduire à des élections libres, crédibles et transparentes,
L'accord de paix signé le 11 janvier 2013 à Libreville mettait en place un gouvernement d'union nationale composé du clan au pouvoir, des rebelles et de l'opposition dite démocratique, dont la principale tâche était de respecter un calendrier électoral. En ma qualité de responsable politique et ancien ministre, j’avais ouvertement dénoncé cet accord qui, de toute évidence, ne réglait pas les difficultés profondes de la République Centrafricaine. Comme tous les accords précédents, c’était un arrangement pour maintenir François Bozizé au pouvoir, tout en gardant l’Assemblée nationale qu’il s’est formée et acquise à sa cause. C’est le non-respect de ces accords, notamment la non-libération des opposants politiques comprenant vos partisans et la présence des forces sud-africaines dédiées à la protection du régime de François Bozizé, qui aurait poussé vos troupes à déclencher à nouveau les hostilités vendredi.
J’en conclus que juridiquement et politiquement ces accords sont caducs et ne peuvent suffire à déterminer votre politique, puisque l’un des acteurs désigné dans l’accord, François Bozizé, ainsi que la durée et les attributions du mandat qui lui étaient reconnus, ne sont plus d’actualité aujourd’hui.
Le départ de François BOZIZE est la somme de nombreux combats menés pour la liberté par l’ensemble des centrafricains de tous bords. C’est également le combat de nombreuses institutions et organisations telles que Human Rights Watch, International Crisis Group... La somme de toutes ces revendications devait nous mener vers plus de démocratie, plus de respect du droit humain, plus de liberté dans la paix, la sécurité l’unité nationale et le développement.
Pour tous ces efforts et pour le peuple centrafricain meurtri, il ne sera pas supportable qu’une autre voie s’ouvre vers une dictature encore plus violente.
Ne reproduisez pas le même schéma que celui de l’ancien régime. Ne perpétuez pas cette sorte de jurisprudence historique douloureuse qui s’est installée depuis quelques décennies.
Ce coup d’Etat ne peut pas être validé car :
1°) Il est condamné par l’ensemble de la Communauté Internationale
2°) La coalition Séléka est trop disparate pour construire une politique cohérente et une vision unifiée de sortie de crise pour la RCA ;
3°) On ne sait pas encore précisément ce que va être la réaction des militaires de métier appartenant aux Forces Armées Centrafricaines (FACA) qui n’ont pas fait alliance avec la Séléka ;
4°) La RCA est habituée aux rébellions et il n’est pas exclu que d’autres rebellions viennent à leur tour renverser le pouvoir actuel.
Personne ne peut justifier trois années de fonctionnement en situation d’exception et en état d’urgence, et qui ne constituent nullement une gouvernance démocratique à laquelle aspirent l’ensemble des Centrafricains. Dans ces conditions, un Premier Ministre est parfaitement inutile. Sans ses Institutions solidement installées, le pays restera paralysé et personne ne pourra travailler. Aucun investisseur sérieux ne viendra en RCA si l’atmosphère n’y est pas propice. Le risque est celui d’isoler notre pays la République centrafricaine, qui ne pourra pas survivre en autarcie en tournant le dos à la légalité internationale.
Pour que votre régime naissant ne soit pas black-listé, il serait bon de faire preuve de sagesse. Les Centrafricains n’ont pas besoin de 3 ans pour remettre leur pays en ordre de fonctionnement. Dès lors qu’on a mis en place le principe ORC (la définition des orientations des politiques publiques, l’organisation des réglementations et des régulations pour le fonctionnement de l’Etat, et l’installation des organes de contrôle à tous les niveaux du pays), l’Etat met en place tous les mécanismes de bonne gestion (politique, économique, administrative, sociale).
Le problème étant la défaillance de la gouvernance démocratique, la construction d'une paix durable doit passer par les réformes nécessaires et incontournables de la gestion publique et le suivi d’un bon projet de société.
Vous seriez bien inspiré de prendre exemple sur le Président Amani Toumani Touré (*) qui en son temps a fait prévaloir la raison en conservant les Institutions et en organisant les élections au bout de six mois. Ce processus, ainsi que celui d’une grande conférence nationale, dans l'intérêt supérieur du pays, nécessite une mobilisation nationale et devra inclure tous les acteurs de la scène politique centrafricaine, y compris les représentants des syndicats et de la société civile.
Je vous demande de trouver rapidement une solution pacifique qui permettra le rétablissement de l'ordre public, l’accès immédiat aux besoins vitaux pour la population (soins de santé, logements, alimentation, protection et sécurité des personnes), le respect de l'Etat de droit et le retour rapide à l'ordre constitutionnel. Il faut impérativement que nos institutions fonctionnent afin de revenir sans tarder à une situation normale.
Une période de six (6) mois à un an est largement suffisante pour ramener la sécurité sur tout le territoire et organiser des élections. En attendant, chaque Centrafricain doit pouvoir s’impliquer dans le retour de l’ordre et le respect de la loi.
Il est extrêmement urgent de s'attaquer très rapidement aux racines de l'instabilité pour éviter un affrontement armé généralisé déjà prévisible. Dans mon analyse du 10 décembre 2012 publiée dans la presse locale, j’avais déjà souligné qu’un dialogue national, un de plus, n’est pas la solution de sortie de crise rapide. Seul un véritable changement de gouvernance apportera une paix durable.
Dans ces conditions, et si vous vous engagez à un agenda qui respecte le retour à la démocratie, l’implication de tous les Centrafricains à la reconstruction de notre pays, à son développement économique sur l’ensemble de notre territoire et au progrès pour tous, je pourrais apporter ma contribution aux efforts du gouvernement.
Paris le 29 mars 2013
(*) En mars 1991, après les manifestations populaires réprimées dans le sang, Amadou Toumani Touré participe au coup d'État contre Moussa Traoré et prend la présidence du Comité de transition pour le Salut du peuple. Il assure les fonctions de chef de l’État pendant la transition démocratique. Il organise ensuite la conférence nationale (qui s’est déroulée du 29 juillet au 12 août 1991), puis des élections législatives et présidentielle en 1992. À l’issue de ces élections, il remet le pouvoir au nouveau président élu Alpha Oumar Konaré. On le surnomme alors le « soldat de la démocratie »