Par AFP
A Berengo, à deux heures de route de Bangui, l’ancien palais de Bokassa est occupé par plusieurs centaines de Séléka, chrétiens, abandonnés par leur hiérarchie et livrés à eux-mêmes, à leurs kalachnikov en bois et aux souris dont ils se nourrissent.
C’est une grande propriété dont les petits bâtiments blancs de l’entrée sont gagnés par la brousse. Au premier abord, l’endroit paraît désert, abandonné. Mais des hommes sortent de leurs cubes, en petites foulées et en file indienne pour se mettre au garde à vous.
Devant le palais décati du défunt empereur centrafricain Bokassa 1er, et sa piscine remplie d’un bouillon de culture verdâtre, une cinquantaine de ces hommes procède à une prise d’armes. "Arme au pied !", "arme en main !", "présenter arme !": en tongs et maillot de foot le chef de section passe ses ordres, suivis à la lettre.
A un détail près: les armes sont factices. Les kalachnikov sont en bois, le lance-roquettes est un tuyau d’eau, le mortier ne fera pas de mal à une mouche.
En bonnet, short et chemisette, Louis Degon Zambakoumba, 23 ans, s’explique: "c’est le président Djotodia qui nous a amenés ici pour nous donner une instruction militaire. Nous avons terminé notre formation et depuis nous attendons".
"Nous mangeons comme des cochons"
Ces hommes sont arrivés ici le 2 avril 2013. Ils étaient alors 1.200, selon leur dires. A cette époque, à Bangui, les rebelles Séléka majoritairement musulmans venaient d’installer Michel Djotodia au pouvoir. A Berengo, l’instruction commence alors devant une grande statut en bronze de Bokassa. Ici tous les Séléka sont chrétiens.
Mais quelques mois plus tard, en décembre, instructeurs et gradés fuient la place en pleine offensive des miliciens majoritairement chrétiens anti-balaka. Dans la foulée, M. Djotodia est contraint à la démission pour son incapacité à arrêter les turies interreligiieuses.
Depuis, ils sont plusieurs centaines à survivre à Berengo, prisonniers d’une prison sans murs d’où on peut sortir pour aller jusqu’au village mais pas jusqu’à Bangui. Trop dangereux pour un Séléka.
"Nous sommes tous chrétiens, catholiques ou protestants. Il n’y a pas un musulman ici. Mais à cause des troubles, on ne peut pas sortir", expliqué Louis Degon dans l’ancien palais où les peintures blanches et les dorures ont laissé place à un béton infâme rongé par l’humidité, devenu un havre pour les chauves-souris.
Devant la piscine et la carcasse en ferraille d’un toboggan, sous la terrasse du palais, des hommes font cuire des racines: des ignames sauvages. Un autre arrive avec une souris pendue à un piège en bois. Il va la cuisiner. Ils en attrapent 150 par jour.
Ils se nourrissent aussi de crapauds, des poissons qui barbotent dans la piscine,…. "Nous dormons sur des cartons, nous mangeons comme des cochons, notre vie quotidienne est catastrophique", tranche Patrick Mbetissinga, 24 ans: "mais nous sommes propres car nous sommes militaires".
Ils se nourrissent aussi de l’espoir d’intégrer l’armée. "Nous sommes des fils du pays et nous sommes bien formés militairement, ils ne peuvent pas nous abandonner", tente de se rassurer Barnabé Metefara, 28 ans.
- "Ce sont de bons Séléka" -
A quelques kilomètres de là, au check-point des anti-balakas, le sort des Séléka chrétiens ne fait pas sourire. "Ils sont nés en Centrafrique, ils veulent travailler avec nous, ce sont les bons Séléka, pas les mauvais Séléka qui pillent et saccagent", expliquent le caporal anti-balaka Manou Mana.
Pour survivre, des Séléka ont vendu leur treillis à des anti-balaka, comme un passage de relais.
Costume sombre et cravate rouge sur sa bedaine, le maire du village depuis 21 ans se souvient que ce palais était un "bijou" à l’époque des années de pouvoir triomphant de Bokassa.
Ex sous-officier de l’armée française, Bokassa s’était fait nommer président à vie en 1972. Il s’était proclamé empereur cinq ans plus tard, une des nombreuses excentricités qui ont marqué son régime mégalomane, avant sa chute précipitée en 1979 suite au massacre d’une centaine d’écoliers par sa garde personnelle.
L’édile prend l’affaire au sérieux. "Nous travaillons pour que l’armée les intègre", dit-il. "Ils n’ont rien et on va créer de l’insécurité en les abandonnant comme ça".