Il y a des milliardaires en dollars, en euros, en yens ou en d’autres monnaies qui se sont bâtis à la sueur de leur front, qui ont pris des risques, investi dans des secteurs difficiles, ont souffert avant de réussir à bâtir des empires industriels, commerciaux, hôteliers, immobiliers et autres. Et il y a des milliardaires, dans les pays africains et arabes principalement, qui se sont enrichis en volant les ressources de leur pays même si, là aussi, il y en a qui ont gagné leurs milliards en travaillant. Dans tous les pays du monde, des Etats ont enrichi des citoyens ou des sujets. Et en ont sans doute ruiné autant ! Simplement, ailleurs, on veille au moins à ce que des compétitions se fassent et on y met les apparences. On ne prend pas les ressources du pays pour les donner sans autre forme de procès à des citoyens qui n’ont d’autre mérite que leur capacité à grenouiller, à chanter les louanges des puissants du jour voire parce qu’ils ont fait l’objet de recommandations maraboutiques. Au bon plaisir des rois et présidents de la République en exercice aussi. La preuve par le Sénégal où, par exemple, l’ancien président de la République s’est amusé à créer des milliardaires comme, ailleurs, on aurait joué à monter des meccanos. C’est ainsi que des individus sans mérite et qualité particuliers se sont retrouvés milliardaires du jour au lendemain, écrasant le peuple dont ils ont détourné les ressources et deniers de leur morgue et flambant comme les nouveaux riches qu’ils sont. Sous Wade, on a vu des gens sortis du néant devenir des milliardaires sans coup férir et il y a eu tellement d’affaires, tellement d’argent qui a circulé que l’unité de mesure dans le pays était devenu le milliard. Des milliards comme s’il en pleuvait.
Cela, on le savait plus ou moins ou on le devinait confusément mais le « Rapport public sur l’état de la bonne gouvernance et de la reddition des comptes » remis l’autre vendredi par le Vérificateur général de l’Inspection générale d’Etat (IGE), M. François Collinau président de la République est venu le confirmer en montrant la manière dont notre pays a été systématiquement pillé au cours des 12 ans de « règne » du président Abdoulaye Wade. On a vu ainsi ce dernier, présenté comme étant prodigue en diable — et il l’a effectivement été pour certains compatriotes particulièrement chanceux — offrir à un homme d’affaires sénégalais plus de 56 hectares du domaine national situés dans la zone particulièrement huppée des Almadies où le mètre carré se négocie aux alentours de 500.000 francs. A charge pour cet homme béni des dieux de financer les travaux de construction du controversé Monument de la Renaissance africaine. Et ce en vertu d’une « dation en paiement » qui n’en était pas une en réalité ! Des travaux censés coûter 12 milliards de francs et pour lesquels, en définitive, 20 milliards ont été débloqués ! Et non seulement on a donné à ce bienheureux des terrains de l’Etat, mais encore on lui a trouvé des clients constitués par des établissements publics particulièrement liquides que sont l’Institution de Prévoyance Retraite du Sénégal (IPRES) et la Caisse de sécurité sociale. Lesquels ont acheté une partie de ces terrains à 27 milliards 652 millions et des poussières de francs. Autrement dit, rien qu’à travers cette transaction, notre homme a fait un bénéfice de sept milliards de francs ! Et ce alors qu’il lui restait encore une assiette foncière de 36 hectares. Et vous osez dire qu’il n’est pas beau, ce pays ?
Bambilor, quand bon cœur et business juteux font bon ménage
Le même genre de transaction, pour ne pas dire de magouille, a été réédité dans la zone de Bambilor où l’Etat, sous le noble prétexte de protéger d’une expulsion certaine les habitants de sept villages de cette zone se trouvant dans le périmètre du titre foncier appartenant à un défunt général français du nom de Chevance Bertin, où l’Etat, donc, a racheté le terrain. La situation délicate de ces villages que sont Bambilor, Déni Guedj, Gorom II, NGuendouf et Wayembam, nous avions été parmi sinon les premiers à l’avoir révélée à l’opinion nationale il y a de cela quatre ans. L’histoire, nous l’avions racontée, c’est celle d’un paysan du cru qui, pendant la colonisation, en conflit avec sa sœur, avait traîné cette dernière devant les tribunaux. Ayant gagné son procès, le quidam avait payé son avocat français en nature. Lequel l’avait fait immatriculer à son nom et revendu des années plus tard au général Bertin dont les enfants s’étaient présentés un beau jour munis de leurs papiers en bonne et due forme pour sommer les habitants des sept villages de déguerpir. Leurs cris de détresse sont parvenus aux oreilles de Wade qui, bonne âme mais aussi sachant tout le profit qu’il pourrait tirer de cette opération, décide de racheter le terrain aux héritiers Bertin.Officiellement,pour sécuriser les villages établis sur les lieux depuis des décennies voire des siècles. En réalité, il s’agissait pour lui de monter une gigantesque opération spéculative. En effet, au lieu de se contenter de sécuriser juridiquement les villages menacés, il avait attribué le reste des terres à des hommes d’affaires mais aussi un défunt chef coutumier qui lui étaient proches. Lesquels n’avaient plus alors qu’à les revendre à… des établissements publics liquides. Qu’importe si, les lois régissant les cessions du domaine national ont été allègrement violées ! Là aussi, on trouve à la manœuvre non seulement l’IPRES et la Caisse de sécurité sociale mais aussi… la Caisse des Dépôts et Consignations. Sans compter la coopérative militaire de construction (Comico) qui acquiert elle aussi une partie de ces terrains. Dans cette opération foncière, l’Etat a perdu 30 milliards de francs qui sont allés dans les poches des protégés de l’ancien président de la République. Facile de fabriquer des milliardaires sous Wade, on vous dit !
Un architecte dont les conseils valent de l’or !
Vous en voulez encore ? Tenez, quand l’Etat décide, après avoir payé pendant des décennies un loyer d’un montant assez élevé pour la location d’un local pour la chancellerie et d’une villa pour loger son ambassadeur à New York, quand l’Etat décide donc d’acquérir un terrain pour construire son propre immeuble R+8 dénommé « Maison du Sénégal » afin d’abriter ses services diplomatiques tout en louant le reste, eh bien là aussi il y a de la magouille en l’air ! Et plein de magot à se mettre dans la poche. D’emblée, on assiste à un surenchérissement de 3.736.698 dollars Us (environ un milliards 888 millions cfa) du coût d’acquisition du terrain. Ce n’était qu’une mise en bouche apparemment puisque l’architecte (sénégalais, évidemment) aussi s’est bien servi. Alors que le meilleur architecte de New York, en tout cas celui dont la signature est la plus recherchée dans toute la Grande pomme, facture six dollars par pied carré, notre architecte sénégalais, lui, y va franco en facturant ses travaux à 5.000.000 de dollars, soit 2.500.000.000 (deux milliards cinq cents millions cfa) dont la moitié payée à l’avance ! Dans la réalisation de cette esquisse architecturale, la surfacturation est estimée à plus de 1.500.000 dollars, soit sept cent cinquante millions de francs cfa, excusez du peu. Cela fait cher du crayon, assurément !
Un architecte décidément verni et béni des dieux. En effet, après ses exploits new-yorkais, on le retrouve au Sénégal, dans la zone de Sébikotane plus précisément, pour les besoins de la construction de l’Université du Futur Africain (UFA). Une université qui devait coûter la bagatelle de 24 milliards de nos francs et dont le président Abdoulaye Wade voulait faire une institution académique de classe internationale pour former des cadres africains de haut niveau en partenariat avec de prestigieuses universités internationales. Plus exactement, les travaux proprement dits devaient coûter dix milliards de francs même si les bases de référence pour la fixation des honoraires de notre ami l’architecte sont passés de 14 milliards à 16 milliards de francs. Toujours est-il qu’à l’arrivée, lesdits honoraires ont bondi de 529 millions à un milliard quatre cents millions de francs ! Mieux, on se trouve là devant un cas flagrant de conflit d’intérêts puisque notre homme était aussi, au moment où il réalisait ces études architecturales, l’architecte-conseil de l’Etat du Sénégal ! Lequel était le maître d’ouvrage des travaux de l’Université du Futur Africain. Naturellement, l’architecte a été choisi sans appel d’offres. Comme c’est curieux ! On l’avait déjà trouvé en situation de conflit d’intérêts dans la construction du Monument de la Renaissance africaine puisque, là aussi, il était non seulement l’architecte-conseil de l’Etat du Sénégal mais encore il avait proposé au président Abdoulaye Wade un entrepreneur et signé avec ce dernier un « contrat d’assistance globale à la conception architecturale, aux études techniques et au suivi des travaux ». Dans cette affaire, il a touché 920 millions de francs. Comme disent les Ivoiriens, « les jaloux vont mourir ! » Heureusement que nous n’en sommes pas…
Après avoir enrichi les autres, Wade sert les siens !
Cela dit, charité bien ordonnée commence par soi-même — ou pour ses propres enfants — et nous avions gardé le meilleur pour la fin, c’est-à-dire pour la bonne bouche. Passant son temps à enrichir les autres et à en faire des milliardaires, Wade ne pouvait quand même pas oublier sa propre progéniture ! Et, en particulier, sa fille adorée Sindjély. Pour son bon plaisir à elle ainsi que pour son propre enrichissement et amusement, il a décidé d’organiser au Sénégal la troisième édition du Festival mondial des arts nègres (FESMAN). Un événement qui devait coûter à l’origine cinq milliards de francs et qui, à l’arrivée, en a engloutis 80 qui n’ont bien évidemment pas été perdus pour tout le monde. Et surtout pas pour Sindjély. Charité bien ordonnée, avons-nous dit, commence par soi-même et le président Abdoulaye Wade s’est appliqué ce sage adage dans le cadre du Fesman. En effet, en plus d’avoir enrichi sa fifille chérie Sindjély, une passionnée de courses automobiles par ailleurs, il s’est lui aussi grassement servi au passage. Ainsi, il s’est d’abord acheté un terrain d’une superficie de 5435 mètres carrés dans la zone de Ngor. Ce pour un montant d’un peu plus d’un milliard de francs. Un milliard, c’est aussi le montant de la contribution d’un « pays ami » du Sénégal pour l’organisation du Fesman. Une somme qui a été remise en mains propres au président Abdoulaye Wade par un plénipotentiaire de ce pays. Eh bien, « aucune trace de l’encaissement de cette somme n’a été retrouvée dans les comptes du Fesman » comme l’écrit M. François Collin dans son rapport. Allons donc, on ne va quand même pas emmerder Wade pour une si petite somme, lui qui a passé son temps à offrir des milliards ! En fait, plutôt que d’être un festival des arts nègres, le Fesman a été plutôt un festival de milliards. Autre preuve de cette assertion s’il en était encore besoin, la réalisation de sites d’hébergement pour les festivaliers a donné lieu à des surfacturations d’un montant estimé à 5.460.933.089 francs. On ne sait pas si les arts nègres sont sorti sublimés de cet événement mais ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’en son nom, beaucoup de petits malins s’en sont mis plein les poches. Et tant pis si les Nègres que nous sommes ne sont pas contents !
Mamadou Oumar NDIAYE
Article paru dans « Le Témoin N° 1175 » –Hebdomadaire Sénégalais ( AOUT 2014)