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AFRIQUE

« Le rap sénégalais est maintenant mature ! »

SENEGAL : Mamadou Dramé, Formateur à la FASTEF et spécialiste du Hip Hop


- 22 Février 2014


Il est unanimement reconnu aujourd’hui dans l’environnement pédagogique comme l’un des plus grands spécialistes de la culture Hip Hop locale pour lui avoir consacré l’essentiel de ses travaux académiques. Formateur à la Fastef (Faculté des sciences et techniques de l’Education et de la Formation), Mamadou Dramé n’en est pas moins un féru de Hip Hop. Le Témoin s’est entretenu avec lui sur des questions musicales mais aussi linguistiques. Entretien.


Le Témoin : Vous passez pour être un des plus grands spécialistes des arts urbains, principalement de la culture Hip Hop ; peut-on savoir d’où vous est venue cette ambition de faire de l’exploration de cet art moderne une occupation favorite ?
 
Mamadou Dramé : J’ai toujours eu une passion pour le hip hop, même si je n’ai jamais osé franchir le cap et m’exprimer artistiquement. Pendant ma formation, je voulais faire un DEA, mais pas sur n’importe quoi. Et là, je me suis souvenu que j’avais eu de contacts avec Michelle Auzanneau, qui a fait des recherches sur les dynamiques langagières dans la ville de Saint-Louis. Durant cette période, nous avons vu que, sur le plan langagier, le rap était très productif. J’ai proposé le sujet au Pr Pape Alioune Ndao, connu pour son ouverture d’esprit et sa « modernité ». Il a accepté d’encadrer un travail sur un sujet qui était considéré comme pas trop académique ; mais heureusement, nous avons réussi à montrer que ce domaine méritait bien d’être exploré. Et plus on avançait, plus on se rendait compte que des dimensions insoupçonnées pouvaient être étudiées. De l’analyse sociolinguistique, nous sommes passés à l’analyse sémiotique, sociologique, stylistique, et nous avons proposé une démarche didactique du français fondée sur le rap.
 
Le rap sénégalais est aujourd’hui presque trentenaire ; selon vous, de sa naissance à nos jours, a-t-il réalisé des bonds qualitatifs dignes d’une attention particulière ?
 
Il faut reconnaitre que les pionniers du rap ont réussi à faire respecter le genre. Ils ont pu le faire avancer sur tous les plans. Ils ne se sont pas contentés de répéter ce qui se faisait outre-Atlantique. Ils ont donné à leur art une identité. Au plan mélodique, le rap sénégalais se détache. Il intègre les mélodies africaines, sénégalaises, les instruments et les rythmes de notre terroir. Aussi, au fur et à mesure, le flow est-il devenu plus clair et compréhensible. Au niveau de la thématique, il y a un engagement, un courage et une virulence qu’on ne retrouve pas ailleurs. Mais l’engagement social n’a pas pour autant tué le style festif qu’on retrouve aussi dans le mouvement. Au plan individuel, il y a une dose d’entreprenariat de rue chez les rappeurs. Rares sont ceux qui n’ont pas compris qu’une activité économique devait accompagner l’activité purement artistique. Les grands groupes ont des studios d’enregistrement, ils produisent les plus jeunes et s’engagent dans le social. Donc, nous avons bien un art mûr, et les gens perdent de vue que les rappeurs ne sont plus des gamins. Ils ont 25 ans de plus sur leur âge quand ils commençaient à « rapper ». Ils ont fait l’école de la vie, l’école coranique ou l’université. Donc, ils sont bien matures.
 
L’enracinement du rap dans la conscience collective sénégalaise ne se discute plus. Pourtant, il existe aujourd’hui encore certaines couches de notre société qui montrent de fortes réserves vis-à-vis de ce mouvement ; n’est-ce pas là l’expression d’un malentendu substantiel qui mérite d’être étudié ?
 
Mes travaux ont aussi porté sur l’esthétique de la réception. Et nous nous sommes rendu compte que le public ne refusait pas les rappeurs, mais était plutôt sélectif par rapport à la tête du rappeur. Cela dépend du type de discours qui est servi, mais aussi du contenu et de la façon dont le texte est dit. Ce qui est certain, c’est que certaines personnes n’aiment pas le langage ordurier, insultant et immature dont font usage certains rappeurs. Cependant, ils consomment bien le produit quand le discours est intelligent et bien dit. Aussi, remarquez que les consommateurs du rap de 1988, à ses débuts, ont 25 ans de plus sur leur âge. Donc, ils deviennent plus exigeants sur la qualité du produit, sur le contenu et sur les mélodies. Ils ne sont pas prêts à écouter des discours sur le régime. C’est dépassé. Ils s’intéressent davantage à l’écriture du texte et aux mélodies.
 
Quels sont les trois rappeurs sénégalais qui vous ont le plus profondément marqué, à la fois pour la qualité de leurs textes, leur « flow », l’originalité de leur inspiration et la constance de leur bonne moralité ?
 
Ce sont principalement des rappeurs dits « old school ». En premier lieu, c’est sans conteste Awadi, même si je ne suis pas d’accord avec lui sur certaines de ses orientations. J’apprécie à leur juste valeur la constance de son discours, son engagement auprès des jeunes, surtout à la fin des années 1990 et la diversité des ses expressions. Il y a aussi, naturellement, « Fou Malade », dont j’ai appris à apprécier le sérieux, l’ambition et les aptitudes didactiques. Avec lui, j’ai fait le tour du Sénégal pour parler de la pédagogie du rap, et je l’ai regardé mener des ateliers d’écriture. Il maîtrise le hip hop dans tous ses compartiments et peut tenir un discours intelligent, critique et renseigné sur le rap. Enfin, il y a Khouman. J’apprécie son flow, son ironie et la profondeur de ses textes. Mais je ne peux pas oublier Keyti, que je connais depuis la fac. J’ai rarement vu un homme aussi intelligent. Il y a aussi d’autres comme Pacotille, que je considère comme le meilleur en écriture, et aussi Gaston, dont j’adore la façon de poser sur le « flow ».
 
Vous êtes un sociolinguiste. Aujourd’hui, à quelques mois de la tenue du prochain sommet de la Francophonie au Sénégal, on assiste à un débat agité portant à la fois sur le niveau d’efficacité du français en tant que langue véhiculaire, et l’urgence qu’il y a à le disqualifier au profit de l’anglais, pour certains, et des langues nationales, pour d’autres. Quelle réflexion vous inspire tout cela ?
 
Pour moi, c’est un faux débat. Chaque langue a sa place dans l’espace mondial. Il y a une tyrannie de l’anglais, tyrannie alimentée par les francophones. Voyez-vous, aujourd’hui, il est plus facile de voir un francophone qui fait l’effort de parler anglais qu’un anglophone qui essaie de parler français. Parce que ce dernier se dit toujours que les autres parleront la langue qu’il parle. Et je crois qu’en ce qui nous concerne, notre problème devrait être celui de la relation que nos langues doivent avoir par rapport au français, qui les considère comme des langues partenaires. Il faut analyser cette relation et nous rendre compte que la francophonie se veut plus politique que culturelle, comme en atteste la sélection de son Secrétaire général et l’orientation que l’Organisation a prise, dans la réalité des faits. Il faut plutôt faire passer nos langues du statut de langues d’alphabétisation à celui de langues d’instruction. C’est la seule voie pour qu’elles aient le statut qui doit être le leur.
 
Parlons maintenant de littérature. Quelle appréciation faites-vous de la littérature sénégalaise, telle qu’elle s’est offerte durant cette dernière décennie ?
 
Personnellement, je n’ai pas une bonne appréciation de la littérature sénégalaise en ce moment. A cause de l’aide à l’édition, des maisons se créent pour publier les propriétaires de ces mêmes maisons d’édition, et on ne donne pas sa chance à la jeune génération. Ce sont les mêmes qui publient et, parfois, la qualité laisse à désirer. Non seulement la qualité littéraire, mais aussi la qualité matérielle même du livre, avec des fautes, des erreurs typographiques ... qui tuent le livre. Sinon, c’est de l’autoproduction que les auteurs font, et ça non plus ne milite pas en la faveur de la qualité. Il y a beaucoup de livres, mais la qualité est absente.
 
Propos recueillis par Alassane Seck Gueye



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