Par Aly Samba Ndiaye
Pourquoi vouloir attribuer à M. Amadou Makhtar Mbow la paternité exclusive du rapport de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) ? Par commodité de langage ou volonté délibérée de le diaboliser, parce que les conclusions du document et ses préconisations gênent ? Tout le monde sait que ce travail est le fruit d’une réflexion collective produitepar un groupe d’une vingtaine d’éminents experts. Ils ont parcouru par monts et vaux toutes les contrées du pays pour prendre les opinions des différentes catégories socioprofessionnelles du pays, les hommes politiques, les juristes et les acteurs divers. Ils ont compulsé les textes des Assises nationales et les programmes de diverses formations politiques dont celui du pouvoir en place. Il est vrai que c’est de coutume que le rapport de cette nature porte souvent le nom du Président de la Commission.
Mais des partisans ou adversaires de Mbow s’engouffrent trop facilement dans cette brèche sémantique pour s’en prendre à l’auguste personne de l’ancien directeur général de l’Unesco, organisation à la tête de laquelle il a réussi des choses fabuleuses dont la moindre n’est pas, sans doute, l’adoption d’un texte sur le Nouvel Ordre mondial de l’Information et la Communication (NOMIC). La raison de cette imputation subjective de ce rapport sur la réforme des institutions au Père Mbow est simple à comprendre : il ne va pas dans le sens où certains l’attendaient. Les partisans du Président Macky Sall ne veulent rien entendre de ce qui réduirait son mandat à cinq ans. Pas plus qu’ils ne peuvent cautionner la suppression du cumul de la fonction présidentielle et de celle de chef de parti.
Idem aussi concernant le cumul des mandats de députés avec d’autres fonctions libérales. Pour d’aucuns, à l’instar du président du Groupe parlementaire Benno Bokk Yaakar, Moustapha Diakhaté, la CNRI n’aurait même pas dû procéder à des consultations citoyennes. Encore moins proposer de soumettre un projet d’une « nouvelle constitution » à un référendum populaire. Son mandat se limitant simplement à proposer des réformes institutionnelles et constitutionnelles.
Proximité avec le président de la République
L’opposition fulmine également contre le président Mbow qu’elle accuse de mettre à profit sa proximité avec le chef de l’Etat, Macky Sall, pour vider le texte de son contenu en évitant les sujets qui fâchent, comme le régime parlementaire. Et, surtout, de trop s’inspirer du programme « Yoonu Yokuté » de l’APR pour imprégner les propositions de la CNRI.
Si le vénérable doyen Amadou Makhtar Mbow fait l’objet de tant de récriminations de la part des deux camps
opposés, c’est peut-être parce que la commission peut s’enorgueillir de n’avoir subi le diktat d’aucun esprit partisan. Mais cela suffit-il à l’exonérer de critiques objectives sur le résultat produit par un texte soporifique qui, à force d’avoir voulu ménager la chèvre et le chou est, à l’arrivée, décevant. En effet, on peut bien s’exclamer légitimement : tout cela, pour rien que cela ! Pourquoi un tel attirail, ces longues concertations, ces visites incessantes sur le terrain, ces réflexions infinies à vous griller les méninges, ces longues séances de consultations populaires pour n’aboutir qu’à ces conclusions, largement débattues du reste lors des Assises ?
La montagne a accouché d’une souris
C’est, comme qui dirait, la montagne a accouché d’une souris. Et c’est précisément là que la déception est plus prégnante. Visiblement, la commission a travaillé sous la pression, prise entre le marteau du pouvoir et l’enclume de l’opinion et de l’opposition. Le président de la République ne s’était rien ménagé pour dire à hue et à dia qu’il n’accepterait jamais l’instauration d’un régime parlementaire tant qu’il serait au pouvoir. Pas plus qu’il ne renoncerait aux fonctions de chef de Parti. Pour la réduction du mandat à cinq ans, c’est beaucoup plus sa parole donnée qui l’y contraint que sa conviction personnelle. Qui plus est, le fait de renvoyer la commission à son programme et de l’inviter à s’en inspirer constituait en soi une orientation des conclusions.
Dans de telles circonstances, il était ardu et difficile pour la CNRI de travailler en toute quiétude, sachant au départ que des limites lui ont déjà été tracées. Des lignes jaunes à ne pas dépasser étaient donc esquissées, à charge pour ses membres de le comprendre. Et l’évocation de la séparation des fonctions de chef de parti et de celles de chef de l’Etat apparaît comme un baroud d’honneur. En somme, une concession mineure faite au président de la République pour rester dans ses bonnes grâces et donner une chance au texte.
Un référendum pour quoi faire ?
A l’évidence, l’objectivité et la neutralité de rigueur dans une telle approche vont en souffrir. Et si ni l’APR, ni l’opposition n’accordent un imprimatur à la mouture, la commission a vraiment des soucis à se faire. Le point de focalisation reste bien entendu le référendum, pour soit disant adopter une nouvelle constitution. Alors que les élections locales ont du mal à se tenir car renvoyées aux calendes sénégalaises, comment pourrait-on espérer organiser un référendum ? En couplant les deux scrutins ? C’est certainement faisable. Mais un référendum cela se prépare et c’est une autre campagne électorale, puisque les électeurs seraient sollicités sur deux thèmes. Il y a peu de chances que l’opposition marque son accord pour le couplage. La cacophonie qui risque de s’installer lors des deux scrutins si différents, pourrait nuire aussi bien à l’un et à l’autre.
De toute manière, le référendum exige une bonne préparation et moult séances d’explications préalablement à sa tenue. Du coup, on pourrait encore envisager un autre report des élections. Une source supplémentaire d’instabilité politique et le risque d’une perception négative supplémentaire d’un régime englué dans ses multiples atermoiements. Il n’est même pas certain que cette perspective agrée le Président Macky Sall, pressé d’en finir avec le débat politicien, pour engager sereinement ses réformes.
Inopportune concomitance
Cela dit, en termes de communication, le dépôt du rapport de la CNRI ne vient pas au bon moment pour le Président en route pour la Chine et pour le Groupe Consultatif de Paris. Deux missions importantes dont il pourrait revenir avec de bonnes nouvelles pour l’économie. Ce débat polémique va soulever des positions antagoniques au sein de la classe politique et même de la société civile avec le risque de mettre sous l’éteignoir les enjeux importants des deux visites présidentielles.
Dans le même ordre d’idées, on attend également beaucoup de la position de Benno Bok Yaakar qui, comme à son habitude, fait de l’esquive, pour éviter les dissensions nuisibles à sa survie. Si, sur le terrain, apéristes et socialistes se déchirent à Thiès, Mbour, Mermoz-Sacré Cœur, en haut de
l’échelle hiérarchique, ils se ménagent comme dans un couple en difficulté. La LD se tient à carreau après quelques moments de frayeur consécutive à la sortie de Mamadou Ndoye, son nouveau Secrétaire Général, contre le programme de l’APR. L’AFP reste figée dans l’expectative et n’entend pas du tout mettre à profit les conclusions de la CNRI pour créer de nouvelles sortes de divergences avec l’APR.
Le PIT, lui, est devenu complètement aphone, alors que ses dirigeants, comme leurs alliés du défunt Benno Siggil Sénégal, avaient fait du régime parlementaire l’épine dorsale des réformes constitutionnelles de l’après-Wade. Ces communistes semblent avoir perdu toute velléité d’indignation et encore moins toute idée de se référer aux Assises Nationales. Tout cela au nom de l’unité au sein de Benno Bok Yaakar. Quitte à perdre leur âme. Il ne reste que la société civile pour reprendre le flambeau de la contestation. Mais bon nombre de ses animateurs sont aujourd’hui de l’autre côté de la rive. La voix du Forum Civil et d’autres contestataires professionnels risque d’être trop faible pour influer sur le cours des choses politiques.
« Le Témoin » N° 1154 –Hebdomadaire Sénégalais ( FEVRIER 2014)