Le président de la République est au pas de charge. Tel un rouleau compresseur ou un bulldozer, il déroule ses plans, selon son calendrier et son agenda et au gré de ses visées ponctuelles ou futures. Qu’en pâtissent les alliés, partisans ou adversaires, peu lui importe. Les conséquences, c’est pour les autres. A lui, et lui seul, les acquis. Du moins l’espère-t-il. Le temps presse. Le mandat est à son tournant, et les résultatssociaux et économiques tardent à émerger. Les alliés sont de plus en plus exigeants. Les adversaires se renforcent et trépignent d’impatience d’en découdre avec un pouvoir en méforme, et une coalition Benno Bok Yakar, chancelante.
Et pourtant, ses séjours assez réussis de Paris et Pékin lui ont permis de dégoter la bagatelle de 5000 milliards et plus pour espérer financer ses projets du futur. Son séjour en Casamance lui a donné l’occasion de décrocher celle qui se présente comme un poids lourd de la scène politique locale, Mme Innocence Ntap Ndiaye. Peu après, il a mis le grappin sur la responsable politique saint-louisienne et ancienne ministre de la Culture, Mme Awa Ndiaye. Et ce, malgré la vague de réprobationgénérale qui a accompagné cette transhumance particulièrement décriée.Pourquoi un tel tollé dans un pays où cette pratique honteuse est un sport très pratiqué ? Parce qu’elle recèle probablement quelque chose d’amoral, voire d’immoral ou inique. Et qu’elle laisse le Président et son Premier ministre, indifférents. Où sont les ruptures ? Le régime de Macky Sall nage assurément dans de grandes ambiguïtés.
Entretemps, le patron de l’AFP (Alliance des Forces de Progrès), Moustapha Niasse, lui, avait publiquement claironné son renoncement à toute forme d’opposition et son alignement inconditionnel, pour l’échéance de 2017, derrière lui. Le projet de loi modifiant le code électoral a servi au Président de levier pour tenter de fragiliser, voire neutraliser, en amont, ses adversaires Khalifa Sall à Dakar, Malick Gakou à Guédiawaye, Idrissa Seck à Thiès, Alioune Badara Mamaya Sène à Rufisque. Et nombreux sont ceux qui, parmi les observateurs et l’entourage du Président, pensent que sa prochaine victime, après les élections locales, ne sera personne d’autre que son Premier ministre, Mme Aminata Touré. Et puis, tout compte fait, la célébration du 54 ème anniversaire de notre indépendance (sans souveraineté réelle), n’a pas manqué de faste et de qualité organisationnelle. On aurait presque dit que tout ce que touche Macky Sall se transforme en or. Tellement le calendrier politique lui semblait favorable.
IBK boude le Sénégal
Cependant, sa baraka serait plus providentielle si la situation économique et sociale souffrait moins de morosité. Ce qui est loin d’être le cas. Mais surtout si ses relations avec nos voisins affichaient une certaine sérénité. L’absence des chefs d’Etats voisins aux festivités de l’indépendance An 54, a jeté une ombre au tableau et rendu un peu fades les festivités. De toute façon, ils auraient affiché une moue bien dédaigneuse. Ibrahima Boubacar Keita (IBK) du Mali continue de bouder comme un enfant gâté le Sénégal, omettant même de lui rendre le même hommage que celui fait aux autres voisins du Sénégal, pour leur solidarité dans l’épreuve malienne. Et plus de huit mois après son accession au pouvoir, c’est maintenant seulement qu’il daigne rendre visite au président Macky Sall. La « fatwa » judiciaire lancée contre Amadou Toumani Touré (accusé de haute trahison) va ouvrir une nouvelle phase de contentieux avec le Mali, à l’image de l’affaire Habré. Elle n’arrange pas du tout les affaires de Macky Sall qu’IBK toise et regarde de très haut.
Lepittoresque président Yaya Jammeh de Gambie continue d’alimenter la rébellion casamançaise dont il se sert comme d’une épée de Damoclès, pour faire pression sur le Sénégal. Le président Abdoul Aziz de Mauritanie manifeste une certaine indifférence à l’égard du Sénégal. Il ne rate aucune occasion pour le lui faire savoir. Récemment ; il a pris prétexte de rumeurs sur l’arrivée de la fièvre Ebola aux portes du Sénégal, pour renforcer la surveillance de ses frontières. Une forme de stigmatisation injustifiée que notre président de la République aurait du mal à supporter.Quant à Alpha Condé de Guinée, lui,il s’en est pris directement à son homologue Macky Sall qui a décidé, contre l’avis de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), de boucler ses principales frontières routières pour prévenir l’infiltration au Sénégal de la fièvre Ebola qui a déjà fait une centaine de morts dans son pays.
La sortie au vitriol du président guinéen trouve d’autant plus de résonance qu’elle s’appuie sur des recommandations de l’OMS, qui proscrit cette attitude de restriction pourtant tout à fait compréhensible. Déjà, sous le régime de Wade, Alpha Condé avait eu une grosse dent contre le Sénégal accusé d’avoir offert un pont d’or à son adversaire, Sellou Dallein Diallo, lors des dernières présidentielles finalement remportées par l’actuel chef d’Etat. Ce nouveau ressentiment du président guinéen, peu enclin aux compromis, renforce l’isolement diplomatique du président Macky Sall et du Sénégal.
A cette posture inconfortable dans son voisinage immédiat, s’ajoute la réticence de la France à s’engager dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Karim Wade. Le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, en prison depuis bientôt un an, semble au moins bénéficier d’une bonne disposition d’esprit de Paris, qui comprend difficilement son embastillement alors que des preuves formelles tardent à être fournies par la CREI (Cour de Répression de l’Enrichissement illicite). De surcroît, la justice française n’a pas donné suite aux poursuites contre lui pour enrichissement illicite, faute d’éléments confondants. La commission rogatoire envoyée en France est rentrée bredouille de Paris en dépit des moyens colossaux mobilisés dans cette traque inhumaine, insensée et liberticide. Que reste-t-il donc au président Macky Sall sur le terrain diplomatique ?Pas grand-chose à vrai dire ! La bonne qualité des relations avec la Namibie ne suffirait vraiment à combler le terrain perdu dans notre sous-région. Encore moins l’attitude suspicieuse de la France.
A preuve, des pays de l’Afrique de l’Ouest, notamment dans la zone UEMOA,s’organisent pour mettre en œuvre des projets de développement communautaire comme le chemin Niamey-Parakou-Cotonou-Abidjan. Curieux pays que Le Sénégal qui rêve d’émergence et se marginalise diplomatiquement. Les causes ? Ses exécrables relations avec ses voisins et son entêtement à asseoir une justice des vainqueurs et d’exception sans bénéfice en termes d’image ou de notoriété internationale. Maintenant que la clameur sur le PSE est retombée comme un soufflet, les Sénégalais redécouvrent les dures réalités de la vie ou de la survie quotidienne avec ses affres, ses aléas et ses incertitudes. Le pouvoir tente de susciter un nouvel intérêt en officialisant la tenue des élections locales que les nombreux atermoiements et autres tergiversations avaient fini par rendre hypothétiques. Mais cet adjuvent ne fonctionne pas. La désaffection des Sénégalais pour les élections locales est connue. Et ce n’est pas ce scrutin lourd d’incertitudes qui va les motiver.
L’impossible remobilisation populaire
Seulement voilà, les conditions de la remobilisation de nos compatriotes sont aussi désastreuses que les mobiles qui les sous-tendent. Les modifications votées par une chambre de résonance (les députés de Benno Bok Yaakar) sans nuance dans son alignement sur les positions du pouvoir, cachent de sombres desseins que l’observateur le plus ordinaire peut aisément décrypter. Malgré la dose de proportionnelle instillée dans le scrutin uninominal à un tour, les amendements apportés sont dictés par une arrière-pensée assez sordide. En écartant le scrutin de ville dans les communes de Dakar, Rufisque, Pikine, Guédiawaye et Thiès, le pouvoir cherche à prévenir l’émergence des figures politiques comme Khalifa Sall, Malick Gakou, Idrissa Seck – malgré son discrédit —, entre autres. Accepter que les conseillers municipaux de ces villes soient élus au suffrage indirect relève du simple calcul politique et d’un manque de confiance dans la capacité de l’APR à relever le défi d’impertinence que ces grosses pointures politiques vont lancer au Président. Et ce, malgré l’attitude mutique de Ousmane Tanor Dieng du PS et l’alignement de Moustapha Niasse de l’AFP.
De toute manière, au vu du délai court – le 29 avril — donné aux protagonistes pour constituer leurs listes paritaires–une autre absurdité —, le pouvoir veut visiblement organiser un grabuge. Une belle pagaille en perspective. Le président Macky Sall peine à organiser et discipliner son parti où tout le monde tire à hue et à dia. En faisant voter dans la confusion générale de tels amendements, il tente aussi de mettre en difficulté ses alliés en ne leur offrant qu’une alternative, s’aligner derrière l’APR ou partir de la coalition. Le silence de tombe qu’observent les partis de la coalition est à l’image de leur embarras devant tant d’incongruités. Une fois n’est pas coutume, la LD (Ligue démocratique) a publiquement annoncé son soutien à Khalifa Sall, le maire sortant de Dakar quelle que soit la liste qu’il choisirait d’intégrer. En sortira-t-elle indemne à l’heure des comptes au lendemain des élections ? Rien n’est moins sûr. Le PS et les autres coalisés du Benno Bok Yakar ne sont pas aussi certains de leur avenir dans l’entente. Les batailles en perspectives dans les autres collectivités électorales laisseront sûrement des traces et blessures profondes que la coalition aura beaucoup de mal à supporter longtemps.
Macky et l’APR seuls cavaliers
Pour le Président, la prééminence de l’APR sur la scène politique et son second mandat comptent plus que tout. Même s’il consent que l’apport des alliés est indispensable à sa survie politique, il s’est donné une priorité, gagner par son propre mérite, ces élections. Sans rien devoir ou presque à ses compagnons ! Il a pris conscience que perdre ces élections intermédiaires constituait assurément un mauvais signal pour 2017. Beaucoup pensent d’ailleurs qu’il attendrait l’issue de ces joutes pour décider ou confirmer la réduction de son mandat à cinq ans. Il sait en effet que ses adversaires, actuelles têtes de gondoles de la scène politique, Khalifa Sall, Gakou, Baldé, Idrissa Seck et, dans une moindre mesure, Pape Diop, préparent activement cette échéance de 2017.
Mais les incertitudes sont les plus grandes inconnues de la politique en général et particulièrement au Sénégal où la culture politique n’est pas la chose la mieux partagée. Et il n’est pas évident qu’en choisissant de s’enfermer dans les ambiguïtés, le Président puisse s’en sortir aussi facilement qu’il peut l’espérer. C’est dans ce même ordre d’idées que des informations incontrôlées font encore état de l’éventuel départ du Premier ministre, Mme Aminata Touré. Le chef du gouvernement a beau démentir et multiplier des actes d’alignement,on sent bien qu’elle avale des couleuvres. Ses dénégations ne sont pas convaincantes. Et à les lire de très près, elles cachent mal une certaine lassitude et une résignation rampante.
Le fait d’observer les pourfendeurs du PM agir en toute impunité et faire de l’attaque contre le chef du gouvernement un vrai fonds de commerceest autant d’encouragements à des snipers qui ont jeté leurs cagoules, opérant au cru du grand jour, dans les médias notamment. La même logique d’ambiguïté est donc perceptible dans les relations au plus haut sommet de l’exécutif.
Aly Samba Ndiaye
Article paru dans « Le Témoin » N° 1160 –Hebdomadaire Sénégalais (AVRIL 2014)