Finalement, nous ne sommes que de passage sur cette terre. Un passage fugace, furtif, rapide, aussi éphémère qu’une rose, aussi vif qu’un bombardier « invisible » américain. A preuve, qui aurait pu penser qu’une personne aussi dynamique, aussi enjouée, aussi chaleureuse, aussi optimiste et aussi engagée que Moussa Paye disparaîtrait si brutalement ? Qui aurait pu s’imaginer que tant de vie, pour ne pas dire de vivacité, s’arrêterait si brusquement ? Il a pourtant suffi d’un léger malaise, de cinq minutes à peine, un temps trop court pour permettre sa prise en charge par les médecins pour que notre merveilleux confrère et ami fût arraché à notre affection. Avec sa disparition, une page du journalisme sénégalais se referme, assurément. Moussa, je l’ai connu en 1978, lorsque je faisais mon entrée au Cesti, l’école de journalisme de Dakar, en tant qu’étudiant de la 9ème promotion, et alors que lui, inscrit en troisième année, s’apprêtait à en sortir avec les étudiants de la 6ème année, alors qu’il avait débuté avec ceux de la 5ème. Il avait raté une année tandis que moi, je ne devais jamais voir la troisième. Parce qu’il militait à l’époque à la Ld/Mpt, et moi au PIT, deux partis marxistes alors dans la semi-clandestinité, nous nous liâmes tout de suite d’amitié, au-delà de la franche camaraderie et bien qu’il fût de beaucoup plus âgé que moi. Dans les « carrefours d’actualité » d’alors, lorsqu’étaient invitées des personnalités extérieures pour animer des débats où participaient tous les étudiants de l’école, tout comme
dans les journaux muraux, avatars des « dazibaos » chinois, nous partagions presque toujours les mêmes vues, émettions sur la même longueur d’onde. Avec le regretté Ibrahima Fall « Petit chef », lui aussi militant de la Ld à l’époque, et aussi un peu avec Armand Faye qui, lui, était du RND, nous étions les « rouges » du Cesti à une époque où les « verts » du parti socialiste dirigeaient d’une main de fer le Sénégal. En tout cas, les journaux privés tels que nous les connaissons aujourd’hui, encore moins les radios, à fortiori les télévisions privées, n’existaient pas. En dehors du « Politicien » de Mame Less Dia et de « Promotion » du doyen Boubacar Diop, les seuls organes ou entreprises de presse qui existaient à l’époque, c’était ceux ou celles du service public (Le Soleil, Radio Sénégal, Télévision nationale et Agence de Presse sénégalaise). C’étaient les seuls débouchés qui s’offraient aux sortants du Cesti. A part cela, il y avait les ministères. Moussa Paye, justement, a servi au ministère de la Communication — à l’époque on disait « de l’Information » mais c’était en réalité celui de la Propagande ! — et c’est dans cette administration d’ailleurs qu’il a fait toute sa carrière jusqu’à sa retraite prise il y a quelques années. C’est peu dire qu’il était à l’étroit dans ce ministère qui eut notamment pour titulaires les socialistes Daouda Sow et Djibo Leyti Kâ, lesquels n’étaient pas précisément des modèles d’ouverture et de tolérance, surtout pour lui le journaliste communiste ! Néanmoins, il fit toujours son travail en tout bien tout honneur, avec beaucoup de professionnalisme, de compétence et de talent. Parallèlement à cela, il s’était engagé courageusement dans l’action syndicale et fut à la pointe de tous les combats menés pour l’émergence d’une presse plurielle dans notre pays. A cet égard, il fut membre fondateur de l’Unpics
(Union nationale des professionnels de l’Information et de la Communication du Sénégal), ancêtre du Synpics qu’il contribua également à porter sur les fonts baptismaux. En fait, toute sa vie fut jalonnée de combats contre le monolithisme de la presse du régime socialiste d’alors, pour les libertés syndicales, pour le socialisme, pour la libération des pays africains du joug colonial (Guinée-Bissau, Angola, Mozambique…) ou de la férule de l’apartheid. Pour ce dernier combat, il fut un grand ami de Ahmed Nkono, qui était le représentant à Dakar de l’Anc (African national Congress), lequel n’était alors qu’un mouvement de libération banni en Afrique du Sud et il contribua à faire connaître le combat du peuple sud-africain au Sénégal. Il fut d’ailleurs, avec le diplomate Abou Sy, père de notre consoeur Ndèye Fatou du même nom, l’un des fondateurs du Club Sénégalais Anti-apartheid. C’était au début des années 80. D’une manière générale, celui que j’appelais toujours « camarade Paye » — même si, ces dernières années, il estimait que je ne méritais pas l’appellation de « camarade » parce que je m’étais dangereusement embourgeoisé » ! —, Moussa Paye, donc, était de tous les combats anti-impérialistes. Il avait en particulier une grande connaissance des luttes révolutionnaires des peuples du Tiers-monde, notamment ceux d’Amérique latine dont le romantisme révolutionnaire le séduisait. De l’assaut de la caserne Moncada aux combats dans la Sierra Maestria, de l’internationalisme du commandante Che Guevara à celui de Fidel Castro, qui s’est traduit par l’opération « Carlotta » menée par le corps expéditionnaire cubain en Angola pour combattre les troupes sud-africaines, du combat du Front Farabundo Marti de Libération nationale à celui des sandinistes nicaraguayens, Moussa connaissait toutes ces
épopées révolutionnaires, ainsi que la geste qui les accompagne, par cœur. Il pouvait rester des heures entières à en parler. Comme disait la chanteuse Shérifa Luna, que notre génération ne doit en principe pas connaître, il avait « toujours le poing levé », lui, le révolutionnaire.
Mais Moussa c’était aussi, et surtout, aussi paradoxal que cela puisse paraître, un grand défenseur de la culture léboue et un croisé de la confrérie layène. Tout marxiste qu’il fut, il ne fallait surtout pas critiquer un seul descendant de Seydina Limamou Laye devant lui ! Quant à la défense du riche patrimoine lébou et à la préservation de cette glorieuse civilisation, ce fut le combat de la dernière période de sa vie. Il s’y engagea avec autant de sincérité, de détermination et d’abnégation que lorsqu’il s’était agi pour lui, dans les années 70 et 90, de bouter l’impérialisme et le néo-colonialisme hors du continent africain. Il était comme ça, Baye Moussé, comme l’appelaient ses parents lébous : entier. Il ne faisait jamais les choses à moitié.
Belle plume, Moussa Paye était surtout une véritable encyclopédie, un homme qui passait son temps à lire et qui, de ce fait, avait une vaste érudition. C’était une bibliothèque ambulante, un idéaliste qui méprisait les biens matériels. Pour lui, l’argent, c’était un moyen, jamais une fin.
C’est cet excellent confrère, cet ami fidèle, ce patriote ardent, ce Layène fervent, ce fier Lébou, cet Africain digne, cet homme désintéressé qui vient de nous quitter. Que la terre de Yoff Diamalaye où il repose désormais, bercé par la brise marine, au milieu de tant de guides de sa confrérie, lui soit légère. A sa famille, aux Layènes du Sénégal, à ses amis, à tous les confrères, notamment aux « Cestiens », Le
Témoin présente ses condoléances attristées. Adieu, « camarade » Paye !
MAMADOU OUMAR NDIAYE
Article paru dans « Le Témoin » N° 1158 –Hebdomadaire Sénégalais (Mars 2014)