Par Adrien POUSSOU
Depuis décembre 2012, mon pays, la République Centrafricaine, défraie la chronique mondiale avec des violences d’une rare cruauté qui semblent manifestement la transformer en une nouvelle Somalie à la lisière de la forêt tropicale. D’une certaine façon, la situation a été banalisée à un point tel que plus grand monde ne s’émeut de ce naufrage qui dure depuis plus de vingt ans. Les statistiques illustrant le désastre ont cessé depuis longtemps de susciter l’inquiétude. Elles font partie du registre routinier des catastrophes d’un pays en perdition. Un pays désormais partagé entre différentes milices armées qui se disputent la palme d’or de la barbarie. Ces affrontements fratricides et les tueries qui rythment désormais le quotidien des Centrafricains et qui font la Une des journaux du monde entier, ne sont que l’envers d’un décor tragique, fait de lutte pour le contrôle du pouvoir de l’État mais aussi et surtout de conflit d’intérêts entre puissances étrangères. C’est que les troubles chroniques, liés aux revendications corporatistes, ont pris une tournure de drames à répétition depuis 1990. La démocratisation, qui a dérapé en bagarres sans pitié pour la conquête du pouvoir, a laissé l’économie du pays exsangue. De sorte que la Centrafrique n’attire plus que des experts de pacotille et des pseudo-spécialistes avec leurs recettes aussi loufoques que dangereuses.
C’est pourquoi, ma conscience de nationaliste, de patriote engagé, dévoué et responsable, me fait un devoir de prendre la voie du sacrifice que représente le périlleux risque de ramer à contre-courant des poncifs à la mode pour dire clairement que l’idée de faire déployer des troupes onusiennes sur notre sol est proprement une fausse bonne idée. D’abord, parce qu’elle participe de la mise à l’écart des Forces armées centrafricaines (FACA). Or, nul ne rétablira la sécurité en Centrafrique sans aller au contact des groupuscules armées dans leurs sanctuaires provinciaux. Et cela, il n’y a que des soldats centrafricains qui connaissent comme le contenu de leurs poches les moindres sentiers et les moindres pistes de chasseurs pour le faire. L’urgence est donc de remettre les FACA au centre du dispositif sécuritaire. Il faut donner tous les moyens, vraiment des moyens et encore des moyens aux soldats centrafricains pour régler l’épineuse question de l’insécurité dans le pays. Au lieu d’injecter des sommes astronomiques au règlement de salaire, des primes de risque et les vacances des fonctionnaires internationaux payés à ne rien faire, la communauté internationale devrait plutôt consacrer ce pactole à la restructuration de l’armée centrafricaine. Contrairement à une opinion largement répandue, il existe au sein des FACA des officiers et hommes de rang pétris de valeurs républicaines qui ne demandent qu’une chose: défendre la patrie. Tous les militaires Centrafricains ne sont pas des partisans de Français Bozizé. C’est une erreur de le penser est c’est une faute grave que de vouloir écarter ces soldats. En les écartant, on prend le risque de sécréter les germes d’une prochaine crise. À moins que certains ont intérêt de ne pas voir revenir les FACA.
Si j’avais été élu président de la République fin janvier 2014, le premier acte que je devais poser bien avant la nomination du Premier ministre et la formation du gouvernement aurait été la désignation d’un chef d’état-major à qui j’allais demander de reconstituer en toute urgence trois à quatre bataillons des FACA qui allaient régler le problème de l’insécurité dans Bangui; ainsi, j’aurais donné un cap à ma mission, celui de la restauration de la sécurité sur toute l’étendue du territoire; pour rien au monde, j’aurais accepté d’être protégé par des soldats étrangers. Jamais. Plus qu’un crève-coeur, cela est une humiliation que d’apercevoir ces soldats étrangers arpentés les couloirs des hauts lieux de la République comme la Présidence ou la Primature; j’aurais surtout écarté de mon proche entourage certains individus aussi nuisibles que peu recommandables qui continuent d’entretenir l’insécurité à Bangui pour les besoins de leurs ambitions morbides. Ceux-là même qui la nuit s’invitent au festin macabre des anti-balaka, leur fournissant la liste d’adversaires politiques à abattre. Mais on ne fait pas l’histoire avec des « si », c’est connu.
Ensuite, aussi loin que remontent mes souvenirs, les soldats onusiens n’ont que rarement stabilisé la situation sur les théâtres d’opération où ils sont souvent engagés. Pour preuve, ils sont près de 20 mille casques bleus en République démocratique du Congo depuis plusieurs années déjà sans que la paix et la stabilité ne reviennent dans ce pays frère pour autant. Aussi, ne sont-ils pas prêts à risquer leurs vies pour la protection des Centrafricains; sans compter que ce passage sous bannière onusienne consacrerait d’office l’échec de la MISCA. Or, la force africaine n’est pas encore au maximum de sa capacité opérationnelle. Enfin, parce que la venue des troupes onusiennes sera la dernière étape, l’accomplissement du plan de la mise sous tutelle de la République Centrafricaine. On s’en doute, cette perspective qui nous pend au nez est la pire des choses qui puissent nous arriver. Ceux de nos compatriotes qui partagent cet avis doivent se mobiliser pour faire entendre un autre son de cloche qui tranche singulièrement avec les discours en vogue.
En prenant cette position, je m’attaque à des gros intérêts: ceux des cyniques qui profitent du malheur des Centrafricains pour se garnir davantage les poches. Je m’attaque également à ceux, bien nombreux, qui n’ont actuellement qu’un rêve: placer la Centrafrique sous tutelle internationale de façon formelle pour contrôler et exploiter allègrement ses matières premières indispensables à leur industrie. D’autant que le pays représente un enjeu stratégique majeur. Je m’attaque surtout à leurs protégés locaux, certains de mes propres compatriotes qui, volontairement ou par simple ignorance, se conduisent en véritables traitres contre la prospérité et le bonheur de nos populations, préoccupés qu’ils sont avant tout à la sauvegarde de leurs intérêts personnels et sans conscience nationale.
Bien évidemment, il n’entre nullement dans mon propos de faire le procès de la communauté internationale, loin s’en faut. Pour que les choses soient claires dans les esprits, je tiens à réaffirmer ici toute ma gratitude à la France qui a envoyé ses enfants mourir sur le champs d’honneur pour sauver les miens. Nous lui sommes redevables du travail ( encore perfectible) fourni par ses soldats dans notre pays et de la présence de ces derniers à nos côtés dans ces moments sombres que nous traversons. Comme nous sommes également redevables envers les pays frères qui sont venus à notre rescousse. Mais nous pensons que la République Centrafricaine ne retrouvera jamais la paix tant que l’on continuera de la considérée comme une chasse gardée, tant que l’on continuera de traiter son peuple avec une condescendance suspecte et un mépris non dissimulé, tant que les Centrafricains eux-mêmes n’auront pas eu le loisir de se choisir une voie et un chemin de construction nationale. On ne peut reconstruire la Centrafrique qu’avec les Centrafricains.
Alors, que faire pour remonter la pente ? A quelles conditions la Centrafrique peut-elle renouer avec la paix et la stabilité ? La mise en oeuvre d’une politique de développement digne de ce nom, c’est-à-dire conforme aux contraintes imposées par la globalisation économique, est le plus grand défi auquel le pays devra répondre dans les toutes prochaines années s’il parvient à tourner définitivement le dos à la logique des déchirements, des haines tribales et de la prospérité des seigneurs de guerre. D’où le préalable absolu qu’est la reconstruction d’un État digne de ce nom. Sans État organisé, solide, discipliné et géré avec rigueur et patriotisme, il n’y aura pas d’espoir à l’horizon.
Adrien POUSSOU
Ancien Ministre de la Communication, de la Promotion de la Culture civique et de la Réconciliation nationale