Anadoly Agency/ Bangui/ Thierry Brésillion
Alors que les morts se multiplient de part et d’autre dans les quartiers sensibles de la capitale centrafricaine, la confiance se dégrade entre chrétiens et musulmans et la défiance s’accentue à l’égard des autorités nationales et internationales.
La matinée du 1er mai a été endeuillée par l’annonce de deux morts supplémentaires à Bangui. Désiré Sayenga, journaliste chrétien au quotidien « Le Démocrate », torturé et blessé par balles mardi vers 19 heures 30 , a succombé à ses blessures .
Peu après, le cadavre d'une victime musulmane non identifiée a été amené à la mosquée Ali Babolo dans le quartier KM5, où vivent les derniers musulmans de Bangui et qui recueille les corps des victimes des exactions des milices anti-balaka. Les circonstances exactes qui ont amené ce musulman à quitter KM5 pour se rendre dans le quartier Castor où il a été agressé restent mystérieuses. Visiblement la victime a reçu plusieurs coups de couteaux dans la gorge, ses bras portent les marques d’une corde par laquelle son corps a été traîné et sa main a été tranchée.
Pour sa part, le sort de Désiré Sayenga est un peu plus connu. Selon ses collègues du quotidien Le Démocrate, « il a été pris à partie par un groupe de musulmans armés alors qu’il regagnait son domicile dans le quartier Fatima, un peu au sud de KM5. Il a été torturé et a été blessé par un tir au niveau de l’abdomen qui lui a percé le foie, le diaphragme et le poumon. Il ne pouvait pas survivre », regrette Brice Oundagon, directeur financier du journal.
Peu avant, mardi, un jeune musulman, Bachir, de mère chrétienne et marié à une chrétienne avait été décapité et émasculé. « Désiré Sayenga a certainement été attaqué en représailles à la mort de ce jeune homme. Les musulmans de KM5 ont conduit une expédition punitive et se dirigeaient peut-être vers le site des déplacés de l’église du quartier Fatima. », toujours selon le directeur financier du Démocrate.
Le même soir, des musulmans en colère s’étaient confrontés aux troupes burundaises de la MISCA au nord de KM5, après avoir jeté des grenades dans le quartier Bazanga qui avaient tué deux personnes, et blessé plusieurs autres.
Atahirou Baladodo, le maire musulman du III arrondissement où se situe KM5, admet à demi-mots l’existence de groupe de jeunes musulmans armés. « Nous devons d’abord notre survie aux jeunes de notre quartier qui tiennent les anti-balaka à distance. Ils ont des armes récupérées sur les anti-balakas. Mais en aucun cas des violences ne partent de KM5. Ils pourchassent ceux qui nous attaquent», avant d’ajouter, « je ne suis pas contre le désarmement, mais il faut désarmer d’abord les anti-balaka ».
Attente symétrique côté chrétien : « La seule manière de rétablir la confiance est de désarmer KM5 », estime Brice Oundagnon.
L’avenue Koudoukou qui traverse le marché de KM5, avait été solennellement rouverte le 29 mars pour marquer le retour à la sécurité. Discours, accolades émues entre quarante musulmans et quarante chrétiens amenés pour symboliser l’apaisement, n’y ont rien changé. Aujourd’hui, la zone est baptisée « le couloir de la mort » par les chrétiens des autres quartiers. Même si, on y rencontre encore des chrétiennes venues vendre fruits et légumes dans le quartier.
« Nous avons des parents et des amis musulmans dont certains sont encore à KM5, témoigne Ferdinand Samba, directeur du quotidien Le Démocrate. Mais nous ne pouvons plus les fréquenter. La peur a gagné les deux camps.»
Les troupes burundaises de la MISCA déployées autour de KM5 pour assurer la sécurité des musulmans menacés par les anti-balaka sont toujours accusées de complicité avec les groupes armés musulmans.
De son côté, les troupes françaises de Sangaris font l’objet d’un rejet similaire de la part des musulmans de KM5. Les slogans « Non à la France » se sont multipliés sur les façades de l’avenue Koudoukou, assortis désormais de croix gammées. « Opération Sangaris = opération Turquoise », assène un slogan, faisant référence à l’opération militaire française déployée au Rwanda en 1994 et accusée d’avoir couvert la fuite des auteurs du génocide.
Le gouvernement de transition ne semble par jouir de davantage de crédit. « Le gouvernement est incapable d’assurer la sécurité de la population, ni de lui venir en aide, s’emporte Brice Oundagnon. "Ces gens ne sont là que pour ramasser les bénéfices. Il faut qu’ils déguerpissent. Il n’y a que les FACA qui peuvent rétablir la sécurité», a-t-il encore martelé.