A son Excellence,
Madame Catherine SAMBA PANZA
Présidente de la transition
République centrafricaine
Bangui, le 31 mars 2014
Objet : lettre ouverte
Excellence, Madame la Présidente,
Nous, collectif des musulmans du Km5 avons suivi avec beaucoup d'attentions votre dernier discours faisant le bilan de vos deux premiers mois à la tête de la RCA. Malheureusement, vous n’avez apporté aucune solution à travers ce discours, à nos attentes. Pire, vous semblez découvrir les réalités de la situation de notre pays que maintenant. Et pourtant, vous avez été élue par le Conseil National de Transition (CNT) suite à la démission du Président Michel Ndjotodjia et de son Premier Ministre Nicolas Tiangaye pour pallier aux manquements et autres carences constatés dans la gouvernance de notre pays, à un moment où des signaux d’alarmes sur les conditions de pré-génocide étaient tirés par toutes les ONG présentes sur place.
Il faut rappeler que vous aviez été une fine négociatrice politique en œuvrant à la réconciliation historique entre le Pr Abel Goumba et le Président David Dacko ; que vous aviez également été une opératrice économique talentueuse avant votre nomination comme Maire de Bangui ; que c’est fort de toutes ces expériences que vous avez postulé à la magistrature suprême de notre pays. Par conséquent, vous êtes une actrice totalement avertie de la situation économique et socio-politico-militaro- confessionnelle explosive que traversait notre pays. Or, dans vos différentes interventions vous semblez découvrir les réalités de la situation. Autrement dit, vous êtes en train de donner raison au Président Michel Ndjotodia en faisant cependant pire que lui en un temps record. Que conclura cette fois-ci le Président Hollande ? Dira-t-il qu’on ne laissera pas une Présidente qui n’a pas su appliquer sa profession de foi, qui s’est entourée de personnes qui découvrent les réalités centrafricaines et utilisent les mêmes argumentaires des pourfendeurs de l’unité nationale? Faudra-t-il vous pousser également à la démission pour incompétence ?
Excellence, le moment est grave et chaque instant compte pour sauver des vies dans notre pays. Si vous pensez que le défi actuel est irréalisable ou insurmontable, prenez votre responsabilité et tirez les conséquences qui s'imposent, au lieu de chercher des boucs émissaires.
Il est également temps pour nous centrafricains, d’arrêter de faire tout et son contraire en appelant au secours encore et encore les forces étrangères tout en les tenant pour responsables de nos échecs. À force, nous finirons non seulement par les décourager avec notre ingratitude mais aussi par devenir un fardeau pour eux : alors, plus personne ne voudra dans ces conditions venir nous aider.
Madame la Présidente, qui gouverne la RCA aujourd'hui? C'est vous ou bien c'est la milice anti-Balaka? Il est urgent pour vous d'affronter les problèmes avec courage et détermination. Car, on ne peut pas diriger un pays dans l’anarchie. Vous laissez les anti-Balaka ainsi que certains éléments des forces armées centrafricaines ternir davantage l’image de notre pays aux yeux du monde entier par des actes de cannibalisme (anti-Balaka) et de lynchage (éléments des FACA). Or, même dans la jungle, les animaux de la même espèce ne se mangent pas entre eux. Les anti-balaka constituent à cet effet, l’une des exceptions qui confirment la règle.
Depuis le 05 décembre 2013, date de leur tentative avortée de prise de pouvoir, ces bandits, pilleurs et cannibales n’ont cessé de nous attaquer. Ils nous épient, tuent par lâcheté les plus fragiles et les plus isolés d'entre nous, dépiècent leurs corps pour les manger ou les vendre en détail à leurs semblables sur les marchés. Et ce, sous l’œil des caméras du monde entier sans se soucier de l’impact que cela pourrait avoir sur l’image de notre pays. Les anti-balaka dans leur bestialité affirment que la chair musulmane est meilleure parce que les musulmans seraient très intelligents. Leurs agissements dépassent l’entendement humain. Quelle abomination ! Vous n’avez rien dit à ce propos, encore moins votre gouvernement.
Ils ont chassé l’essentiel de la population musulmane de toute la moitié ouest de notre pays en pratiquant systématiquement un nettoyage ethnico-religieux à leur encontre. Ils ont pillé tous les biens appartenant aux musulmans dont des marchandises, des habitations, des cheptels bovins. Ils ont détruit tous nos lieux de cultes dont certains sont transformés en bars dancing où l’alcool coule à flot. Nous, qui avions refusé de partir en exil, sommes encerclés puis attaqués perpétuellement dans le but de nous massacrer et s’accaparer de nos biens.
C’est donc face à cette situation, et par instinct de survie que nous avons décidé de nous organiser en groupe des résistants. Nous n’attaquons personne. Nous nous défendons seulement dans le cadre d’une légitime défense, car l'Etat qui est censé nous protéger nous a abandonné.
Excellence, si les anti-Balaka manipulés par certains hommes politiques inconscients atteignaient leur objectif, alors la partition de notre pays en deux serait inéluctable. Car, chasser la population musulmane de toute la moitié ouest (y compris Bangui) revient à légitimer de fait cette partition du pays. Est-ce votre souhait ? Par conséquent désarmer le Km5 supposé abriter beaucoup d’armes sans aucune garantie de sécurité pour la population ainsi que pour leurs biens, revient à aider les anti-Balaka à atteindre leur but génocidaire. A cet effet, nous appelons la communauté internationale à une vigilance plus accrue. Nous sollicitons les professionnels de droit à saisir préventivement les instances internationales compétentes en la matière.
Dans votre interview sur TV5 et France 24 du 2 mars 2014 à Kinshasa, vous aviez déclaré que les musulmans sont partis avec des capitaux et que cela pourrait constituer une opportunité pour les centrafricains autochtones d’occuper l’espace laissé. Une telle affirmation démontre à suffisance votre compréhension du problème centrafricain, en particulier ce qui est arrivé aux musulmans centrafricains. C’est très grave et inacceptable.
Pendant que des centrafricains perdent leur vie, vous y voyiez des opportunités d’affaires. Est-ce également votre ambition pour le Km5 ?
Si tel est le cas, nous sommes déterminés à nous défendre, car nous sommes également chez nous, dans notre pays. Rappelez-vous Madame la Présidente qu’historiquement, l’origine du Km5 fut liée au destin du village haoussa de Bangui (patrimoine mondial de l’Unesco) qui faisait partie des villages autochtones à l’emplacement actuel de la gendarmerie nationale autour de ce qu’allait devenir la ville Bangui. Nos arrières grands parents avaient accepté de se plier aux injonctions des colons pour le besoin de l’agrandissement et de l’urbanisation de la ville en acceptant leur transfert d’abord à Lakouanga puis au Km5 actuel appelé à l’origine Kolongo. Ce fut un endroit inhospitalier qui avait nécessité d’énormes sacrifices pour devenir aujourd’hui une zone attractive et lucrativement très convoitée (poumon de l’activité commerciale de la ville de Bangui et pourvoyeur des recettes fiscales). Par conséquent, nous ne sommes pas des citoyens de seconde zone, nous réclamons les mêmes droits que tout le monde. Nous n'irons cette fois-ci nulle part. Ceux qui pensent qu'ils vont nous obliger à partir se trompent.
Certes, nous sommes conscients que pour vous tout comme pour les forces internationales de maintien de la paix, le cas Km5 (à la fois zone d’habitation et marché) est devenu une équation très compliquée à résoudre. Que faire ?
- désarmer cette zone de 3km² et laisser sa population musulmane à la prédation des miliciens anti-balaka ?
- maintenir le statuquo en laissant le Km5 avec ses comités d’auto-défense au risque de constituer un goulot d’étranglement qui entraverait la libre circulation dans la zone et par représailles dans tout Bangui?
- déplacer toute la population musulmane vers le Nord-est en livrant leurs biens à l'appétit et au pillage de la milice chrétienne comme cela a été le cas pour les autres quartiers musulmans de la capitale et de toute la moitié ouest du pays ?
Madame la Présidente, nous sommes pour une Centrafrique démilitarisée, désarmée où tous les enfants de ce pays vivraient harmonieusement dans une concorde nationale. Mais, vu la complexité de la situation, le désarmement du Km5 ne doit pas être fait dans la précipitation et à vue, sinon l’on risque de reproduire les mêmes erreurs commises par les Sangaris avec inévitablement les mêmes conséquences.
Nous avons encore en mémoire la partialité des éléments français de l’opération Sangaris qui désarmaient les musulmans pour les livrer systématiquement à la vindicte populaire, lançant à n’en point douter pendant le mois de décembre 2013, le début des opérations de nettoyage ethnico-religieux que tout le monde déplore encore aujourd’hui.
Excellence, Madame la Présidente, contrairement aux autres quartiers de Bangui, le Km5 est dépourvu depuis toujours des infrastructures publiques socio-éducatives et de santé qui soient en adéquation avec son développement. De ce fait, il va de soi que nous sommes prêts à adhérer à un projet global de sécurisation et de restauration de l’autorité de l’Etat dans toute la ville de Bangui et au-delà sur toute l’étendue de notre territoire national. Nous souhaitons pouvoir enterrer nos morts dans la dignité, vaquer à nos occupations en toute sécurité, envoyer nos enfants au collège, au lycée et à l’Université sans crainte, aller à l’hôpital pour nous soigner sans aucun risque.
Nous aspirons à la paix et à une sincère réconciliation nationale
Veuillez agréer Excellence, Madame la Présidente, l’expression de notre haute considération.
Collectif des musulmans du Km5