Imaginez seulement un département du Sénégal où vivent des dizaines de milliers d’Ouest-africains, en particulier des ressortissants de pays en guerre ou post-conflits, mais aussi des déserteurs d’armées régulières, d’anciens soldats de fortune en quête de reconversion, des bagnards en cavale, des trafiquants de drogue… Bref, la Cedeao du crime transfrontalier. Et le tout sans aucune espèce de contrôle, ces hordes entrant dans notre pays comme dans un moulin sans avoir besoin de montrer patte blanche. C’est pourtant ce qui se passe dans ce véritable Nord-Kivu qu’est Kharakhena, localité regorgeant d’or et située à la lisière de frontières avec deux pays voisins, le Mali et la Guinée, qui ne sont pas précisément des ilots de stabilité. La ruée vers l’or a attiré de braves et honnêtes prospecteurs et commerçants en provenance de ces deux pays, bien sûr, mais aussi du Burkina Faso, de Côte d’Ivoire, de Mauritanie, du Ghana, du Libéria, du Ghana et du Nigeria. Dans leur sillage ou devant eux, ont afflué également des centaines d’individus peu recommandables dont certains ont déjà eu à faire le coup de feu dans les guerres libérienne, sierra léonaise voire ivoirienne et ne se déplacent jamais sans leurs armes. Certes, le protocole de la Cedeao proclame la liberté de circulation des personnes et des biens, mais cela n’empêche pas les contrôles aux frontières, quand même ! Or, les autorités ont laissé se constituer sans réagir un « Nord Kivu » à l’intérieur de nos frontières constituant ainsi une poudrière pouvant exploser à tout moment. Comme si le conflit casamançais ne suffisait pas !
En effet, les points de passage sont nombreux le long des frontières malienne et guinéenne et ils ne sont malheureusement pas gardés ! Ce qui fait que tous ces ressortissants ouest-africains pénètrent facilement dans notre pays, font leurs emplettes ou leurs mauvais coups, avant de repartir tranquillement. Certains vendeurs d’or maliens viennent le matin, achètent leur marchandise et repartent le soir les doigts dans le nez sans subir aucun contrôle, ni douanier ni policier. Bref, dans cette zone de Saraya, on entre dans notre pays comme dans un moulin alors que les risques de déstabilisation planent partout et que les richesses nationales sont pillées sans que les Sénégalais puissent en profiter.
Ce n’est que lors de sa visite dans la région de Kédougou, il y a de cela deux semaines, que le président de la République a pris conscience de l’ampleur de la menace. A cette occasion, il a eu droit a un exposé exhaustif du commandant de la zone militaire qui lui a fait dresser les cheveux sur la tête. Il a alors pris le taureau par les cornes et ordonné une série de mesures dont l’institution d’une carte d’orpailleur au profit de nos compatriotes évoluant dans le secteur où ils sont marginalisés. Une carte qui devrait être distribuée aux ayant-droits dans les jours ou semaines à venir, le temps que celles qui ont été commandées soient sécurisées et rendues infalsifiables.
Sur le plan sécuritaire, des dispositions vigoureuses ont été prises puisque l’Armée a été immédiatement déployée dans la zone. C’est ainsi que deux compagnies renforcées, dont une de parachutistes, sont stationnées dans le département sous les ordres du commandant Cheikh Tidiane Diouf. Nuit et jour, elles sécurisent la zone et ont déjà identifié tous les points de passage des étrangers pullulant à Kharakhena et environs. Le hic, c’est que la zone est trop vaste pour pouvoir être efficacement défendue par deux compagnies, les effectifs étant insuffisants pour tenir les points de passage. Des renforts sont donc nécessaires. L’autre problème c’est que cette présence de l’Armée est limitée
dans le temps, les deux compagnies présentes sur place n’étant là en principe que pour une durée… d’un mois. A l’issue de ce délai et sauf prolongation ou relève, elles plierontbagages. Laissant le terrain libre aux malfaiteurs et potentiels fauteurs de troubles ! Or, face à une menace aussi prégnante que celle représentée par la bombe à retardement de Kharakhena, la moindre des choses, évidemment, est d’installer un cantonnement permanent de l’Armée qui ne serait pas constitué par deux compagnies seulement. La gendarmerie aussi est présente mais apparemment en nombre insuffisant.
A côté de l’Armée, l’administration territoriale tente de faire face et joue sa partition. Pour le moment, elle privilégie la carte de la sensibilisation. Ainsi, le préfet de Saraya, Papa Malick Ndao, sillonne inlassablement la zone pour prêcher la bonne parole et porter le message des autorités. Lesquelles considèrent que les richesses minières dont regorge la zone appartiennent au Sénégal tout entier et ne sauraient donc être la propriété des seuls villageois de Kharakhena. Par conséquent, l’Etat a un droit de regard sur leur exploitation et peut attribuer des permis à des sociétés minières contre paiement de redevances. Ces dernières doivent pouvoir exploiter les périmètres qui leur ont été attribués et il ne saurait être question que des individus sans droit ni titre squattent lesdits sites. En même temps l’Etat, soucieux de mettre de l’ordre dans ce secteur et de défendre les intérêts de ses ressortissants, va doter les orpailleurs sénégalais de cartes afin qu’ils puissent exercer leurs activités dans la légalité. De plus, ces cartes permettront de procéder à des contrôles afin de séparer le bon grain de l’ivraie. L’activité d’orpaillage sera réservée aux seuls Sénégalais détenteurs de la carte, à l’exclusion des étrangers. En contrepartie de la libération des périmètres appartenant aux compagnies minières et exploités illégalement par des orpailleurs venus de la sous-région, l’Etat a attribué des couloirs d’or aux nationaux. Des couloirs d’ores et déjà délimités par une équipe venue de Dakar dans des sites où il est prouvé qu’il y a de l’or. Une compagnie comme Afri-Gold, sur instructions de son président, M. Hennie Wessels, a offert 27 hectares sur son propre périmètre aux orpailleurs sénégalais, une manière de promouvoir l’orpaillage concerté. Ce dont s’est d’ailleurs félicité M. Lamine Sy, le chef du Service régional des Mines de Kédougou, un vétéran qui a vécu pendant 32 ans dans la région. La même compagnie permet aux villageois de prospecter sur son site de Daloto, à 60 kilomètres de Saraya. Un orpaillage toléré, ordonné, respectueux de l’environnement et que nous avons pu voir de nos propres yeux. L’exemple de ce qui devrait être fait dans toute la zone. Afri-Gold est d’ailleurs en train de construire à Saraya une usine d’or, ce qui va porter le total de ses investissements à 3,5 milliards de francs.
Ces deux soucis de l’Etat, à savoir assainir le secteur et favoriser les nationaux tout en permettant aux compagnies étrangères de jouir de leurs périmètres sans entrave, le préfet Papa Malick Ndao les a rappelés dimanche dernier au cours d’une réunion à laquelle il avait convié les populations de Kharakhena, les « tomboloumas » (service d’ordre local), mais aussi le patron d’Afri-Gold en présence du sous-préfet de l’arrondissement de Bembou (sur lequel se trouve le site), M. Dieng. A l’issue de la réunion, tout ce beau monde a promis de marcher main dans la main pour aider à l’application des décisions prises par le président de la République au cours de son séjour à Kédougou et relativement à l’exploitation de l’or…
MAMADOU OUMAR NDIAYE
Article paru dans « Le Témoin » N° 1164 –Hebdomadaire Sénégalais (MAI 2014)