Accueil
Envoyer à un ami
Imprimer
Grand
Petit
Partager
REPORTAGE

Sarakhena, cet Eldorado sénégalais qui enrichit… la sous-région !


Alwihda Info | Par Mamadou Oumar NDIAYE - 15 Mai 2014



Sarakhena, cet Eldorado sénégalais qui enrichit… la sous-région !
« Mon avenir brille plus que l’or. Je ne vais pas quitter l’école pour aller aux diouras ». Le slogan est peint en gros caractères noirs sur le mur grisâtre de l’école élémentaire de Saraya, chef-lieu du département du même nom, situé à 60 kilomètres de Kédougou. Pourquoi donc une telle proclamation aux allures de mise en garde ? Tout simplement parce que la ruée vers l’or que connaît la zone est telle que certains parents n’hésitent pas à retirer leurs enfants des classes pour qu’ils les aident à chercher le métal précieux dans les sites de prospection autrement appelés « diouras » en mandingue. Saraya, ce vaste département écrasé sous le soleil est en effet devenu en quelques mois un Eldorado qui attire tous les chasseurs d’or de la sous-région. Mais c’est surtout le village de Kharakhena, situé à 24 kilomètres de Saraya, dans la sous-préfecture de Bembou, qui est le point de convergence de tous les aventuriers de l’or attirés par la perspective de faire fortune rapidement. Village de 700 habitants à peine il y a deux ans, Kharakhena a connu la plus formidable explosion démographique de l’histoire du Sénégal puisque, en moins de 24 mois, sa population a atteint le chiffre incroyable de 60.000 personnes dont les 20.000 s’adonnent à la recherche de l’or ! Comme une traînée de poudre (d’or !) et le téléphone arabe fonctionnant à plein régime, des milliers de prospecteurs venus du Mali et de la Guinée voisines mais aussi de la Mauritanie, de Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, ou encore de la Sierra Léone, du Libéria, du Ghana et du Nigeria ont afflué à Kharakhena, transformant la localité en véritable tour de Babel où toutes sortes de dialectes et de langues sont parlées. La rumeur se propageant, déserteurs d’armées régulières voisines, mercenaires des conflits qui ont ensanglanté la sous-région, évadés de prisons et autres djihadistes défroqués sont tous venus reprendre du service à Kharakhena où, bien que tout ce qui brille ne soit pas de l’or, d’importantes quantités du métal jaune sont quand même extraites du sous-sol chaque jour que Dieu fait, sauf le vendredi, jour de repos hebdomadaire chez les Musulmans strictement respecté ici et le lundi, jour du sacrifice au génie de l’or et repos sabbatique que nul ne s’aviserait jamais de transgresser. C’est que dans cette zone de non-droit, dans cet univers sans foi ni loi, dans cette jungle impitoyable où les plus forts broient les plus faibles, il existe tout de même des codes que tout le monde respecte. Par exemple, aucun cordonnier n’a le droit de mettre les pieds dans les « diouras » sous peine de se faire lyncher. Le même sens interdit s’applique aux ramoneurs.
 
Les autres jours de la semaine, c’est à qui extraira le plus d’or. C’est que le sous-sol de Kharakhena regorge du métal précieux. Environ 1,5 tonne en est extraite chaque année, soit 120 kilogrammes en moyenne chaque mois. En l’absence de statistiques fiables, les autorités en sont réduites aux approximations mais il n’est pas rare de voir des individus chanceux collecter trois à cinq kilos les jours heureux. Située dans le prolongement du plateau malien où se fait l’extraction de l’or, la zone aurifère sénégalaise, que l’on trouve essentiellement dans le département de Saraya, dans la région de Kédougou, est située sur un espace plus restreint. Il y a certes le site de Diyabougou, dans celle de Tambacounda, où ont eu lieu des affrontements entre Maliens et Burkinabés ayant occasionné une dizaine de morts l’année dernière, mais il est moins important. La chance du Sénégal, c’est que son or est situé en surface, en tout cas à une faible profondeur, contrairement au Mali ou au Burkina Faso où il faut aller à environ 100 mètres sous terre pour trouver le métal précieux.
 
De tout temps, les populations locales se sont livrées à l’orpaillage traditionnel extrayant de faibles quantités d’or qui leur permettaient de survivre à côté de l’agriculture qui est paradoxalement la principale richesse de la région de Kédougou avec les mines de fer de la Falémé. Puis, les cours du métal jaune ayant flambé il y a deux ans, cela a accru la ruée vers l’or. Une ruée d’autant plus intense que des compagnies minières occidentales, à coups de milliards de francs cfa, avaient fini d’effectuer leur travail d’exploration dans la zone. Les orpailleurs de la sous-région ont donc attendu tranquillement que ces sociétés aient fini de déterminer avec précision les endroits où se trouvait l’or pour venir les occuper sans autre forme de procès. C’est ainsi que des périmètres appartenant à des compagnies régulières comme Afri-Gold, disposant donc de permis en bonne et due forme, sont squattées par des milliers de « diouratiguis » (orpailleurs traditionnels) au grand dam des dirigeants de ces compagnies qui ne savent plus à quel saint se vouer.
 
En effet, en lieu et place de l’orpaillage de subsistance, si on peut l’appeler ainsi, s’est développé un véritable orpaillage de prédation nuisible pour l’environnement, les finances publiques et… la sécurité de la Nation. Une fois l’or détecté avec précision par les compagnies minières, les Burkinabés sont entrés à l’œuvre. Maîtrisant la technique d’extraction par le cyanure et le mercure, ils sont outillés pour exploiter aussi bien ce que les géologues appellent les indices que les gisements à l’image de celui de Sambranbougou qui appartient pourtant à une compagnie minière occidentale. Les dégâts pour la nature de cette forme d’orpaillage sont en tout cas effroyables. En effet, sur la montagne où se trouve le site dit « Kara Kara », qui regorge le plus d’or et qui appartient à la société Afri-Gold, sur cette montagne, donc, des milliers d’arbres ont été arrachés et/ou brûlés quand ils ne servent pas à réaliser des étais pour les mines de fortune, d’où l’appellation de « montagne pelée ». Une véritable politique de la terre brûlée ou de la tabula rasa ! Pis, le cyanure utilisé à grande échelle et qui s’infiltre dans la nappe phréatique représente un risque sanitaire majeur dont les conséquences sanitaires sont encore difficilement mesurables. Sans compter que camionneurs maliens et burkinabés se cachent à peine pour aller laver leurs cargaisons de sable dans la Falémé toute proche, y épandant donc du mercure et du cyanure.
 
Spectacle surréaliste de « gueules rouges »
 
Sur le site du « Kara Kara », le spectacle est apocalyptique. C’est comme si des milliers de castors s’étaient mis à creuser la montagne et à ronger ses entrailles. Une montagne qui ressemble à un gruyère, creusée qu’elle est de centaines de trous. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, rouges de poussières, descendent dans ces trous ou en remontent régulièrement, s’ils ne font monter à la surface des seaux remplis de banco contenant quelques poussières d’or. A l’aide de cordes, ils se laissent glisser à l’intérieur de ces trous sombres où ils sont obligés d’utiliser des lampes torches pour pouvoir se mouvoir. L’un d’entre eux, Sénégalais, nous confie : « C’est entre 30 et 35 mètres que nous trouvons le sable dont nous avons besoin. Nous le faisons remonter, l’entassons avant de le transporter chez nous. » Pour quoi faire ? Pour le laver, pardi et en extraire l’or ! Au bord de tous les trous, des bassines remplies d’eau. Quand nous demandons à notre interlocuteur à quoi ils servent, il nous répond : « c’est pour effectuer des tests. Si nous trouvons des traces d’or, alors ça veut dire que nous pouvons continuer à creuser. » Ce qu’il appelle « la maison », ce sont en fait de véritables petits ateliers où se trouvent des concasseurs pour broyer le sable apporté à l’intérieur de sacs ou transporté par ces sortes de charriots motorisés chinois que l’on voit à Dakar et dont des centaines se trouvent à Kharakhena. Sur les lieux, nous avons dénombré au moins une cinquantaine de concasseurs à l’œuvre tandis qu’une noria de camions fait un va-et-vient incessant entre le « dioura » et le fleuve tout proche. A voir ce spectacle surréaliste de milliers de « gueules rouges » (pour parodier Zola qui parlait de « gueules noires » dans Germinal, et parce que la poussière de banco dont ils sont recouverts les rougit effectivement), le spectacle de ces « gueules rouges » tenant pics, pelles et piolets à la main, s’interpellant dans des dizaines de langues, on ne peut manquer d’être impressionné, voire effrayé. Une véritable cour des miracles !
 
Et parce que Kharakhena, petit hameau de quelques dizaines de cases, ne pouvait pas accueillir tout ce monde, à ses flancs s’est développé une gigantesque verrue, une hideuse excroissance faite là encore de milliers de huttes en paille mais aussi de bric et de broc dans lesquelles vit un monde interlope à côté des fourmis industrieuses qui s’activent le jour dans les galeries creusées à flanc de montagne. L’argent circulant à flot du fait du commerce de l’or, ces conquistadores d’un genre nouveau dépensent sans compter. Les gargotes et les restaurants de fortune (sans jeu de mots) y poussent donc comme des champignons après la pluie, sans compter les débits de boisson alcoolisée, les chambres de passe, des centaines de prostituées étant venues exercer le plus vieux métier du monde pour le repos du guerrier des orpailleurs. En l’absence de tout contrôle d’hygiène, de police des mœurs et de carnet sanitaire, les maladies sexuellement transmissibles y foisonnent tandis que le taux de séropositivité s’envole. Sans compter, évidemment, le trafic de drogue. Au vu de tous les fléaux qui y pullulent, il ne serait évidemment pas exagéré de comparer Kharakhena à une Sodome et Gomorrhe des temps modernes.
 
Quant au marché de ce « Nord Kivu » — l’expression est d’un éminent géologue sénégalais —, c’est une véritable caverne d’Ali Baba à ciel ouvert. On y trouve de tout : des cartes téléphoniques (maliennes et sénégalaises !), aux lampes torches en passant par les panneaux solaires, les produits cosmétiques, les cigarettes de contrebande, les vêtements, les chaussures, les postes transistors, les denrées alimentaires... Et surtout, surtout, des dizaines de motos flambant neuves vendues par des « concessionnaires » informels. Selon les services de sécurité, il y aurait même des armes à feu qui seraient dissimulées dans les huttes de ce « Nord Kivu » sénégalais. De fait, plusieurs braquages ont été commis dans la zone et on parle de Kalachnikov qui auraient été utilisées à ces occasions. Quant à l’or, c’est sous le manteau qu’il se vend, loin des yeux et des oreilles indiscrets dans un véritable marché parallèle solidement contrôlé par les Maliens qui brassent des centaines de millions de francs par jour. Puis tout l’or acheté prend la direction du Mali ou du Burkina Faso où il est comptabilisé dans les statistiques d’exportations de ces pays tandis que le Sénégal, où ce métal précieux est pourtant extrait, ne gagne rien, absolument rien, ni impôts et ni taxes, dans ce commerce qui génère un chiffre d’affaires d’une vingtaine de milliards de francs chaque année, rien que dans la zone de Kharakhéna. Le Sénégal qui se consolera en se disant que la compagnie minière « Téranga Gold », qui exploite le site de Sabodala, qui appartenait auparavant à la fameuse société Eximcor, a produit six tonnes d’or en 2012. Des tonnes d’or, elles, régulièrement enregistrées sur les livres de l’Etat. Quant à Afri-Gold, elle a démarré timidement ses activités sur le site de « Libidor ». Pour le reste, à l’instar du Nigeria des généraux qui exportait ce qu’il n’avait pas (la démocratie au Libéria et en Sierra Leone) et importait ce qu’il produisait pourtant (l’essence), le Sénégal, lui, laisse filer toutes ses richesses dans les pays voisins auxquels il offre même l’assurance tous risques avant d’aller mendier à l’étranger. Et ce alors qu’il peut tout aussi bien rouler sur l’or ! L’or dont l’éclat éblouit tous ces aventuriers accourus à Kharakhena et dont les écoliers de Saraya soutiennent avec justesse qu’il brille moins que leur avenir… (Lire commentaires en page 7)
 
De notre envoyé spécial à Saraya et Kharakhena,
 
Mamadou Oumar NDIAYE
Article paru dans « Le Témoin » N° 1164 –Hebdomadaire Sénégalais (MAI 2014)



Pour toute information, contactez-nous au : +(235) 99267667 ; 62883277 ; 66267667 (Bureau N'Djamena)