Par ALASSANE SECK GUEYE
Le 7ème art sénégalais reste le secteur qui a eu le plus de promesses jamais réalisées. Il est aussi, sans doute, celui qui a tenu le plus de séminaires dont les différentes conclusions tiendraient dans un livre volumineux. Des conclusions qui sont, malheureusement, enfermées dans des tiroirs et n’ont jamais été ressorties. La plupart de ces conclaves se sont tenus à l’époque des socialistes. Les libéraux au pouvoir, la réflexion s’est poursuivie, les nouveaux maîtres du pays jurant d’appliquer toutes les lois votées par les socialistes en commençant par sortir les décrets d’application. Et mieux, l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, avait fait de la construction d’un grand centre cinématographique sénégalais sont plus grand chantier dans ce domaine. Ce en plus d’autres projets qui sont restés lettres mortes.
Le Témoin vous replonge dans les chantiers inachevés ou qui tardent à voir le jour du septième art sénégalais.
A propos du projet d’un complexe cinématographique, les cinéastes se sont plus chamaillés qu’ils n’ont essayé de trouver la meilleure solution pour l’érection de ce complexe que leur auraient envié leurs collègues des autres pays africains. Mais voilà, c’est au terme d’une rencontre avec le président Abdoulaye Wade que les divergences avaient surgi entre acteurs du septième art. En plus du site très controversé du Technopole où l’on voulait construire le centre, loin du brouhaha quotidien de Sandaga, Cheikh Ngaido Bâ, président de l’Association des Cinéastes sénégalais (Cineseas), lui, non content de se démarquer de la volonté présidentielle de confier les études de faisabilité de ce centre à un de ses amis français, penchait plutôt pour le site du Service d’hygiène à quelques encablures de Sandaga. M. Bâ affirmait aussi que toutes les études que devait faire le consultant français choisi par Wade étaient déjà ficelées. En effet, se remémore M. Bâ, ce monsieur avait remis à l’Etat une facture de 300 millions de nos francs pour une étude technique déjà réalisée par des techniciens sénégalais du cinéma. La suite sera « l’éviction » de Cheikh Ngaido Bâ de son poste de président des cinéastes sénégalais associés. Il sera remplacé, lors d’une très controversée assemblée générale, par Mansour Sora Wade. Et ce même si le cinéaste Cheikh Ngaido a fait de la résistance en déniant à ses détracteurs leur qualité de membres de son association. Et en qualifiant de nulle et de nul effet son « limogeage ». Après bien des querelles et des controverses, les deux tendances ont fini par fumer le calumet de la paix sous l’égide des nouvelles autorités issues de la deuxième Alternance. Preuve de sa reconnaissance par les nouvelles autorités, c’est en sa qualité de président de l’Association des cinéastes sénégalais associés qu’il a été porté au Conseil économique, social et environnemental. Wade hors du pouvoir, donc, son successeur, le président Macky Sall avait donné des gages de faire mieux que son prédécesseur pour le septième art sénégalais par la voix de son ancien ministre de la Culture, Youssou Ndour. En effet, sitôt nommé à la tête du département de la Culture, en compagnie du directeur général du Centre cinématographique marocain, Nour Eddine Saïd, Youssou Ndour avait promis de doter notre pays avant fin décembre 2013 d’un Centre cinématographique national. Il s’était même fermement engagé en ce sens. Une promesse jamais tenue comme d’ailleurs tous les autres projets cinématographiques conçus par le pouvoir de Wade, mais jamais appliqués pour le développement du septième art. Un projet à travers lequel les autorités nourrissaient l’idée de remettre le cinéma sénégalais sur les rails. En effet, avec ce centre, il était convenu, selon l’expression du directeur du Centre national cinématographique du Maroc, de fabriquer au-delà de six films par an. Et mieux, la création d’un centre national de la cinématographie devait constituer une niche d’emplois pour les acteurs, les producteurs, les techniciens, les exploitants et les distributeurs du septième art. De son côté, le directeur de la cinématographie du Sénégal, Hugues Diaz, mesurait à sa juste valeur la création du Centre national cinématographique sénégalais. Pour lui, il permettrait d’avoir une autonomie dans la gestion du cinéma. « C’est une entité nécessaire qui servira de bras armé pour booster la production cinématographique dans notre pays », disait avec enthousiasme M. Hugues Diaz. Un projet qui tarde à voir le jour, même si, tient à rassurer Cheikh Ngaido Bâ, le centre national de la cinématographie ne saurait être un projet culturel inachevé. En effet, à en croire le cinéaste aux idées pointues sur le 7ème art, les locaux du Service national d’hygiène sur l’avenue Emile Badiane qui doivent accueillir le centre sont en train d’être réhabilités par l’Agetip. Mieux, le cabinet d’architecture devant réaliser le centre et choisi à l’issue d’un appel d’offres a terminé son travail. Il s’y ajoute, selon toujours Cheikh Ngaido Bâ, que le décret créant le centre national en complément aux cinq décrets d’application de 2004 issus de la loi de 2002 est toujours en vigueur. Last but not least, selon toujours le président des Cineseas, le centre sera opérationnel au plus tard en décembre prochain. Mais puisque c’est Cheikh Ngaido Bâ qui reste si optimiste, osons croire que les cinéastes vont bientôt étrenner, enfin, leur centre sur lequel tant d’encre et de salive ont coulé. Un centre qui a, aussi, suscité beaucoup de bruit et de fureur.
Que sont devenus les 3 milliards de F CFA de Me Wade pour le financement du film « Samory » ?
Un projet cinématographique peut en cacher un autre. En effet, lors de la cérémonie d’hommage dédiée à Sembène Ousmane décédé le 09 juin 2007, le président Abdoulaye Wade avait décidé d’apporter sa part de contribution de 3 milliards pour le financement du film « Samory » du regretté cinéaste. Un film alors considéré comme un des plus grands projets du réalisateur du « Mandat ».
Seulement, cet argent promis par Wade ne devait pas sortir des caisses de l’Etat, mais plutôt d’une chimérique Fondation Abdoulaye Wade. En effet, le président des Cinéastes sénégalais associés (Cineseas), Cheikh Ngaido Bâ, avait interpellé le président Abdoulaye Wade pour lui faire part du souhait des professionnels du 7ème art de voir « Samory », le plus grand projet de Sembène Ousmane, porté à l’écran.
Un projet dont le coût, en 1985, était estimé à six milliards de francs CFA. En marquant son accord, Me Wade invitait les hommes d’affaires et les bonnes volontés à compléter le budget, afin que nous ayons une grande œuvre sur un grand défenseur de l’unité et de l’indépendance de l’Afrique, Samory Touré, qui trouvera ainsi sa place dans le panthéon des héros. Au cours de cette cérémonie d’hommage, les cinéastes sénégalais associés avaient aussi élaboré un faisceau de propositions pour immortaliser l’œuvre du pionnier du cinéma africain. Il s’agissait en quelque sorte de donner le nom de Sembène Ousmane au Rond point de l’Avenue Malick Sy angle Blaise Diagne, d’en faire de même pour le Centre national cinématographique, un des grands projets culturels du président Wade. Et enfin, dans la perspective de pérenniser cette manifestation, les cinéastes souhaitaient inscrire dans le calendrier national les dates des 09 et 10 juin de chaque année comme étant des « journées des cinéastes disparus ». Des projets dont on attend toujours la réalisation. A moins que tout cela ne soit que du… cinéma !
ALASSANE SECK GUEYE
ARTICLE PARU DANS « LE TEMOIN » N°1152 - HEBDOMADAIRE SENEGALAIS / FEVRIER 2014