MALADRESSES DANS LA MISE EN ŒUVRE DES RÉFORMES PRÉSIDENTIELLES
« J’en appelle solennellement à tous, parents, enseignants, étudiants et autres partenaires sociaux : œuvrons ensemble pour un climat social apaisé, à même d’instaurer les conditions d’une année académique réussie. Je convoquerai d’ailleurs au cours de l’année une Conférence sociale pour un Pacte de stabilité et d’émergence » dixit le président de la République lors de son message solennel de fin d’année adressé à la nation. Ces propos empreints de consensualisme s’inscrivent en droite ligne de l’appel au dialogue du khalife général des mourides. La récente journée de réflexion pour la défense de la liberté d’expression et du pluralisme à l’Université, convoquée par le professeur d’Histoire à l’UCAD, s’inscrit dans la même logique consensualiste à travers notamment ces propos : «Il faut qu’on écoute les étudiants en leur apprenant que l’université c’est émettre son point de vue et être aussi capable d’écouter les autres… Et si nous appelons à cette convergence-là, nous allons avoir beaucoup plus d’écoute et moins de violence ». Mais lors de sa rencontre avec les acteurs et intellectuels culturels, le président Sall au ton conciliateur, le temps d’un message solennel à la nation, a rompu avec le discours pacifique, est sorti de ses gonds et a embrayé sur un ton va-t-en-guerre pour faire face aux menaces de grève des enseignants et aux résistances des magistrats en ces termes : « Malgré les menaces de grève des syndicats d’enseignants et la détermination affichée des magistrats de ne pas se conformer à cette volonté de l’Etat, cela ne nous fait pas bouger. Ce n’est pas comme ça… Nous voulons des changements et des résultats maintenant, et quand on fait des changements et des ruptures, on a des résistances en face… C’est prévisible. Mais cela ne me fera pas reculer.» Une telle tonalité violente jure avec l’esprit et les bonnes intentions de conciliation qui se dégageaient du discours à la nation du président de la République. Un langage conciliant salué par l’ensemble des Sénégalais parce qu’étant la clé de l’espoir qui doit mener vers des solutions durables dans la gestion de l’enseignement supérieur voire la pacification du front social. Si le président s’est engagé dans une voie de pacification de l’espace universitaire, il ne doit pas pour autant inciter à la violence d’autres secteurs susceptibles d’embraser le front social. Il s’agit des enseignants regroupés au sein du grand cadre syndical, ainsi que des magistrats de l’UMS (Union des magistrats du Sénégal).
LE PRESIDENT ABUSÉ PAR SES SERVICES
Si le président de la République s’est mis dans une colère noire, c’est à cause des informations mensongères que lui livrent ses services préposés. Dire que « le Sénégal compte aujourd’hui plus de 89 000 étudiants boursiers » et qu’ « aucun pays au monde ne donne une telle proportion de bourses », c’est ignorer même le contenu des conclusions que la Commission de la Concertation nationale pour l'avenir de l'enseignement supérieur au Sénégal (CNAES) dirigée par l’éminent professeur Souleymane Bachir Diagne a déposées sur sa table. Le 16 janvier 2013 sur le site du CNAES, il est indiqué que 89 282 étudiants sont inscrits au titre de l’année académique 2012-2013 dans les universités publiques et 35 000 dans les privées. Parmi les étudiants des universités publiques, on compte indépendamment du Sénégal, 43 autres nationalités. Ce qui veut donc dire qu’il y a moins de 80 000 étudiants issus de familles sénégalaises. Parmi ces étudiants, plus de la moitié n’ont pas de bourse entière (36 000 FCFA) ou demi-bourse (18 000 FCFA). Ces derniers ne disposent que d’une aide annuelle de l’Etat ou d’aides en provenance des services sociaux du COUD. On a longtemps laissé perdurer ce mensonge concocté sous le magistère de Wade sur la généralisation des bourses. Le seul acquis des étudiants sous l’ancien régime, c’est d’avoir réussi à décrocher des aides au minuscule nombre d’étudiants qui ne pouvaient pas en bénéficier, faute de pouvoir remplir les critères exigés. Donc vouloir perpétuer ce mensonge propagé par les libéraux selon lequel tous les étudiants sénégalais sont boursiers, c’est, assurément, prendre le risque de se tromper dans ses analyses.
GRÈVE DES ENSEIGNANTS : UNE RÉPONSE VIOLENTE A LA VIOLENCE DISCURSIVE DU PRÉSIDENT
Concernant l’audit des agents de la fonction publique, le président Sall fait montre d’une ignorance effarante du fonctionnement de son administration comme le montrent ses propos suivants : «On a fait un audit et pendant des mois on a demandé aux gens de se manifester. Mais ils ne le font pas. On arrive à des résultats où il y a des inconnus sur le fichier, on prend des mesures conservatoires disant pour ceux-là désormais les salaires sont transférés au niveau du Trésor pour qu’ils viennent et qu’on sache qui ils sont et dans quel service ils travaillent. Mais qu’est-ce qu’on récolte, des menaces de préavis de grève ? Mais non ! Ça ne nous fait pas bouger… Si nous arrivons à débusquer les travailleurs fictifs, c’est autant de places que nous libérons pour la jeunesse et pour de vrais travailleurs qui pourront apporter leur contribution dans la production nationale ». Un tel discours provocateur, voire offensif, émanant de la bouche de celui qui devrait être la clé de voûte de la concorde nationale, a eu le mérite d’accélérer la rencontre du grand cadre des enseignants et de mettre le feu à la grève. Jamais les agents de la fonction publique, a fortiori les enseignants, n’ont été contre les audits. Les enseignants ont même soutenu l’initiative car elle tamise tous les cas irréguliers « régularisés » par l’ancien régime. Même s’il y a des cas de travailleurs négligents qui ne se sont pas présentés lors des audits, même s’il existe des cas fictifs, cela ne doit pas occulter le nombre impressionnant de fonctionnaires qui se sont fait auditer et qui, pourtant, ont vu leurs salaires suspendus à tort. Aujourd’hui, le président doit savoir que l’Agence du développement informatique de l’Etat, le service qui s’est occupé de l’audit en question, a failli honteusement à sa mission nonobstant les nombreux milliards dépensés dans l’audit physique et biométrique des agents de la fonction publique. Le travail effectué est truffé d’erreurs au point qu’il est même question d’auditer l’expertise et le professionnalisme de cette structure qui a audité le fichier de la fonction publique. Les enregistrements ont été effectués avec un dilettantisme indigne même d’un débutant en informatique. Le président de la République, le ministre de la Fonction publique, le directeur général de l’Adie, le ministre de la Bonne gouvernance (qui s’est exprimé sur le sujet à la RFM le 5 janvier 2014 dans l’émission Remue-ménage) doivent savoir qu’une hirondelle ne fait pas le printemps. Par conséquent, glaner quelques cas mineurs de fraudeurs et vouloir les brandir comme des trophées de guerre pour montrer qu’on est en pleine phase de rupture, c’est prendre les Sénégalais pour des demeurés. Quant à soutenir que plusieurs de ces agents ne sont pas présentés lors des audits de l’année dernière, c’est manquer de respect à tous ces nombreux fonctionnaires qui détiennent par-devers eux les récépissés attestant leur passage devant les commissions de l’audit piloté par l’Adie en 2012. Si devant l’ampleur de l’échec de la mission régalienne qui lui avait été confiée, le directeur général de l’Adie, Khassoum Wone, s’enorgueillit d’avoir décelé des trafics de papiers administratifs, c’est dans le but trompeur de masquer son incompétence notoire.
Même si comme ils le prétendent, il y a 12000 cas irréguliers, pourquoi l’Etat avec ses moyens n’a-t-il pas envoyé des missions au niveau des inspections d’académie du Sénégal afin d’éviter les longs déplacements à ces nombreux pères de famille qui ont célébré la fin de l’année dans la douleur et la tristesse ? Ce même Etat aurait dû avertir tous ses agents supposés irréguliers au début du mois de décembre par l’entremise de leurs inspections d’académie respectives afin de leur éviter ce désagréable cadeau de fin d’année. Dans cette histoire des audits, jamais le Président n’a voulu écouter avec raison ces nombreux « goorgoorlus » qui, bien qu’étant en règle administrativement, se sont sentis humiliés en allant percevoir un salaire suspendu et en se faisant balloter inhumainement entre le Technopole ou les ministères de la Santé ou de l’Education, la direction de la Solde et le Trésor public où les agents préposés au service n’ont aucun respect à l’endroit de ces pères, mères ou soutiens de familles dont le seul tort est d’avoir été victimes injustement de l’incompétence du ministère de la Fonction publique et du manque de professionnalisme de l’Adie.
LES MAGISTRATS REGIMBENT CONTRE L’AVIS DE DÉGUERPISSEMENT
Concernant les logements conventionnés, l’Union des magistrats du Sénégal (UMS) est sur le pied de guerre parce qu’elle n’approuve pas la manière, irrévérencieuse et cavalière selon elle, utilisée par l’Etat pour leur servir des sommations de déguerpissement. Le président de l’UMS, Abdoul Aziz Seck, a demandé à ses collègues concernés de ne donner point suite aux gendarmes chargés de leur livrer leur avis de libération de leur logement de fonction. Les agents du secrétariat général de la présidence qui bénéficient de ces logements ne sont pas plus méritants que les magistrats à qui ils ont servi des sommations de déguerpissement. Si le président veut poursuivre son opération de nettoiement afférente aux logements de fonctions, il doit aussi récupérer ceux de tous les ministres étant propriétaires d’un ou de plusieurs maisons à Dakar. Puisque certains d’entre eux gagnent doublement avec leur logement de fonction : ils logés par l’Etat et, parallèlement, ils louent leurs maisons à d’autres.
L’ADMINISTRATION : UNE MAIN DE FER DANS UN GANT DE VELOURS
Le président Sall doit savoir qu’on ne gère pas un Etat avec des états d’âme, une colère jupitérienne, des sauts d’humeur, des coups de sang ou avec une seule oreille. Il ne doit pas non plus jouer aux faux durs pour mettre la pression ou apeurer une frange de l’administration dont il a besoin de la collaboration pour mettre en œuvre ses réformes. L’administration, c’est une main de fer dans un gant de velours. Autrement dit, il doit toujours faire preuve de fermeté et de souplesse à la fois dans ses actes et discours. Le bras de fer et la radicalité discursive pour faire preuve d’autorité ne mènent à rien. Cela ne fait qu’engendrer des situations conflictuelles au moment où notre pays a besoin de stabilité et de sérénité pour se hisser vers les cimes de l’émergence.
Au moment où tous les hommes de dialogue et de paix, régulateurs sociaux, se sont prononcés pour amener et mener le pays dans un climat de paix, le président, qui doit être garant de celle-là et la vigie de notre pays, s’engage dans une voie jusqu’au-boutiste pour faire passer ses réformes. On ne peut pas convoquer une conférence nationale pour aplanir des divergences de points de vue et aménager des plages de convergences tout en sapant l’esprit qui sous-tend la matérialisation d’une telle assise. On ne peut pas se vêtir de l’uniforme d’un sapeur tout en mettant dessus le manteau d’un pyromane. En résumé, tenir un discours jusqu’au-boutiste ardent et irréfléchi ne mènera que vers des confrontations désastreuses regrettables avec des
secteurs connus pour leur capacité à sécréter la violence. Ce dont notre pays n’a assurément pas besoin.
ARTICLE PARU DANS « LE TEMOIN » N°1148 - HEBDOMADAIRE SENEGALAIS / JANVIER 2014
Publication en accord avec le journal LE TEMOIN.
Publication en accord avec le journal LE TEMOIN.