Macky Sall en 2008. Crédits photo : Wikipedia
Face aux entrepreneurs lors du récent Conseil présidentiel sur l’investissement, le Président Macky Sall, droit dans ses bottes et sans sourciller, a dit sans fards sa détermination à faire réviser le Code des marchés publics. Pourquoi veut-il aller aussi loin dans le désarmement d’un code que les bailleurs de fonds jugent à quelques points près aussi crédible que les procédures de l’OCDE ? Pourquoi cherche-t-il à retoucher des dispositions que les entrepreneurs ont plébiscitées à 82 %, dans un sondage sur sa transparence. Les seules réserves émises portaient sur les délais de paiement, qui sont une tare des marchés publics et, plus précisément, du code. Cela dit, il y a un effort discernement que tout le monde, y compris le Président lui-même, doit savoir faire entre le code lui-même et les marchés publics. Le Président est pressé de réaliser le programme de Yonu Yokuté pour lequel il a été élu le 25 mars 2012 par 65,29 % des votants (environ 1,2 million de votants).
Le chef de l’Etat a bien raison d’invoquer sa légitimité « électorale», pour revendiquer le droit d’appliquer son programme. Il peut s’appuyer, à son corps défendant, sur les récents sondages qui attestent d’une cote de popularité abyssale, pour tenter de prouver, par les réalisations économiques, la pertinence de ses choix et l’effectivité de son action. Mais, l’impatience des Sénégalais à sortir de l’ornière, le non respect de nombre des engagements présidentiels, la déception rampante de nos compatriotes face à leur pauvreté, les inondations, les coupures d’électricité, le délitement de l’autorité devant les scandales à répétition, la prévalence des passe-droits et du népotisme, ne les incitent guère à l’optimisme.
Il faut donc, pense le président, aller vite, accélérer les procédures de passation des marchés pour réaliser avec la plus grande promptitude les projets en dormance dans les tiroirs, par la faute, semble-t-il, du Code des marchés. Un Code dont les procédures lentes seraient à l’origine des difficultés du président de la République à « démakyer » les Sénégalais, « Macky » étant un néologisme utilisé pour évoquer la paupérisation de nos concitoyens. Mais les arrière-pensées présidentielles sont sans masque : il cherche tout simplement à privilégier les ententes directes, communément appelées gré à gré, les DRP (demandes de renseignement et de prix) ainsi que les consultations restreintes, au détriment des appels d’offres ouverts. Par ce biais, les meilleurs raccourcis seront obtenus pour accélérer les procédures de passation des marchés, réaliser les travaux, créer des emplois, redistribuer les richesses et rendre les Sénégalais plus heureux. Et in fine … espérer rempiler en 2017.
Ainsi, notre président pourrait en dormant tranquille sur ses deux oreilles, gagner ses municipales de 2014, réduire son mandat à cinq ans. Déjà, des sources officieuses annoncent la mise en circulation de circulaires portant à entre 50 et 100 millions FCFA, les montants autorisés par le Code pour réaliser des DRP et des consultations restreintes. Ces montants variaient entre 15 et 35 millions F CFA pour les fournitures, travaux et les prestations intellectuelles selon la nature des autorités contractantes. C’est là une porte ouverte à tous les abus qui faussent les règles de transparence, d’équité et d’ouverture, principes de bases irréversibles de la gestion de la commande publique. Les DRP et les consultations restreintes sont limitées par le Code. Elles risquent de devenir la règle, sauf dans la réalisation des grands travaux d’infrastructures. Elles ouvrent la voie aux délits d’initiés, aux saucissonnages des marchés et autres subterfuges pour enrichir les proches, les alliés et prête-noms.
Accélérer les projets
Mais, dans l’esprit présidentiel, ces broutilles sont une goutte d’eau dans la mer. Le coup d’accélérateur que veut donner le président de la République porte surtout sur les gros marchés d’infrastructures. Ces opérations sont économiquement plus structurantes, certes, mais financièrement plus intéressantes pour les entreprises, qui mettent à profit les ententes directes pour gonfler les coûts et accentuer leurs profits. Même si l’intention présidentielle est de créer des emplois, doper l’économie et moderniser le pays, il y a fort à craindre que la prévalence des ententes directes au détriment des appels d’offres plus ouverts, profitent à nombre de fonctionnaires dont c’est le pain béni.
Mais ce qui rend spécieux l’argument des partisans du démantèlement, c’est qu’en réalité, c’est dans les marchés qu’on trouve les lenteurs les plus marquantes. Ils sont surdimensionnés et leur paiement est souvent sujet à de multiples contorsions, soit à cause du défaut d’attestation d’existence de crédit, de planification. L’urgence invoquée pour justifier leur exercice relève souvent du prétexte fallacieux. C’est la raison pour laquelle la Direction Centrale des Marchés Publics (DCMPP), chargée du contrôle a priori, et l’Agence de Régulation des Marchés Publics, du contrôle a postériori et des audits, sont très précautionneuses à valider ces procédures exceptionnellement acceptées par le Code des marchés. Il y aussi que le manque de maîtrise des procédures, voire l’ignorance des certains fonctionnaires ou agents des autorités contractantes, occasionnent des rejets, demandes de précision ou blocages dossiers par la DCMP.
DCMP-ARPM : la guerre des procédures
Il s’y ajoute qu’une bonne part des marchés de gré à gré ne figure pas dans l’avis général de passation de services qui recense de manière exhaustive les marchés soumis à concurrence durant l’année budgétaire considérée. D’où encore les rejets de la DCMP et le refus d’imprimatur de l’ARMP. Il est vrai qu’entre les deux structures, il y a souvent dialogue de sourds sur l’interprétation des dispositions du code. Ces lourdeurs ne facilitent pas la célérité des attributions provisoires et définitives, sources de lenteurs à cause des nombreuses protestations et autres recours à l’ARMP. Sans doute l’intérêt caché des membres des commissions internes constitue-t-il des facteurs de lenteurs et de blocages. Souvent mal formés sur les procédures du code, trop intéressés à favoriser tel ou tel soumissionnaire, ces structures internes sont chronophages et empêchent l’exécution rapide des marchés, après leur validation par les structures de contrôle et de régulation. Même la signature des procès verbaux peut parfois durer une éternité.
Il est vrai que le code pose question puisque source de nombreux goulots d’étranglements. Mais ces obstructions sont davantage le fait d’hommes mal formés et peu scrupuleux que du code lui-même, qui est loin d’être parfait. Le parfaire, ce n’est pas le démanteler, ouvrir la brèche à tous les abus. Et de toutes façons, les bailleurs de fonds ne se laisseront pas faire. A défaut de fondre leurs procédures dans celles de notre Code – ce qu’ils allaient faire si Wade n’avait essayé d’exclure les marchés de la présidence de la République du domaine du Code —, ils veillent au grain et gardent jalousement leur démarche à travers les avis de non objection. Et si le Président veut faire abroger certaines dispositions de notre code, il ne pourra rien faire sur les marchés fournis par les bailleurs. Pis, il prend le risque de susciter une plus grande méfiance et une réduction de leurs apports en financements. Or, la part de l’Etat dans la commande publique est nettement inférieure à celle des bailleurs qui financent à plus de 70 % notre budget. Les apports du budget consolidé d’investissement sont trop faibles pour pourvoir impulser notre développement.
Qui plus est le Sénégal est partie prenante des dispositions communautaires de l’UEMOA, qu’il ne peut changer sans provoquer des dysfonctionnements, voire des remous, au sein de la communauté. Le Président ne peut donc prendre le risque de chambouler les traités de l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique) et de singulariser le Sénégal dans la mauvaise gouvernance. En réalité, cette déréglementation qu’il veut provoquer aura l’effet inverse de ce qu’il recherche. Les marchés par entente directe sont souvent contre-productifs, surdimensionnent les coûts, encouragent la corruption et préparent le lit de l’inefficacité. Dans ces conditions, il prend même le risque de retarder l’exécution de ses travaux, situation qu’a connue le gouvernement précédent engoncé dans des pratiques douteuses, avec les résultats qu’on sait.
L’institutionnalisation de la corruption, de la concussion a des conséquences plus fâcheuses que le retard dans la réalisation des infrastructures et leurs prétendues retombées socioéconomiques. Si réforme il doit y a avoir c’est doute dans la formation, la planification des investissements, la maitrise du timing depuis l’expression des besoins jusqu’à l’attribution définitive en passant par le travail des commissions internes et les procédures de décaissement. C’est tout cela qu’il convient avant tout de réformer. Le gros problème du Code, ce n’est pas les textes, mais l’administration qui doit faire sa cure de vertu et de transparence.
Réformer le Code est un prétexte de derrière les fagots, un argument spécieux qui ne tient pas la route, s’il n’ouvre les autoroutes de la magouille.
Le chef de l’Etat a bien raison d’invoquer sa légitimité « électorale», pour revendiquer le droit d’appliquer son programme. Il peut s’appuyer, à son corps défendant, sur les récents sondages qui attestent d’une cote de popularité abyssale, pour tenter de prouver, par les réalisations économiques, la pertinence de ses choix et l’effectivité de son action. Mais, l’impatience des Sénégalais à sortir de l’ornière, le non respect de nombre des engagements présidentiels, la déception rampante de nos compatriotes face à leur pauvreté, les inondations, les coupures d’électricité, le délitement de l’autorité devant les scandales à répétition, la prévalence des passe-droits et du népotisme, ne les incitent guère à l’optimisme.
Il faut donc, pense le président, aller vite, accélérer les procédures de passation des marchés pour réaliser avec la plus grande promptitude les projets en dormance dans les tiroirs, par la faute, semble-t-il, du Code des marchés. Un Code dont les procédures lentes seraient à l’origine des difficultés du président de la République à « démakyer » les Sénégalais, « Macky » étant un néologisme utilisé pour évoquer la paupérisation de nos concitoyens. Mais les arrière-pensées présidentielles sont sans masque : il cherche tout simplement à privilégier les ententes directes, communément appelées gré à gré, les DRP (demandes de renseignement et de prix) ainsi que les consultations restreintes, au détriment des appels d’offres ouverts. Par ce biais, les meilleurs raccourcis seront obtenus pour accélérer les procédures de passation des marchés, réaliser les travaux, créer des emplois, redistribuer les richesses et rendre les Sénégalais plus heureux. Et in fine … espérer rempiler en 2017.
Ainsi, notre président pourrait en dormant tranquille sur ses deux oreilles, gagner ses municipales de 2014, réduire son mandat à cinq ans. Déjà, des sources officieuses annoncent la mise en circulation de circulaires portant à entre 50 et 100 millions FCFA, les montants autorisés par le Code pour réaliser des DRP et des consultations restreintes. Ces montants variaient entre 15 et 35 millions F CFA pour les fournitures, travaux et les prestations intellectuelles selon la nature des autorités contractantes. C’est là une porte ouverte à tous les abus qui faussent les règles de transparence, d’équité et d’ouverture, principes de bases irréversibles de la gestion de la commande publique. Les DRP et les consultations restreintes sont limitées par le Code. Elles risquent de devenir la règle, sauf dans la réalisation des grands travaux d’infrastructures. Elles ouvrent la voie aux délits d’initiés, aux saucissonnages des marchés et autres subterfuges pour enrichir les proches, les alliés et prête-noms.
Accélérer les projets
Mais, dans l’esprit présidentiel, ces broutilles sont une goutte d’eau dans la mer. Le coup d’accélérateur que veut donner le président de la République porte surtout sur les gros marchés d’infrastructures. Ces opérations sont économiquement plus structurantes, certes, mais financièrement plus intéressantes pour les entreprises, qui mettent à profit les ententes directes pour gonfler les coûts et accentuer leurs profits. Même si l’intention présidentielle est de créer des emplois, doper l’économie et moderniser le pays, il y a fort à craindre que la prévalence des ententes directes au détriment des appels d’offres plus ouverts, profitent à nombre de fonctionnaires dont c’est le pain béni.
Mais ce qui rend spécieux l’argument des partisans du démantèlement, c’est qu’en réalité, c’est dans les marchés qu’on trouve les lenteurs les plus marquantes. Ils sont surdimensionnés et leur paiement est souvent sujet à de multiples contorsions, soit à cause du défaut d’attestation d’existence de crédit, de planification. L’urgence invoquée pour justifier leur exercice relève souvent du prétexte fallacieux. C’est la raison pour laquelle la Direction Centrale des Marchés Publics (DCMPP), chargée du contrôle a priori, et l’Agence de Régulation des Marchés Publics, du contrôle a postériori et des audits, sont très précautionneuses à valider ces procédures exceptionnellement acceptées par le Code des marchés. Il y aussi que le manque de maîtrise des procédures, voire l’ignorance des certains fonctionnaires ou agents des autorités contractantes, occasionnent des rejets, demandes de précision ou blocages dossiers par la DCMP.
DCMP-ARPM : la guerre des procédures
Il s’y ajoute qu’une bonne part des marchés de gré à gré ne figure pas dans l’avis général de passation de services qui recense de manière exhaustive les marchés soumis à concurrence durant l’année budgétaire considérée. D’où encore les rejets de la DCMP et le refus d’imprimatur de l’ARMP. Il est vrai qu’entre les deux structures, il y a souvent dialogue de sourds sur l’interprétation des dispositions du code. Ces lourdeurs ne facilitent pas la célérité des attributions provisoires et définitives, sources de lenteurs à cause des nombreuses protestations et autres recours à l’ARMP. Sans doute l’intérêt caché des membres des commissions internes constitue-t-il des facteurs de lenteurs et de blocages. Souvent mal formés sur les procédures du code, trop intéressés à favoriser tel ou tel soumissionnaire, ces structures internes sont chronophages et empêchent l’exécution rapide des marchés, après leur validation par les structures de contrôle et de régulation. Même la signature des procès verbaux peut parfois durer une éternité.
Il est vrai que le code pose question puisque source de nombreux goulots d’étranglements. Mais ces obstructions sont davantage le fait d’hommes mal formés et peu scrupuleux que du code lui-même, qui est loin d’être parfait. Le parfaire, ce n’est pas le démanteler, ouvrir la brèche à tous les abus. Et de toutes façons, les bailleurs de fonds ne se laisseront pas faire. A défaut de fondre leurs procédures dans celles de notre Code – ce qu’ils allaient faire si Wade n’avait essayé d’exclure les marchés de la présidence de la République du domaine du Code —, ils veillent au grain et gardent jalousement leur démarche à travers les avis de non objection. Et si le Président veut faire abroger certaines dispositions de notre code, il ne pourra rien faire sur les marchés fournis par les bailleurs. Pis, il prend le risque de susciter une plus grande méfiance et une réduction de leurs apports en financements. Or, la part de l’Etat dans la commande publique est nettement inférieure à celle des bailleurs qui financent à plus de 70 % notre budget. Les apports du budget consolidé d’investissement sont trop faibles pour pourvoir impulser notre développement.
Qui plus est le Sénégal est partie prenante des dispositions communautaires de l’UEMOA, qu’il ne peut changer sans provoquer des dysfonctionnements, voire des remous, au sein de la communauté. Le Président ne peut donc prendre le risque de chambouler les traités de l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique) et de singulariser le Sénégal dans la mauvaise gouvernance. En réalité, cette déréglementation qu’il veut provoquer aura l’effet inverse de ce qu’il recherche. Les marchés par entente directe sont souvent contre-productifs, surdimensionnent les coûts, encouragent la corruption et préparent le lit de l’inefficacité. Dans ces conditions, il prend même le risque de retarder l’exécution de ses travaux, situation qu’a connue le gouvernement précédent engoncé dans des pratiques douteuses, avec les résultats qu’on sait.
L’institutionnalisation de la corruption, de la concussion a des conséquences plus fâcheuses que le retard dans la réalisation des infrastructures et leurs prétendues retombées socioéconomiques. Si réforme il doit y a avoir c’est doute dans la formation, la planification des investissements, la maitrise du timing depuis l’expression des besoins jusqu’à l’attribution définitive en passant par le travail des commissions internes et les procédures de décaissement. C’est tout cela qu’il convient avant tout de réformer. Le gros problème du Code, ce n’est pas les textes, mais l’administration qui doit faire sa cure de vertu et de transparence.
Réformer le Code est un prétexte de derrière les fagots, un argument spécieux qui ne tient pas la route, s’il n’ouvre les autoroutes de la magouille.
Par Aly Samba Ndiaye
« Le Témoin » N° 1134 –Hebdomadaire Sénégalais ( AOUT 2013)
« Le Témoin » N° 1134 –Hebdomadaire Sénégalais ( AOUT 2013)