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AFRIQUE

Sénégal : Messieurs les députés, de grâce ne votez pas le nouveau Code de la Presse !


Alwihda Info | Par Mamadou Oumar Ndiaye - 28 Juillet 2013



Ils en font décidément des tonnes, nos amis de l’APR au pouvoir. Surtout qu’on ne leur en demande pas tant ! Une chose est sûre : sur ce point — mais aussi sur beaucoup d’autres, malheureusement — la rupture promise n’est pas au rendez-vous. On peut même dire qu’on est dans la continuité. D’une majorité à l’autre, en effet, à l’Assemblée nationale, on traîne les pieds et on se fait désirer à propos du vote du nouveau Code de la Presse. Un Code duquel nos honorables députés n’auront décidément retenu qu’une seule chose, qu’ils répètent comme une antienne, sans même, pour la plupart d’entre eux, en avoir lu ne serait-ce qu’un paragraphe. Ce qu’ils en retiennent ? La dépénalisation des délits de presse ou, plus exactement, le « désemprisonnement » pour les journalistes. Autrement dit, devant la tendance mondiale à la libéralisation, il est devenu tout simplement anachronique de mettre des journalistes en prison pour leurs écrits. Or, notre Code pénal actuel donne la possibilité aux juges de condamner des journalistes à des peines privatives de liberté s’ils sont convaincus de diffamation, de calomnies, d’injures voire de diffusion de fausses informations. Et alors que beaucoup de pays africains moins avancés démocratiquement, et donc sur le plan des libertés, ont dépénalisé les délits de presse depuis longtemps, au Sénégal, les députés libéraux hier, de l’APR aujourd’hui, freinent des quatre fers. Ils estiment, ces honorables représentants de la nation, que dépénaliser les délits de presse, ce serait ouvrir la porte à toutes les dérives, à toutes les surenchères. Pis, ce serait rendre le pays ingouvernable selon eux. Rien de moins !
 
A en croire ces distingués messieurs, en effet, les journalistes seraient tous de dangereux irresponsables, des pyromanes inconscients, des djihadistes de la plume, des kamikazes du micro ou de l’image. Surtout, ce seraient des enfants turbulents qu’il conviendrait constamment d’avoir à l’œil. Ou de tenir en laisse comme des chiens ! Alors, bien sûr, retirer l’épée de Damoclès de l’emprisonnement suspendue sur leurs têtes, cela équivaudrait à leur donner carte blanche pour mettre le feu au pays, étaler plus qu’ils ne le font aujourd’hui la vie privée  ainsi que les turpitudes des braves gens — or nos honorables députés, mais aussi nos dirigeants politiques d’une manière générale, ont tant de choses à cacher ! Promettre, dans ces conditions, aux journalistes qu’ils n’iront plus en prison quel que soit ce qu’ils écriront, diront ou montreront, il n’en est tout simplement pas question ! Hier, sous le régime du président Abdoulaye Wade, les députés libéraux dans leur majorité le disaient et apparemment, dans la nouvelle Chambre, une majorité silencieuse est contre l’adoption du nouveau Code de la presse au motif que les journalistes ne se sentiraient plus et aussi au prétexte qu’il serait dangereux de les mettre au-dessus des lois. Tandis que les députés et les ministres, eux, tout le monde sait que ce sont des justiciables ordinaires qui n’ont aucun privilège de juridiction ! Un exemple : Dans une interview accordée à nos confrères de L’AS, la première vice-présidente de l’Assemblée nationale, la dame Awa Guèye, a dit qu’elle est contre l’adoption de ce Code au motif que les journalistes ne seraient pas responsables. Quand c’est le plus haut responsable de l’APR à l’Assemblée qui le dit — le président de cette institution est de l’APR, cela constitue un bon baromètre.
 
Le plus extraordinaire c’est que, pendant que les parlementaires jouent les précieuses ridicules et veulent se faire courtiser, voir supplier à genoux par les journalistes, il se trouve justement un bon nombre de confrères qui seraient prêts à leur lécher les bottes pour qu’ils condescendent à voter ce texte qui les mettrait enfin à l’abri de tout emprisonnement ! C’est que ce nouveau Code prévoit des peines alternatives à la prison comme les condamnations pécuniaires… qui représentent le plus sûr moyen de tuer la presse. En effet, et comme l’ont rappelé fort justement le week-end dernier Moustapha Diakhaté, le président du groupe parlementaire Benno Bokk Yakar à l’Assemblée nationale, et le juge Pape Amadou Sow, secrétaire général de la Cour d’Appel de Saint-Louis, condamner des entreprises de presse qui n’arrivent déjà pas à faire face à leurs charges essentielles comme le paiement de leurs journalistes à payer des dommages et intérêts de plusieurs millions de francs à des plaignants, c’est les pousser à mettre la clef sous le paillasson. Or, si une entreprise de presse peut survivre à l’emprisonnement de son directeur ou d’un de ses journalistes, elle ne pourra certainement pas se relever d’une lourde condamnation pécuniaire. C’est pourquoi, au cours des débats qui ont précédé la rédaction de ce Code, beaucoup de journalistes, et non des moindres, se sont élevés contre la dépénalisation des délits de presse ! Eh oui, messieurs les parlementaires qui croyez pouvoir faire chanter les journalistes et les emmener à ramper à vos pieds, cette dépénalisation, s’il ne tenait qu’à nous, vous la garderiez pour vous ! D’abord parce que, on l’a vu, c’est un piège à cons qui donnerait aux juges la possibilité de fermer des journaux. Et ensuite, elle n’empêcherait pas ces mêmes juges de continuer à envoyer des journalistes en prison  en visant d’autres délits comme les troubles à l’ordre public sur la base de l’article 80 du Code pénal et le tour serait joué ! Or, ces dernières années, les confrères qui ont été emprisonnés l’ont été, justement, sur la base de ce dernier article et non pour des délits de presse stricto sensu. Dépénaliser, ce serait donc un moyen de donner au pouvoir, quel qu’il soit, bonne conscience et d’apparaître à peu de frais aux yeux de la communauté internationale comme respectueux des droits de la presse alors que, dans les faits, il aurait toujours la possibilité de mettre les journalistes gênants sous les verrous. Interpellé par les organisations professionnelles internationales, il pourra toujours jouer les Ponce-Pilate et dire : « ah non, ne n’y suis pour rien, j’ai dépénalisé les délits de presse, moi ! » C’est dans ce piège que refusent de tomber beaucoup de journalistes. Le nouveau pouvoir et ses députés veulent continuer à embastiller les journalistes ? A la bonne heure et grand bien leur fasse ! Pour nos écrits, pour la défense du bien public, pour la moralisation de la vie nationale, pour faire entendre la voix du peuple, pour dénoncer les voleurs, les trafiquants de drogue, les faux dévots, pour tout simplement jouer notre rôle de chiens de garde… nous sommes prêts à aller en prison si tel est le désir des princes qui nous gouvernent. Et nous ne supplierons personne de nous épargner cette perspective ! En tout cas, nous préférons cela plutôt que de voir nos entreprises fermées du fait d’une condamnation pécuniaire excessive. Tremblez prédateurs, voleurs et violeurs de la République, suceurs du sang de nos paysans et de nos braves masses laborieuses, tremblez spoliateurs des biens de la Nation, mystificateurs en tout genre, politiciens corrompus, marabouts coquins… la presse est là pour guetter vos faits et gestes, dénoncer vos turpitudes, vos crimes, vos délits et vos vilenies…
 
Des générations de journalistes de valeur
 
Quant à l’irresponsabilité supposée des journalistes, eh bien parlons-en ! Certes, il y a beaucoup de brebis galeuses actuellement dans nos rangs et nous en sommes conscients. Des efforts sont faits, comme la création du CORED, pour moraliser la profession. Mais, s’il y a une corporation qui a donné des gens de valeur à cette République, c’est assurément le journalisme qui eut son heure de gloire dans ce pays, particulièrement durant les premières années de notre indépendance. Une profession qui a donné de grands ambassadeurs ou des diplomates à notre pays comme Aly Dioum, qui fut l’un de nos premiers représentants en République populaire de Chine, feu Mamadou Seyni Mbengue, qui fut ambassadeur à Moscou et à Pékin, Emile James, à Washington, les Ciré Thiam, Massamba Thiam et autres…
 
Pour le reste, de Bara Diouf à Ibrahima Gaye en passant par Alioune Dramé, entre autres directeurs généraux du quotidien national Le Soleil, du regretté Mame Less Dia à Abdou Salam Kane « Asak », d’Alcino Louis Dacosta à Moriba Magassouba, des regrettés Babacar Diack et Obèye Diop à Chérif Elvalide Sèye et Serigne Aly Cissé, d’Abdallah Faye à Pape Marcel Sène, d’Alé Ndao à Ibrahima Ndiaye et Gabriel Jacques Gomis, d’Edou Correa à Ibrahima Mansour Mboup, Henry Mendy   et tant d’autres… et même Ibrahima Sané qui siège aujourd’hui en tant que député… que de grands journalistes ce pays a produits. C’est à dessein, naturellement, que je n’ai pas cité la génération actuelle qui regorge d’excellents professionnels. Des journalistes que le président Senghor lui-même ou son successeur admirait, eux qui sont avares de compliments, pour dire le talent de ces prestigieux aînés. Alors, bien sûr, réduire aujourd’hui la presse à quelques francs-tireurs infiltrés dans nos rangs, c’est réellement insulter toute une profession composée d’hommes et de femmes de très grande valeur ! Refuser de dépénaliser les délits de presse — ce que d’ailleurs beaucoup de journalistes ne demandent pas ! — c’est une chose, mais de là à jeter l’opprobre et traiter par le mépris toute une corporation, cela est assurément inacceptable. Encore une fois, messieurs-dames, rejetez en bloc le Code de la presse si ça vous chante, mais de grâce, respectez-nous !
 
Mamadou Oumar Ndiaye
« Le Témoin » N° 1132 –Hebdomadaire Sénégalais ( JUILLET  2013)




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