Le Calvaire ou Golgotha, c’est le nom du mont situé près de Jérusalem sur lequel le Christ aurait été crucifié. En référence au martyre qu’a souffert alors le fils de Dieu, le terme a évolué pour désigner une souffrance ou une situation insupportable. Et de ce point de vue, on peut dire effectivement que ce qu’ont vécu les populations de certains quartiers de Dakar et de sa banlieue au cours des deux dernières semaines constitue un calvaire. Rien que la canicule qui frappe la capitale depuis le milieu de ce mois de septembre est déjà insupportable. Alors, quand ses effets sont aggravés par un manque d’eau qui s’étale sur plus de 15 jours au cours desquels ces mêmes habitants ont vécu une diète totale, n’ayant même pas la moindre goutte d’eau à boire, ne parlons pas de cuisiner et de faire leur toilette, y compris intime, on comprendra effectivement les souffrances indicibles vécues par ces Dakarois et ces banlieusards. Lesquels, les femmes et les enfants surtout, ont été contraints à de véritables corvées pour aller rechercher ce liquide précieux aux quatre coins de la ville. Une eau la plupart du temps introuvable, d’ailleurs. De ce point de vue, le spectacle de ces longues files de ménagères, bassines sur la tête et toutes sortes d’ustensiles à la main se lançant dans de véritables expéditions pour aller chercher ce liquide dont on dit qu’il est source de vie, ce spectacle, donc, faisait peine à voir. A n’en pas douter, oui, les Sénégalais ont vécu un véritable calvaire ces derniers jours. Sans compter que, du fait du manque d’eau, indispensable pour conditionner le fuel destiné à ses centrales, la Senelec aussi s’y est mise en procédant à des délestages dans la fourniture d’électricité. Bref, c’était la totale ! Et comme si çà ne suffisait pas, les errements de la communication de la SDE et du gouvernement tout autant, ont ajouté au martyre de nos braves populations. Telle une ritournelle, en effet, et avec la régularité d’un métronome, on a annoncé à des populations passant d’une douche froide à l’autre (pour autant qu’on puisse parler de douche vu qu’elles n’avaient pas d’eau !) que la situation allait revenir incessamment à la normale. Un peu à la manière du coiffeur qui promet de raser gratis demain. Ou de l’arracheur de dents qui prétend que cela ne fera pas mal ! A l’arrivée, évidemment, ces malheureux compatriotes passaient de désillusions en espoirs déçus, ne sachant plus à quelle promesse croire. De ce point de vue, oui, la communication de cette crise a été défectueuse de bout en bout. Sans doute parce qu’ils craignaient des réactions de colère de l’opinion publique — qui n’ont d’ailleurs pas manqué, finalement, avec les manifestations de rues enregistrées ici et là, notamment à Niary Tally et Fass Mbao — responsables gouvernementaux et de la société de distribution d’eau n’ont pas osé dire aux populations que la réparation de la panne survenue à l’usine de traitement d’eau de Keur Momar Sarr, qui alimente la région de Dakar à 40 %, demanderait du temps. Comme un bébé qu’on endort, ces responsables ont répété incessamment, et comme une antienne, la berceuse selon laquelle le retour de l’eau dans les robinets n’était plus qu’une question d’heures. On a vu ce qu’il en a été.
Cette crise gravissime ayant grandement affecté le bien-être des populations ne pouvant même plus boire, à plus forte raison cuisiner ou entretenir des relations intimes,
les esprits se sont surchauffés. Le gouvernement, craignant pour sa stabilité sociale, s’y est mis à son tour en promettant le retour à la normale alors qu’il n’avait aucune maîtrise sur les délais de réparation de la conduite d’eau endommagée. Finalement, même le Premier ministre est entré dans la danse en se rendant sur le site où est survenue la panne, c’est-à-dire l’usine d’eau de Keur Momar Sarr, ou elle a tenu un langage martial aux responsables de la SDE, en promettant des sanctions après que les responsabilités auront été situées et même, le cas échéant, de rompre le contrat d’affermage liant l’Etat, par le biais de la SONES, à la Sénégalaise des Eaux, anciennement filiale du géant français de l’eau Bouygues, à travers la SAUR, et maintenant propriété de Finagestion et de divers autres fonds d’investissements.
Tout comme la plupart de nos compatriotes, des hommes politiques, des activistes d’associations consuméristes ou d’organisations de défense des droits de l’homme, des syndicalistes voire des citoyens lambda, Mme le Premier ministre a manqué de sang froid, assurément. Ou, plutôt, même à admettre que son coup de sang était légitime, mais contre qui devait-elle le pousser au juste ?
A l’évidence, tout accuse la SDE, concessionnaire de l’eau dans la capitale et les centres urbains depuis 1995. N’est-elle pas chargée de la distribution, et donc de la commercialisation, de cette eau que nous buvons et que nous utilisons pour nos besoins domestiques et professionnels ? N’est-ce pas elle qui nous envoie tous les bimestres des factures douloureuses — moins quand même que celles de la Senelec — que nous devons payer au risque d’être suspendus ? Par conséquent, s’il y a rupture dans l’approvisionnement en eau des ménages et des lieux de travail, on ne peut que l’en tenir responsable.
Et puis, n’a-t-elle pas menti depuis le début de cette crise en promettant inlassablement le retour à la normale « dans les prochaines heures » ? A l’évidence, ses promesses n’engageaient que ceux qui y croient. Par démagogie, d’aucuns ont même exigé de jeter le bébé SDE avec l’eau (introuvable !) du bain. Et demandé que l’Etat revienne sur la privatisation de 1995 lorsque le gouvernement socialiste de l’époque, plutôt que d’appliquer un schéma de privatisation classique, avait opté pour un système d’affermage aux termes duquel il construisait les infrastructures, si besoin est en recourant aux emprunts, qui demeurent naturellement sa propriété. Quant à la SDE, elle prenait en location les installations, distribuait l’eau et versait une redevance à la SONES (voir l’article de Aly Samba Ndiaye). Pendant plus de 18 ans, ce schéma a fonctionné à merveille, si bien que les coupures d’eau cauchemardesques auxquelles les Dakarois étaient habitués au début des années 90 ne constituaient plus qu’un mauvais souvenir. Non seulement tous les objectifs fixés en matière d’hydraulique urbaine sont atteints, mais c’est justement le seul domaine dans lequel notre pays pouvait se glorifier d’un succès dans les OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement). Cette réussite était telle que de nombreux pays africains ont été incités par les institutions de Bretton Woods à venir s’inspirer du modèle sénégalais. Le Mali, le Niger et le Cameroun sont venus à l’école de la SDE qui a aussi signé des accords de partenariat et d’assistance technique avec les sociétés d’eau du Burkina Faso, de Guinée Conakry et de Mauritanie. Mieux, les régies d’eau des villes de Kinshasa (12 millions d’habitants, autant que le Sénégal !), de Matadi et de Lubumbashi, toutes trois en République démocratique du Congo, sont gérées par la SDE ! Sans compter que, depuis quelques années, deux agents de la même société sénégalaise sont détachés à La Mecque où ils apportent une assistance technique respectivement dans la distribution et la commercialisation de l’eau dans cette grande ville d’Arabie Saoudite. Cette belle réussite que l’Afrique tout entière nous envie, voilà que, du fait d’une regrettable panne et d’une communication brouillonne, des Sénégalais veulent la détruire ! Encore une fois, ce qui s’est passé ces derniers jours est gravissime mais est-ce une raison d’oublier le magnifique travail abattu depuis bientôt 20 ans par la SDE et ses équipes qui sont à 100 % sénégalaises ? Car si les deux premiers directeurs de la SDE étaient des Français, depuis plus de cinq ans, elle est dirigée par notre compatriote Mamadou Dia, brillant ingénieur et sommité mondiale en matière d’eau. C’est bien simple d’ailleurs : il est le seul Africain à l’heure actuelle à siéger dans le board de l’IWA (International Water Association ou Association mondiale de l’Eau). Il est aussi l’ancien président de l’Association Africaine de l’Eau qui regroupe les professionnels du secteur. Quant aux ingénieurs de la SDE, ceux-là mêmes qui font tourner la boîte depuis une vingtaine d’années et dont l’expertise est recherchée sur tout le continent, ils font partie des meilleurs du continent (tout comme d’ailleurs leurs collègues de la Sones). Faut-il jeter la pierre à cette brillante expertise nationale qui, pendant presque deux décennies, nous a donné tant de motifs de satisfaction ? A notre avis, non… Même devant l’adversité, sachons raison garder !
Mamadou Oumar Ndiaye
« Le Témoin » N° 1138 –Hebdomadaire Sénégalais ( SEPTEMBRE 2013)
Cette crise gravissime ayant grandement affecté le bien-être des populations ne pouvant même plus boire, à plus forte raison cuisiner ou entretenir des relations intimes,
les esprits se sont surchauffés. Le gouvernement, craignant pour sa stabilité sociale, s’y est mis à son tour en promettant le retour à la normale alors qu’il n’avait aucune maîtrise sur les délais de réparation de la conduite d’eau endommagée. Finalement, même le Premier ministre est entré dans la danse en se rendant sur le site où est survenue la panne, c’est-à-dire l’usine d’eau de Keur Momar Sarr, ou elle a tenu un langage martial aux responsables de la SDE, en promettant des sanctions après que les responsabilités auront été situées et même, le cas échéant, de rompre le contrat d’affermage liant l’Etat, par le biais de la SONES, à la Sénégalaise des Eaux, anciennement filiale du géant français de l’eau Bouygues, à travers la SAUR, et maintenant propriété de Finagestion et de divers autres fonds d’investissements.
Tout comme la plupart de nos compatriotes, des hommes politiques, des activistes d’associations consuméristes ou d’organisations de défense des droits de l’homme, des syndicalistes voire des citoyens lambda, Mme le Premier ministre a manqué de sang froid, assurément. Ou, plutôt, même à admettre que son coup de sang était légitime, mais contre qui devait-elle le pousser au juste ?
A l’évidence, tout accuse la SDE, concessionnaire de l’eau dans la capitale et les centres urbains depuis 1995. N’est-elle pas chargée de la distribution, et donc de la commercialisation, de cette eau que nous buvons et que nous utilisons pour nos besoins domestiques et professionnels ? N’est-ce pas elle qui nous envoie tous les bimestres des factures douloureuses — moins quand même que celles de la Senelec — que nous devons payer au risque d’être suspendus ? Par conséquent, s’il y a rupture dans l’approvisionnement en eau des ménages et des lieux de travail, on ne peut que l’en tenir responsable.
Et puis, n’a-t-elle pas menti depuis le début de cette crise en promettant inlassablement le retour à la normale « dans les prochaines heures » ? A l’évidence, ses promesses n’engageaient que ceux qui y croient. Par démagogie, d’aucuns ont même exigé de jeter le bébé SDE avec l’eau (introuvable !) du bain. Et demandé que l’Etat revienne sur la privatisation de 1995 lorsque le gouvernement socialiste de l’époque, plutôt que d’appliquer un schéma de privatisation classique, avait opté pour un système d’affermage aux termes duquel il construisait les infrastructures, si besoin est en recourant aux emprunts, qui demeurent naturellement sa propriété. Quant à la SDE, elle prenait en location les installations, distribuait l’eau et versait une redevance à la SONES (voir l’article de Aly Samba Ndiaye). Pendant plus de 18 ans, ce schéma a fonctionné à merveille, si bien que les coupures d’eau cauchemardesques auxquelles les Dakarois étaient habitués au début des années 90 ne constituaient plus qu’un mauvais souvenir. Non seulement tous les objectifs fixés en matière d’hydraulique urbaine sont atteints, mais c’est justement le seul domaine dans lequel notre pays pouvait se glorifier d’un succès dans les OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement). Cette réussite était telle que de nombreux pays africains ont été incités par les institutions de Bretton Woods à venir s’inspirer du modèle sénégalais. Le Mali, le Niger et le Cameroun sont venus à l’école de la SDE qui a aussi signé des accords de partenariat et d’assistance technique avec les sociétés d’eau du Burkina Faso, de Guinée Conakry et de Mauritanie. Mieux, les régies d’eau des villes de Kinshasa (12 millions d’habitants, autant que le Sénégal !), de Matadi et de Lubumbashi, toutes trois en République démocratique du Congo, sont gérées par la SDE ! Sans compter que, depuis quelques années, deux agents de la même société sénégalaise sont détachés à La Mecque où ils apportent une assistance technique respectivement dans la distribution et la commercialisation de l’eau dans cette grande ville d’Arabie Saoudite. Cette belle réussite que l’Afrique tout entière nous envie, voilà que, du fait d’une regrettable panne et d’une communication brouillonne, des Sénégalais veulent la détruire ! Encore une fois, ce qui s’est passé ces derniers jours est gravissime mais est-ce une raison d’oublier le magnifique travail abattu depuis bientôt 20 ans par la SDE et ses équipes qui sont à 100 % sénégalaises ? Car si les deux premiers directeurs de la SDE étaient des Français, depuis plus de cinq ans, elle est dirigée par notre compatriote Mamadou Dia, brillant ingénieur et sommité mondiale en matière d’eau. C’est bien simple d’ailleurs : il est le seul Africain à l’heure actuelle à siéger dans le board de l’IWA (International Water Association ou Association mondiale de l’Eau). Il est aussi l’ancien président de l’Association Africaine de l’Eau qui regroupe les professionnels du secteur. Quant aux ingénieurs de la SDE, ceux-là mêmes qui font tourner la boîte depuis une vingtaine d’années et dont l’expertise est recherchée sur tout le continent, ils font partie des meilleurs du continent (tout comme d’ailleurs leurs collègues de la Sones). Faut-il jeter la pierre à cette brillante expertise nationale qui, pendant presque deux décennies, nous a donné tant de motifs de satisfaction ? A notre avis, non… Même devant l’adversité, sachons raison garder !
Mamadou Oumar Ndiaye
« Le Témoin » N° 1138 –Hebdomadaire Sénégalais ( SEPTEMBRE 2013)