D’accord, il fallait montrer que le président de la République est proche des préoccupations des populations, qu’il prend à cœur la pénurie qui a privé d’eau de nombreux quartiers de Dakar et qu’il entendait prendre à bras le corps ce lancinant problème. Il lui fallait aussi neutraliser les petites manifestations qui éclataient déjà ici et là afin qu’elles ne se généralisent pas au point de menacer son pouvoir. D’où sa décision d’écourter son séjour à New-York où se tenait l’Assemblée générale des Nations-Unies et en marge de laquelle il devait assister à diverses cérémonies protocolaires ou politiciennes. Ce retour précipité, ses services de presse se sont aimablement chargés de le faire savoir à toutes les rédactions ! Cela ne suffisant pas, et le déplacement de son Premier ministre à Keur Momar Sarr, sur le lieu où s’activaient des dizaines d’ingénieurs, de techniciens et d’ouvriers pour réparer la conduite défectueuse ayant privé Dakar de 40 % de son approvisionnement en eau, le déplacement du PM, donc, ayant laissé un effet désastreux, le Président était obligé de prendre les choses en main. En se rendant sur le terrain, ce qu’il a fait jeudi dernier. Seulement voilà : avec une théâtralisation excessive ! Quel besoin y avait-il, en effet, pour aller s’enquérir de l’état d’avancement des travaux de réparation de la conduite endommagée et remonter le moral aux travailleurs sur le chantier, de se mettre en tenue de combat ? Plus exactement en tenue camouflée et casquette. Il ne manquait plus que les rangers ! Y avait-il donc une menace armée aux frontières ? De dangereux terroristes avaient-ils attaqué notre pays ? Le Sénégal était-il en guerre ? Pas du tout ! Alors, encore une fois, pourquoi le président de la République, il est vrai chef suprême des Armées, a-t-il éprouvé le besoin de se mettre en tenue de combat pour visiter un chantier de génie civil finalement ? Pourquoi le Premier ministre elle-même a-t-elle enfilé un pantalon militaire ? Sans doute a-t-on conseillé au président de la République, pour des besoins de communication, de se mettre en battle dress, histoire de montrer la détermination du général qu’il était devenu pour la circonstance à vaincre le dangereux ennemi de la Nation constitué par… une conduite d’eau en panne. Là où la situation exigeait une expertise, des calculs compliqués, un usinage calibré et millimétré, mais aussi et surtout beaucoup de concentration et le moins de pression possible, le président de la République y est allé avec ses bottes de mille lieues, comme celles du fameux Chat botté de la fable, pour finalement… s’enquérir de la situation et prodiguer réconfort et encouragements aux ingénieurs, techniciens et ouvriers s’affairant sur le chantier. Et, en même temps, rassurer nos compatriotes que tout était fait pour que la fourniture de l’eau reprenne dans les meilleurs délais. Pour cela, le président de la République n’aurait-il pas pu mettre une des magnifiques vestes sahariennes qu’il arbore souvent lors de ses tournées à l’intérieur du pays et se coiffer d’un chapeau de campagne au lieu de se mettre en tenue militaire ? Voudrait-on suggérer de manière subliminale dans la conscience de notre peuple que seuls les militaires sont capables de régler les problèmes dans notre pays que l’on ne s’y prendrait pas autrement !
Et puis, cette théâtralisation était d’autant plus ridicule que le président de la République n’en avait nullement besoin pour montrer que cette pénurie l’affectait personnellement et qu’il avait à cœur de la voir résolue pour soulager les populations dakaroises qui souffraient le martyre depuis plus de dix jours du fait du manque d’eau. Non seulement son ministre de l’Hydraulique s’est rendu sur le site de l’usine de traitement d’eau de Keur Momar Sarr mais encore Mme le Premier ministre est allée morigéner ingénieurs et ouvriers travaillant sur le chantier de réparation. Enfin, lui-même a fait le déplacement en se montrant sensible aux sacrifices des équipes qui travaillaient sur l’ouvrage nuit et jour et qui ont failli perdre la vie dans l’explosion de la conduite. Sans compter qu’il a mobilisé tous les moyens possibles et imaginables, notamment les citernes d’eau, pour atténuer la soif des populations. Lesquelles ont été d’autant plus sensibles aux efforts du président de la République et de son gouvernement qu’elles savaient que la pénurie d’eau était occasionnée par une panne contre laquelle l’Etat ne pouvait pas faire grand-chose. C’est pourquoi, d’ailleurs, elle s’est abstenue de sortir dans la rue pour manifester contre le gouvernement à l’exception de deux pelés et trois tondus qui n’ont guère été suivis. Oui, quoi que l’on puisse dire, cette crise, à part la désastreuse communication, a été pour l’essentiel bien gérée par le gouvernement. En tout cas, nul ne reprochera au Président de n’avoir rien fait pour que la conduite soit réparée et pour atténuer un tant soit peu les souffrances des Dakarois allant jusqu’à s’engager à prendre en charge les factures d’eau des consommateurs affectés par la pénurie pour la période concernée. Encore que ce ne sont pas tous les abonnés de la capitale qui étaient touchés par le manque d’eau…
Après avoir fait tout cela, c’est-à-dire montré à quel point il est proche de nos compatriotes, à quel point il est sensible à leurs préoccupations, à quel point son pouls bat à l’unisson des leurs, le président de la République avait-il besoin de cette pantalonnade consistant à se mettre en tenue militaire ? Ce pour aller se pencher sur une conduite d’eau vitale, certes, mais après tout banale. Ce faisant, notre brave président rappelle Don Quichotte, ce héros de Cervantès qui allait combattre des moulins à vent ! A force de vouloir communiquer, on obtient souvent le contraire de l’effet recherché et il semble que cela ait été le cas avec cette sortie « martiale » du Président à Keur Momar Sarr. Un peu comme si tous les efforts qu’il a déployés depuis le début de cette affaire étaient tombés… à l’eau. Cette eau devenue une denrée invisible pour des centaines de milliers de Dakarois deux semaines durant. Disons-le clairement : Dieu nous préserve des présidents en tenues militaires ! Car le caractère civil de notre Etat, même si le président de la République est le chef suprême des Armées, nous y tenons comme à la prunelle de nos yeux !
Mamadou Oumar NDIAYE
« Le Témoin » N° 1139 –Hebdomadaire Sénégalais ( OCTOBRE 2013)
Post scriptum :
Pour ce déplacement à Keur Momar Sarr, on a vu le président de la République voyager à bord du même appareil que le Premier ministre. Ce qui est formellement déconseillé pour des raisons de sécurité. Si tant est que la présence du chef du gouvernement était nécessaire sur les lieux, Mme Aminata Touré n’aurait-elle pas pu s’y rendre par la route ? Il était d’autant plus dangereux de faire voyager les deux têtes de l’Exécutif dans le même avion que le président de l’Assemblée nationale, à ce moment-là, était en déplacement à l’étranger !
Et puis, cette théâtralisation était d’autant plus ridicule que le président de la République n’en avait nullement besoin pour montrer que cette pénurie l’affectait personnellement et qu’il avait à cœur de la voir résolue pour soulager les populations dakaroises qui souffraient le martyre depuis plus de dix jours du fait du manque d’eau. Non seulement son ministre de l’Hydraulique s’est rendu sur le site de l’usine de traitement d’eau de Keur Momar Sarr mais encore Mme le Premier ministre est allée morigéner ingénieurs et ouvriers travaillant sur le chantier de réparation. Enfin, lui-même a fait le déplacement en se montrant sensible aux sacrifices des équipes qui travaillaient sur l’ouvrage nuit et jour et qui ont failli perdre la vie dans l’explosion de la conduite. Sans compter qu’il a mobilisé tous les moyens possibles et imaginables, notamment les citernes d’eau, pour atténuer la soif des populations. Lesquelles ont été d’autant plus sensibles aux efforts du président de la République et de son gouvernement qu’elles savaient que la pénurie d’eau était occasionnée par une panne contre laquelle l’Etat ne pouvait pas faire grand-chose. C’est pourquoi, d’ailleurs, elle s’est abstenue de sortir dans la rue pour manifester contre le gouvernement à l’exception de deux pelés et trois tondus qui n’ont guère été suivis. Oui, quoi que l’on puisse dire, cette crise, à part la désastreuse communication, a été pour l’essentiel bien gérée par le gouvernement. En tout cas, nul ne reprochera au Président de n’avoir rien fait pour que la conduite soit réparée et pour atténuer un tant soit peu les souffrances des Dakarois allant jusqu’à s’engager à prendre en charge les factures d’eau des consommateurs affectés par la pénurie pour la période concernée. Encore que ce ne sont pas tous les abonnés de la capitale qui étaient touchés par le manque d’eau…
Après avoir fait tout cela, c’est-à-dire montré à quel point il est proche de nos compatriotes, à quel point il est sensible à leurs préoccupations, à quel point son pouls bat à l’unisson des leurs, le président de la République avait-il besoin de cette pantalonnade consistant à se mettre en tenue militaire ? Ce pour aller se pencher sur une conduite d’eau vitale, certes, mais après tout banale. Ce faisant, notre brave président rappelle Don Quichotte, ce héros de Cervantès qui allait combattre des moulins à vent ! A force de vouloir communiquer, on obtient souvent le contraire de l’effet recherché et il semble que cela ait été le cas avec cette sortie « martiale » du Président à Keur Momar Sarr. Un peu comme si tous les efforts qu’il a déployés depuis le début de cette affaire étaient tombés… à l’eau. Cette eau devenue une denrée invisible pour des centaines de milliers de Dakarois deux semaines durant. Disons-le clairement : Dieu nous préserve des présidents en tenues militaires ! Car le caractère civil de notre Etat, même si le président de la République est le chef suprême des Armées, nous y tenons comme à la prunelle de nos yeux !
Mamadou Oumar NDIAYE
« Le Témoin » N° 1139 –Hebdomadaire Sénégalais ( OCTOBRE 2013)
Post scriptum :
Pour ce déplacement à Keur Momar Sarr, on a vu le président de la République voyager à bord du même appareil que le Premier ministre. Ce qui est formellement déconseillé pour des raisons de sécurité. Si tant est que la présence du chef du gouvernement était nécessaire sur les lieux, Mme Aminata Touré n’aurait-elle pas pu s’y rendre par la route ? Il était d’autant plus dangereux de faire voyager les deux têtes de l’Exécutif dans le même avion que le président de l’Assemblée nationale, à ce moment-là, était en déplacement à l’étranger !