Le ponce-pilatisme continue de plus belle dans l’affaire dite de la drogue de la Police comme nous l’écrivions la semaine dernière. En effet, au lieu de se regarder dans le miroir quand bien même celui-ci renverrait une image terriblement hideuse de l’une de nos propres forces de sécurité, eh bien, les dirigeants de la Police ont choisi de le briser en mille morceaux. Comme si le miroir n’était pas que le reflet d’une réalité qui, elle, même en son absence, va continuer d’exister.
Et au lieu d’enquêter sérieusement sur les accusations de trafic de drogue portées par le commissaire divisionnaire de classe exceptionnelle Cheikhna Keïta contre son prédécesseur à la tête de l’OCTRIS (Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants), qui n’est autre que le divisionnaire de classe exceptionnelle lui aussi Abdoulaye Niang, actuel directeur général de la Police nationale, voilà que nos autorités au plus haut niveau ont opté pour la vieille technique du bouc émissaire. Ou de l’agneau du sacrifice si l’on préfère. Et plutôt que de prendre les mesures hardies que requiert la situation, elles ont selon toute vraisemblance choisi… de sacrifier le pauvre Cheikhna Keïta. Au nom de la nécessaire défense de l’honneur d’un corps, elles vont faire passer cet excellent mais atypique flic, brillante mécanique intellectuelle et aux méthodes souvent limite voyous, comme une brebis galeuse qui jette l’opprobre sur tout un corps. Le problème, c’est qu’il n’était pas propre ce corps comme en témoigne la première place à laquelle il est abonné chaque année dans le classement de l’indice de perception de la corruption réalisé par Transparency International ! Qu’il y ait au sein de la Police des ripoux qui « dealaient » avec des trafiquants de drogue nigérians, c’était un secret de Polichinelle même si nul n’osait l’écrire faute de preuves. Et voilà que le commissaire Cheikh Keïta en fournissait à la pelle à son ministre de l’Intérieur !
Au général Pathé Seck, il avait en effet fait parvenir dès le 17 février un rapport circonstancié sur les liens supposés du commissaire Abdoulaye Niang avec la pègre nigériane établie à Dakar et se livrant au trafic de drogue. Il lui avait fait comprendre que la promotion de ce dernier en tant que directeur général adjoint, donc numéro deux, de la Police serait une très mauvaise chose pour le corps. Le général lui avait dit qu’il avait confié son dossier à son conseiller technique numéro un, le colonel de l’Armée à la retraite Birago Diouf. Lequel avait sans doute mis le coude dessus. Le commissaire Cheikhna Keïta avait réitéré ses accusations lorsque le même Abdoulaye Niang a été nommé directeur général de la Police nationale ! A partir de ce moment, il devenait urgent de le dégager afin de le faire taire. Ce qui a été fait lors du Conseil des ministres du jeudi 12 juillet dernier lorsque Cheikhna Keïta a été limogé de la tête de l’OCTRIS.
Lorsque l’affaire a éclaté, le ministre de l’Intérieur, le général Pathé Seck, plutôt que de prendre ses responsabilités, avait déclaré, on l’a vu, qu’il n’allait pas se mêler de cette guerre fratricide entre policiers. Il a fallu le coup de sang du président de la République lors du Conseil des ministres du jeudi suivant pour qu’il réalise la gravité de la situation. Et plutôt que d’ordonner une enquête indépendante, le président de la République lui-même a choisi de mener les Sénégalais en bateau en annonçant l’ouverture d’une enquête par l’Inspection des Services de sécurité de la Police. Or, c’est de notoriété publique que ce service de la Police est une coquille vide avec très peu d’effectifs et sans moyens. Ensuite, quelle crédibilité peut avoir une enquête portant en définitive sur la moralité même de la Police, en particulier celle de ses chefs, et confiée… à des policiers ? Troisièmement, quelle conclusion autre que le blanchiment du commissaire Abdoulaye Niang, patron de la Police, peut-on en attendre, vu que ce dernier conserve toujours ses fonctions de grand patron de ce corps et que le commissaire Boye qui est chargé de mener l’enquête est non seulement son subordonné, mais aussi son camarade de promotion ? Quatrièmement, le commissaire Cheikhna Keïta étant démis de ses fonctions et Abdoulaye Niang conservant les siennes, le « dealer » nigérian Austin, à l’origine des révélations incriminant le boss de la Police, n’a-t-il pas tout le loisir de se dédire désormais surtout s’il espère une absolution des actuelles autorités de la Police ?
En fait, comme nous l’écrivions dans ces mêmes colonnes la semaine dernière, dès que le scandale a éclaté, le ministre de l’Intérieur aurait dû prendre des mesures conservatoires en suspendant de toutes ses fonctions le commissaire Abdoulaye Niang. Ne serait-ce qu’à titre provisoire, en attendant l’aboutissement d’une enquête réellement indépendante et qui serait différente de la parodie en cours. A défaut, le successeur du commissaire Codé Mbengue aurait dû démissionner de lui-même au lieu de s’accrocher à son fauteuil alors même que de gravissimes accusations de trafic de drogue sont portées à son encontre. Bien sûr, entretemps, tous les amis d’Abdoulaye Niang, et tous les policiers adeptes du lavage de linge sale en famille, se sont mobilisés pour investir la presse et distiller toutes sortes d’informations dégueulasses sur Cheikhna Keïta. Lequel, lui, avait eu le courage de faire un rapport écrit sur ses chefs et de l’adresser à son ministre avec des ampliations ! Et, surtout, avait livré des preuves. Et puis, quelle est cette comédie consistant à convoquer, dans le cadre d’un semblant d’enquête, des policiers de l’OCRTIS accusés par leur ancien patron d’être des ripoux, pour qu’ils témoignent sur ce dernier ? Leur témoignage ne peut bien sûr qu’être à charge !
Ensuite, histoire d’être édifiés sur le patrimoine d’Abdoulaye Niang, les enquêteurs auraient adressé des réquisitions aux banques, cabinets de notaires et à certains services de l’Etat pour recenser ses biens. Vous pensez bien que ce brave flic serait le dernier des idiots si, ayant acquis des biens avec de l’argent provenant du trafic de drogue comme on l’en accuse, il les avait immatriculés à son nom ! Autant donc dire qu’il y a mille chances que ces réquisitions reviennent infructueuses, auquel cas on conclura que la patron de la Police est blanc comme… cocaïne, pardon neige ! Et qu’il mérite donc de rester tranquillement à son poste. Et ce même si la confiance que les citoyens sont en droit d’avoir en leur chef de la Police était définitivement rompue. Un chef de la Police qui pousse le misérabilisme jusqu’à prendre des cars rapides alors que ses revenus lui permettent quand même d’avoir une voiture ou, à défaut, de louer des taxis. Vous ne trouvez pas cela louche, vous, cette volonté de vouloir coûte que coûte faire pauvre ?
Pour en revenir à un plus que probable blanchiment d’Abdoulaye Niang, cela permettra aux autorités de dire que le commissaire Cheikhna Keïta est un vilain calomniateur, engager des poursuite judiciaires contre lui, l’emprisonner et, probablement, le radier de la Police, un corps auquel il aura donné plus de 30 ans de sa vie, avec d’excellents états de service à la clef.
Disons-le clairement : toute manœuvre visant à faire porter le chapeau de cette affaire scandaleuse au seul commissaire Cheikhna Keïta manquerait de crédibilité. Et si, plutôt que de tailler dans le vif, les autorités choisissent de louvoyer et de faire payer un lampiste, eh bien le retour de flammes à terme risque d’être catastrophique pour elles. Et puis, de toute façon, l’opinion ne se satisferait pas d’un « neup neupal », une solution de replâtrage à la manière d’un cautère sur une jambe de bois.
Mamadou Oumar NDIAYE
« Le Témoin » N° 1132 –Hebdomadaire Sénégalais ( JUILLET 2013)
« Le Témoin » N° 1132 –Hebdomadaire Sénégalais ( JUILLET 2013)