Militant de la première heure des langues africaines, Seydou Nourou Ndiaye n’en est pas moins un acteur de la Francophonie. C’est en ce sens que sa maison d’édition, Papyrus Afrique, a été choisie avec d’autres maisons d’édition pour éditer le livre de l’ancien international français Lilian Thuram. « Mes étoiles noires, de Lucy à Barack Obama » est un livre volumineux de 400 pages et d’une agréable iconographie.
Le Témoin s’est entretenu avec notre compatriote, l’éditeur Seydou Nourou Ndiaye.
Le Témoin : Pourquoi et comment s’est porté le choix sur les Editions Papyrus Afrique pour la réédition du livre « Mes étoiles noires ; De Lucy à Barack Obama » de Lilian Thuram ?
Seydou Nourou Ndiaye : Ce livre de Lilian Thuram intitulé « Mes étoiles noires ; De Lucy à Barack Obama » a été proposé en coédition dans le cadre des activités de l’Alliance Internationale des Editeurs Indépendants. La Fondation Lilian Thuram a appuyé le projet pour que le livre ne soit pas cher. Nous avons exprimé notre désir de participer à la coédition pour que le livre puisse être accessible au Sénégal.
Est-ce que l’investissement était lourd ?
Il n’y a pratiquement pas d’investissement. Une fois que le principe de la coédition est retenu, l’Alliance a suffisamment de ressources pour que le travail puisse commencer. Le coéditeur partenaire remboursera sa quotepart une fois le livre publié et diffusé par ses soins. Il s’agit d’une coédition solidaire.
On peut aussi penser que cela a été un défi pour une aussi jeune maison d’édition que la vôtre de coéditer un tel ouvrage ?
Chaque projet éditorial est pour nous un défi surtout dans une langue telle que le français qui ne fait pas partie de nos habituelles langues d’édition. Il y a aussi le défi éditorial qui pousse l’éditeur. Nous publions prioritairement dans les langues africaines. Mais nous avons déjà participé en 2009 à la coédition du « Petit précis d’histoire africaine à l’usage du Président Sarkozy » sous la direction de Mme Adam Bâ Konaré, en réponse au discours de Dakar de Sarkozy. Ce livre est le premier que nous avons édité en français. « Mes étoiles noires » de Thuram est le troisième après « Un viatique pour l’éternité : Hommage à Ousmane Sembène ». Nous en sommes aujourd’hui à 130 titres publiés en langues africaines.
Depuis sa création, en 1996, notre structure, Les Editions Papyrus Afrique, a capitalisé une petite expérience dans la production éditoriale, la diffusion et la promotion. Soit dit en passant, nous avons été deuxième lauréat du Prix Alioune Diop pour la Promotion de l’Edition en Afrique en 2002 et nous sommes la première maison d’édition à avoir obtenu le Prix National pour la Promotion de l’Edition au Sénégal en 2005.
On peut dire finalement que vous tirez votre épingle du jeu dans ce secteur si difficile qu’est l’édition, surtout en ce qui concerne la coédition du livre de Thuram…
En participant à cette coédition, notre préoccupation n’a pas été de s’en sortir sur le plan financier mais de nous joindre à la voix de Lilian Thuram pour amplifier le message que nous partageons avec lui.
C’était en quelque sorte une continuation de notre action de tous les jours.
Nous avons réussi la prouesse d’avoir écoulé les 1000 exemplaires en moins de deux mois…
Nos librairies partenaires auraient voulu avoir un stock plus important mais, comme nous avons délibérément choisi de le rendre plus abordable, nous ne nous attendions pas à avoir une marge importante.
Par contre le pari de l’accessibilité a été largement gagné, celui de la sensibilisation et du plaidoyer également.
La promotion de « Mes étoiles noires : de Lucy à Barack Obama » nous a permis de connaître de nouvelles personnalités de très grande qualité dans tous les segments de notre société. Entre autres, le président de la République, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et des diplomates. C’est le lieu de remercier M. Hamidou Dia, le conseiller culturel du Président de la République qui a été d’un apport très important.
Tout cela a permis à Thuram de communier avec notre peuple, qui est aussi son peuple. Si nous nous en sommes bien sortis, c’est surtout grâce à l’apport inestimable du doyen Cheikh Hamidou Kane, écrivain, ancien ministre mais aussi du professeur Iba Der Thiam, du professeur Abdoulaye Elimane Kane et tous les amis qui ne manqueront pas de se reconnaître parce qu’ayant été à nos côtés.
Les Editions Papyrus Afrique ont-elles une ligne éditoriale précise ou bien vous fondez-vous sur votre militantisme pour les langues africaines pour faire le travail que vous faites ?
Bien sûr que nous en avons une ! Et elle est explicite. La ligne éditoriale c’est ce qui identifie une maison d’édition. C’est non seulement la finalité de son action éditoriale qui s’exprime dans ses objectifs, dans ses projets éditoriaux mais également vers son public cible. Notre engagement pour l’Afrique et particulièrement pour les langues et cultures africaines nous prédispose à rejoindre toute initiative qui va dans le sens d’une meilleure connaissance de l’Afrique et de ses valeurs.
Publier principalement en langues africaines ne signifie pas forcément manquer de professionnalisme. Notre ligne éditoriale est aussi tributaire de notre militantisme. Elle en est une dimension importante.
Et pour la diffusion, le grand problème de l’édition, qu’en est-il ?
Nous faisons partie des rares maisons d’édition qui ont beaucoup réfléchi sur cette question. Nous avons expérimenté des approches nouvelles. Honnêtement, nous n’avons pas de problème à ce niveau. Nos problèmes se situent plutôt au niveau de la remontée des recettes. Le fait d’éditer en langues africaines nous a obligé très tôt à explorer des formes nouvelles puisque nous avons même échangé nos livres contre du mil et des chèvres !
Pour la diffusion de nos livres, nous coordonnons, parallèlement au réseau des libraires qui touchent une infime partie du lectorat, un réseau nomade qui sillonne les quartiers.
Dans le problématique de la diffusion se posent deux problèmes : la question des infrastructures éditoriales, mais aussi et surtout la créativité de l’éditeur ainsi que la nécessité pour lui de se frayer des voies adaptées à sa société. Dans un contexte de pays très pauvre où la langue d’édition n’est pas celle du peuple, il faut se mettre dans une perspective de recherche permanente pour survivre.
En quoi l’ouvrage de Lilian Thuram pourrait-il servir au système éducatif ?
Il ferait un excellent ouvrage parascolaire de la sixième à la terminale. Il aiderait à consolider la connaissance de l’histoire du monde et contribuerait de manière significative à développer l’estime de soi chez les élèves et les étudiants. Ce livre est une galerie de portraits d’une grande utilité. Ce sont des histoires de vie qui inspirent forcément.
Le fait que l’auteur soit du monde du sport pourrait-il amener les jeunes qui ne lisent pas vers la lecture ?
Si un livre répond à des attentes, s’il est intéressant et pas cher, grâce à une bonne promotion, il sera forcément bien lu.
Il suffit de régler la question de l’accessibilité et celui du coût.
Nous avons tendance à dire que les jeunes ne lisent pas mais il y a des livres qui sont bien lus, ce n’est pas le fait que c’est Lilian Thuram qui a écrit un livre qui pousse les jeunes à le lire c’est surtout le fait que le livre leur est utile qui fera que les jeunes voudront le lire.
Vous avez été reçu en compagnie de l’auteur par le président de la République. Avez-vous plaidé la cause des militants des langues africaines ? Et comment a-t-il apprécié le choix fait sur Papyrus ?
Nous avons rencontré un président de la République extrêmement attentif et engagé. Nous avons bien sûr parlé de la problématique des langues. Il comprend tout l’engagement des éditeurs sénégalais et le travail important qu’ils abattent.
En quoi consistera le prochain projet des Editions Papyrus Afrique ?
Nous avons annoncé à Monsieur le Premier ministre lors de notre audience avec le président de la République, de la prochaine parution de la traduction en sérère des poèmes de Léopold Sédar Senghor intitulée « A Kim yook ; XA Losti ; Xa Paal Ee-coopi » traduits par l’ingénieur informaticien Wally Faye, dont nous souhaiterions placer le lancement sous son haut-parrainage.
Nous avons aussi en préparation trois autres ouvrages : « Seex yi » de Mme Djeynaba Guèye dite Diéo un conte en wolof ; « Norwa e cukalel », un livre illustré pour enfants de Bayla Coulibaly, auteur du roman « Nguurndam tumaranke » et « Booy pullo », un roman en pulaar de Abdoulaye Dia.
Nous avons en instance d’édition un livre d’astronomie sous forme de poème, en pulaar, de Thierno Abou Dembel Mbodj ; un livre de contes sérère du journaliste Djiby Ndiaye et « Ngayneteendi », un livre de vulgarisation du docteur vétérinaire Oumar Bassoum qui vit actuellement aux Etats Unis.
Nous avons également en préparation un projet de traduction et d’édition en arabe de « Mes étoiles noires » de Lilian Thuram, avec une maison d’édition marocaine.
Egalement en projet, la traduction et l’édition en wolof et en pulaar de la bande dessinée intitulé « Notre histoire » du même auteur. Nous sommes dans la phase de préparation.
Nous avons des ouvrages déjà prêts, et dès que nous aurons l’opportunité de les publier, nous le ferons.
Il y a également un projet de relance du journal « Lasli / Njëlbéen » wolof/pulaar : qui nous tient à cœur, ainsi que la recherche d’un local plus adapté pour la maison d’édition et le journal.
Propos recueillis par Alassane Seck Guèye
Article paru dans « Le Témoin N° 1175 » –Hebdomadaire Sénégalais ( AOUT 2014)