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AFRIQUE

Sénégal : Traque des bien mal acquis, pourquoi une approche politique s'impose


Alwihda Info | Par Moussa Sy - 15 Mai 2014



Sénégal : Traque des bien mal acquis, pourquoi une approche politique s'impose
Avec le retour de Wade sur le terrain politique, l’Etat a perdu quelque peu sa sérénité. N’en déplaise à ceux qui considèrent le retour au bercail de l’ancien président comme un événement marginal, les actes posés par le parti au pouvoir et les déclarations de certains responsables laissent à penser que la panique est réelle dans les rangs de l’Apr et du gouvernement. Pourtant, si les hommes politiques au pouvoir y réfléchissent par deux fois, ils devraient avoir une attitude plus sereine face à la nouvelle donne et tenter une approche plus… politique.
 
Déjà la communication des adversaires de Wade, qui veulent réduire le retour de celui-ci à la défense exclusive de son fils, Karim, n’a plus beaucoup de chances de prospérer au vu de la logique purement politique dans laquelle il s’est engagé depuis le début. Avant même son retour à Dakar, le patron du Pds avait annoncé sur Rfi que son action était «éminemment politique». Mais il n’a pas été compris à la lettre par ses adversaires qui, apparemment, n’avaient pas pris toute la mesure de ses déclarations. Aussi leur réaction aura été excessive et leurs propos… hors d’à propos.
 
Rien qu’à l’occasion de l’arrivée de l’ancien président, les tergiversations des autorités aéroportuaires sur deprétendues autorisations d’atterrirconcernant son jet privé n’ont pas manqué de laisser les Sénégalais dubitatifs quant aux réelles intentions du pouvoir de le laisser fouler le sol national.Car les affranchis savent que lorsque l’Etat est dans de bonnes dispositions, il y a toujours des procédures d’urgence prévues pour les personnalités de haut niveau. Selon un ancien diplomate, rien qu’un coup de téléphone du ministère des Affaires étrangères à l’état-major de l’Armée de l’air aurait suffi à assurer l’atterrissage de n’importe quel avion privé, a fortiori celui d’un ancien président de la République du Sénégal.La réaction du Premier ministre, Aminata Touré, qui rappelait les dispositions de la loi sur la répression concernant les auteurs de «troubles à l’ordre public» n’a pas été non plus pour apaiser la situation car elle laissait à penser que l’Etat est prêt à user de la force publique –donc de la «violence légale» —pour empêcher des opposants de jouir de leur droit constitutionnel de s’exprimer librement en tous lieux et en touttemps. Qui plus est, des informations non vérifiées sont distillées par des proches du président Sall tendant à appliquer à Wade des restrictions sur ses libertés d’aller et de venir. En tout cas, sa mise en « résidence surveillée» est fréquemment évoquée dans la presse et la surveillance policière autour de son domicile –qui se veut discrète mais qui est pourtant visible comme un nez sur le visage — ne laissent plus aucun doute sur les intentions du pouvoir de contrôler ou, à tout le moins, de surveiller ses allées et venues. D’ailleurs, il lui est quasiment interdit de se déplacer en cortège pour ne pas attirer les effets de foule lors de ses visites privées.
 
Si bien qu’aujourd’hui il n’est pas superflu de se demander qui de l’Etat ou de maître Wade appelle à la violence, tant les voies de faits des officiels à son égard et à l’égard de l’opposition peuvent appeler à une «résistance légitime» pour cause de persécution.Or, si le président de la République sait vraiment ce que maître Wade a théorisé sur la résistance qu’il faut opposer à la persécution politique, il devrait s’attendre à une réaction de ce dernier face à la traque de ses partisans (son fils en premier) et au musellement programmé des responsables de son parti.D’ailleurs, tous les ingrédients sont réunis pour lui permettre de crier à l’injustice et se présenter comme la victime politique d’adversaires politiques qui ont soif de vengeance. Et ses arguments sont dans la logique de son éternel combat politique. A preuve, le journaliste et politologue Babacar Justin Ndiaye, très peu convaincu de la pertinence des poursuites engagées contre les dignitaires de l’ancien régime,s’est très justement interrogé sur le fait que des six Premiers ministres et de la centaine de ministres qui ont servi Wade, pourquoi seul Karim est emprisonné… Cet analyste donne ainsi du grain à moudre à Macky Sall qui devrait méditer les dernières paroles de maître Wade au lendemain du 25 mars 2012 après les félicitations d’usage : «Je prie pour votre réussite et je vous confie ma famille», famille génétique et politique s’entend. Et à sa famille politique, Wade avait dit : « Nous avons perdu mais face à un des nôtres. Aidez-le s’il a besoin de vous». Deux messages qu’il pensait que Macky Sall avait décodés : « Touche pas à mes potes» a-t-il dit à son successeur. A ses militants, il a assené : «ne lui refusez pas votre aide car les libéraux devront gouverner encore pendant cinquante ans».
 
Mais voilà, le président Macky Sall malmène la «famille» de Wade et veut dénierà son prédécesseur le droit de défendre les siens sous le prétexte qu’il devrait se mettre à l’écart de la vie politique pour avoir été battu à une élection présidentielle. Les références à Senghor et Diouf qui ont quitté le pouvoir en même temps qu’ils ont abandonné l’arène politique ne peuvent s’appliquer à un idéaliste comme Wade. D’avoir mis en face de lui une «justice politique» appelle forcément de sa part une réaction politique. Laquelle auranaturellement une répercussion internationale. Car il faudra bien que les nations occidentales qui ont financé le matraquage médiatique et les manifestations qui l’ont perdu, reconnaissent qu’ils tolèrent, pour Macky Sall, des écarts sur les droits de l’homme qu’on a reprochésà Wade avec véhémence lorsqu’il était aux affaires. Et puisque la bataille politique est engagée, Macky Sall et ses alliés devront s’attendre à tous les coups, même sous la ceinture. Wade n’a rien à perdre dans ce combat. Il n’a plus d’ambitions personnelles et il peut, d’un seul mot d’ordre, empêcher à l’équipe en place d’obtenir un second mandat.
 
Le pouvoir gagnerait donc à privilégier une approche politique dans la gestion de la traque afin de préserver la paix sociale. Aussi les rumeurs de négociations en cours entre les deux camps pourraient être de bon augure pour la suite des événements si cela était avéré.
 
Moussa Sy
Article paru dans « Le Témoin » N° 1164 –Hebdomadaire Sénégalais (MAI 2014)



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