Accueil
Envoyer à un ami
Imprimer
Grand
Petit
Partager
ACTUALITES

Tchad : La CPI effectue actuellement une enquête préliminaire, Idriss Déby le prochain ?


Alwihda Info | Par Djamil @ - 11 Mars 2009


La Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d'arrêt contre le président soudanais, Omar El Béchir, le 4 mars 2009.


Tchad : La CPI effectue actuellement une enquête préliminaire, Idriss Déby le prochain ?
La Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d'arrêt contre le président soudanais, Omar El Béchir, le 4 mars 2009.

Ce dernier est accusé de crimes de guerre et crimes contre l'humanité dans le conflit du Darfour. Contrairement à l'avis du procureur, Luis Moreno Ocampo, la cour n'a pas retenu l'accusation de génocide. Cette guerre a fait 300 000 morts, selon l'ONU et 10 000, selon les sources officielles. Le Darfour, région située à l'ouest du Soudan, est déchiré depuis six ans par une violente guerre civile. Le conflit a fait 2,7 millions de déplacés, selon l'ONU. Ce mandat d'arrêt est le premier du genre lancé contre un chef d'Etat en exercice depuis l'institution de cette Cour par la Convention de Rome en 2003.

La CPI soumise au Conseil de sécurité
Le Soudan n'a pas ratifié les statuts de la Cour. A l'instar d'Israël, il ne reconnaît pas sa compétence. Mais contrairement aux dirigeants israéliens et de beaucoup d'autres Etats, le chef de l'Etat soudanais est poursuivi car le procureur de la CPI, seul tribunal permanent compétent pour juger des crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide, a été saisi en vertu d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Ainsi, la résolution 1593 (2005) du Conseil de sécurité de l'ONU, a-t-elle demandé une enquêter sur les violations du droit international humanitaire commises dans cette région. En 2007, l'enquête débouche sur la mise en accusation d'Ahmad Harun et d'Ali Kushayb, deux individus liés au régime soudanais. Le gouvernement refuse de livrer les deux personnes et le procureur fait de la surenchère en annonçant, le 14 juillet 2008, son intention d'accuser le Président soudanais. En novembre 2008, il émet des mandats d'arrêt contre trois commandants rebelles responsables de l'attaque, en septembre 2007, contre la base d'Haskanita, utilisée par les soldats de paix de l'Union africaine.
 
Les premières réactions positives sont venues des rebelles darfouris et des organisations humanitaires. Ils sont, pourtant, les premiers à subir les contrecoups de la décision de la CPI. Pour preuve, Khartoum a immédiatement décidé l'expulsion d'une dizaine d'organisations non gouvernementales. Médecins sans frontières (MSF) dit avoir reçu l'ordre de Khartoum d'évacuer son personnel international du Darfour. Peu auparavant, le porte-parole de l'armée avait déclaré que l'armée soudanaise réagirait «avec fermeté contre quiconque [collabore] avec la Cour pénale internationale». Aux Etats-Unis, le département d'Etat a appelé toutes les parties soudanaises à la «retenue» et salué cette décision de la Cour internationale instaurée en 2002. La France s'inscrit dans la même perspective puisqu'elle a apporté son soutien au tribunal de La Haye. Le Quai d'Orsay a demandé au Soudan de coopérer avec la CPI, conformément à l'obligation qui lui est faite par la résolution 1593 du Conseil de sécurité.

Notons la position ambiguë de la Russie et de la Chine. Le président russe, Dmitri Medvedev, estime qu'il s'agit d'un «dangereux précédent qui risque d'avoir des conséquences négatives sur le Soudan». La Chine défend la même position. Pourtant, ces deux membres permanents du Conseil de sécurité ont voté la résolution 1593 et ont, ensuite, échoué à imposer le report de l'émission du mandat d'arrêt ou la suspension de la procédure.

Réactions nationales et régionales hostiles
Les réactions soudanaises ont été immédiates. La première est le rejet pur et simple de la décision de la CPI et le refus de s'y soumettre. La décision de la CPI a été très critiquée par les députés du Sud-Soudan qui ont exhorté la Cour à suspendre l'inculpation de chefs rebelles ougandais de l'Armée de résistance du seigneur (LRA), afin de favoriser la signature d'un accord de paix avec le gouvernement de Kampala sous le parrainage de Khartoum. La CPI a lancé, en 2005, des mandats d'arrêts internationaux contre le chef de la LRA, Joseh Kony, et trois de ses commandants, recherchés pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Ils sont accusés de viols, mutilation de civils, enrôlement d'enfants et du massacre de milliers de personnes pendant la rébellion lancée en 1988. L'absence de Joseph Kony mi-avril à la cérémonie prévue de signature d'un accord de paix au sud du Soudan entre le gouvernement ougandais et la LRA, a interrompu le processus de paix. Il réclamait la levée préalable d'un mandat d'arrêt international lancé contre lui et ses lieutenants. Mais il a laissé entendre qu'il serait prêt à comparaître devant une juridiction traditionnelle ougandaise. Cet accord de paix vise à mettre fin dans le nord de l'Ouganda à 20 ans d'une des guerres civiles les plus longues et les plus sanglantes d'Afrique, qui a fait des dizaines de milliers de morts et provoqué le déplacement de près de deux millions de personnes.

Au niveau des réactions régionales, citons Jean Ping, président de la Commission de l'Union africaine (UA), pour qui le mandat d'arrêt de la CPI «menace la paix au Soudan». Précisant sa pensée, il estime que «la justice internationale ne semble appliquer les règles de la lutte contre l'impunité qu'en Afrique comme si rien ne se passait ailleurs, en Irak, à Ghaza, en Colombie ou dans le Caucase». Une opinion partagée par le président sénégalais, Abdoulaye Wade, qui a regretté que la CPI ne poursuive «que des Africains».

L'Ethiopie voisine a fait savoir qu'elle ne tiendrait pas compte du mandat d'arrêt, estimant que la décision «n'aide pas à la résolution de la crise au Darfour» qui a besoin d'un «juste milieu» entre une levée de l'impunité et une paix durable. De son côté, l'Egypte affirme être «très troublée» par la décision prise à La Haye et a appelé la CPI à retarder l'inculpation du président soudanais. La rébellion tchadienne a exprimé sa «solidarité avec le président [soudanais] El Bachir, estimant que le mandat d'arrêt lancé par la Cour pénale internationale (CPI) contre lui n'a aucun sens». L'Union des forces de la résistance (UFR), alliance des principales factions rebelles, a donc pris fait et cause pour le chef de l'Etat soudanais, accusant Idriss Deby Itno (le président tchadien) de soutenir la rébellion du Darfour. Cette réaction est très compréhensible puisque le Soudan est la base arrière des rebelles. Il est souvent considéré comme le principal soutien de l'opposition armée tchadienne dont les chefs ne sont, toutefois, pas tous appréciés par Khartoum. Cette dernière accuse de son côté N'Djamena de soutenir des rebelles soudanais du Darfour, région de l'ouest du Soudan en guerre civile.

Au niveau de la Ligue arabe, le consensus est de mise. Tous les Etats arabes ont estimé que le procureur Luis Moreno-Ocampo avait une «position déséquilibrée» sur le dossier soudanais. Ils lui reprochent de n'avoir «rien» prévu «au sujet des mouvements rebelles [du Darfour, ndlr] et de ce qu'ils ont fait». Ils désavouent, par ailleurs, la CPI, jugeant que l'éventuelle délivrance d'un mandat d'arrêt contre Omar El Béchir constituerait une violation de la souveraineté de son pays et pourrait aggraver l'instabilité. Aussi ont-ils élaboré un plan de riposte, que le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, a présenté à Omar El Béchir. La Ligue propose de privilégier le «mandat des institutions judiciaires civiles soudanaises». Car, «une justice efficace sera rendue [au Soudan, ndlr] sous le contrôle de la Ligue arabe et de l'Union africaine».

Contestation de fond contre la CPI
Pourquoi les réactions sont-elles aussi négatives ? Hormis la réaction attendue des alliés du Soudan, ces réactions sont aussi dues au fait que la CPI est devenue en peu de temps comparable à un instrument politique. Cette dimension politique est déduite de la nature des affaires que la CPI traite et a traitées à ce jour. Ainsi reproche-t-on le fait que Luis Moreno Ocampo refuse de donner un avis sur la poursuite des constructions de colonies en Cisjordanie, malgré le fait que ce crime contre l'humanité soit mentionné dans la Charte de Rome et que la Cisjordanie ait été de par son statut juridique associée à la Jordanie de 1948 à 1967. Ce qui signifie que nombre de victimes palestiniennes sont citoyennes d'un État qui a ratifié la Charte de Rome (royaume de Jordanie). Le procureur ne s'est pas non plus prononcé sur le mur de séparation, bien que celui-ci relève de la Charte de Rome, ni sur les crimes commis en Irak et dans les territoires palestiniens. Il a refusé d'accepter la requête présentée par le spécialiste en droit pénal, Hugo Ruiz Diaz Balbuena (Paraguay), qui, au nom d'organisations arabes et de l'Union juive française pour la paix, lui a demandé d'examiner l'agression israélienne contre le Liban. Ocampo, lui, a envoyé une lettre de dix pages le 2/09/2006, déclarant la CPI incompétente.

Les critiques concernent aussi le fait que la CPI ne semble poursuivre «que des Africains» (dixit le président Wade). Cette accusation fait allusion à l'arrestation par la CPI de l'ex-chef d'Etat libérien, Charles Taylor, et aux nombreux dossiers détenus par cette juridiction des Nations unies pour poursuivre d'autres dirigeants africains. A ce jour, trois Etats -l'Ouganda, la République démocratique du Congo et la République centrafricaine- ont déféré à la Cour des situations concernant des faits s'étant déroulés sur leur territoire. Le premier procès devant la CPI, concernant un chef de milice congolais, s'est ouvert le 26 janvier 2009. Le bureau du procureur effectue actuellement des enquêtes préliminaires dans plusieurs pays, dont le Tchad, le Kenya, l'Afghanistan, la Géorgie, les territoires palestiniens et la Colombie. Pour quels résultats, notamment s'agissant des territoires palestiniens ?
L'ensemble de ces griefs sont en grande partie dus au statut de la Cour, statut qui implique ses limites. La Cour pénale internationale est une cour indépendante permanente devant laquelle sont jugées les personnes accusées des crimes jugés les plus graves par la communauté internationale, à savoir les génocides, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Elle a été fondée en vertu d'un traité signé à Rome, le 17 juillet 1998, et existe légalement depuis 2002. Jusqu'à présent, 108 États ont souscrit à ce traité, dont tous ceux de l'Union européenne et la majorité des Etats africains. Trois membres permanents du Conseil de sécurité, les Etats-Unis, la Russie et la Chine, ne l'ont pas fait. Washington a même conclu une centaine d'accords avec des Etats parties pour prévenir toute
poursuite contre des citoyens américains. Selon la procédure, la CPI n'est saisie qu'en dernier recours. Elle n'intervient pas lorsqu'une affaire fait l'objet d'une enquête ou de poursuites dans un système judiciaire national, sauf si ces procédures ne sont pas menées correctement ou si elles ont été engagées officiellement uniquement pour soustraire une personne à sa responsabilité pénale.

Les conséquences sur la paix au Soudan
L'International Crisis Group estime que ce mandat d'arrêt offre des opportunités et des risques quant au rétablissement de la paix au Soudan étant donné qu'il met fin à l'impunité et peut déstabiliser le Darfour. En définitive, bon nombre de personnes s'interrogent sur l'opportunité qu'il y a d'inculper un président en exercice dans un pays en proie à la violence. Elles suggèrent que la CPI soit dépolitisée pour éviter d'embraser davantage les Etats africains. C'est, d'ailleurs, la raison pour laquelle l'ambassadeur russe Vitaly Churkine a proposé au Conseil de sécurité d'approuver la suspension des poursuites judiciaires de la CPI. Il a souligné que l'article 16 du statut de la CPI «donne au Conseil de sécurité des Nations unies certaines responsabilités politiques». Selon l'article 16 du statut de la CPI, le Conseil de sécurité peut adopter une résolution pour reporter l'enquête de la CPI de 12 mois, une résolution qui peut être renouvelée. Dans un excellent article intitulé «La CPI face au Soudan : un enjeu pour l'ensemble de la région», Etienne Tremblay-Champagne fait le tour de la question dans ses répercussions en termes de stabilité et poursuite des processus de résolution des conflits. Au niveau interne, les craintes concernent directement les opérations de maintien de la paix. Le déploiement de la Minuad, le déroulement des élections soudanaises prévues par l'accord de paix supervisé par la Minus et la passation de pouvoirs de l'Eufor Tchad-RCA vers la Minurcat sont des enjeux stratégiques qui pourraient souffrir de la décision de la CPI. Par ailleurs, les négociations entre la rébellion darfourie et Khartoum ont repris en février dernier au Qatar. Le gouvernement avait également lancé «l'Initiative du peuple du Soudan», sous la forme d'une vaste consultation. Bien que boudée par les mouvements rebelles, elle a, toutefois, débouché sur une série de recommandations en novembre : - un cessez-le-feu unilatéral, - la nomination d'un vice-président issu du Darfour au sein du gouvernement,- le paiement de compensations aux personnes déplacées par le conflit. Parallèlement, le gouvernement soudanais a réactivé les tribunaux spéciaux chargés d'enquêter sur les violations commises au Darfour, avec possibilité qu'ils soient assistés par un panel juridique africain de haut-niveau sous la responsabilité de l'ancien président sud-africain, Thabo Mbeki. Le panel, mandaté par le Conseil de paix et sécurité de l'UA, doit étudier la crise du Darfour pour lutter contre l'impunité et sanctionner les individus ayant commis des crimes de guerre lors du conflit. Le mandat d'arrêt peut donc stopper net toutes ces initiatives gouvernementales. Du côté des rebelles, la radicalisation est également une conséquence à envisager. Ces derniers, relèvent les analystes, n'ont montré aucun empressement en faveur des négociations. Pourquoi changeraient-ils de tactique ? Pourquoi négocieraient-ils avec un criminel de guerre ? D'ailleurs, les combats se sont multipliés au Darfour, chaque camp se prépare à une offensive militaire. Les progrès accomplis par la Minuad depuis janvier 2008 sont menacés. Sachant qu'elle n'a déployé que 60% de ses effectifs prévus et n'a reçu que 40% du matériel requis, la force hybride risque de faire face à d'immenses difficultés.

En plus des négociations relatives au Darfour, un autre front risque de pâtir du mandat d'arrêt contre Omar El Béchir, le Sud-Soudan. En 2005, un accord de paix global (CPA) a mis fin à 21 ans de guerre civile. Des élections sont prévues en juillet 2009, avant le référendum sur l'autodétermination en 2011. Or, des tensions peuvent facilement dégénérer, comme ce fut le cas en mai 2008. La démilitarisation de la ligne de front entre les deux anciens belligérants est plus que nécessaire, d'autant qu'elle s'appliquera dans des zones où sont situés d'importants gisements pétrolifères.

Les autorités soudanaises et sud-soudanaises craignent qu'une sécession du Sud-Soudan fasse boule de neige en entraînant aussi celle du Darfour et de l'est du Soudan. Le SPLM, qui gère le Sud-Soudan, tient un discours d'unité mais son point faible est sa constitution interne et son absence d'homogénéité. Certaines factions pourraient, donc, profiter de l'affaiblissement du chef de l'Etat pour faire de la surenchère et radicaliser leurs positions. D'ailleurs, l'un des cinq scénarios examinés par le SPLM, les 19 et 20 janvier 2009, était une déclaration unilatérale d'indépendance en cas de violation de l'accord de paix global. N'est-ce pas pour faire face à ce type de tensions que le chef de la Mission, Ashraf Qazi, demandait en août 2008 l'inclusion du chapitre VII dans son mandat ? La Minus «n'a pas de capacités robustes d'intervention et manque de l'espace politique et militaire nécessaire pour effectuer des opérations de contrôle et de vérification du respect du cessez-le-feu». En janvier dernier, une responsable de Refugees International, Erin Weir, estimait que la Minus était perçue à l'origine comme une force d'observation, alors que «la protection [des civils] doit être une plus grande priorité».



Pour toute information, contactez-nous au : +(235) 99267667 ; 62883277 ; 66267667 (Bureau N'Djamena)