Accueil
Envoyer à un ami
Imprimer
Grand
Petit
Partager
TCHAD

11 août 1960-11 août 2015 : Tchad, 55 ans de marche boiteuse


Alwihda Info | Par Béchir Issa Hamidi - 11 Août 2015



Le Tchad a l’âge d’une personne ni jeune ni assez vieux. 55 ans. A cet âge-là, cet Homme demeure un mélange de contraste. Il n’est ni totalement souverain, ni désespérément esclave. Ni riche, ni pauvre. Son régime est un avatar de démocratie et de l’autocratie. La parole la plus libre cohabite avec la censure plus implacable. Les lois les plus avancées côtoient les pratiques les plus arriérées. Le Tchad est un personnage déroutant. Pour le cerner, ayons du souffle et plongeons dans son histoire contemporaine.

Son nom a toujours rimé avec la guerre et autres dictatures. Le premier président François Ngarta Tambolbaye bien que nationaliste et aimant sa patrie, a du mal à accepter la contradiction. Utilisant des méthodes aussi bien dégradantes qu’humiliantes (comme le Yondo), il s’est débarrassé de bien de ses opposants. La répression est allée crescendo jusqu’à ce qu’une bonne partie de la population du centre puis celle du nord bascule dans la rébellion.

Le Front de Libération Nationale du Tchad, créé le 22 juin 1966 au Soudan a, par la suite, bénéficié de soutiens solides jusqu’à inquiéter sérieusement le pouvoir de Fort-Lamy. Ngarta se tourne vers la France qui lui vole au secours sans arriver totalement à mater les rebelles. Ces derniers se trouvent propulsés au devant de la scène internationale avec l’enlèvement de l’archéologue, Madame Claustre en 1974.

Sur le plan intérieur, le régime de Ngarta, se remarque aussi par des pratiques à la limite drôles. La politique de l’authenticité calquée sur les turpitudes du léopard de Zaïre, Mobutu, le président Ngarta se débarrasse de son prénom François et demande à ses collaborateurs d’en faire autant. Ce repli sur le Tchad ne fait pas l’unanimité. En tout cas, le mouvement de la Tchaditude n’entame ni l’ardeur des rebelles ni la grogne des militaires loyalistes. Bien que conscient du malaise, le régime se cramponna sur des croyances irrationnelles jusqu’au jour où les militaires passent à l’acte et exécutent le coup d’Etat. Ngarta, brave homme, brave les balles avec un gourdin. Ce qui devait arriver arriva : le président est tué le 13 avril 1975.

Les militaires composent un Conseil et lui mettent à la tête un ancien prisonnier juste sorti des geôles. Le Conseil Supérieur Militaire (CSM) prend les rênes du pouvoir mais semble garder des relents du régime précédent. Du moins, les rebelles du Nord le pensent. Pas tous, car le groupuscule de Habré qui s’est depuis brouillé avec ses frères du Frolinat prend langue avec les militaires. Habré négocie à Khartoum et obtient le poste de premier ministre et une charte dite Fondamentale qui devrait régir la vie politique. Habré qui ne veut pas se contenter des strapontins ne tarda pas à entrer en conflit avec son président. L’interprétation de la Charte servi d’alibi aux différents camps et conduisit le pays dans l’impasse. C’est dans ce climat de tension qu’éclata la guerre civile le 12 février 1978. Une folie meurtrière, attisée par les politiciens, s’empara de la population. Les anciens voisins et frères qui vivaient en harmonie s’étripent, s’étranglent et s’étouffent. Les conciliabules se mêlent aux négociations à peine commencées et dénoncées plongent le pays dans de l’incertitude. Les tendances se créent. Les accords du Nigéria (Lagos, Kano) instaurent de l’accalmie. Mais le mal n’est pas extirpé. Habré est chassé de la capitale. Il regagna l’Est et remobilisa sa troupe pour se lancer à l’assaut de la capitale dans la mi-1982. Le président Goukouni avec des bonnes intentions n’arrive pas à créer un Etat à la limite du néant. Une erreur politique ou stratégique le pousse à se débarrasser de ses mentors les Libyens.

Habré profite de la brèche et pousse Goukouni à la sortie. Il occupe le siège et s’y incruste avec brutalité. D’une main de fer, il ressuscite l’Etat, ce monstre. Et le monstre finit par emporter bien des Tchadiens. Le monstre présidé par le Lion intimide. Il frappe. Ses compagnons, ses détracteurs. Ses voisins. Le guide libyen quitte le Tchad la queue entre les jambes. L’union aux forceps de l’UNIR (Union Nationale pour l’Indépendance et la Révolution) exaspère le peuple. Surtout que la police politique, la DDS (Direction de la Documentation et de la Sécurité) est des plus cruelles. Tellement cruelle qu’elle devient insupportable. Et, puis Merde !

Quelques rescapés de la dictature se mobilisent à partir de l’Est du Tchad dans le MPS, le Mouvement Patriotique du Salut et envoient vadrouiller le Lion tchadien chez les Lions de la Terengua.

Sur les cendres de la dictature, la démocratie est proclamée. Des hommes politiques, échangent l’écharpe de l’UNIR contre celle d’autres partis. Le MPS se taille la part du…. lion. Il recycle, comme les autres partis, les anciens militants de l’UNIR. Mais les habitudes ont la peau dure. Et le recours aux armes fut le plus utilisé. Des rebellions naissent, muent…., des mouvements armés se phagocytent, se rallient, se réconcilient, s’embrouillent, des ailes poussent aux branches à l’image du MDD aile dure, MDJT aile Zoumri. Des rebelles se rebellent. Ils regagnent le bercail. Le lendemain, ils s’évadent. La rébellion est un fonds de commerce que bien des compatriotes septentrionaux se lèguent, de frère en cousin et puis de père en fils.

Le pouvoir essaie de colmater certaines brèches qu’il a lui-même ouvertes. Dans ses tentatives d’instaurer la paix, moult recettes sont administrées. La consensuelle, la participative, l’exclusive, la suspectée, la transitoire, l’unificatrice, la griotique, folklorique, la bouffonne… Seul, le maître, le Chef Déby, à l’image du cuisinier, connait les ingrédients de ses recettes.

La presse quant à elle est libre. Sans grand pouvoir. Elle crie, mais n’arrête pas la caravane décriée. De fois, elle est menacée sans ménagement : « vos plumes seront cassées », l’avertit-on. Mais, têtue par nature, elle continue d’aboyer. Elle se fait taper sur les doigts. La presse est une créature proche d’un tam-tam : plus tu la frappes, plus elle fait du bruit.

La démocratie étant épousée, il faut compléter la dot, c’est-à-dire organiser des élections. Le MPS les remportent haut la main, même si le parti de Bamina se fait, parfois, mordre au mollet comme en 1996. Le second tour contre l’URD de Kamougué ne l’empêche pas de remporter la victoire. Certaine opposition crie au scandale. Puis revient à des meilleurs sentiments après quelques conciliabules. Le pays tangue mais tient bon. La démocratie tchadienne, bien que boiteuse continue son chemin. Rien n’est parfait. Les institutions sont crées : Haut Conseil de la Communication, Assemblée

nationale, Conseil Constitutionnel, Cour Suprême…Conseil Economique, Social et Culturel. Elles sont dotées des pouvoirs constitutionnels. Ah, la Constitution, cette loi fondamentale. Elle est censée régler tous les problèmes de gouvernance. Mais elle peut aussi engendrer bien de tracas. Surtout quand on la touche. Pourtant elle n’interdit pas formellement qu’on la tâte. Du moins en certaines de ses dispositions. L’être humain, son rédacteur est ingénieux. Il peut fondre et confondre en interprétation. Et donc se permettre de la modifier tout simplement et l’adapter au besoin de l’heure, plutôt au besoin du plus fort du moment. Qui a raison ? Le plus fort, justement. Et au Tchad, le plus fort a été jusque là le plus fort en armement. Allez, vite, à vos armes. De préférence, trouvez un parrain à l’Est du pays et menacez de renverser le plus fort du moment pour être à sa place. FUC, UFF, UFF-R, …des sigles et des ailes, des branches et des branchages. « Je ne vous garantis pas de faire mieux que celui qui est en place, mais aidez moi à le renverser quand même ». Les institutions imparfaites sont menacées par des groupes armés et soutenus par l’étranger. Et c’est reparti, la guerre. Les assauts rebelles téléguidés se brisent contre les remparts du Palais rose, là où le manitou tient encore avec quelques proches. Une première fois, un 13 avril 2006. La deuxième fois, en février 2008, le Palais Rose chancelle et sauve sa tête in extremis. Certains laudateurs et zélés défenseurs verbaux du régime prennent leurs jambes au cou, mais reviennent sur leur pas, quand ils constatent que tout n’est pas perdu. Ils retrouvent leurs esprits. Ouf ! mais la boule n’est pas passée loin de la tête.

On se rappelle qu’on a du pétrole. Il doit donc servir à sauver les institutions. Le gouvernement achète des armes et ne les cache. Il les montre et le dit à qui veut l’entre : « nous achetons des armes pour nous défendre ! ». Point barre ! On n’achète pas que des armes. On investit aussi. Des écoles, des routes, des hôpitaux, des points d’eau…. La qualité des ouvrages, les procédures d’octroi des marchés…bref, partout des anomalies. Mais on construit quand même.

Le Tchad bouge ! Le monde bouge aussi. Le printemps arabe souffle. Nos voisins aussi bougent ou l’occident les fait bouger. Notre grand voisin et embarrassant ami, le guide libyen est pris par ceux qu’il a traités de rats. Sous les caméras, les rats zigouillent le

guide. La Libye perd le pilote, le peuple perd le nord. Les tribus, les clans, les Ouleds et les Iyals s’étripent. Les armes circulent et atterrissent au Mali. Le Nord de ce pays revendique une autonomie. La religion s’y mêle. Le terrorisme entre dans la danse. Le pays est coupé en deux. La France puis le …Tchad accourent. On stoppe le cocktail de religion et d’identité, mais la menace n’est pas écartée.

Un autre énergumène dénommé Shekaou à la tête de groupe obscurantiste inquiète notre puissant voisin le Nigéria. Boko Haram sévit. Le Nigéria puis le Cameroun son menacés. Le Tchad aussi. On bombe le torse et on accourt encore pour épauler ces voisins et sauver nos arrières sous le regard encourageant de la France. Le Tchad pique le diable dans l’œil. Affolés, les fous frappent. Des Tchadiens, notamment des policiers meurent par dizaines dans la capitale…. Epoustouflant !

Ainsi il va le Tchad en 2015. Il est certes, mal parti à l’image de la plupart des pays africains. Mais il cherche à trouver un PAS normal en se mettant sur les rails de la démocratie et du développement. L’espoir est permis ! Car même les plus grandes démocraties ont connu des balbutiements à leur début, des soubresauts dans leur parcours, des erreurs dans leur chemin. Bien que boiteux, le Tchad marche… quand même.

Béchir Issa Hamidi
Administrateur parlementaire,
Enarque, écrivain et ancien journaliste.
bi.hamidi@yahoo.fr



Pour toute information, contactez-nous au : +(235) 99267667 ; 62883277 ; 66267667 (Bureau N'Djamena)




Populaires