A en croire certains, parmi lesquels les organisations de défense des droits de l’homme jamais en reste quand il s’agit d’attaquer les forces armées nationales, à en croire certains, donc, un héros serait né au Sénégal qui a pour nom le colonel Abdoul Aziz Ndao. Ainsi, on pourrait donc violer le règlement militaire, notamment l’obligation de réserve auquel est tenu tout officier jusqu’à l’âge de 65 ans, on pourrait, en qualité d’officier supérieur, révéler de graves secrets d’Etat, attaquer l’institution militaire à laquelle on appartient, s’en prendre à ses camarades et à son ancien patron, traîner ce dernier dans la boue, faire tout cela donc et être un héros ! On se demande ce qu’est l’honneur d’un officier après tout cela. Le colonel Abdoul Aziz Ndao, recalé aux fonctions de général pour son comportement et sa moralité — alors que ses deux successeurs aux fonctions de Haut commandant en second de la Gendarmerie nationale, les colonels Alioune Dièye et Meïssa Niang, eux, ont étrenné les étoiles — Ndao, donc, décide de balancer et de se poser en héros aux yeux de l’opinion. Et ce alors que si ce n’était que cela, des officiers et des généraux qui ont de meilleurs états de services et ont plus de choses encore à dire que lui, auraient pu crâner devant l’opinion depuis longtemps. Et obtenir plus de succès que lui. Seulement voilà, eux, ce sont des militaires, des vrais, dans l’âme et dans le comportement. Car quel courage y a-t-il à balancer traitreusement contre ses frères d’armes, actuels et anciens ? Et ce tout en sachant qu’eux, ils sont tenus par l’obligation de réserve et ne peuvent donc pas répliquer sauf à violer justement ce règlement militaire que lui, Abdoul Aziz Ndao, se sachant à quelques mois de la retraite et ayant fait son deuil du grade de général, foule aux pieds allègement. Notre Don Quichotte, qui dit avec la faconde du matamore qu’il s’attend à tout bien que sachant qu’au Sénégal, pays de droit, il ne risque absolument rien sauf l’application du règlement militaire à son encontre — alors que dans certains pays africains il aurait été liquidé depuis longtemps —, notre héros à peu de frais, donc, risque tout au plus la radiation. Le sachant, il a choisi de sortir par ce qu’il estime être la grande porte pour lui plutôt que de prendre sa retraite dans l’anonymat le plus total. On s’offre la publicité que l’on peut…
Le plus navrant c’est qu’il a fait croire au bon peuple qu’il révélait des choses gravissimes alors que, en dehors des ragots qu’il colporte, certaines de ces choses étaient connues des Sénégalais depuis longtemps. En particulier des lecteurs du « Témoin ». Il en est ainsi de ce qu’il a appelé les « mallettes d’argent ». De tout temps, en tout cas depuis que le conflit casamançais a éclaté en décembre 1982, de telles choses ont existé. Ainsi, dans les années 90 nous avions révélé — l’intéressé, qui est le seul acteur encore vivant ne nous démentira pas — que Mansour Cama, le patron de la Cnes — mais aussi le défunt Marcel Bassène que nous connaissions bien ainsi qu’un commerçant du nom de Amadou Sy — étaient ceux-là mêmes qui approvisionnaient en vivres, pour le compte du gouvernement sénégalais, les rebelles casamançais. Par modestie sans doute, mais aussi par sens de l’intérêt de l’Etat, Mansour Cama ne s’en est jamais glorifié. Et pourtant, lui c’est un civil !
De ce point de vue, Abdou Elinkine Diatta, le porte-parole du Mouvement des Forces démocratiques de Casamance (MFDC) a raison : ces histoires de mallettes ont toujours existé encore que les montants indiqués sont largement fantaisistes. Que ce soit le général Abdoulaye Fall ou le pauvre Marcel Bassène, aucun d’eux n’a jamais géré 60 milliards de francs pour la Casamance. L’Etat ne dispose tout simplement pas d’autant d’argent. Encore une fois, et comme nous le soutenons toujours ici dans ces colonnes, le Sénégal n’est pas un Emirat pétrolier ! Et ce même si on prête trop à son Etat. Entre donner trois millions de francs plus 12 tonnes de riz à chaque cantonnement, et disposer de 60 milliards de francs, il y a de la marge quand même ! Surtout que ce riz et cet argent étaient et sont destinés à permettre aux combattants de vivre plutôt que de risquer de les voir cambrioler les boutiques des villages casamançais ou braquer des véhicules sur les routes de cette contrée afin d’avoir de quoi se nourrir. Du temps du président Abdou Diouf, c’est le général Boubacar Wone, chef d’état-major particulier, qui gérait cette délicate question. Ensuite le général Abdoulaye Fall a pris le relais. Il n’a pas fait plus ou moins que ses prédécesseur et successeur même si, c’est vrai, en matière d’argent, le président Abdoulaye Wade était particulièrement prodigue. Après le général Fall, c’est l’amiral Farba Sarr, en tant que patron du Cos, qui gère ce dossier sous le magistère du président Macky Sall. C’est sans doute lui qui a eu à traiter avec Abdou Elinkine Diatta qui est très jeune dans le maquis.
Il fut un temps, et c’était un secret de Polichinelle, où au moins le fils d’un des chefs de guerre du Mfdc était inscrit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar où il bénéficiait d’une bourse spéciale payée par la présidence de la République ! De même, le père d’un des chefs d’Attika, la branche militaire du Mfdc, était interné à l’hôpital Principal de Dakar où tous ses frais étaient pris en charge par l’Etat. On pourrait multiplier des exemples de ce genre à l’envi. Car les régimes sénégalais successifs n’ont jamais privilégié un traitement exclusivement répressif, voire éradicateur, de la crise casamançaise. Au contraire, ils ont choisi une approche humaine, en tout cas sociale de ce conflit, ce qui explique que les ponts n’ont jamais été coupés avec les rebelles, ni le dialogue rompu. Heureusement d’ailleurs. On s’est étonné que les chefs de ces derniers aient des passeports, diplomatiques même pour certains mais parce que tout simplement lesdits rebelles sont des Sénégalais comme les autres, même s’ils sont égarés et même s’ils ont pris les armes contre la République ! Avec quels passeports donc veut-on qu’ils voyagent et avec quels documents d’identité qu’ils circulent si ce n’est avec ceux du Sénégal ! Et ensuite, s’il y a des négociations secrètes à l’étranger ou si l’état de certains chefs du maquis nécessite qu’ils soient évacués à l’étrangerpour des soins ne peut-on pas comprendre que, compte tenu de l’urgence, des passeports diplomatiques leur soient octroyés ? Tout cela ayant pour but de créer un climat de confiance susceptible de favoriser l’aboutissement de négociations de paix. Mais bon, cela, ça se gérait dans le secret. Imaginez donc l’effet désastreux produit par les révélations — non replacées dans leur contexte — du colonel Aziz Ndao sur les militaires sénégalais, en particulier les hommes de troupes, qui combattent ces rebelles au front ! Toutes les choses ne sont pas destinées à être divulguées sur la place publique…
Pour le reste, les organisations de défense des droits de l’homme et autres thuriféraires du colonel Aziz Ndao savent-ils le traitement qui lui aurait été réservé s’il avait fait ce qu’il a fait dans un pays comme les Etats-Unis ? Il n’y a qu’à voir la batterie de sanctions qui attend Edward Snowden, l’informaticien de la NSA, qui a osé révéler le scandale d’écoutes téléphoniques à l’échelle mondiale mis en place par le gouvernement américain. Présenté comme un traitre à la patrie, le brave gars a été obligé de se réfugier en Russie où il est gardé dans un endroit secret car il pouvait être partout ailleurs enlevé par des commandos des services Us pour être rapatrié aux Etats-Unis et jugé pour haute trahison. Et pourtant, Snowden n’était pas un militaire mais un simple civil. Imaginez ce qu’il en aurait été s’il avait été un officier de l’Us Army ! Quant au soldat Bradley Manning, responsable de la fuite de 700.000 documents diplomatiques et militaires américains qui ont alimenté le site Wikileaks, il a été condamné à 35 ans de prison et renvoyé de l’armée Us pour « déshonneur ». En effet, on ne badine pas avec l’honneur au pays de l’Oncle Sam. A cette aune, pourquoi donc admettre qu’Aziz Ndao fasse au Sénégal ce qu’un officier n’aurait jamais osé faire en Amérique, en France, encore moins en Chine ? Ne parlons pas des pays africains.
Encore une fois, dans des pays aussi fragiles que le nôtre, l’armée demeure un pilier sur lequel repose le socle de la nation. Scier ce pilier, reviendrait assurément à provoquer l’effondrement de ce pays. Toutes les institutions ont été fragilisées mais, de grâce, que l’on préserve les forces armées dont la gendarmerie nationale est une composante fondamentale. Or, que sont ces forces de défense et de sécurité si on exonère leurs membres, en particulier leurs officiers, de leur obligation de réserve ? A ce moment-là, il ne resterait plus rien. Surtout que l’Etat, comme tout pouvoir, est un mythe. Le déshabiller, l’exposer tout nu sur la place publique, c’est lui enlever tous ses attributs. C’est malheureusement à cet exercice que s’est livré le colonel Abdoul Aziz Ndao qui sait qu’il ne lui reste plus rien dans la gendarmerie nationale où il ne sera plus jamais un général. Ou, plutôt si, il lui restait quand même encore une chose, plus précieuse sans doute que tous les grades et tous les avantages matériels ou financiers pour un officier : l’honneur. Il est à craindre, hélas, qu’il n’ait perdu cet honneur aussi dans sa sortie pamphlétaire. Ce n’est pas lui qui, comme Napoléon, pourra s’écrier : « tout est perdu fors (Ndlr, sauf) l’honneur ! ». C’est pourquoi l’Etat a le devoir de punir sévèrement cet officier qui ne risque plus grand-chose malheureusement, sauf le mépris de ses pairs qui, eux, pour l’honneur de la République, ont su demeurer des militaires. Cela dit, il pourra toujours se reconvertir en… défenseur des droits de l’homme. Il lui restera toujours cela à défaut d’être devenu général.
Mamadou Oumar NDIAYE
Article paru dans « Le Témoin N° 1173 » –Hebdomadaire Sénégalais ( Juillet 2014)