Une question, une seule : si le colonel Alioune Ndaw, qui vient de pondre un brûlot sur la gendarmerie nationale et son ancien patron, avait été promu général son livre aurait-il jamais vu le jour ? Il est permis d’en douter, assurément. Au contraire, tout indique que le brave officier supérieur, non seulement n’aurait pas dénoncé la gangrène qui minerait, selon lui, la Maréchaussée nationale mais encore aurait même trouvé que tout va bien dans le meilleur des mondes au sein de ce corps d’élite ! Il se trouve, hélas pour lui, qu’il n’a non seulement pas pu étrenner les étoiles de général, mais encore, il a aussi été limogé de ses fonctions de haut commandant en second de cette même gendarmerie avant d’être envoyé au purgatoire à l’ambassade du Sénégal à Rome. Cela, évidemment, vous ronge en homme, vous le transforme en masse haineuse et vous fait réécrire l’Histoire sous un angle forcément négatif pour les heureux élus, ceux-là même qui ont eu la chance de devenir généraux et qui vous ont laissé en rade à l’avant-dernier pallier. Ce qui est valable pour la Gendarmerie l’est aussi pour l’Armée : chaque année, des dizaines de colonels valeureux qui ont fait leurs preuves sur tous les théâtres d’opérations, ou dans le maintien de l’ordre et de la sécurité, partent à la retraite sans avoir eu la chance de passer général. Et ce sans qu’ils aient démérité. Le fait est que, malheureusement pour eux, les grades s’arrêtent à celui de colonel et que la fonction de général relève du seul pouvoir discrétionnaire du président de la République. Lequel se base sur différents critères, dont la confiance mais aussi… tiens la moralité !, pour nommer à cette fonction qui il veut. Telle est la dure loi de la République contre laquelle nul ne peut rien. Pour tous ces officiers valeureux qui partent à la retraite sans arborer les étoiles, c’est le plus souvent la faute à pas de chance. Sans doute quittent-ils les drapeaux, sous lesquels ils ont servi en moyenne une quarantaine d’années, avec un pincement au cœur ou une grande déception. Seulement voilà, en militaires disciplinés et en hommes dignes, ils n’en font pas toute une montagne. Ce n’est pas pour cela qu’ils vont déballer sur la place publique des secrets d’Etat, faire des révélations qui risquent de discréditer à jamais le corps auquel ils ont appartenu, attaquer leurs anciens camarades ou, carrément, compromettre la stabilité des institutions voire la paix civile. Tout simplement parce qu’ils n’ont pas eu l’honneur de se voir donner du « mon général ». Une chose est sûre, ce qu’a fait le colonel Alioune Ndao est une première pour un officier de ce rang dans notre pays. Oui, un officier supérieur qui jette un coup de pied aussi formidable dans la fourmilière de la gendarmerie nationale uniquement pour régler des comptes avec des hommes, en particulier son ancien ami et patron par la volonté de Dieu et de l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, c’était du jamais vu.Wade qui a choisi le brillant officier Abdoulaye Fall pour en faire non seulement son chef d’état-major particulier, un poste de confiance et hautement sensible puisque chargé en particulier de veiller sur sa sécurité et de coordonner tous les mouvements de troupes de l’Armée en général, mais aussi de l’élever plus tard aux fonctions de général. Il fallait que le président Abdoulaye Wade ait confiance au colonel Abdoulaye Fall, ce qu’il était à l’époque, pour en faire son Cempart puisque, avant lui, cette fonction avait toujours été occupée par des militaires. Le général Fall a été le premier gendarme à être promu à cette fonction. Auparavant, il avait passé huit longues années en Casamance, alors que la rébellion du MFDC battait son plein. Alors Haut commandant de la Gendarmerie nationale, le général Pathé Seck ne cachait pas tout le respect qu’il avait pour cet officier loyal, toujours prêt à aller au feu et qui ne lui faisait aucun enfant dans le dos. C’est justement en Casamance que s’est affermie l’amitié entre Abdoulaye Fall et son contempteur d’aujourd’hui. Alioune Ndao était au Cencar (Centre national de coordination et d’animation du renseignement). Il travaillait dans le bureau du colonel Abdoulaye Fall, mangeait avec lui, les deux hommes ne se quittant que pour aller au lit. Cela dura de longs mois. Lorsqu’ils revinrent à Dakar, Abdoulaye Fall était nommé gouverneur militaire du Palais tandis qu’Alioune Ndao était affecté au ministère d’où il fut évincé quelques mois plus tard pour des raisons que lui seul sait. Durant les huit mois qu’a duré sa traversée du désert, il mangeait tous les jours chez son ami Abdoulaye Fall. Les deux hommes étaient inséparables si bien que lorsque ce dernier fut nommé chef d’état-major particulier du président de la République, l’une des premières choses qu’il fit, c’est d’intervenir pour qu’Alioune Ndao soit nommé attaché militaire à Conakry. Devenu Haut commandant de la gendarmerie nationale et directeur de la Justice militaire, et alors que le président Wade lui demandait de choisir son adjoint, il n’hésita pas : ce fut Alioune Ndao qu’il rappela de Conakry. A l’époque, beaucoup de gens l’avaient mis en garde contre ce choix, lui prédisant qu’il allait le regretter. Il n’en eut cure, mettant en avant son amitié avec Alioune Ndao pour dire que, justement, à ce poste, il avait besoin de quelqu’un qui sache lui dire la vérité les yeux dans les yeux s’il déviait du droit chemin. Et cela, un subordonné ordinaire n’aurait pas pu le faire, seul un ami en étant capable. Quelques semaines plus tard, des gens venaient déjà lui raconter que… Alioune Ndao faisait tout pour le remplacer au poste de Haut-Com ! De fait, à peine deux mois après la nomination du général Abdoulaye Fall à la tête de la maréchaussée, le président Wade recevait une lettre anonyme lui disant que le général Fall… préparait un coup d’Etat contre lui. Prudent et rusé, Wade, qui n’est pas né de la dernière pluie, ne bougea pas. Quelques semaines plus tard, une lettre de la même eau suivit. Même attitude de Wade qui mit le coude dessus. Lorsqu’il reçut une troisième lettre, il convoqua son Haut commandant de la Gendarmerie pour lui montrer tous les trois courriers anonymes. Après avoir lu attentivement ces lettres de dénonciations, le Général fit comprendre au Président qu’il y avait retrouvé des expressions qu’il avait eu à prononcer en cercle restreint, devant pas plus de trois collaborateurs. Extraites de leur contexte, il les avait retrouvéesdans les lettres du corbeau. Il se promettait donc de mener une enquête pour démasquer ce dernier.
Après un moment de silence, Wade lui a confié : « Mon général, méfiez-vous de votre adjoint ! » C’est à ce moment qu’avec le consentement du Président, il décida de chercher un autre adjoint. Dès lors, les hostilités étaient déclarées puisque son ex-ami Alioune Ndao ne lui a jamais pardonné ce qu’il a considéré comme une « trahison » venant de lui. Depuis lors, il est permis de penser que ce dernier murissait sa vengeance en ruminant sa colère noire dans un sombre bureau de l’ambassade du Sénégal dans la Ville éternelle.
Certes, la vengeance est un plat qui se mange froid mais celui-ci est, convenons-en, plus que froid, glacé ! Car enfin, il nous semble que le véritable courage pour l’officier sans peur et sans reproche (comme le chevalier Bayard !) Alioune Ndao, aurait quand même voulu qu’il attaquât le général Fall pendant qu’il était encore en activité ! Ainsi donc, pendant huit ans, le preux colonel Alioune Ndao, ce justicier revêtu de probité candide et de lin blanc, savait des choses gravissimes, criminelles même, qui se passaient dans la gendarmerie, sans les dénoncer ! Bigre… Ainsi, la Gendarmerie serait ce corps corrompu jusqu’à la moelle, dévoré par la vermine et dont les hommes, du haut commandant au chef de brigade en passant par les braves pandores qui règlementent la circulation, seraient tous des ripoux ! Aux yeux de tous les Sénégalais, la Gendarmerie était un corps d’élite, une institution prestigieuse, disciplinée, républicaine et n’ayant pour seules bibles que l’ordre et la loi. Alors qu’il aurait pu faire la guerre à son ancien ami Abdoulaye Fall seulement, le colonel Alioune Ndao jette tout un corps et des milliers de gendarmes patriotes et dévoués à la cause nationale, en pâture à l’opinion. Car ce qui est le plus grave, encore une fois, c’est que s’il avait été promu Haut-Com Gen, ou même général, il aurait vu la Gendarmerie sous un autre jour, sous un angle plus rose, assurément. A quelques mois de la retraite, sachant qu’il peut faire son deuil des étoiles, il choisit donc de balancer et de calomnier en se disant, comme Goebbels, le ministre de la Propagande allemand, « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » !
Voilà qu’il traîne dans la boue ce corps qui faisait toute l’admiration de la Nation, n’hésitant pas à raconter des contre-vérités pour servir ses sombres desseins. En effet, sur deux points au moins, en attendant de revenir de manière plus exhaustive sur les graves accusations contenues dans son livre, le colonel Ndao a raconté des contre-vérités. C’est le cas quand il dit que le président de la République donnait 200 millions de francs par mois au général Abdoulaye Fall pour qu’il règle le problème casamançais. Le brave colonel semble confondre le Sénégal avec un émirat pétrolier ! Connaissant l’état des pauvres finances publiques, c’est vraiment prendre les Sénégalais pour des demeurés que d’essayer de leur faire croire que l’Etat peut consacrer 200 millions de francs par mois rien que pour « gérer » les rebelles casamançais. Sauf à être dans les vignes du Seigneur… De toutes façons, du temps où le général Fall s’occupait de ce dossier de la rébellion du Sud du pays, c’est l’actuel président de la République, alors Premier ministre, qui lui remettait chaque mois les fonds devant lui permettre de mener à bien sa mission. Et M. Macky Sall est bien placé pour savoir combien il remettait au général Fall…
Autre chose : le colonel Alioune Ndao prétend que, lorsque les hommes du colonel Meïssa Niang — aujourd’hui général — avaient arrêté Abba Diédhiou, principal suspect dans l’assassinat de Oumar Lamine Badji, ancien député et président du conseil régional de Ziguinchor au moment des faits, la Légion Sud avait été dessaisie au profit de la section de Recherches de la gendarmerie nationale. La « SR » dont les hommes auraient d’ailleurs été transportés par avion spécial à Ziguinchor. D’après les informations dont nous disposons, rien ne serait plus faux, la Section de Recherches n’ayant jamais eu à s’occuper de ce dossier. On comprend que l’auteur du brûlot ait une dent contre le colonel Moussa Fall, aujourd’hui gouverneur militaire du Palais, mais de là à inventer des faits imaginaires pour l’accabler, il y a quand même un pas que tout honnête homme devrait se garder de franchir…
Sans entrer dans le fond des sujets évoqués par le colonel Ndao dans son livre — un livre ordurier, mais ne dit-on pas que le style c’est l’homme ? — voilà ce que nous pouvons en dire pour le moment en attendant de revenir plus en détail sur les terribles accusations qu’il porte non seulement contre le général Abdoulaye Fall, un grand chef à l’excellente moralité, mais aussi contre la gendarmerie tout entière, un corps qui lui a pourtant tout donné et sur lequel il jette l’opprobre aujourd’hui !
Mamadou Oumar NDIAYE
Article paru dans « Le Témoin N° 1173 » –Hebdomadaire Sénégalais ( Juillet 2014)