A minuit tapant, le 11 août 1960, le président Tombalbaye proclame : « Crions notre joie. Le Tchad est indépendant et souverain ».
Un an et cinq mois plus tard, lors de la Fête nationale fixée au 11 janvier, l’hymne national retentit pour la première fois, dans la ferveur, place de la Libération : « Peuple tchadien, debout et à l’ouvrage. Ta liberté naîtra de ton courage. Lève les yeux, l’avenir est à toi…».
La République du Tchad nait ainsi sous d’heureux auspices, affirmant les valeurs d’espoir, de liberté, de courage, tout en mettant en musique le triptyque : « Unité. Travail. Progrès ».
Cette devise, lorsqu’elle fut adoptée, inspira certains commentateurs : « A regarder de près, c’est un enchaînement logique, l’unité permet le travail, qui conduit au progrès ».
Réaliser l’unité permettra de construire un grand pays
Force est de constater que durant les décennies qui ont suivi l’indépendance, le première mot de la devise tchadienne, «Unité », a été souvent et cruellement bafoué.
Au contraire, le mot de tous les maux tchadiens, « division », s’est fréquemment imposé, avec comme corollaire les mots-sortilèges de « peur », « prison », « autocratie », « torture », « sang », « rébellion », « assassinat », «pillage », « népotisme », « régionalisme », « clanisme », « néo-colonialisme », « paupérisation », « corruption ».
Tant d’autres mots, durant ces années troubles, ont écorché profondément les oreilles des hommes de paix et de développement tchadiens ou d’ailleurs, meurtri les consciences.
De nombreux efforts de réconciliation entre frères ennemis ont toutefois été tentés sous tous les régimes, l’unité nationale et même la fraternité étant perçus comme un bien inaltérable tchadien et cela malgré toutes les dissensions, toutes les meurtrissures.
Dans l’expression « frères ennemis », fréquemment utilisée au Tchad par les écrivains, les journalistes, les hommes politiques, il y a le mot « frère ». C’est un mot magnifique.
Les dernières armadas de Toyota venues de l’est auraient-elles trouvé leur épilogue en 2009 ? Espérons-le.
En tout cas, le Président de la République, relayé sur le terrain par des médiateurs efficaces, œuvre au retour des dissidents, dans le contexte de l’accord tchado-soudanais.
Saluons son implication et rappelons-nous que pour le 40ème anniversaire de l’indépendance, il avait appelé une fois de plus à la fin des violences armées, avec cette déclaration : « si le bonheur était au bout des fusils, nous serions aujourd’hui le peuple le plus heureux de la terre ».
A l’aube des fêtes du cinquantenaire, l’Unité, première valeur de la devise nationale, serait-elle en train de reprendre sa place et la réconciliation se concrétiser ?
C’est en tout cas le souhait de tous les amis internationaux du Tchad – discrets mais attentifs – et des millions de tchadiens, notamment la jeune génération, qui en ont assez des combats fratricides, veulent manger plus d’un repas par jour, sortir de la pauvreté, étudier ou gagner leur vie, bénéficier d’une vie plus confortable.
Pour l’après-cinquantenaire, des efforts gigantesques en faveur de l’emploi sont indispensables…
La valeur Travail de la devise nationale : voilà l’un des enjeux-clef des décennies prochaines. Ce qui permettra d’accéder au progrès pour le plus grand nombre.
« D’une façon générale, là où il y a paix, il y a développement…».
Le Tchad n’échappe pas à cet adage bien connu des économistes qui ont constaté récemment une très nette hausse de la croissance au Tchad, soutenue par l’exportation d’or noir et épaulée par la confiance en l’avenir désormais retrouvée.
De vastes chantiers poussent dans tout le pays : des entreprises goudronnent places, rues et routes, bâtissent raffinerie, universités, lycées, écoles, hôpitaux, dispensaires, résidences, immeubles administratifs, stades, hôtels de standing, châteaux d’eau, conduites collectrices d’eaux de pluie, etc.
Comme si toute l’énergie mise autrefois au service de la dissension, trouvait aujourd’hui sa libération dans l’acte de construire. Afin de fêter le cinquantenaire de l’indépendance dans la joie et l’union.
Saluons ici aussi l’ardeur du Président de la République, sa détermination à doter le pays d’infrastructures dignes d’une grande nation et à créer des emplois.
L’Etat-Providence peut-il cependant tout ? La fonction publique, les chantiers nationaux, les entreprises en expansion, le secteur agricole en développement pourront-ils absorber les six millions de jeunes tchadiens qui vont arriver sur le marché de l’emploi dans les années, dans les mois qui viennent, plus particulièrement ceux qui ont mis toute leur énergie à mener des études sérieuses et obtenir des diplômes mérités ?
Il est clair que non. Le combat en faveur de « l’emploi » est donc l’affaire de tous.
De chacun, d’abord. Créer son propre emploi, c’est tout à fait possible, pour peu que l’on se donne de nouvelles compétences (téléphonie, fabrication de foyers améliorés et cuiseurs solaires thermiques, création de pépinière, etc.).
Des emplois peuvent aussi être crées au niveau d’un quartier, d’un village, et cela, pourquoi pas, en partenariat avec des associations et des particuliers du monde entier (forage et adduction d’eau, centre d’hygiène et santé, station multifonctionnelle d’énergie, construction collective de marchés couverts avec chambre froide, écotourisme, etc.) ….
Le Tchad, en raison de l’insécurité, est resté en dehors des réseaux de petites et moyennes organisations de solidarité internationale, prêtes à soutenir dans le respect mutuel les efforts de développement, comme cela se passe au Burkina, au Mali, au Sénégal, etc.
L’internet peut constituer à ce niveau un formidable outil pour créer du lien, développer des échanges fructueux.
La plupart des tchadiens sont conscients qu’il peut être positif de nouer des contacts avec les représentants de sociétés civiles « extérieures ».
Sont-ils pour autant prêts à quitter leur natte, s’impliquer dans des actions qui ne porteront leur fruit que dans un ou deux ans, développer une saine gestion de projet ?
L’innovation, les idées conduisent au progrès de tous
La troisième et dernière valeur de la devise tchadienne, c’est le progrès.
Celui-ci se mérite, partout. Ici comme ailleurs. D’abord par l’acquisition de savoir, de savoir faire, de savoir être.
S’instruire, apprendre, développer des compétences et même des double compétences, n’est pas la seule affaire des étudiants ou de personnes issues du monde professionnel. Les laissés pour compte de l’éducation, les réfractaires de l’école, les dissidents revenus au pays peuvent aussi se former.
Apprendre à lire, écrire, compter à 20, 30, 40 ou 50 ans ; s’initier à l’informatique et internet si l’on est une lycéenne, un fils qui reste en famille à ne rien faire ou même un colonel en disponibilité ; apprendre à broder avec une machine à pédalier si l’on est une femme pauvre d’un quartier oublié : tout cela n’est ni impossible ni honteux.
Au contraire. C’est une fierté qui honore ceux qui vont fournir cet effort. Pour être respecté, évoluer, participer au développement du pays. Soutenir financièrement ces initiatives est un devoir d’Etat, des organisations internationales, de tous…
Savoir pour créer. Chacun, au fond de soi, est porteur d’intuitions, d’idées, de projets économiques ou associatifs.
Ce qui manque pour que les tchadiens aillent plus loin à ce sujet, ce sont des centres d’appui performants - même s’il en existe déjà quelques uns -, des liens internet à très haut débit et très bon marché (câble), des kits et des boîtes à idées, la mise à disposition du public de journaux et livres techniques, des outils financiers réellement accessibles.
La mise en œuvre d’initiatives collectives au niveau local, en milieu rural, existe déjà mais est bien insuffisante.
Développer davantage le soutien à des projets novateurs et crédibles, les concours d’initiatives, des appels d’offre en Recherche & Développement, des bourses de voyage et de formation, aussi bien en milieu rural qu’urbain, devraient vraiment inciter les tchadiens au progrès, troisième et dernière valeur de la devise nationale choisie il y a 50 ans lors de l’indépendance.
Chacun doit comprendre, me semble-t-il, que se développer soi-même et développer son pays, c’est d’abord un état d’esprit. L’esprit de progrès n’est pas inné, il se conquiert.